Hostname: page-component-586b7cd67f-tf8b9 Total loading time: 0 Render date: 2024-11-22T16:22:57.843Z Has data issue: false hasContentIssue false

La responsabilité sociale de l'entreprise et ses relations avec le système juridique

Published online by Cambridge University Press:  02 January 2013

Emmanuelle Mazuyer
Affiliation:
CERCRID / ERDS – UMR 5137, Université de Lyon, 07 Lyon Cedex,France, Courriel : [email protected]

Abstract

Corporate social responsibility (CSR) is a popular phenomenon that originates at the margins of the legal system. How do CSR practices interact with the law? With the propagation of CSR instruments, the law struggles to prescribe these procedures while favouring an effective application of codes of conduct. Nevertheless, the motivations behind CSR practices stem primarily from a desire to reduce legal risk rather than from a wish to convey a good corporate image. The legal status of the codes is variable, and the jurisdictions participate in the implementation of these regulatory norms of corporate relations. While these acts are intended to protect the fundamental social rights of workers, they sometimes become new legal tools used to make workers subordinate to the corporate ethic. Is it desirable, then, to propose a legal framework for this purely spontaneous and voluntary social phenomenon?

Résumé

La Responsabilité Sociale de l'Entreprise (RSE) est un phénomène à la mode qui naît en marge du système juridique. Comment le droit et les pratiques de la RSE interagissent-ils? Devant la multiplication des instruments de la RSE, le droit a du mal à les appréhender alors qu'il favorise l'application effective des codes de conduite. Pourtant, les motivations des démarches de RSE sont d'abord liées à la volonté de diminuer le risque juridique, avant celle de conférer une bonne image à l'entreprise. Le statut juridique des codes est variable et les juridictions participent à une «mise en ordre» de ces normes de régulation des relations d'entreprise. Ces actes censés protéger les droits sociaux fondamentaux des salariés deviennent parfois de nouveaux outils juridiques de subordination à l'éthique de l'entreprise. Est-il alors souhaitable de proposer un encadrement par le droit de ce phénomène social purement spontané et volontaire?

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 2011

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1 Voir Mazuyer, E., «La RSE : identification et régulation d'un phénomène complexe», dans Mazuyer, E. (dir.), Regards croisés sur le phénomène de la RSE, Paris, La Documentation française, 2010, p. 1539Google Scholar.

2 Ainsi peut-on parler d'une «terminologie à géométrie variable», Desbarats, I., «Codes de conduite et chartes éthiques des entreprises privées – regard sur une pratique en expansion», JCP, 2003, I, 112, n°3Google Scholar.

3 Voir, à titre d'exemples, les Lignes directrices sur le télétravail dans les télécommunications de 2001, les Lignes directrices pour les coiffeurs européens de 2001, les Lignes directrices volontaires en faveur de la mixité intergénérationnelle dans le commerce de 2002, la Déclaration commune sur l'apprentissage tout au long de la vie dans le secteur bancaire de 2002, le Code de conduite sur la responsabilité sociale des entreprises dans l'industrie sucrière européenne de 2003, le Code de conduite et d'éthique pour le secteur de la sécurité privée de 2003, la Déclaration conjointe du secteur de l'électricité sur le télétravail de 2003, la Déclaration conjointe des autorités locales et régionales sur le télétravail de 2004, la Déclaration relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration des personnes handicapées dans le secteur du commerce et de la distribution en Europe de 2004, les Lignes directrices pour les centres de contact clients télécommunications de 2004.

4 Voir Berra, D., «Les chartes d'entreprise et le droit du travail», Mélanges dédiés au Président Despax, 2002, p. 125Google Scholar.

5 Voir sur cette question du droit «spontané» qui constitue bien souvent un espace aux contours flous entre le monde des faits et le monde du droit, Deumier, P., Le droit spontané, Economica, Paris, 2002, 496 pGoogle Scholar.

6 Voir sur ces notions et les divers instruments de soft law, C. Thibierge, «Le droit souple – Réflexion sur les textures du droit», RTD civ. 2003, p. 599.

7 Meyer, F., «La RSE de l'entreprise : un concept juridique?», Dr. Ouvrier, mai 2005, p. 185Google Scholar.

8 Neau-Leduc, C., «La responsabilité sociale de l'entreprise : quels enjeux juridiques?», Droit Social, nov. 2006, p. 952Google Scholar.

9 Livre vert, Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Commission européenne, Emploi et Affaires sociales, juillet 2001, annexe.

10 Rapport OCDE, TD/TC/WP(98)74/FINAL et Rapport OCDE, Les codes de conduite des entreprises – Etude approfondie de leur contenu, TD/TP/WP(99)56/FINAL.

11 Il s'agit, pour ne citer qu'un exemple tiré de la science économique, des «institutionnalistes» ou «externalistes» qui en appellent à plus de régulation et d'intervention de l'État, par opposition aux libéraux ou «internalistes», notamment dans les relations de travail; voir dans ce champ disciplinaire, B. Dubrion, «RSE et relation d'emploi : lecture à la lumière des «labor problems», dans Mazuyer, E., Regards croisés sur le phénomène de la RSE, précité, p. 7598Google Scholar.

12 Nous pouvons encore remonter bien plus loin dans le temps avec un document éthique exposant les règles de conduite de l'entreprise Sumimoto, au Japon, qui date du XVIIe siècle, Voir Landier, H., L'entreprise intelligente, Calman-Lévy, Paris, 1991, p. 277Google Scholar.

13 Voir les Guidelines for Multinational Enterprises, principes adoptés par l'OCDE en 1976 et la Déclaration de principe tripartite pour les entreprises multinationales et la politique sociale de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), Genève, 1977.

14 Elle se fonde sur le respect des normes fondamentales de l'OIT, notamment des conventions n° 87 et n° 98.

15 Ainsi pouvons-nous lire dans la Charte Sociale Internationale du groupe que : «par ces engagements, Suez-Lyonnaise des Eaux vise à concilier les impératifs du progrès social, d'épanouissement professionnel de son personnel, de qualité totale du service au client, et de résultats économiques de l'entreprise».

16 Rapport TD/TP/WP(99)56/FINAL précité; déjà, le Rapport TD/TC/WP(98)74/FINAL faisait l'inventaire de 233 codes de conduite pour conclure à la difficulté d'analyse d'un phénomène encore nouveau et d'une transparence très variable.

17 Rapport TD/TC/WP(2001)10/FINAL, précité. Ce rapport s'intéresse aux 100 plus grandes entreprises multinationales dans des secteurs autres que financiers en 1998. Il etablit que la très grande majorité d'entre elles se sont dotées de leur propre code, se référant à l'occasion à l'une des initiatives internationales ou à un code de bonne conduite émanant d'une association professionnelle. Les domaines les plus abordés sont l'environnement et les règles d'hygiène et de sécurité, le droit du travail étant au contraire peu traité.

18 Les principaux engagements sont la liberté d'association, le droit de négociation collective, l'élimination du travail forcé, l'abolition du travail des enfants, l'élimination de la discrimination. Or le Pacte Mondial recouvre ces mêmes domaines. La bonne conduite annoncée par l'entreprise peut surprendre, à l'instar d'une société nord-américaine déclarant qu'elle recourra «à tous les moyens qu'autorise la loi pour décourager l'adhésion de son personnel à des syndicats». La question est ambiguë en matière de travail des enfants : si certaines entreprises le refusent par principe, d'autres recommandent de tenir compte de la culture du pays et des conséquences, notamment sur les structures familiales, pour engager une lutte pour sa disparition progressive, voir rapport TD/TP/WP(99)56/FINAL, n° 22.

19 Il s'agit en général de codes distincts des codes d'organisation interne de l'entreprise, particulièrement fréquents en matière de normes fondamentales du travail; voir Rapport TD/TC/WP(2001)10/FINAL, n° 17, 23 et s. Le Rapport TD/TP/WP(99)56/FINAL estimait que 35% des codes d'entreprises étaient à l'attention des fournisseurs et partenaires commerciaux, 31% à l'attention du personnel de l'entreprise, 34% étant constitués de déclarations d'engagement à l'égard du public.

21 Voir D. Berra, «La portée juridique des chartes d'éthique en droit du travail», dans Borghi, M., Meyer-Bisch, P., (dir.), Ethique économique et droits de l'homme, la responsabilité commune, Editions Universitaires de Fribourg, 1998, p. 287Google Scholar.

22 C'est en ce sens que se sont prononcées les deux juridictions suprêmes en France et en Espagne. Ils peuvent ainsi, sous certaines conditions, devenir de véritables règles de droit; pour s'en convaincre voir notre étude, «La force normative des actes issus de la RSE», dans Thibierge, C., La force normative, naissance d'un nouveau concept, LGDJ, Paris, 2009, p. 577589Google Scholar.

23 Parlement européen, Résolution sur les normes applicables aux entreprises opérant dans les pays en voie de développement: vers un code de conduite, 15 Janvier 1999, JOCE du 14 avril 1999, n° C 104-180.

24 Delmas-Marty, M., Trois défis pour un droit mondial, Seuil, Paris, 1998, p. 73Google Scholar.

25 Supiot, A., “Déréglementation des relations de travail et autoréglementation”, Droit Social, 1989, p. 195Google Scholar.

26 Sur cet aspect collectif de l'élaboration des codes de conduite et ses difficultés, voir Sobczak (A.) «Les codes de conduite négociés et l'avenir du dialogue social dans l'entreprise réseau», Colloque Université Européenne du Travail «Les règles sociales européennes et internationales : quelles innovations?», Paris, 910 octobre 2003Google Scholar.

27 Voir pour plus de détails sur les procédures d'élaboration des codes et le défi qu'ils représented pour les syndicats, The new codes of conduct. Some questions and answers for trade-unions, Confédération Internationale des Syndicats Libres, Bruxelles, 1999Google Scholar.

28 Voir Drouin (R.-C.), «Les accords-cadres internationaux : exemple de mise en œuvre de la RSE dans l'entreprise multinationale», dans Mazuyer, E., Regards croisés sur le phénomène de la RSE, précité, p. 209233Google Scholar

29 Pour une comparaison entre les codes de conduite et les ACI, voir notamment l'étude publiée sous le titre Codes of conduct and international framework agreements: new forms of governance at company level, European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, 2008, 94 pGoogle Scholar.

30 Pour un exemple en France, voir le cas de retenues sur salaires, prévues par une charte d'entreprise mais contraires au Code du travail français, qui ont été annulées, Cass. Soc., 18 février 2003, Bull., V, n° 58 et Cass. Soc., 26 juin 2002, 00-42011.

31 Utilisé par le groupe Mattel dans ses Global Manufacturing Principles: Mattel creates products for children around the world—not jobs.

32 Il n'empêche cependant que les codes ont une certaine force normative réelle, même si seulement potentielle, étant donné les effets juridiques que leur confere parfois le droit, voir infra ainsi que notre article «La force normative des instruments issus de la RSE», dans Thibierge, C. (Dir.), La force normative, L.G.D.J., Paris, 2009, p. 577589Google Scholar.

33 Voir Etre, C., «Valeur juridique des codes de conduite d'entreprise et étude de leur portée au sein de la distribution», Actes de la Ire journée Comindus, recherche sur les relations entre industrie et grande distribution alimentaire, Avignon, 29 mars 2007Google Scholar.

34 Sur la question, voir Cœuret, A., de Sevin, N., «Les dispositifs d'alerte et le droit français : chronique d'une greffe», RJS, 2/06, p. 7582Google Scholar.

35 Sur le contexte général du «whistleblowing» en droit du travail français, voir Adam, P., «Le retour des sycophantes? (à propos du whistleblowing)», Droit ouvrier, juin 2006, p. 281296Google Scholar.

36 Le Groupe italien ENI prévoit dans son Codice di comportamento que «la violazione delle norme del Codice potra costituire inadempimento alle obligazioni contrattuali del rapporto del lavoro o illecito disciplinare, con ogni conseguenza di legge, anche in ordine della conservazione del rapporto del lavoro …». De même, la Charte d'Ethique du Groupe Suez dispose que «toute personne appartenant au Groupe … doit être consciente que la violation de la charte engage sa responsabilité personnelle et entraîne des sanctions appropriées.»

37 Voir pour des exemples devant les juridictions du travail françaises, Cass. Soc., ler février 2001, 98-46393; Cass. Soc., 3 mai 2000, 98-41759. Dans cette affaire, il s'agissait d'un licenciement pour faute grave d'un cadre ayant «nuit au crédit et à la réputation de l'entreprise» en ayant «manqué aux prescriptions d'un guide de normes éthiques». Voir également Cass. Soc., 9 novembre 2004, 02-45628, le cas d'un manquement à l'obligation de loyauté professionnelle pour transgression de la «note d'éthique professionnelle».

38 Kasky v. Nike, Cour suprême de Californie, 27 Cal. 4th 939, n° S087859, 2 mai 2002.

39 Voir Deumier, P. «Les sources de l'éthique des affaires – Codes de bonne conduite, chartes et autres règles éthiques», Mélange Le Tourneau, 2007Google Scholar.

40 Cass. Crim., 3 septembre 2002, 01-86760.

41 Pour l'utilisation de l'affiche de la «Charte du boulanger authentique», créant une confusion dans l'esprit du consommateur normalement attentif, voir Cass. Crim., 15 décembre 1992, Bull. crim., n° 420.

42 Çass. Crim., 15 juin 1999, n° 98-83505.

43 A propos de la Charte des Mousquetaires, voir Cass. Com., 4 juin 2002, 98-20314.

44 Enquête réalisée en 1999 pour le Conference Board et citée par le rapport OCDE TD/TP/WP(99)56/FINAL, n° 43.

45 Rapport TD/TP/WP(99)56/FINAL, n° 16 pour l'environnement; voir également au n° 26 la déclaration d'une entreprise qui «apporte son appui à l'élaboration de lois appropriées sur la concurrence».

46 P. Deumier, précitée, p. 14.

47 Voir C. Neau-Leduc, précitée, p. 956.

48 Pour reprendre la formule d'I. Desbarats, «RSE et nouvelles formes organisationnelles des entreprises : quels enjeux?», Journal des sociétés, n°69, Dossier, «La RSE», octobre 2009, p. 1522Google Scholar.

49 Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l'emploi : faire de l'Europe un pôle d'excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, 22 mars 2006, COM (2006) 136 final.

50 En ce sens, voir S. de La Rosa, «Encadrement international et européen de la RSE», dans Mazuyer, E., Regards croisés sur le phénomène de la RSE, précitée, p. 138Google Scholar et suivs.

51 Articles 154 et 155 TFUE.

52 Livre blanc de la Commission européenne du 25 juillet 2001 sur la gouvernance européenne COM (2001) 428 final, p. 18.

53 La co-régulation est ainsi «le mécanisme par lequel un acte législatif communautaire confère la réalisation des objectifs définis par l'autorité législative aux parties concernées reconnues dans le domaine (notamment les opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations)». L'autorégulation est quant à elle «la possibilité pour les opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations, d'adopter entre eux et pour eux-mêmes des lignes directrices communes au niveau européen (notamment codes de conduite ou accords sectoriels)», voir l'Accord institutionnel du 31 décembre 2003, Mieux légiférer, 2003/C 321/01.

54 Pour une analyse de la perte de monopole potentielle des partenaires sociaux dans certaines hypothèses, voir Vigneau, (C.), «Partenaires sociaux et nouveaux modes de régulation : la fin des privilèges?», Droit Social, 2004, p. 883890Google Scholar.

55 Pour une définition plus précise de la société civile organisée, voir l'avis du Comité économique et social sur «le rôle et la contribution de la société civile organisée dans la construction européenne», JO C 329 du 17 novembre 1999, p. 30.

56 Livre blanc sur la gouvernance européenne Com (2001) 428 final, 25 juillet 2001; ou également Communication «Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue – Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées» Com (2002) 704 final, 11 décembre 2002.

57 Le CESE a proposé des critères d'éligibilité pour participer au dialogue civil : pour être éligible, une organisation européenne doit «avoir une existence permanente au niveau communautaire; procurer un accès direct à l'expertise de ses membres et fournir dès lors une consultation rapide et constructive; se faire l'écho des préoccupations générales relatives aux, intérêts de la société européenne; comporter des organes reconnus au niveau des États membres en tant que représentants d'intérêts particuliers; avoir des organisations membres dans la plupart des États membres de l'Union européenne; garantir la responsabilité de ses membres; être habilitée à exercer des fonctions de représentation et à agir au niveau européen; être indépendante et disposer d'un mandat propre, sans être liée par des instructions émanant d'organes extérieurs; être transparente, notamment sur le plan financier et sur le plan de ses structures de prise de décision»; voir l'avis sur le thème «Gouvernance européenne – un Livre blanc», 20 mars 2002; CES 357/2002.

58 Voir également la Communication de la Commission du 12 août 2004, «Partenariat pour le changement dans une Europe élargie – Renforcer la contribution du dialogue social européen», Com (2004) 557 final, notamment p. 8.

59 Pour un résumé des rapports entre la réglementation et la RSE, voir Desbarats, I., «Réglementations publiques et RSE : des interactions complexes», Droit ouvrier, juillet 2006, p. 331341Google Scholar.

60 Voir Neau-Leduc, C., précitée, p. 954.Google Scholar