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La justice pénale et les Autochtones: D'une justice imposée au transfert de pouvoirs

Published online by Cambridge University Press:  18 July 2014

Mylène Jaccoud
Affiliation:
Département de criminologie, Université de Montréal, C.P. 6128, Succursale Centre-Ville, Montréal (Québec) H3C [email protected]

Abstract

The administration of the justice system within Native communities went through several transformations in Canada. Under the pressures of First Nations' claims, the model of imposition has left room for others based on adapation of practices, participation, consultation and partial power transfers towards Native communities. Such processes of power transfers within the justice field, which started in the 1990's, are part of a more general movement of communitarisation of the penal system or diversion of some conflicts. They are not specific to native communities and limited by several factors, particularly by the founding premisses of the relations between the State and the First Nations, meaning the principle of incorporation of Native Peoples into the law of the State and the socio-economic conditions of Native communities.

Résumé

L'administration de la justice pénale en milieu autochtone a, au Canada, subi de nombreuses transformations. Le modèle de l'imposition a, sous le poids des revendications des Premières nations, laissé place à des modèles d'intervention et d'application fondés sur l'adaptation des pratiques, la participation, la consultation et le transfert partiel de pouvoirs aux communautés autochtones. Les processus de transferts de pouvoirs en matière de justice pénale amorcés à partir des années 1990 participent d'un mouvement plus général de communautarisation de la justice pénale ou d'une dépénalisation de certains conflits. Ces transferts ne sont donc pas propres aux communautés autochtones et restent limités par plusieurs facteurs, notamment par la prémisse fondatrice des rapports entre l'État et les Premières nations, à savoir l'incorporation des Autochtones au système de droit étatique de l'État ainsi que la situation socio-économique des communautés autochtones.

Type
Aboriginally and Normativity/Autochtonie et normativités
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 2002

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References

1 Rouland, N., «Les modes juridiques de solution des conflits chez les Inuit» (1979) 3 Études inuit 171Google Scholar; Jefferson, C, La conquête par le droit, Collection sur les Autochtones, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1994.Google Scholar

2 Jaccoud, M., «Le Droit, l'exclusion et les Autochtones» (1996) 11:2RCDS/CJLS 217–34Google Scholar; Jaccoud, M., «Processus pénal et identitaire: le cas des Inuits au Nouveau-Québec» (1992) 24:2Sociologie et Sociétés 2543.CrossRefGoogle Scholar

3 Les nations indiennes (ojibways, iroquoises, huronnes, micmacs notamment) seront confrontées au système de droit pénal du colonisateur (britannique ou français) surtout à partir du XVIIe siècle alors que les communautés nordiques, en raison de leur éloignement géographique des métropoles, le seront plus tardivement. Par exemple, il faut attendre le début du XXe siècle pour que les Inuit du Nunavik entrent en contact avec le système policier. Voir Jaccoud, M., Justice blanche au Nunavik, Montréal, Méridien, 1995.Google Scholar

4 Supra note 2.

5 Les Français se montreront moins distants que les Britanniques à l'égard des Premières nations, se mêlant à leurs alliés indiens. Les conflits entre les systèmes de justice traditionnelle autochtone et française seront par conséquent plus précoces que les conflits opposant les systèmes britanniques et indiens, voir Jefferson, supra note 1.

6 Les peines imposées sont souvent plus sévères à l'endroit des Indiens comparativement à ce qu'elles sont pour les Français ou les Britanniques (à contrevenants issus du même groupe d'appartenance que le colonisateur), ibid.

7 Voir en particulier les thèses critiques en criminologie telles que Quinney, R., Critique of Legal Order, Boston, Little Brown, 1974Google Scholar; Quinney, R., Class, State and Crime, New York, David McKay, 1977Google Scholar; Turk, A.T., Criminality and Legal Order, Chicago, Rand McNally, 1969Google Scholar et Void, G.B., Theoritical Criminology, New York, Oxford University Press, 1958.Google Scholar

8 Smandych et Lee font état d'un changement de perspective théorique dans les années 1980 chez les tenants du pluralisme juridique où l'étude des relations entre Européens et Autochtones est plus nuancée et où le centre d'intérêt porte moins sur l'imposition coercitive et insidieuse du droit européen et plus sur les formes de résistance et d'accommodement des peuples autochtones. Voir Smandych, R. et Lee, G., «Une approche de l'étude du droit et du colonialisme: vers une perspective auto historique amérindienne sur le changement juridique, la colonisation, les sexes et la résistance à la colonisation» (1995) 28:1Criminologie aux pp. 5579.CrossRefGoogle Scholar

9 Rouland, N., «L'acculturation judiciaire chez les Inuit au Canada» (1983) 13:3Recherches amérindiennes au Québec aux pp. 179–91Google Scholar et «L'acculturation judiciaire chez les Inuit au Canada» 2e partie (1983) 13:4 Recherches amérindiennes au Québec aux pp. 307–18.

10 Jefferson, supra note 1.

11 Le procès des îles Belcher concerne un cas de fanatisme religieux dans lequel neuf Inuit vont périr. Selon A. Goyette, la raison principale pour laquelle le système de justice tient à se déplacer, dans ce cas, vient de la grande publicité qui a entouré cette série de meurtres. En fait, le système de justice cherche à rassurer l'opinion publique par son intervention. Voir Goyette, A., L'administration de la justice au Nouveau-Québec inuit: de l'évolution d'une justice imposée, mémoire de maîtrise, Université Laval, 1987Google Scholar [non publié].

12 La création de nouvelles sanctions, envisagée par Cory, un administrateur nordique, est suggérée au sous-ministre de la Justice le 22 juin 1945. Cory recommande de procéder à l'humiliation devant la communauté; en cas de meurtre, le coupable pourrait être fouetté publiquement. Dans les cas d'offenses mineures, l'allocation familiale pourrait être suspendue, ibid.

13 A titre d'exemples, Femmes autochtones du Québec est fondée en 1974, l'Assemblée des Premières nations en 1980, le Metis National Council en 1983.

14 Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

15 Cette sur-représentation sera dès lors sans cesse réitérée, confirmée et constituera l'angle principal à partir duquel recherches, politiques et pratiques en matière de justice pénale en milieu autochtone seront construites. Viennent s'ajouter un nombre considérable d'études soulignant les problèmes de violence familiale, d'alcoolisme, de toxicomanies et de suicides que les communautés autochtones vivent au quotidien.

16 Canada, Association correctionnelle du Canada, Les Indiens et la Loi, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1967.

17 Le ministère des Affaires indiennes et du Nord détient le mandat de surveiller les ententes en matière de services de police jusqu'en 1992. En 1992, ce mandat est transféré au ministère du Solliciteur général. Voir Commission royale sur les peuples autochtones, Par-delà les divisions culturelles. Un rapport sur les Autochtones et la justice pénale au Canada, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1996 [ci-après Commission royale sur les peuples autochtones].

18 Canada, Rapport du maintien de l'ordre dans les réserves indiennes, Ottawa, Affaires indiennes et du Nord Canada, 1973.Google Scholar

19 Sont en effet créés les programmes suivants, pour n'en citer que quelques uns: programme d'agents de police des Premières nations de l'Ontario (1975), programme de constables spéciaux de la Sûreté du Québec (1978), police amérindienne du Québec (1978), création des Peacekeepers de Kahnawake (1979). Voir Depew, R., Les services de police aux Autochtones du Canada: examen de la question, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1986Google Scholar; voir aussi Commission royale sur les peuples autochtones, supra note 17.

20 Voir Jaccoud, M. et Felices, M., «Ethnicization of Canadian Policing» (1999) 14:1RCDS/CJLS 83100.Google Scholar

21 Le gouvernement fédéral a adopté en juin 1991 la Politique sur la police des Premières Nations. Ce programme est administré par le ministère du Solliciteur général depuis 1992 et repose sur un modèle de partenariat. Des ententes tripartites (gouvernements fédéral, provinciaux et communautés autochtones) sont négociées pour assurer l'application et le développement de services de police dans les communautés autochtones.

22 Commission royale sur les peuples autochtones, supra note 17.

23 Justice Canada, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1991.

24 Justice Canada, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1996.

25 Association canadienne de justice pénale, Les Autochtones et le système de justice pénal, Ottawa, Association canadienne de justice pénale, 2000.Google Scholar

26 Voir entre autres Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones, supra note 17; Commission de réforme du droit du Canada, Les peuples autochtones et la justice pénale, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada 1991Google Scholar; Québec, Rapport du comité consultatif sur les Autochtones et la justice au Québec, La justice pour et par les Autochtones, Québec, Bibliothèque nationale du Québec, 1995Google Scholar; ainsi que le Rapport d'enquête sur la justice au Manitoba dans Hamilton, A.C. et Sinclair, C. M., The Justice System and Aboriginal People: Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, vol. 1, Winnipeg, Queen's Printer, 1991.Google Scholar

27 S.C. 1876, notamment 39 Victoria, c. 18, art. 70.

28 A l'origine, cette disposition visait à faciliter l'assimilation des Autochtones par la nomination d'un juge de paix autochtone, nommé par le gouvernement, chargé de faire respecter l'ordre une fois les Autochtones installés dans la réserve, voir Commission royale sur les peuples autochtones, supra note 17 à la p. 113.

29 Le tribunal de Kahnawake existe depuis 1974, ibid. à la p. 114.

30 Certaines provinces et territoires ont adopté des lois particulières pour développer des programmes de juges de paix autochtones. Au Québec, ce type d'initiative est encore très limité puisque cette province compte moins d'une dizaine de juges de paix dont trois en territoire inuit.

31 Concrètement, les participants (des membres de la communauté) sont assis en cercle avec le juge, l'accusé et la victime pour exprimer et partager leurs points de vue sur le conflit afin d'arriver à une décision (recommandation) qui puisse guider le juge dans le prononcé de la sentence. Habituellement, les cercles incluent la participation (ou la présence) de vingt à trente personnes. Pour une analyse plus détaillée des principes et modalités des cercles de sentences, voir Jaccoud, M., «Cercles de guérison et cercles de sentences: une justice réparatrice?» (1999) 32:1Criminologie 79105Google Scholar [ci-après Cercles de guérison et cercles de sentences].

32 Cet article s'insère dans la nouvelle partie XXIII du Code criminel, L.R.C.1985, c. C-46, relative à la détermination de la peine.

33 R. v. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 [ci-après Gladue].

34 Notons à titre d'illustrations les programmes de camps forestiers pour les jeunes contrevenants, les cercles de guérison, les conférences familiales.

35 1985, c. Y-1.

36 1992, c. 20.

37 Le premier centre de détention pour femmes autochtones, sous responsabilité fédérale, le centre Okimaw Ohci, à Maple Creek en Saskatchewan, compte 60% de personnel autochtone.

38 Au moins six cercles de ce type ont été expérimentés jusqu'à ce jour dans les Prairies. Les participants au cercle communiquent des informations susceptibles d'éclairer les décisions des commissaires quant au moment et aux conditions idéales de mise en liberté. Voir Canada, Commission nationale des libérations conditionnelles, Services correctionnels aux autochtones: l'innovation s'impose au nom des droits de la personne, en ligne: http://www.npb-cnlc.gc.ca/infocntr/aborig_f.htm, 2001.

39 Morse, B.W., «Indigenous Law and State Legal System: Conflict and Compatibility» dans Morse, B.W. et Woodman, G.R., dir., Indigenous Law and the State, Dordrecht, Foris Publications, 1988 aux pp. 101–20.Google Scholar

40 LaPrairie, C., «La justice pénale chez les Autochtones du Canada. Principes et pratiques» (1989) 13:1Anthropologie et Sociétés, 143–54CrossRefGoogle Scholar

41 Rouland, supra note 9 à la p. 310.

42 Les autorités locales des communautés joueraient un rôle de filtre vis-à-vis du système de justice étatique, utilisant des modes traditionnels de résolution dans certains conflits; en cas d'échec, ils renverraient ces situations devant les autorités judiciaires étatiques. Voir Rouland, supra note 9.

43 Ainsi, la police autochtone, une organisation relativement récente, utiliserait son pouvoir discrétionnaire pour déjudiciariser certaines situations, ibid.

44 C'est entre autre l'exemple des conseillers para-judiciaires, institutionnalisés dans les années 1980 et jouant un rôle de conseiller juridique auprès des justiciables. Aussi, les conseillers para-judiciaires contribuent-ils à l'assimilation des principes et du fonctionnement du droit euro-canadien, ibid.

45 Voir à cet égard Haveman, P. «The Indigenization of Social Control in Canada» dans Silverman, R.A. et Nielsen, M.O., dir., Aboriginal Peoples and Canadian Criminal Justice, Toronto, Butterworhts, 1992 aux pp. 111–19Google Scholar

46 Voir Cercles de guérison et cercles de sentences, supra note 32.

47 Voir en particulier LaPrairie, C., «The ‘new’ justice: Some implications for aboriginal communities» (1998) 40:1Revue canadienne de criminologie, 6179Google Scholar et Linden, R., et Clairmont, D., Pour un résultat positif: Planification et évaluation des projets de mise sur pied de services correctionnels communautaires et de réconciliation dans les collectivités autochtones, Ottawa, Solliciteur général, 1998.Google Scholar

48 Commision royale d'enquête sur les peuples autochtones, supra note 17. Voir notamment le rapport produit par l'Association des femmes inuit, Pauktuutit, , Report on a Sentencing Circle in Nunavik, Ottawa, Pauktuutit, 1994.Google Scholar

49 Bottoms, A., «Reflection on the Renaissance of Dangerousness» (1977) 16:2Howard Journal of Penology and Crime Prevention 88.Google Scholar