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Identitarisation du droit et perspectivisme épistémologique. Quelques jalons pour une saisie juridique complexe de l’identitaire

Published online by Cambridge University Press:  09 June 2015

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Le droit n’est pas un objet pur; il n’existe pas, on le fait. Et qu’il en ait ou non conscience, le juriste défend une cause. Décrire pour lui c’est choisir.

Marquée par le positivisme, la modernité juridique a fait de l’objectivité et de la neutralité non seulement des idéaux mais des postulats. Plusieurs juristes, gravitant principalement dans l’orbite anglo-américaine, estiment cependant que ces postulats n’ont en bout de ligne servi qu’à masquer l’imposition à toute la société des systèmes normatifs en vigueur au sein des seuls groupes dominants, consacrant ainsi non seulement l’exclusion effective de plusieurs segments de la population mais également l’occultation symbolique de leur réalité sociale. Ce constat en incite d’ailleurs un nombre croissant à remettre en question le rôle que jouent l’objectivité et la neutralité dans les processus intellectuels et institutionnels d’élaboration et d’interprétation des normes juridiques. Ces juristes, qui se réclament de courants de pensée voués à l’affirmation sociale de groupes historiquement défavorisés, font un impératif catégorique de la prise en considération par la société majoritaire de l’expérience distincte qu’ont vécue et que vivent encore les membres de ces groupes, dont l’exclusion se fonde généralement sur la possession d’une identité quelconque, longtemps présumée moins digne de respect. C’est cette référence fondatrice à la variable identitaire qui unit leurs discours, de sorte qu’au-delà des différences méthodologiques et philosophiques les opposant, tous ces juristes participent à une mouvance que nous avons qualifiée ailleurs de «critique juridique identitaire». De fait, qu’ils se réclament de l’analyse féministe du droit, de la Critical Race Theory ou de la critique postcoloniale du droit, tous militent pour que soit enfin entendue la parole des groupes avec lesquels ils se solidarisent. De même, tous communient au projet d’ouvrir l’epistemologie du droit à cette parole. A une critique politico-philosophique soulevant la question de la justice intrinsèque des normes positives s’en adjoint ainsi une autre, encore plus fondamentale peut-être, de nature épistémologique. C’est de cette critique qu’il sera question dans cet article.

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Research Article
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References

1. M. Villey, Leçons d’histoire de la philosophie du droit, éd. rév., Paris, Dalloz, 1962 aux pp. 291–292.

2. Voir: J.-F. Gaudreault-DesBiens, La critique juridique identitaire, la liberté d’expression ou la pensée juridique à l’ère de l’angoisse. Un essai critique d’epistemologie de la pensée juridique, thèse de doctorat en droit, Université d’Ottawa, 1997 [non publiée]; J.-F. Gaudreault-DesBiens, La critique juridique identitaire américaine ou le passage de l’identité dans la sphère publique, Québec, GEPTUD, 1996 [ci-après «La critique juridique»].

3. Pensons par exemple à la critique du droit que formulent des juristes lusophones tels W. De Lemos Capeller, «Un regard différent: l’Amérique latine, les juristes et la sociologie» (1992) 22 Droit et Société 363 ou B. de Sousa Santos, Toward a New Common Sense. Law, Science and Politics in the Paradigmatic Transition, New York, Routledge, 1995.

4. Cela se vérifie dans plusieurs systèmes de pensée, qu’il s’agisse de l’art (L. Noël, L’intolérance. Une problématique générale, Montréal, Boréal, 1991 à la p. 45), du droit (ibid, à la p. 62) ou de la science (ibid, à la p. 57). Sur l’art et la différence, voir notamment: T. McEvilley, Art & Otherness. Crisis in Cultural Identity, Kingston (N.Y.), McPherson, 1992; M. Torgovnick, Gone Primitive. Savage Intellects, Modern Lives, Chicago, University of Chicago Press, 1990. Sur la construction juridique de la différence, voir, par exemple, pour les catégories raciales: I.F. Haney Lopez, White by Law. The Legal Construction of Race, New York, New York University Press, 1996. Sur les liens entre les contructions artistique et juridique de la différence, voir enfin: J.-F. Gaudreault-DesBiens, La liberté d’expression entre l’art et le droit, Québec, Presses de l’Université Laval / Liber, 1996 [ci-après «La liberté»].

5. Voir notamment J. Copans, «Contemporary Myths of the Savage» dans C. Ward Gailey, dir., Civilization in Crisis. Anthropological Perspectives, vol. 1, Gainesville (Fla.), University Press of Florida, 57.

6. Noël, supra note 4 à la p. 124.

7. Marie Carani parle de la femme comme l’«Autre du phallus»: M. Carani, «La femme comme modèle et comme cette Autre de la représentation visuelle» (1994) 7:2 Recherches féministes 57 à la p. 60.

8. Voir généralement sur cette question: E. Badinter, L’un est l’autre. Des relations entre hommes et femmes, Paris, Odile Jacob, 1986, collections «Points / essais», n° OJ29, aux pp. 247ss.

9. McEvilley, supra note 4 à la p. 48.

10. Sur la performativité relative du discours, voir: J.L. Austin, How to Do Things With Words, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1962; J. Searle, «What Is a Speech Act?» dans M. Black, dir., Philosophy in America, Ithaca (N.Y), Cornell University Press, 1965, 221.

11. K.L. Karst, «Boundaries and Reasons: Freedom of Expression and the Subordination of Groups» (1990) U. of 111. L. Rev. 95 à la p. 111.

12. Voir généralement: E.W. Said, Orientalism, New York, Vintage Books, 1978. Voir aussi, du même auteur: Culture and Imperialism, New York, Alfred A. Knopf, 1993.

13. McEvilley, supra note 4 à la p. 52.

14. Noël, supra note 4 aux pp. 55–87.

15. ibid, à la p. 55.

16. L. Code, «Taking Subjectivity into Account» dans L. Alcoff et E. Potter, dir., Feminist Epistemologies, New York, Routledge, 1993, 15 à la p. 28.

17. Noël, supra note 4 à la p. 57.

18. Karst, supra note 11 à la p. 116.

19. M. Freitag, Le naufrage de l’université et autres essais d’epistemologie politique, Québec, Nuit blanche, 1995 à la p. 10.

20. P. Fitzpatrick, The Mythology of Modern Law, Londres, Routledge, 1992 à la p. 54.

21. Convenons-en, cette représentation archétypale du droit naturel est quelque peu réductrice: l’affirmation de l’existence d’un droit naturel a en effet été justifiée de multiples manières, par l’action de Dieu révélée dans la nature, certes, mais aussi par une observation directe de la nature, indépendamment des intentions divines qui se cacheraient derrière elle. On consultera à cet égard les diverses oeuvres de Léo Strauss et de Michel Villey.

22. Fitzpatrick, supra note 20 à la p. 53.

23. Villey, supra note 1 à la p. 57.

24. À ce propos, Lenoble et Ost montrent bien en quoi le positivisme juridique, même sous sa forme censément la plus pure et la plus détachée des considérations extra-juridiques, procède en bout de ligne d’une démarche de foi. Ainsi, ils affirment ceci au sujet de la théorie pure du droit de Kelsen: «(…); l’interprétation normativiste est bonne, dit Kelsen, parce qu’elle conforte la croyance en la validité et en l’ordre: en cela, elle répond aux besoins légitimes des juristes aux théories anarchistes; ainsi elle s’inscrit comme la rationalisation d’une vérité révélée appelant croyance.» Voir J. Lenoble et F. Ost, Droit, mythe et raison. Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1980 aux pp. 505–506. L’anthropologue du droit Norbert Rouland souligne, dans le même sens, le parallèle indéniable entre les pensées juridique et religieuse, qui prend une forme toute particulière dans les droits d’origine chrétienne ou musulmane. Selon cet auteur, ces droits incarnent ce qu’il appelle l’archétype de la soumission, en ce que les individus qui composent la société sont soumis à un régime juridique qui leur est imposé de l’extérieur. Dans le cas des sociétés modernes occidentales, dont le droit est d’inspiration chrétienne, ce droit sera d’abord imposé par Dieu, ensuite par l’État. Voir N. Rouland, L’anthropologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, collection «Que sais-je?», n° 2528,1990 aux pp. 61–62. Sur le droit comme religion séculière, voir généralement l’ouvrage de S. Levinson, Constitutional Faith, Princeton, Princeton University Press, 1988.

25. Sur le principe de la rationalité du législateur, voir généralement l’ouvrage de: F. Ost et M. Van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1987.

26. Bien que distinguant, pour les fins de notre exposé, entre le droit «légiféré» des pays de droit romano-germanique et celui, «jurisprudentiel», des pays de droit anglo-saxon, il est difficile de ne pas voir le réductionnisme de cette distinction, tant les frontières archétypales entre les deux grandes traditions juridiques ont tendance de nos jours à se brouiller.

27. C’est ainsi qu’aux États-Unis, après la guerre de Sécession, la Cour suprême a littéralement con-stitutionnalisé la common law, alors conçue comme l’expression du droit naturel, et l’a opposée au droit légiféré de l’État. Cette opposition entre les principes «naturels» incarnés dans la common law et le droit légiféré de l’État trahissait une méfiance envers ce dernier, dont l’action était a priori jugée illégitime. Dans le système américain de contrôle judiciaire a posteriori de la con-stitutionnalité des lois, qui était déjà en place à l’époque, cette constitutionnalisation de la common law emportait comme conséquence que toute loi allant à rencontre de la common law pouvait être invalidée. Plusieurs lois dites «sociales» furent ainsi déclarées inconstitutionnelles au motif qu’elles portaient atteinte au droit inviolable de propriété reconnu par la common law et, par extension, par la Constitution. En fait, la Cour suprême des États-Unis définissait alors son pouvoir d’ingérence comme lui permettant de restaurer l’ordre naturel troublé par l’action législative. Voir sur cette question: D. Yassky, «Eras of the First Amendment» (1991) 91 Colum. L. Rev. 1699 aux pp. 1717–1729; L.H. Tribe, American Constitutional Law, 21ème ed., Mineóla (N.Y.), Foundation Press, 1988 aux pp. 578–579.

28. Si la représentation de la common law comme ordre dogmatique intrinsèquement rationnel est le fruit des travaux de plusieurs juristes, un certain nombre d’entre eux ont toutefois joué un rôle particulièrement déterminant. Outre Blackstone, qui l’a systématisée en s’inspirant des catégories du droit civil, il convient de mentionner, aux États-Unis, le rôle-clé joué par le doyen Christopher Columbus Langdell, de la Harvard Law School, qui s’est fait le principal propagandiste d’une conception scientiste de l’étude du droit et de la rationalité intrinsèque de la common law. Initiateur de la «case method», Langdell estimait grosso modo que tout juriste pouvait, en analysant minutieusement les sources primaires, c’est-à-dire les arrêts pertinents, identifier les principes de common law en vigueur. À noter, une fois identifié, le droit positif était perçu comme un «donné» rationnel, neutre et apolitique, que la méthode inductive employée ne servait en bout de ligne qu’à faire «apparaître». Une fois cela fait, le juriste n’avait plus qu’à situer sa réflexion dans le cadre formel de ce droit positif et de faire les distinctions qui s’imposent pour obtenir les bonnes réponses aux problèmes juridiques. Voir: M.J. Horwitz, The Transformation of American Law, 1870–1960. The Crisis of Legal Orthodoxy, Oxford, Oxford University Press, 1992 à la p. 189; J.E. Herget, American Jurisprudence, J870–1970. A History, Houston, Rice University Press, 1990 aux pp. 34–37; L.M. Friedman, A History of American Law, New York, Simon & Schuster, 1973 à la p. 531.

29. Sur la distinction entre l’interprétation «authentique», c’est-à-dire celle faite par les tribunaux, créatrice de droit et, partant, relevant du droit positif, et l’interprétation «non authentique», c’est-à-dire l’interprétation scientifique (par la doctrine) ou profane (par les particuliers destinataires des nonnes positives) du droit, voir: H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad, par C. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962 aux pp. 453–463.

30. Lenoble et Ost, supra note 24 à la p. 75.

31. Ce formalisme a d’abord été inspiré par les thèses de Langdell, pour être ensuite repris, sous une autre forme, par la Legal Process School. Voir Horwitz, supra note 28 aux pp. 253–258. Il convient de noter que, d’abord à la faveur du réalisme juridique, ensuite à la faveur de divers courants théoriques «postmodernes» tels que le Law and Economies ou les Critical Legal Studies, l’emprise du formalisme dans la pensée juridique américaine n’est plus ce qu’elle était jadis. Il n’en reste pas moins que, dans le concret, la formation des juristes dans ce pays demeure assez traditionnelle, étant toujours axée sur l’analyse d’arrêts. De fait, le foisonnement théorique qui caractérise la pensée juridique américaine contemporaine est loin de faire sentir sa présence dans toutes les salles de cours. Sur ce foisonnement, voir généralement G. Minda, Postmodern Legal Movements. Law and Jurisprudence at Century’s End, New York, New York University Press, 1995.

32. Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no. 44.

33. Voir généralement R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

34. A.-J. Arnaud, «Droit et société: du constat à la construction d’un champ commun» [1992] 20–21 Droit et Société 17 à la p. 29.

35. E. Grosz, «Bodies and Knowledges: Feminism and the Crisis of Reason» dans Alcoff et Potter, supra note 16, 187 à la p. 187.

36. Ibid.

37. Arnaud, supra note 34 à la p. 37.

38. L’expression est de P. Legendre, «Adresse aux imposteurs mes amis» dans F. Rosentiel et S.G. Shoham, dir., Big Brother. Un inconnu familier, Paris, Conseil de l’Europe, 1986, 275 à la p. 277.

39. S. Goyard-Fabre, «La fondation des lois civiles» (1993) 49:1 Laval théologique et philosophique 105 à la p. 110. Il convient de noter que cette définition est assez large pour englober le droit des pays de common law, puisque les tribunaux créateurs de droit font partie, eux aussi, d’une branche de l’État, en l’occurrence le judiciaire.

40. Dans les pays de droit romano-germanique, le théoricien positiviste du droit le plus influent du vingtième siècle fut probablement Hans Kelsen, alors que dans les pays de droit anglo-saxon, cete palme revient sans doute à Herbert Hart. Voir notamment H.L.A. Hart, The Concept of Law, 21ème ed., Oxford, Clarendon Press, 1994.

41. Cette définition reprend plusieurs des éléments de celle donnée à la notion de «positivisme juridique» dans A.-J. Arnaud et al., dir., Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 21ème ed. rév., Paris, L.G.D.J., 1993, s.v. «positivisme juridique». On retrouve notamment dans cette définition due à Michel Troper la mention des trois axes du positivisme, en tant qu’approche, théorie du droit et idéologie. Évidemment, cette définition montre combien les facettes du positivisme juridique sont plus nombreuses que celles que nous retenons ici.

42. O. Hõffe, La justice politique. Fondement d’une philosophie critique du droit et de l’État, Paris, Presses Universitaires de France, 1991 à la p. 12.

43. Par exemple, Lon Fuller s’érigea en faux contre les théories accréditant cette façon de penser le droit. Il proposa ainsi que, pour qu’une norme puisse être qualifiée de juridique, il fallait qu’elle réponde à des impératifs moraux internes. Voir généralement L. Fuller, The Morality of Law, éd. rév., New Haven, Yale University Press, 1969.

44. Pour illustrer le danger que posent la résignation et la passivité dont peut être porteuse une trop grande sujétion à la norme positive, Michel Villey donnait l’exemple des règles iniques edictées par une «dictature brutale». L’évacuation de la réflexion sur la justice entraînerait en bout de ligne une «[acceptation de la force qui créerait le droit.» Voir Villey, supra note 1 à la p. 79.

45. Voir S. Miller, «The Future of Disinterest and Foucault’s Regime of Truth» (1997) 64 Partisan Review 28.

46. Quant aux aspects éminemment valables du positivisme juridique, nous nous contenterons de mentionner, avec Hannah Arendt, que dans un régime constitutionnel, «[l]es barrières des lois positives sont à l’existence politique de l’homme ce que la mémoire est à son existence historique: elles garantissent la préexistence d’un monde commun, la réalité d’une certaine continuité, qui transcende la durée de la vie individuelle de chaque génération, absorbe tous les nouveaux commencements et se nourrit d’eux. (…) Abolir les barrières des lois entre les hommes—comme le fait la tyrannie—équivaut à supprimer les libertés humaines et à détruire la liberté en tant que réalité politique vivante; car l’espace entre les hommes tel qu’il est délimité par les lois est l’espace vital de la liberté.» Voir H. Arendt, Le système totalitaire, Paris, France Loisirs, 1972 à la p. 284. À cela nous ajouterons qu’en présence d’une loi injuste, les citoyens savent au moins qui est l’ennemi, qui n’est plus un Dieu immanent et inaccessible, mais bien un être humain, ou un gouvernement formé d’êtres de chair comme eux.

47. Les caricatures sont très fréquentes dans les débats idéologiques, dans la mesure où elles permettent à une partie de valoriser sa position en dévalorisant celle de ses adversaires. Prises au pied de la lettre, elles constituent un obstacle épistémologique important qui participe du manichéisme. Dans les débats entourant l’epistemologie du droit, les caricatures sont utilisées autant par les ultra-positivistes que par leurs contempteurs, les anti-positivistes invétérés. On les retrouve également aussi bien chez les «objectivistes» que chez leurs adversaires «subjec-tivistes» ou «relativistes». Pour une intéressante dénonciation de l’usage des caricatures, voir: R. West, «Relativism, Objectivity, and Law» (1990) 99 Yale L. J. 1473.

48. C. Atias, Épistémologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 1985 au n° 16.

49. Ibid, au n° 18. Atias souligne à cet égard que l’expression «jurisprudence» «(…) évoquait la science du droit, la prudence du juriste à la recherche du bon droit autant que l’ensemble des décisions juridictionnelles [nos italiques].»

50. Ibid, au n° 26.

51. Ost et Van de Kerchove, supra note 25 à la p. 45.

52. Pour Mark Van Hoecke et François Ost, l’entreprise de codification inaugurée au 191ème siècle a annoncé une période sombre pour la doctrine juridique. Le droit étant devenu plus accessible au juge et plus facile à interpréter, le travail d’intermédiation de la doctrine perdra de son utilité. Celle-ci se contentera dès lors de «parasiter» le code. Voir M. Van Hoecke et F. Ost, «Epistemological Perspectives in Legal Theory» (1993) 6:1 Ratio Juris 30 à la p. 31.

53. R.A. Posner, «The Present Situation in Legal Scholarship» (1981) 90 Yale L. J. 1113 à la p. 1122.

54. H.W. Arthurs (prés.), Le droit et le savoir. Rapport au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada par le Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services, 1983 à la p. 78.

55. G. Paquet, «Sciences transversales et savoirs d’expérience: the art of trespassing» (1993) 24 R.G.D. 255 à la p. 270.

56. Arnaud, supra note 34 à la p. 22.

57. Paul Amselek parle de cette idée d’un sens «objectivement déposé» des normes positives, que l’interprète n’a plus qu’à «cueillin>, comme d’une «illusion qui a longtemps été entretenue par le positivisme juridique.» Voir P. Amselek, «La teneur indécise du droit» (1992) 26 R.J.T. 1 à la p. 7.

58. Paquet, supra note 55 à la p. 270.

59. H.L. Gates Jr., Loose Canons. Notes on the Culture Wars, Oxford, Oxford University Press, 1992 à la p. 37.

60. P. Bourdieu, «Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective» dans F. Chazel et J. Commaille, dir., Normes juridiques et régulation sociale, Paris, L.G.D.J., 1991, 95 à la p. 96.

61. Ibid. Ajoutons que, selon Jaques Derrida, le droit est ontologiquement lié à la violence, qui imprègne ses origines, ses fins et ses moyens. Elle en assure ainsi autant la fondation que la préservation. Voir J. Derrida, «Force of Law: The «Mystical Foundation of Authority»» dans D. Cornell, M. Rosenfeld et D.G. Carson, dir., Deconstruction and the Possibility of Justice, New York, Routledge, 1992, 3 aux pp. 29–57. Toutefois, un État de droit, par les mécanismes institutionnels qu’il met en place pour favoriser le règlement pacifique des conflits—le tribunal en est l’exemple par excellence—, tente délibérément de réduire cette violence, quelle qu’en soit la nature, et de l’exorciser par le discours. Dans la mesure où les parties au litige reconnaîtront comme «juste» le traitement qui leur a été réservé dans le cadre du processus menant au jugement, elles auront alors moins tendance à se plaindre de la violence symbolique qui a pu leur être infligée dans ce cadre. Voir: P. Ricoeur, Le Juste, Paris, Esprit, 1995 aux pp. 189–192.

63. Ibid.

64. Ricoeur affirme en effet que «(…) l’État le plus raisonnable, l’État de droit porte la cicatrice de la violence originelle des tyrans faiseurs d’histoire.» Voir P. Ricoeur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986 à la p. 401. Cela dit, remarquons que si les juristes identitaristes s’en prennent à la violence du droit dans sa dimension «générique», ils la dénoncent surtout dans sa dimension «spécifique», c’est-à-dire dans la mesure où elle les affecte particulièrement, eux et leurs groupes d’appartenance.

65. J. Piaget, Epistemologie des sciences de l’homme, Paris, Gallimard, 1970 aux pp. 7–8.

66. Un dictionnaire définit le mot «crise» comme signifiant notamment dans le champ du droit un «[bjrusque changement dans l’évolution d’un processus ressenti comme une épreuve généralement non prévue et perçue comme redoutable et incertaine, [une] période de manifestation aiguë de ce changement, [un] moment décisif dans l’évolution d’une situation exigeant généralement des décisions rapides.» Voir: Arnaud et al., dir., supra note 41, s.v. «crise», à la p. 129.

67. Atias, supra note 48 au n° 21.

68. Sur cette question, voir notamment l’ouvrage suivant: J.-G. Belley, dir., Le droit soluble. Contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, Paris, L.G.D.J., 1996.

69. Sur cette question, voir: J.-G. Belley, «Paradigmes et innovations: les professeurs de droit et l’avenir des professions juridiques» (1994) 9 Revue canadienne droit et société 163.

70. C’est par exemple le cas des concepts fondamentaux qui structurent la représentation juridique de la liberté d’expression, notamment en droit américain. Voir J.-F. Gaudreault-DesBiens, «Du droit et des talismans: mythologies, métaphores et liberté d’expression» (1998) 39 C. de D. 717.

71. G. Gagné, «Les transformations du droit dans la problématique de la transition à la postmodernité» (1992) 33 C. De D. 701; R. Posner, «The Decline of Law as an Autonomous Discipline: 1962–1987» (1987) 100 Harv. L. Rev. 761.

72. Pensons à la résurgence du paradigme du pluralisme juridique. Pour une reproblématisation de ce paradigme, voir notamment le numéro spécial intitulé «Le Pluralisme juridique / Legal Pluralism» et publié sous la direction de J.-G. Belley dans (1997) 12:2 Revue canadienne droit et société 1.

73. Arnaud, supra note 34 à la p. 20.

74. M.J. Matsuda, «Looking to the Bottom: Critical Legal Studies and Reparations» (1987) 22 Harv. C.R-C.L. L. Rev. 323 à la p. 324.

75. Ibid. Voir aussi en ce sens, chez les tenants de la Critical Race Theory: M.J. Matsuda, «Pragmatism Modified and the False Consciousness Problem» (1990) 63 S. Cal. L. Rev. 1763 [ci-après «Pragmatism»]; M.J. Matsuda, «Public Responses to Racist Speech: Considering the Victim’s Story» (1989) 87 Mich. L. Rev. 2320 [ci-après «Public Responses»]; R. Delgado, «The Imperial Scholar: Reflections on a Review of Civil Rights Literature» (1984) 132 U. Pa. L. Rev. 487 [ci-après «The Imperial Scholar»]; R. Delgado, «The Imperial Scholar Revisited: How to Marginalize Outsider Writing, Ten Years Later» (1992) 140 U. Pa. L. Rev. 1349 [ci-après «The Imperial Scholar Revisited»]; J.M. Culp Jr., «You Can Take Them to Water but You Can’t Make Them Drink: Black Legal Scholarship and White Legal Scholars» (1992) U. of 111. L. Rev. 1021; et chez les féministes: M.I. Coombs, «Telling the Victim’s Story» (1993) 2 Texas J. of Women and the Law 277; M.J. Radin, «The Pragmatist and the Feminist» (1990) 63 S. Cal. L. Rev. 1699; C. Menkel-Meadow, «Feminist Legal Theory, Critical Legal Studies, and Legal Education or «The Fem-Crits Go to Law School» (1988) 38 J. of Legal Education 61; C. Menkel-Meadow, «Excluded Voices: New Voices in the Legal Profession Making New Voices in the Law» (1987) 42 U. of Miami L. Rev. 29. Voir généralement sur l’epistemologie féministe: Alcoff et Potter, supra note 16; L.M. Anthony et C. Witt, dir., A Mind of One’s Own. Feminist Essays on Reason & Objectivity, Boulder, Westview Press, 1993. Voir, sur le «storytelling» et la sexualité, K. Plummer, Telling Sexual Stories. Power, Change and Social Worlds, London, Routledge, 1995. Au Canada, la juriste autochtone Mary Ellen Turpel tient à peu près le même discours en ce qui a trait aux velléités des juristes blancs de parler pour les autochtones ou à leur sujet. Voir: M.E. Turpel, «Aboriginal Peoples and the Canadian Charter: Interpretive Monopolies, Cultural Differences» (1989–1990) 6 A.C.D.P. 3 aux pp. 11–13.

76. M. Boivin, «Les acquis du féminisme en droit: reconceptualisation de la représentation des femmes et de leur place dans la société canadienne» (1995) 36 C. de D. 27 à la p. 31.

77. J. Semprun, L’écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994, collection «Folio», n° 2870, aux pp. 166–167.

78. Cette façon de faire atteste du rôle cathartique de leur doctrine. Au fond, comme le dit Paul Ricoeur, n’est-ce pas «(…) dans le récit que la mémoire est portée au langage.» Voir P. Ricoeur, «Le pardon peut-il guérir?», [1995] 210 Esprit 77 à la p. 79.

79. P. Halewood, «White Men Can’t Jump: Critical Epistemologies, Embodiment, and the Praxis of Legal Scholarship», (1995) 7 Yale J. of Law and Feminism 1 à la p. 10.

80. Par exemple, on retrouve pareilles questions dans le domaine des arts, où des artistes issus de diverses minorités ethniques s’en prennent à la représentation que font les artistes blancs de ces minorités, au point parfois de réclamer l’instauration de contrôles juridiques sur cette représentation. Cette critique de 1’«appropriation culturelle» est elle aussi fondée sur le postulat de l’incapacité intrinsèque des artistes du groupe dominant de représenter des cultures dominées ou, pire, sur leur absence de droit moral pour les représenter. Voir «La liberté», supra note 4. Voir aussi: J.-F. Gaudreault-DesBiens, «La critique autochtone de l’appropriation culturelle comme défi à la conception occidentale de la propriété intellectuelle: le cas de l’appropriation artistique» (1999) 11 C.P.I. 401.

81. Halewoòd, supra note 79 à la p. 6, note infrapaginale 14. Voir aussi, généralement: MJ. Matsuda, «Affirmative Action and Legal Knowledge: Planting Seeds in Plowed-Up Ground» (1988) 11 Harv. Women’s L.J. 1.

82. Ceci contrairement aux hommes blancs qui tentent d’établir des analogies entre leurs propres expériences d’oppression et celles des groupes historiquement désavantagés. En effet, des auteures soutiennent que, dans un monde fondé sur la norme masculine et blanche, les hommes blancs, tout bien intentionnés soient-ils, ont le privilège d’oublier leur identité ou de ne pas en tenir compte, alors que les Noirs, par exemple, se font rappeler sans cesse la leur. D’où, selon ces auteures, le danger de comparer les oppressions en usant d’analogies qui, involontairement, peuvent contribuer à perpétuer les systèmes d’oppression en occultant la «douleur» qui résulte d’une oppression plus grave comme celle fondée sur la race. Elles s’en prennent ainsi à l’appropriation par les Blancs de la douleur des groupes désavantagés («appropriation of pain») dans ce qu’elles appellent les «concours de la douleur» («pain sweepstakes»). Voir: T. Grillo et S.M. Wildman, «Obscuring the Importance of Race: The Implication of Making Comparisons Between Racism and Sexism (or Other-Isms)» (1991) Duke L. J. 397 aux pp. 405ss.

83. Comme le disait le juge Charles D. Gonthier de la Cour suprême du Canada, citant notre collègue de McGill Yves-Marie Morissette: «L’issue des litiges ne devrait pas dépendre de l’identité des personnes qui composent le banc puisque ce résultat serait «difficile à concilier avec la notion d’égalité devant la loi, l’un des principaux corollaires de la primauté du droit, et peut-être aussi le plus intelligible.» Voir: SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282 à la p. 327, citant Y.-M. Morissette, «Le contrôle de la compétence d’attribution: thèse, antithèse et synthèse» (1986) 16 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 591 à la p. 632. Voir enfin sur ces questions cet autre article du professeur Morissette, «Quelques points de repère sur l’égalité dans une société diversifiée» (2000) 79 R. du B. can 81.

84. Voir: R. c. 5. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, où la Cour suprême du Canada a estimé, par une majorité de six juges contre trois, que la remarque en ce sens d’un juge de race noire n’était pas de nature à inspirer une crainte de partialité viciant irrémédiablement la décision de ce juge. Voir aussi, plus récemment, le jugement sur requête rendu par l’honorable juge Bastarache de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Arsenault-Cameron c. P.E.l. (4 novembre 1999), n° 26682, (C.S.C.), où celui-ci rejeta une requête en récusation présentée contre lui au motif qu’ayant souvent défendu les droits linguistiques des minorités francophones avant d’être nommé juge à cette cour, il ne pouvait juger impartialement d’un dossier mettant en cause les droits linguistiques de cette minorité à l’île-du-Prince-Édouard.

85. Voir: R. c. Laws, (1998) 41 O.R. (3d) 499, où la Cour d’appel de l’Ontario rejeta un argument voulant qu’une disposition d’une loi ontarienne imposant aux personnes agissant comme jurés dans cette province l’obligation de détenir la citoyenneté canadienne opérait indirectement une discrimination inconstitutionnelle à l’encontre d’un accusé de race noire, notamment en réduisant la probabilité qu’avait cet accusé d’être jugé par un jury comprenant une ou plusieurs personnes de race noire, ce qui, arguait-on, aurait pu faire échec à la discrimination systémique dont sont victimes les noirs dans le système pénal. En conséquence, concluait-on, un accusé de race noire se trouvait désavantagé par rapport à un accusé de race blanche. Sur l’inexistence d’un droit fondamental à subir son procès devant un juge ou un jury dont les membres sont de la même race que l’accusé, voir aussi: R. v. Kent, (1986) 27 C.C.C. (3d) 405 (Cour d’Appel du Manitoba).

86. Il convient ici de noter qu’une réponse négative à cette question précise ne devrait pas être interprétée comme signifiant qu’il faille renoncer à lutter contre la discrimination systémique qui imprègne parfois les processus judiciaires.

87. Ce qui pose par exemple la question de districts électoraux «racialisés», tel qu’il en existe aux États-Unis. Pour l’opinion d’une partisane de la Critical Race Theory à ce sujet, voir: L. Guinier, The Tyranny of the Majority. Fundamental Fairness in Representative Democracy, New York, Free Press, 1995. Pour l’opinion de la Cour suprême des Etats-Unis sur la question, voir Miller v. Johnson, (1995) 132 L. Ed. 2d 762; United States v. Hays, (1995) 132 L. Ed. 635; Shaw v. Reno, (1993) 113 S. Ct. 2816. La Cour suprême mentionne dans ces arrêts que dès lors que la race semble être le motif principal d’un projet de redivision des frontières des districts électoraux, ce projet doit être soumis à une norme de contrôle stricte car il contrevient potentiellement à l’«equal protection clause» du 141ème amendement de la Constitution des États-Unis. Seul un intérêt gouvernemental impérieux («compelling»), qui est mis en oeuvre par une mesure dont la portée est soigneusement circonscrite pour l’atteindre, pourra permettre de valider ce projet.

88. L’exemple le plus évident des polémiques que suscite cette question nous est donné par les réactions ayant suivi la publication d’un article du professeur afro-américain Randall Kennedy, où celui-ci critiquait sévèrement les tenants de la Critical Race Theory, particulièrement R. Delgado, D. Bell et M. Matsuda, qui soutiennent que les groupes raciaux minoritaires ont une «voix» distincte des autres groupes. Voir: R.L. Kennedy, «Racial Critiques of Legal Academia» (1989) 102 Harv. L. Rev. 1745. Cet article a même servi de prétexte à un colloque où de nombreux intellectuels se sont escrimés sur la place publique. Voir: Colloquy, «Choosing Sides in the Racial Critiques Debate» (1990) 103 Harv. L. Rev. 1844–1886. D’autres devaient suivre, par exemple, sur la «Race Consciousness and Legal Scholarship». Voir: (1992) 4 U. of 111. L. Rev. 945ss. Après une brève accalmie, le débat autour des thèses de R. Kennedy a repris à la suite de la publication par ce dernier d’un ouvrage dans lequel il s’en prend notamment au discours de victimisation qui a cours dans la communauté afro-américaine eu égard à la mise en oeuvre de la justice criminelle aux États-Unis. Voir: R. Kennedy, Race, Crime, and the Law, New York, Pantheon Books, 1997, et la recension extrêmement cinglante de D. Bell, «The Strange Career of Randall Kennedy», (1998) 7:1 New Politics 55. Stephen Carter est un autre juriste très critique des

89. M. Matsuda, «Afterword» (1990) 63 S. Cal. L. Rev. 1911 àia p. 1913. Cette revendication participe donc d’une recherche d’égalité, mais aussi de justice compensatoire.

90. W.P. Alston, Epistemic Justification. Essays in the Theory of Knowledge, Ithaca, Cornell University Press, 1989 à la p. 286.

91. Ibid, aux pp. 286–287.

92. S. Brewer, «Pragmatism, Oppression, and the Right to Substance» (1990) 63 Harv. L. Rev. 1753 à la p. 1755. D’où l’importance que prend le «conciousness-raising» dans la critique juridique identitaire.

93. Car, en bout de ligne, l’opinion qui triomphera sera celle que l’on aura posée comme «vraie», c’est-à-dire comme étant la seule qui soit véritablement représentative de l’expérience du groupe en cause. Ici, l’application stricte de la dialectique des rapports de domination présentera un intérêt évident. En effet, le positionnement stratégique du dominé comme étant entièrement privé de tout pouvoir ou d’autonomie par le groupe dominant lui permettra de revendiquer le statut de victime non corrompue par le pouvoir. Comme le souligne une auteure en parlant de la position adoptée par le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes au regard de l’impact de la pornographie sur les femmes dans l’affaire R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452: «By constituting women as thoroughly victimized, we become «innocent» of power and thus capable of apprehending «Truth». Voir: L. Gotell, «Litigating Feminist «Truth»: An Anti-Foundational Critique» (1995) 4 Soc. & Leg. Studies 99 à la p. 117.

94. A.M. Johnson Jr., «The New Voice of Color» (1991) 100 Yale L.J. 2007 à la p. 2038.

95. «The Imperial Scholar», supra note 75.

96. «The Imperial Scholar Revisited», supra note 75. Dans ces deux articles, Delgado établit une typologie des attitudes des juristes blancs au regard des courants critiques dans le champ du droit des libertés publiques. Dans l’article de 1992, les attitudes répertoriées allaient de l’ignorance—encore fréquente—des points de vue alternatifs jusqu’à leur discussion en profondeur—phénomène rare—, en passant par la simple mention de leur existence qui, au mieux, débouchait sur une discussion très superficielle. Sur la récente amélioration, voir: J. Stefancic et R. Delgado, «Outsider Scholars: The Early Stories» (1996) 71 Chi.-Kent L. Rev. 1001.

97. Matsuda, supra note 74 à la p. 346.

98. «Pragmatism», supra note 75 à la p. 1764.

99. J.C. Williams, «Dissolving the Sameness / Difference Debate: A Post-Modern Path Beyond Essentialism in Feminist and Critical Race Theory» [1991] Duke L.J. 296 à la p. 319.

100. M.L. Fineman, «Challenging Law, Establishing Differences: The Future of Feminist Legal Scholarship» (1990) 42 Fia. L. Rev. 25 à la p. 37.

101. «The Imperial Scholar», supra note 75 à la p. 564, note infrapaginale 15.

102. R. Abel, Speech and Respect, Londres, Stevens & Sons, 1994 à la p. 126.

103. Nous ne résistons pas à la tentation de citer ici Gaston Bachelard, qui voyait un «monstre épisté-mologique» dans «l’idée d’une coincidence entre pensée et réalité, d’une adéquation entre théorie et expérience.» Voir G. Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Paris, Vrin, 1928 à la p. 43. Plus tard, il devait poursuivre dans la même veine en affirmant: «La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n’est jamais «ce qu’on pourrait croire» mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l’appareil des raisons a été mis au point. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique.» Voir G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, 121ème ed., Paris, Vrin, 1983 aux pp. 13–14.

104. En d’autres termes, la connaissance serait «transparente» aux yeux de ceux qui possèdent la quiddità identitaire requise. Voir en ce sens H.L. Gates, ««Authenticity», or the Lesson of the Little Tree», New York Times Book Review, (24 novembre 1991) 1 à la p. 26.

105. D. Fuss, Essentially Speaking. Feminism, Nature & Difference, New York, Routledge, 1989 à lap. 116.

106. Selon une auteure, la multiplicité des groupes exclus ou marginaux accentue encore le problème: un de ces groupes peut-il revendiquer une position épistémologique plus privilégiée que d’autres? La «qualité» du privilège épistémologique revendiqué est-elle directement fonction de l’éloigne-ment par rapport au centre? Pour évaluer si une position est plus favorable qu’une autre, s’agit-il de mesurer la distance entre centre et périphérie en établissant une analogie fondée sur la distance physique (ex.: les lesbiennes sont plus éloignées du centre que les autres femmes) ou, au contraire, sur l’accumulation de causes d’oppression (ex.: une lesbienne noire vs. une lesbienne blanche)? Voir: B.-A. Bar On, «Marginaliry and Epistemic Privilege» dans Alcoff et Potter, supra note 16, 83 aux pp. 89–90.

107. Voir notamment D.L. Rhode, «Feminist Critical Theories» (1990) 42 Stan. L. Rev. 617.

108. Halewood, supra note 79 à la p. 23.

109. A.C. Hutchinson, «Identity Crisis: The Politics of Interpretation» (1992) 26 New England L. Rev. 1173 à la p. 1214.

110. «La critique juridique», supra note 2 à la p. 15.

111. Voir notamment sur la question des récits identitaires J.-F. Gaudreault-DesBiens, «The Quebec Secession Reference and the Judicial Arbitration of Conflicting Narratives About Law, Democracy, and Identity», (1999) 23 Vermont L.R. 793 aux pp. 796–818.

112. Ainsi émettons-nous quelques réserves face aux propos suivants du professeur Hutchinson, qui nous semblent relever dans une certaine mesure du mépris de certains intellectuels épris de l’idéologie postmoderniste: «In a postmodern perspective, identity is always constructed, often inconsistent and occasionally self-contradictory. As such, the felt need to identify with one group obscures or blinds people to the multi-faceted nature of injustice and people’s multiple and fragmented selves.» Voir Hutchinson, supra note 109 à la p. 1214. Ceux qui s’identifient plus particulièrement à un volet de leur identité sont-ils malgré eux victimes de «fausse conscience»? Faut-il dès lors les «réformer» de manière à ce qu’ils adoptent l’évangile postmoderne? Si le projet identitaire postmodemiste est éminemment intéressant, il doit prendre garde de buter sur les mêmes obstacles que le projet moderne, notamment en imposant un dogme de la représentation identitaire. Anne Seller soulignait à cet égard: «If our communities are to be epistemo-logically effective, then they cannot be politically coercitive.» Voir: A. Seller, «Realism versus Relativism: Towards a Politically Adequate Epistemology» dans M.F. Goodman et R.A. Snyder, dir., Contemporary Readings in Epistemology, Englewood Clifts (N.J.), Prentice Hall, 1993,365 à la p. 369.

113. Le concept de «référence identitaire» renvoie pour l’essentiel aux représentations et aux idéologies qui fondent et nourrissent une communauté particulière. Voir généralement F. Dumont, Genèse de la société québécoise, Montréal, Boréal, 1993.

114. Voir: N. Fraser, «Politics, Culture, and the Public Sphere: Toward a Postmodern Conception» dans L. Nicholson et S. Seidman, dir., Social Postmodernism. Beyond Identity Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1995,287; M. Cain, «Le rapprochement entre la méthodologie marxiste et la méthodologie féministe est-il possible? (Et est-ce important pour la sociologie du droit?» [1986] 2 Droit et Société 77.

115. R. Delgado, «On Telling Stories in School: A Reply to Farber and Sherry» (1993) 46 Vand. L. Rev. 665 à la p. 669.

116. «The Imperial Scholar», supra note 75 à la p. 564, note infrapaginale 15.

117. Voir par exemple: Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada, Guide des détenteurs de subventions, Ottawa, CRSHC, 1998.

118. Sur ce concept, voir notamment P. Bourdieu, «Cultural Reproduction and Social Reproduction» dans J. Karabel et A.H. Halsey, dir., Power and Ideology in Education, Oxford, Oxford University Press, 1977,487.

119. Seller, supra note 112 à la p. 369.

120. Voir généralement à ce sujet R. Quivy et L. Van Campenhoudt, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1988 aux pp. 147–196.

121. Sur cette question, voir généralement J.-F. Gaudreault-DesBiens, «Les Chartes des droits et libertés comme louves dans la bergerie du positivisme? Quelques hypothèses sur l’impact de la culture des droits sur la culture juridique québécoise» dans B. Melkevik, dir., Transformation de la culture juridique québécoise, Québec, Presses de l’Université Laval, 1998, 83. À titre d’exemple, on comparera la saisie des phénomènes identitaires ainsi que le rapport au droit et surtout à la lettre du droit qui s’expriment respectivement dans l’avis de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, et dans le jugement du Conseil constitutionnel français déclarant partiellement inconstitutionnelle une loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse et reconnaissant l’existence d’un peuple corse en tant que composante du peuple français (Cons, constitutionnel, 9 mai 1991, Statut de la Corse, 91–290 DC, en ligne: Conseil constitutionnel, <http://www.conseil-constitutionnel.fr/nn/91/91290dc.htm> (dernière modification: 4 mars 2000)). Voir aussi la décision du Conseil constitutionnel déclarant incompatibles avec la Constitution française des dispositions de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires conférant des droits collectifs aux minorités linguistiques des États signataires, au motif que pareilles dispositions vont à rencontre des principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant le loi et d’unicité du peuple français (Cons, constitutionnel, 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 99–412 DC, en ligne: Conseil constitutionnel, <http://www.conseil-constitution-nel.fr/decision/99/99412/99412dc.htm> (dernière modification: 4 mars 2000)). Au-delà des différences entre le droit positif et la culture juridique des deux pays, on ne peut s’empêcher de penser que le fait que le droit canadien ait érigé la mise en question de la constitutionnalité des lois en procédure quasi normale, ouverte à tous les citoyens, a pu influer sur l’appréhension qu’a faite la Cour suprême dans le Renvoi sur la sécession du Québec de l’interaction entre les considérations relevant de la légalité constitutionnelle et celles relevant de la légitimité politique.

122. Ce souci de la Cour suprême est particulièrement perceptible dans sa jurisprudence sur la liberté d’expression. Voir notamment: Ross c. Conseil scolaire du district n” 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; R. c. Butler, supra note 93; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731;/?. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697; Canada (C.D.P.) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; R. c. Andrews, [1990] 3 R.C.S. 870; Devine c. Québec (P.G.), [1988] 2 R.C.S. 790; Fonde. Québec, [1988] 2 R.C.S. 712. La Cour adopte une position semblable dans son interprétation du droit à l’égalité garanti à l’article 15 de la Charte canadienne, en évaluant le préjudice allégué sous l’angle de la victime raisonnable (test subjectif-objectif). Voir en ce sens: Law c. Canada (M.E.l.) [1999] 1 R.C.S. 497; M. c. H. [1999] 2 R.C.S. 3; Corbière c. Canada (M.A.LN.) [1999] 2 R.C.S. 203.

123. Comme le souligne une auteure: «(…) ideal objectivity is a generalization from the subjectivity of quite a small social group, albeit a group that has the power, security, and prestige to believe that it can generalise its experiences and normative ideals across the social order, thus producing a group of like-minded practitioners («we») and dismissing «others» as deviant, aberrant («they»).» Voir Code, supra note 16 à la p. 22.

124. C.A. MacKinnon, Towards a Feminist Theory of lhe Siale, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1989 aux pp. 162–163.

125. Ibid. à la p. 123.

126. Ibid. à la p. 121.

127. Pour une entreprise de ce type où, tout en s’attardant aux effets d’exclusion de l’objectivité telle que conçue dans l’epistemologie traditionnelle, l’on en étudie les reconceptualisations possibles, voir notamment W. Natter, T.R. Johnson et J.P. Jones El, dir., Objectivity and Its Other, New York, The Guilford Press, 1995.

128. Voir en ce sens: J. Boyle, «Is Subjectivity Possible? The Postmodern Subject in Legal Theory» (1991) 62 U. of Colorado L. Rev. 489 aux pp. 505–506.

129. Cette acception de l’objectivité est proposée par K. Greenawalt, Law and Objectivity, Oxford, Oxford University Press, 1992 à la p. 193.

130. Sur le problème de l’objectivité en droit constitutionnel, voir: R.W. Bennett, «Objectivity in Constitutional Law», (1984) 132 U. of Pa. L. Rev. 445.

131. Amselek, supra note 57 à la p. 5.

132. Ibid. à la p. 7.

133. O.M. Fiss, «Objectivity and Interpretation» (1982) 34 Stan. L. Rev. 739 à la p. 739.

134. Voir: A. Lajoie, Jugements de valeur, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

135. En ce qui a trait à l’importance des valeurs dans le processus d’interprétation, on consultera généralement: R. Dworkin, Law’s Empire, Cambridge (Mass.), The Belknap Press of Harvard University Press, 1986.

136. Fiss, supra note 133 à la p. 744.

137. J. Parain-Vial, La nature du fait dans les sciences humaines, Paris, Presses Universitaires de France, 1966 à la p. 203.

138. Voir généralement sur cette question S. Harding, «Rethinking Standpoint Epistemology: What Is Strong Objectivity?» dans Alcoff et Potter, supra note 16, 49.

139. Code, supra note 16 aux pp. 41–42.

140. K. T. Bartlett, «Feminist Critical Methods» (1990) 103 Harv. L. Rev. 829 à la p. 884.

141. Halewood, supra note 79 à la p. 33.

142. Voir: J.C. Coleman, «Determinacy, Objectivity, and Authority» (1993) 142 U. of Pa. L. Rev. 549.

143. De fait, la conception de l’objectivité qu’adopte Ronald Dworkin pourrait fort bien s’accompagner de l’épithète «modeste», tant cet auteur traite l’objectivité comme un simple outil argumentatif: «We use the language of objectivity, not to give our ordinary moral or interpretive claims a bizarre metaphysical base, but to repeat them, perhaps in a more precise way, to emphasize or qualify their content. (…) We also use the language of objectivity to distinguish between claims meant to hold only for persons with particular beliefs or connections or needs or interests (perhaps only for the speaker) and those meant impersonally for everyone.» Voir Dworkin, supra note 135 à lap. 81.

144. Ces concepts «mélangés» sont définis ainsi: «(…) they apply only under certain factual circumstances and, at the same time, they evaluate those circumstances; when they do apply, they tend to guide our actions, beliefs, and feelings.» Voir: H.L. Feldman, «Objectivity in Legal Judgment» (1994) 92 Mich. L. Rev. 1187 aux pp. 1195–1196.

145. Ibid, à la p. 1251.

146. Atias, supra note 48 au n° 85.

147. R. Rorty, Objectivity, Relativism, and Truth. Philosophical Papers, Volume I, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 à la p. 28, note infrapaginale 28.

148. Ibid, à la p. 23.

149. Sur cette forme d’ethnocentrisme, voir notamment De Lemos Capeller, supra note 3. Quant à celui de Rorty, un auteur opine dans le même sens que nous en signalant que son ethnocentrisme se distingue de l’ethnocentrisme moderne en ce qu’il n’oblitère pas la diversité et qu’il reconnaît pleinement l’importance de l’altérité. Voir D. Couzens Hoy, «Significant Others: Objectivity and Ethnocentrism» dans Natter, Johnson et Jones III, supra note 127, 113, à la p. 126.

150. Rorty, supra note 147 à la p. 30.

151. Ibid, à la p. 24.

152. L. Alcoff et E. Potter, «Introduction: When Feminisms Intersect Epistemology» dans Alcoff et Potter, supra note 16, 1, aux pp. 1–2.

153. Ibid, à la p. 3.

154. Code, supra note 16 à la p. 21.

155. E. Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990 à la p. 64. Voir aussi l’ouvrage de R. Jervis, System Effects: Complexity in Political and Social Life, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1997.

156. M. Maffesoli, Éloge de la raison sensible, Paris, Grasset, 1996. Dans le même sens, voir Paquet, supra note 55. Des auteurs remarquent avec raison que l’émergence dans certains forums juridiques de cette «raison sensible» n’entraîne nullement, dans le concret, la disparition des autres formes de «raisons» dans le champ du droit. Outre la «raison sensible», qu’ils rattachent à un «ordre juridique émotionnaliste», ils réfèrent ici aux ordres juridiques «rationnel» et «technocratique». Selon eux, la logique présentement à l’oeuvre dans les processus de transformation du droit en est une de complexification et non de substitution: «Rather than moving toward a «technocratic» or «emotionalist» legal order, it may be anticipated that there will be highly variable outcomes, producing often inconsistent forms and processes in diverse areas of law and its institutions. The heroic calls for, or pronouncements declaring the arrival of, a new form of law based on alternative realities, anti-instrumentalism and emotionality are both simplistic and exaggerated.» Voir K. Laster et P. O’Malley, «Sensitive New-age Laws: The Reassertion of Emotionality in Law» (1996) 24 International Journal of the Sociology of Law 21 à la p. 35. On ne saurait mieux dire. D’où, au reste, nos réticences face à l’hypochondrie épistémologique et au subjec-tivisme radical observables dans certains segments de la critique juridique identitaire.

157. Peut-être à cet égard sommes-nous moins convaincu que Maffesoli de la nécessité d’opérer une rupture totale avec l’epistemologie moderne. L’avertissement de Bachelard sur les problèmes qu’entraînerait une trop grande sujétion épistémologique à l’expérience—il en parlait, rappelons-le, comme d’un «monstre épistémologique»—nous semble encore pertinent, à condition bien sûr de ne pas en faire parole d’Évangile.

158. C’est notamment ce que met en lumière John Saul dans son essai, Les bâtards de Voltaire. La dictature de la raison en Occident, Paris, Payot, 1993.

159. T. Todorov, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité, Paris, Seuil, 1989, collection «Points-essais», n° 250, aux pp. 11–12. Pour une critique intéressante de l’anti-rationalisme qui sous-tend un segment de la critique juridique identitaire, voir S. Sherry, «The Sleep of Reason» (1996) 84 Geo. L.J. 453.

160. Ainsi, un auteur se demandait récemment si, au strict plan épistémologique, le saucissonnage des identités qu’ont tendance à opérer tant les tenants de la critique juridique identitaire que leurs adversaires est encore «opérationnel». Se prononçant tout particulièrement sur le concept d’eth-nicité, cet auteur affirmait: «Is it still fruitful to think about die social world in terms of ethnicity? Perhaps a wider term, such as «social identity» would be more true to the flux and complexity of social processes, and would allow us to study group formation and alignments along a greater variety of axes than a single-minded focus on «ethnicity» would.» Voir: T.H. Eriksen, Ethnicity and Nationalism. Anthropological Perspectives, London, Pluto Press, 1993 à la p. 157.

161. R. Sève, «Douter c’est décider: nature et caractère constructifs du doute» dans F. Terré, dir., Le doute et le droit, Paris, Dalloz, 1994, 119 à la p. 124. Dans ce sens, le doute, même cultivé, ne mène pas nécessairement au cynisme.

162. Arnaud, supra note 34 aux pp. 34 et 36.

163. Un des principaux tenants de l’adoption du paradigme de la complexité dans le champ du droit est le sociologue juriste André-Jean Arnaud. Voir généralement: A.-J. Arnaud, Pour une pensée juridique européenne, Paris, Presses Universitaires de France, 1991; A.-J. Arnaud, «Vers un processus de décision complexe en droit» dans D. Bourcier et P. Mackay, Lire le droit. Langue, texte, cognition, Paris, L.G.D.J., 1992,71. Arnaud prône pour l’essentiel l’adoption d’une epistemologie constitutive, qui suppose la reconnaissance «(…) que les problèmes ne sont pas nécessairement posés a priori, mais qu’ils doivent être construits.» (Arnaud, supra note 34 à la p. 31) Dans cette optique, «[l]a connaissance apparaît comme la recherche de la manière de se comporter et de penser «qui convienne». La finalité du raisonnement est alors de dégager une solution appropriée selon le principe de «la plus satisfaisante». Cela satisfait la nécessité d’une acceptation de la multiplicité des rationalités possibles.» (ibid, aux pp. 31–32) C’est par l’adhésion à ce qu’il appelle un «constructivisme systémique de la complexité», qu’Arnaud estime que les juristes pourraient redevenir des créateurs de droit, des acteurs de ce processus, alors que le positivisme les avait relégués au rang de simples figurants. Bref, selon lui, en adoptant le paradigme de la complexité, ils pourront devenir «juris-prudents». (ibid, aux pp. 34 et 36).

164. Comment une remise en question perpétuelle comme celle que nous proposons peut-elle se matérialiser dans le vécu des membres de la communauté juridique, se demanderont certains? Une distinction doit ici être faite entre les différents groupes qui composent cette communauté. S’il est évident que notre principal auditoire-cible se retrouve chez les «penseurs» du droit, comme les universitaires, en ce que ceux-ci font profession de réfléchir dans et sur le droit et poursuivent cette réflexion d’une manière beaucoup moins contrainte que les «acteurs», que sont les juristes praticiens et les juges, rien ne s’oppose à ce que ces derniers pratiquent une «epistemologie de la complexité». Leur questionnement sera probablement moins libre et, dès lors, plus discret, mais il n’en sera pas moins présent. Par exemple, généralement stimulée par les besoins de leur clientèle et orientée vers une réforme normative allant dans le sens de ses intérêts, la réflexion sur le droit des juristes praticiens devra bien sûr être formulée de manière qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une réflexion en droit. Mais rien dans cela ne les empêche de s’ouvrir dans une certaine mesure à la déconstruction perpétuelle que nous prônons. Ne l’oublions pas, les grands revirements jurisprudentiels qui procèdent d’une révision des postulats dans un domaine du droit donné sont certes consacrés par des juges, mais ils sont néanmoins initiés par des plaideurs qui ont eu le courage de penser autrement et de tenter de convaincre l’appareil judiciaire du bien fondé de cette pensée divergente.

165. Ce qui suppose de reconsidérer la manière dont est compris l’idéal positiviste de la sécurité juridique. Voir en ce sens: F. Tulkens, «La sécurité juridique: un idéal à reconsidérer» (1990) 24 Revue interdisciplinaire d’études juridiques 25. Ce qui implique également de délaisser ce que nous avons appelé ailleurs «l’esthétique juridique de la cohérence, c’est-à-dire la recherche à tout prix de la cohérence afin d’atteindre une systématisation parfaite, quasi plastique, des règles de droit.» Voir «La liberté», supra note 4 à la p. 249. Précisons notre pensée. Nous ne prônons pas l’abandon complet des idéaux de sécurité juridique ou de cohérence normative, bien au contraire. Nous prônons strictement leur abandon lorsqu’ils empêchent le questionnement juridique fondamental que nous appelons de nos voeux. Nous souhaitons en fait par là un retour à ce qui nous paraît être le fondement même de ces idéaux, soit la protection des justiciables par le truchement de normes substantielles et procédurales qui sont relativement précises, prévisibles, publiques, mais aussi perçues comme légitimes. Or, un problème se pose lorsque ce fondement essentiellement éthique est occulté pour laisser place à l’approche purement esthétique que nous avons décrite.

166. D. Howes, «La Constitution de Glen Gould: le contrepoint et l’État canadien» dans Belley, supra note 68, 95 à la p. 105

167. Sur l’anti-juridisme, on consultera entre autres A. Renaut, «Le problème de la loi injuste. Remarques sur l’anti-juridisme contemporain», (1987) 12 Cahiers de philosophie politique et juridique de l’Université de Caen 169.

168. F. Dumont, Une foi partagée, Montréal, Bellarmin, 1996 à la p. 11.