Hostname: page-component-78c5997874-v9fdk Total loading time: 0 Render date: 2024-11-09T09:05:52.147Z Has data issue: false hasContentIssue false

Métaphysique et science politique les intelligibles volotaires dans le Taḥṣīl al-sa'āda d'al-Fārābī1

Published online by Cambridge University Press:  24 October 2008

Hatem Zghal
Affiliation:
Faculté des lettres et des sciences humaines de Kairouan, Département de philosophie, Kairouan, Tunisie

Abstract

This study, limited to Kitāb Taḥṣīl al-sa'āda, examines two points: the first point concerns the place of political science in the hierarchy of the sciences and its dependence on Metaphysics. This dependence gives it a theoretical status and a proper subject, namely voluntary intelligibles which appear as objective entities and stable essences. The second point to be examined concerns these intelligibles, considered in their relationship to deliberation. From this viewpoint, they appear as formal invariants open to different formulations which correspond to different modes of existence. These formulations are also formal rules to the realisation of intelligibles, and though they are more or less general, they are not universal. They are objects for deliberative discovery and the model of deliberative operations seems similar to the model of ingeniosity present in Algebra and the arts of ingenious devices.

Cette étude, limitée au Kitāb Taḥṣīl al-sa'āda, examine deux points. Le premier concerne la place de la science politique dans l'ordre des connaissances et sa dépendance a l'egard de la métaphysique. Cette dépendance lui octroie un statut théorétique et des objets propres: les intelligibles volontaires. Ceux-ci apparaissent comme des entités objectives, des essences stables. Le deuxième point considère ces mêmes intelligibles eu égard à la délibération. Us apparaissent alors comme des invariants formels susceptibles de différentes expressions qui sont autant de modes d'existence. Elles sont aussi des règies formelles pour la réalisation des intelligibles, regies plus ou moins générates, mais non universelles. Ces règies sont objets de découverte par la délibération. Le modèle des opérations délibératives est ici rapproché de celui de l'ingéniosité è l'œuvre dans l'algèbre et les arts ingénieux.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 1998

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

2 Al-Fārābī, , Kitāb Tahsīl al-sa' āda, éd. Āl-Yāsīn, Ja'far (Beyrouth, 1983). Nous citerons le texte de cette édition par la mention Taḥṣīl.Google Scholar

3 Tahsīl, pp. 54 et 59.

4 Mahdi, Muhsin, Alfarabi's Philosophy of Plato and Aristotle, Revised edition (Ithaca, New-York, 1969), Introduction to the revised edition, pp. XI–XXV.Google Scholar

5 Galston, Mariam, “The theoretical and practical dimensions of happiness as portrayed in the political treatises of al-Fārābī,” Butterworth, dans Charles E. (éd.), The Political Aspects of Islamic Philosophy, Essays in honor of Muhsin S. Mahdi (Cambridge, Massachusetts, 1992), pp. 95151.Google Scholar L'auteur y reprend en partie et sans en modifier les conclusions une étude antérieure: Politics and Excellence, The Political Philosophy of Alfarabi (Princeton, 1990).Google Scholar

6 Mahdi, Alfarabi's Philosophy, pp. XV–XVI.

7 Galston, “The theoretical and practical,” p. 117.

8 Taḥṣīl, p. 60.

9 Tahsīl, p. 60–1.

10 La science politique semble faire l'objet d'une quête bien antérieure à sa constitution de fait. Le Kitāb al-Hurūf, qui décrit l'historie idéale des sciences, en situe le commencement au cours de la différenciation de la voie démonstrative d'monstrative d'avec la voie dialectique: “les gens éprouvent alors un penchant (yamīlu al-nāsu) pour les choses civiles dont le principe est la volonté et le choix” [K. al-Hurūf, éd. Mahdi, M. (Beyrouth, 1969), p. 151].Google Scholar De même, dans les Fusūl muntaza'a, le souci de la science pratique semble sous-jacent à la progression de la constitution des sciences; ainsi au “moment” métaphysique, “l'homme n'a pas cessé de rechercher la fin en vue de laquelle il a été fait,” mais il n'est en mesure d'envisager “la partie pratique” de la philosophie qu'après la métaphysique [Fusūl muntaza'a, éd. Najjār, F. (Beyrouth, 1971), § 94].Google Scholar

11 Taḥṣīl, p. 62–3.

12 Tahsīl, p. 63. On peut comparer cette formulation à celle des Fusūl. Une section qui reprend en grande partie le Tahsīl, énonce comme suit le passage de la métaphysique à la science partique: “c'est alors qu'on peut passer à la partie pratique” (faḥīna'idin yaqdiru an yantaquila ilā al-guz' al-'amalī) [Fusūl, § 94]. Pour le rapport de la métaphysique à la science de l'homme et à la science politique, on peut aussi se reporter au K. al-Hurūf, l'agencement des sciences y a pour critére l'usage qu'elles font des catégories. La physique a entre autres pour objet les êtres qui tombent sous les catégories mais dont certaines parties sont extétérieures aux catégories. Quand elle aboutit à la métaphysique, celle-ci dont les objets sont extérieures aux catégories, réexamine les objets catégoriaux des sciences antérieures, “en tant que ces choses (i.e. les objets de la métaphysique) en sont les causes.” Il est à noter que la science politique n'est citée qu'à cette occasion, c'est-à-dire dans la démarche où se fait le retour de la métaphysique aux objets catégoriaux [K. al-Hurūf, p. 69]. Enfin, dans La philosophie d'Aristote, la science pratique, envisagée avant la métaphysique, ne trouve son achèvement qu'après cell-ci: l'étude de la totalité des actions qui “dépenedent du choix et de la volonté,” en tant qu'elles impliquent l'utilisation des êtres naturels, doit en envisager la connaissance “d'un point de vue plus général que celui de la physique.” Cette étude “ne devient claire ni dans la physique ni dans la science de l'homme,” c'est-à-dire pas avant que ne soit menée à terme “l'examen et l'étude des êtres qui sont d'un rang supérieur dans 1'ordre de l'existence” [Falsafat Arisṭūṭālīs, éd. Mahdi, M. (Beyrouth, 1961) p. 131].Google Scholar

13 Tahsīl, p. 63.

14 On peut comparer au Kitāb Ihsā' al- 'ulūm. Dans la détermination des tâches qui reviennent à la métaphysique, al-Fārābī inclut celle de “connaître la hiérarchie des êtres, comment s'est réalisé pour chaque être son rang, et par quelle chose il mérite le rang qui est le sien.” Cet examen est différent de “la connaissance des êtres et des choses qui leur adviennent en tant qu'êtres” [Kitāb Ihsā' al-'ulūm, éd. Amīn, 'U. (Le Caire, 1949), pp. 101 et 99];Google Scholar de plus il ne plus il ne figure pas dans l'inventaire que fait al-Fārābī du contenu de la Métaphysique d'Aristote dans l'opuscule qu'il lui a consacré: Les buts de la Métaphysique d'Aristote: Fī agrād al-Hakīm fi kull maqāla min al-kitāb al-mawsūm bi-al-Hurūf, dans Alfārābī's philosophische Abhandlungen, éd. Dieterici, F. (Leiden, 1890), pp. 34–8.Google Scholar

15 Mahdi, Alfarabi's Philosophy, p. XVI: “Then it (la science politique) considers the structure of the city and compares it to the structure of the world, or rather to the association of the bodies in the totality of the world.” Que l'ordre soit politique ou cosmique, il faut prendre en considération la nature non seulement corporelle mais aussi psychique et intellective des êtres du monde et de l'homme.

16 On peut conjecturer que les matériaux de cette “connaissance divine des êtres” sont ceux que l'on trouve dans Ārā' ahl al-madīna al-fādila ainsi que dans Al-Siyāsa al-madaniyya connu aussi comme Mabādi' al-mawgūdāt. En l'absence d'une chronologie des œuvres d'al-Fārābī, on ne peut toutefois rien dire sur la mani`re dont seraient ordonnés ces matériaux, ne sachant pas si ces ouvrages, ainsi que le Tahsīl, procèdent d'une perspective commune.

17 Tahsīl, p. 63.

18 Voir note 14.

19 Le Tahsīl est sans doute l'ouvrage où l'idée d'une connaissance pratique déductive trouve son expression la plus forte et la plus crédible, non pas qu'une telle connaissance y soit effectivement produite, mais en ce sens qu'elle y trouve la présomption de son fondement. Une telle connaissance ne se développerait pas à partir de principes pratiques propres mais à partir de la métaphysique comme fondement des êtres naturels. Sur la science pratique comme science déductive chez al-Fārābī, Druart, voir Thérèse-Anne, “Al-Fārābī, ethics, and first intelligibles,” Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, VIII (1997): 403–23. Je ne souscris cependant pas à son appréciation de l'importance du Taḥṣī1: “The Attainment of Happiness, as far as one can describe it as ethical […] cannot be called demonstrative by any stretch of the imagination,” p. 409.Google Scholar

20 Taḥṣī1, p. 57.

21 Taḥṣī1, p. 65.

22 Taḥṣī1, p. 65.

23 Taḥṣī1, p. 65.

24 Taḥṣī1, p. 65.

25 Taḥṣī1, p. 68. Cf. la traduction Mahdi, de M., The Attainment of Happiness, dans Alfarabi's Philosophy, p. 28.Google Scholar

26 Taḥṣī1, p. 68.

27 Le Kitāb al-Hurūf énumère les accidents en termes de catégories: “L'individu particulier (al-mušār ilayhi) auquel toutes les catégories sont rapportées est l'objet des arts pratiques. Ils lui donnent, qui une quantité, qui une qualité, qui un lieu, qui une position, qui une relation, qui un temps, qui une enveloppe (mā yataġsššā sathahu), qui d'agir et qui de pâtir. Certains peuvent lui donner deux de ces déterminations, d'autres trois et d'autres plus.” Cependant al-Fārābī inverse le schéma de l'attribution: “Ce que l'homme de l'art se représente en son âme, c'est l'espèce (de l'objet de l'art); quand il agit, il agit sur un individu auquel l'espèce s'attribue essentiellement (fa-dā fa'ala fa'ala fi mušār ilayhi yuḥmal 'alayhi dālika al-naw'ḥamla mā huwa). Car l'art qui est dans l'âme de l'homme se compose des espèces de son art ainsi que des espèces des choses qui produisent cet objet et agissent sur lui. Si l'art agit, il agit sur un individu d'une espèce intelligible (mušāran ilayhi min al-naw' al-ma'qūl)” [K. al-Hrūf, p. 70].

28 Concernant 1'exemple de “l'homme,” il s'agit bein d'un intelligible “naturel” et non volontaire (les exemples donnés de celui-ci sans aucun autre développement sont ceux de la modération ['iffa] et de la richesse [yasār]). L'interprétation qu'en donne Th.-A. Druart ne nous paraît pas adéquate, bine au contraire, elle escamore le problème que pose ici la notion d'intelligible: “Al-Fārābī seems to say that though three is one single intelligible ‘human being’ for all people, yet cultural diversity will attach to this one and common notion different connotations according to time and space. Whether anyone is really able to distinguish fully the common notion from its connotations is not stated but I have a suspicion that for al-Fārābī only a true and perfect philosopher would fit the bill” [“Al-Fārābī, ethics and first intelligibles,” p. 419].Bien entendu, les accidents et les états ne peuvent être des connotations attachées à des notions communes, ce sont les attributs différents et variables, mais naturels et réels des individus d'une même espèce. Plus loin (p.420), l'auteur attribue à al-Fārābī une distinction entre les deux sortes d'intelligibles que l'on ne trouve pas dans le Tahsīl: “This text distinguishes between intelligibles of natural kind which have universally precise definitions and applications and voluntary intelligibles the definitions of which are universal and precise whereas their applications are variable because of the variation in their accidents linked to cultural habits.” L'expression “application” est certes appropriée en un sens métaphorique concernant les intelligibles naturels, mais même pour ceux-ci, l'universalité et la précision” ne concernent que les “définitions” et non les “applications” (i.e.les accidents et les états) tout comme c'est le cas des intelligibles volontaires. Ce qui peut être en cause dans l'opposition précision/variabilité, ce n'est pas seulement la “précision” des intelligibles associés associé à; leur statut théorétique et déductif, mais leur stabilité associée à leur signification gérárique, mais cette stabilité n'a de sens que par rapport à des variations dont al-Fārābī semble asserter la possibilité d'une connasissance elle-même précise, du moins pour certains cas d'intelligibles.

29 Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 5, 1112 b 10.

30 Aristote, Métaphysique, Z 9, 1034 a 25–30; Éthique à Nicomaque, III, 5, 1112 b 23–25.

31 Kitāb al-Milla, éd. Mahdi, M., 2e éd. (Beyrouth, 1991), p. 59.Google Scholar

32 Kitāb Iḥṣā' al-'ulūm, p. 104.

33 Kitāb al-Milla, p. 47.

34 Ce que semble faire Galston, Politics and Excellence, p. 111.

35 Il ne s'agit pas des mêmes accidents (a 'rāḍ) que ceux du Tahsīl (relatifs aux intelligibles à réaliser), mais d'événements ('awārid) relatifs au champ où doit se faire la réalisation. Ceci sera confirmé par la suite: “C'est la puissance de découvrir les conditions par lesquelles se fait l'estimation des actions, conduites selon les groupes, les cités, les nations, les états et les événements (bi-ḥasabi…ārid 'ārid), p. 73; ce terme a son équivalent dans le Tahsil dans l'expression: wārid. Ceci ne fait pas une grande différence puisqu'il faudra dans la perspective du Tahsīl faire covarier l'intelligible à réaliser avec les circonstances de sa réalisation. Ce que laisse sous-entendre le Ihsā', c'est qu'une même “règle universelle” peut se réaliser indéfiniment en toutes circonstances, chaque réalisation étant un cas distinct. Est exclue ici l'idée d'une règle pour la réalisation elle-même, l'unique recours étant la pratique et l'expérience; l'universalité de la règle étant acquise, cela suffit en quelque sorte à asseoir I'extension de son champ d'application.

36 Kitāb al-Qiyās dans al-Mantiq 'inda al-Fārābī, éd. al-'Ajam, Rafiq (Beyrouth, 1986) pp. 5564.Google Scholar Pour la structure syllogistique du Fiqh, Lameer, voir J., Al-Farabi and Aristotelian Sylllogistics: Greek Theory and Islamic Practice (Leiden, 1994).Google Scholar

37 Taḥṣī1, p. 92.

38 Taḥṣī1, pp. 69–70.

39 Ceci n'exclut pas que pour un même intelligible il puisse y avoir des règles de généralités inégales en raison de différents degrés d'excellence de la vertu délibérative. Mais il ne semble pas qu'il puisse y avoir une généralité totale pour un intelligible donné. L'extension de la généralité d'une règle, quelle que soit l'excellence de la délibération, reste déterminée par les accidents “associés” à l'intelligible.

40 Taḥṣī1, p. 65.

41 Taḥṣī1, p. 67.

42 La description que fait le K. al-Hurūf de la constitution du lexique des langues naturelles présente les mots comme de véritables règles sémantiques dans la mesure où leur construction doit refléter les significations qu'ils expriment. Ils doivent en reproduire la constance et les variations. Ce qui est constant dans les significations (alma'ānī) est représenté dans les mots par des lettres constantes ou récurrentes (hurūf rātiba); les accidents variables sont représentés par des lettres variables et pour chaque accident il y a une lettre appropriée [K. al-Hurūf, pp. 139–40]. Chaque terme du lexique reproduit une règle combinatoire correspondant à une analyse des significations. Bien que l'objet du passage que l'on vient de résumer n'ait rien à voir avec l'objet du Tahsil, il peut cependant suggérer une représentation des “règles” comme combinatoire et composition d'un intelligible donné.

43 Tahs, pp. 65–6.

44 Le texte de l'édition de Āl-Yāsīn, Ja'far (p. 67)Google Scholar parle de māhiyya, ce qui n'a pas de signification dans ce contexte, il indique (n. 4) l'existence d'une autre leçon: mihna plus simple et évidente retenue par M. Mahdi dans sa traduction (skill) et que nous adoptons.

45 Taḥṣī1, p. 67.

46 Taḥṣī1, p. 68.

47 Parce qu'elle résout le problème de la délibération tel qu'il se rencontre dans le Taḥṣī1 par recours à d'autres textes (notamment al-Milla, Risāla fi al-'aql ainsi que K. al-mūsīqā), Galston ramène la délibération à l'expérience et parle de “processus inductif.” Voir notamment Politics and Excellence, pp. 116 et 121.

48 K. Ihsā' al-'ulūm, pp. 88–9. Rashed, Voir aussi R., “Mathématiques et philosophie chez Avicenne,” dans Etudes sur Avicenne, dirigées par Jolivet, J. et Rashed, R. (Paris, 1984), pp. 2939, aux pp. 33–5.Google Scholar

49 K. al-Hurūf, p. 69.

50 Voir l'étude déjá mentionnée de Rashed, R. p. 34.Google Scholar L'arithmétique et la géométrie peuvent s'accommoder en tant que sciences distinctes et indépendantes d'une ontologie aristotélicienne, l'algèbre produit un nouvel objet, la “chose” al-šay' “suffisamment général pour recevoir des contenus divers; mais il doit en outre exister indépendamment de ses propres déterminations.” C'est le caractère “formel” des entités algébriques qui rend nécessaire une nouvelle ontologie et un recours à la métaphysique.

51 Druart, Voir, “Al-Fārābī, ethics and first intelligibles,” pp. 419–20.Google Scholar L'auteur note à partir d'autres textes un rapprochement entre mathématiques et philosophie pratique; ce rapprochement se base sur l'existence de principes et d'intelligibles premiers analogues dans les philosophies pratique et théorétique et aurait des antécédents hellénistiques. Il convient toutefois de noter que le rapprochement effectué par le Taḥṣī1 ne se base pas sur la même approche et il ne s'agit pas d'une analogie ou d'un parallélisme mais d'une continuité et d'une identité de procédure qui ne peut pas être rattachée à l'antécédent grec cité par l;'auteur.