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L'optique d'ibn al-haytham et la tradition ptoléméenne
Published online by Cambridge University Press: 24 October 2008
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Quand on compare l'Optique d'Ibn al-Haytham (Alhazen) à celle de Ptolémée, on rencontre des innovations à coup sûr capitales, et qui chacune mériterait une analyse particulière: étude expérimentale de la propagation rectiligne de la lumière, nouvelle théorie de la vision fondée sur la réception dans l'œil de rayons lumineux, recherche du lien entre l'anatomie de 1'œil et sa fonction optique, preuve expérimentale que la réfraction joue un rôle important dans la vision, et j'en passe: les dimensions d'un article de revue n'y suffiraient pas. Aussi bien mon but est-il plus global et plus synthétique. Il consiste à tenter de faire le point sur ce qu'est devenue, après Ibn al-Haytham, l'insertion de l'optique dans le système des savoirs qui lui sont connectès, en comparant cette insertion à ce qu'elle était au temps de Ptolémée, c'est-à-dire dans l'œuvre de référence (plus encore que celle d'Euclide et du pseudo-Euclide) reçae et travaillée par lui.
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- Copyright © Cambridge University Press 1992
References
1 al-Haytham, Ibn, Kitāb al-Manāzdir, édition critique de l'original arabe des trois premiers livres (sur sept) par Sabra, A.I. (Koweit, 1983);Google ScholarThe Optics of Ibn al-Haytham, traduction en anglais de ces trois livres et commentaire par Sabra, A.I. (Londres, 1989);Google Scholar traduction latine complète (sauf les trois premiers chapitres du livre I) éditée par Risner, dans l'Opticae Thesaurus Athazeni arabis libri septem (Bâle, 1572); reprod. phot. avec introd. par D.C. Lindberg (New-York et Londres, 1972). Nous citons le texte d'après la traduction anglaise pour les trois premiers livres, et d'après la traduction latine pour les quatre derniers.Google Scholar
2 Le présent article, qui reprend le contenu d'une communication faite au colloque international d'histoire des sciences et de la philosophie arabes (Institut du Arabe, Monde, Paris, 22–25 nov. 1989), résume les idées qui seront développées dana la première partie d'un livre en préparation, La lumière, le corps et l'âme d'Alhazen à Descartes. Il n'a donc pas pour but de faire le point des discussions sur chacun des thèmes abordés, ni d'en donner une bibliographie complète. Sur le fond, on comparera à l'ouvrage devenu classique deGoogle ScholarLindberg, D.C., Theories of vision from al-Kindi to Kepler (Chicago et Londres, 1976).Google Scholar
3 Comme le prouve le catalogue des œuvres d'Ibn al-Haytham: The Optics of Ibn al-Haytham, II, xxxii.Google Scholar
4 Il faudrait en ce cas prendre en compte aussi les prédécesseurs arabes d'Ibn al-Haytham, dont l'étude peut réserver des surprises. Rashed, Voir Roshdi, “A Pioneer in anaclastics: Ibn Sahl on burning mirrors and lenses,” Isis, 81 (1990): 464–91.CrossRefGoogle Scholar
5 Schramm, Matthias, Ibn al-Haythams Weg zur Physik (Wiesbaden, 1963).Google Scholar
6 Rashed, Roshdi, ‘Optique géométrique et doctrine optique chez Ibn al-Haythanm,’ Archive for History of Exact Sciences, VI, 4 (1970): 271–98.CrossRefGoogle ScholarRashed, Voir aussi Roshdi, “Lumière et vision: l'application des mathématiques dans l'optique d'Ibn al-Haytham,” dans Taton, R. (éd.), Roemer et la vitesse de la lumière (Paris, 1978), pp. 19–44.Google Scholar
7 Simon, Gérard, Le regard, l'être et l'apparence dans l'optique de l'antiquité (Paris, 1988).Google Scholar
8 L' Optique de Claude Ptolémée dans la version latine d'après l'arabe de l'émir Eugéne de Sicile, éd. critique et exégétique par Lejeune, Albert (Louvain, 1956); rééd. avec trad. en français et compléments (Leyde, 1989). Le problème de l'authenticité de cette Optique a été repris parGoogle Scholardans, W.R. Knorr “Archimedes and the pseudo-Euclidean Catoptrics,” Archives internationales d'histoire des sciences, 35 (1985): 96–104.Google ScholarKnorr propose de l'attribuer à un aristotélicien du second siècle de notre ère, Sosigène. Son argumentation ne me convainc pas, principalement parce que le descriptif de l'œuvre en sept livres de Sosigène, qu'il invoque, ne correspond nullement au traité en cinq livres qui nous a été transmis sous le nom de Ptolémée. Comme Lejeune, je ne vois pas de raison majeure conduisant, en l'état actuel de mon information, à refuser de suivre la tradition et à retirer la paternité de ce traité à l'astronome alexandrin. Mais il me semble (et je rejoins ici la circonspection de Knorr) que les témoignages attestant cette attribution étant rares et tardifs, celle-ci a besoin d'être étayée par un examen approfondi de l'ensemble du corpus attribué a Ptolémée, examen que j'appelle de mes vœux faute de pouvoir dans l'immédiat moi-même l'entreprendre. J'ajoute que pour le sujet traité dans le présent article, ce problème d'attribution, à supposer qu'il faille partager le scepticisme de Knorr, n'est pas crucial. L'important pour l'histoire de la science arabe n'est pas que l'Optique publiée sous le nom de Ptolémée soit effectivement due à l'auteur de 1'Almageste, mais qu'elle ait été tenue pour telle par les traducteurs arabes, leurs lecteurs et leurs successeurs occidentaux, et que d'autre part elle représente l'état le plus élaboré de l'optique grecque antique, du moins dans ce qui nous en a été transmis.Google Scholar
9 Platon, Timée, 45 b-d.Google Scholar
10 Aristote, De l'Ame, II, 7, 418 b. –Sur lumière et couleur chez Aristote, voir Simon, Le regard, l'être et l' apparence, pp. 42–5. Insistons sur le point trop souvent méconnu que pour Aristote la lumiée n'est “ni du feu, ni en général un corps ou un effluve d'un corps quelconque” et que, contrairement à l'opinion d'Empédocle, elle ne se propage pas(ibid.). Il est donic étrange qu'on fasse parfois d'Aristote un tenant d'une thèse de l'intromission de la lumière dans l'œ. S'il y a dans l'antiquité des tenants de l'intromission, ce sont les épicuriens, et ils font entrer dans l'œil non de la lumière, mais des simulacres.
11 Ibid., II, 7, 418 a.
12 Ptolémée, Optique, livre II, p. 23.Google Scholar
13 Simon, Le regard, l'être et l'apparence, pp. 66–70 et 97–107.Google Scholar
14 Cette conception de l'image me semble ne pas avoir été sans coséquencnes sur les formes de la représentation esthétique et l'historie de la prespective. Simon, Voir G., “Science de la vision et représentation du visible: le regard de l'optique antique,” Cahiers du musée national d'art moderne, 37 (1991): 5–21.Google Scholar
15 Simon, G., “Experiment and theory in ptolemy's Optics,” dans Batens, D. et Van Bendegem, J.P. (éd.), Theory and Experiment (Dordrecht et Boston, 1987), pp. 901–12. Voir aussi Simon, Le regard, l'être et l'apparence, chap. IV.Google Scholar
16 Ptolémée, Voir, “Harmonie,” éd. E. Düring, Göteborgs Högskolas Ärsskrift, 36 (1930), p. 95,Google Scholar 1.12–20. – Simon, Le regard, l'être et l'apparence, p. 182.Google Scholar
17 Selon la distinction d'Ibn al-Haytham lui-même, The Optics of Ibn al-Haytham, I, chap. I, 4. Voir aussi Sabra, ibid., II, 6–10.
18 Nous sommes en complet désaccord avec le caractère physicaliste et objectivant de la reconstruction qu'a donnée Lejeune, A. de ce livre I perdu dans son Euclide et Pto1émée, deux stades de l'optique géométrique grecque (Louvain, 1948). Il est en contradiction avec tout ce qu'on peut inférer du reste de l'ouvrage et de toutes les allusions au livre I qui y subsistent.Google ScholarSimon, Voir, Le regard, l'être et l'apparence, pp. 83–91.Google Scholar
19 Bien que sa théorie des couleurs soit un échec, Descartes est le premier à avoir très clairement distingué de la sensation le phénomène physique qui la provoque, dana sa Dioptrique, discours IV et passim [(Œuvres), éd. Tannery, Adam et (Paris, 1966), t. VI, pp. 112–15].Google Scholar
20 Traduction française et commentaire par Rashed, R.: “Le Discours de la lumière d'Ibn al-Haytham (Alhazen). Traduction française critique,” Revue d'Histoire des Sciences, 21 (1968): 197–224. – Une forme “essentielle” est constitutive de 1'“essence” ou de la “substance” de la chose concernée.Google Scholar
21 Ibid., p. 207.
22 Sabra, The Optics of Ibn al-Haytham, II, 21–3.Google Scholar
23 Rashed, introd. à la traduction du Discours de la lumière, p. 199.Google Scholar
24 “Optique géométrique et doctrine optique,” pp. 277–8. Voir aussi “Lumière et vision,’ pp. 34–5 (cités note 5).Google Scholar
25 A. Mark Smith, “Extremal principles in ancient and medieval optics,” Physis, à paraître.Google Scholar
26 Mais aucune théorie de l'intromission, quelle qu'en soit la modalité. Voir sur cette question Lindberg, Theories of Vision, pp. 58–9.Google Scholar
27 The Optics of Ibn al-Haytham, I, 118, § 14.Google Scholar
28 Ibid., I, 149, § 71.
29 N'est-ce pas aussi une des nouveautés théoriques (avec la théorie de l'intromission) qui à la Renaissance ont rendu intellectuellement possible en Occident une spéculation géométriquement rigoureuse sur la perspective? Voir sur cette question Simon, “Science de la vision et représentation du visible.”Google Scholar
30 Opticae Thesaurus, livre V, p. 129, § 8.Google Scholar
31 Ibid., p. 137, § 22.
32 Ibid., p. 162, § 60.
33 Sur ce problème de la construction prékeplérienne de l'image, Simon, voir, Le regard, l'être et l'apparence, pp. 157–65. La critique en a été faite par Kepler dans les “Ad Vitellionem Paralipomena,” chap. III,Google Scholar [Gesammelte Werke, (Munich, 1939), t. II]Google ScholarParalipomènes à Vitellion, trad. française de Chevalley, C. (Paris, 1980), pp. 175–200.Google Scholar
34 Opticae Thesaurus, livre IV, p. 102, § 1.Google Scholar
35 Ibid., livre V, p. 131, § 10. Il s'agit, comme le relévera Kepler, d'une justification par des considérations de finalité.
36 Ibid., livre VI, p. 188, § 1.
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