La richesse, les biens de ce monde déterminent mainte activité dans la civilisation occidentale. La production et la consommation se transforment de région en région et d'une époque à l'autre, grâce à la tension fondamentale entre riches et pauvres et, aussi grâce aux tensions concurrentes entre producteurs et consommateurs. Qui plus est, la richesse est périssable, en conséquence même des transformations dues soit aux innovations, soit aux limitations ou contradictions d'ordre structural. S'enrichir est bien : et voici l'événement; mais il reste encore à s'intégrer au groupe des riches, à y rester en prenant une assurance sur l'avenir. Les structures de la vie économique et sociale sont le mécanisme des oscillations rapides que vivent les hommes et qui dessinent, pour l'observateur, la marche de l'histoire. La recherche historique tient toujours compte de ces différents niveaux d'expression et de compréhension, et dans la mesure du possible, les concilie. Que la relativité de nos prises sur le réel soit consciente, et « l'histoire vécue » (globale, dirons-nous) est expliquée par la recherche et les techniques de l'historien. Mais rien ne saurait remplacer quelques exemples pour éclairer ce propos.

« Novus ordo seclorum » : ainsi s'intitule la conclusion du grand livre que Jean Gottmann vient de consacrer à la plus formidable agglomération urbaine du monde, cette « Megalopolis » qui s'étire sur la côte nordest des Etats-Unis, de Boston à Washington.Et c'est bien comme « le berceau d'un ordre nouveau dans l'organisation des espaces habités » que l'auteur nous présente son sujet. C'est dire que son intérêt dépasse singulièrement celui d'une étude régionale : contribution à la géographie urbaine générale, ce livre est en même temps une méditation sur le monde moderne et sur l'évolution prévisible des contrées les plus développées de la planète.

Publié la même année que le monumental tome IX de l'Encyclopédie française, « L'univers économique et social », précédant de peu L'Économie du XXe siècle qui rassemble les principales études scientifiques de François Perroux, parues durant les dix dernières années, Economie et Société », petit livre lourd de substance, semble être à la fois le fruit des méditations d'un homme qui vient de reconnaître en son entier le champ de sa spécialité, et l'annonce de recherches futures dans les territoires nouvellement ouverts à la science économique conçue comme science de l'homme.

François Perroux appartient à cette catégorie de savants que Florian Znaniecki appelle, dans un de ses ouvrages sur la sociologie de la connaissance, celle des « explorateurs », ceux qui découvrent de nouveaux problèmes.

La connaissance sociologique des villes nord-africaines progresse d'une façon ininterrompue depuis plusieurs années. Après les études menées au Maroc sous la direction de R. Montagne, d'Alger, P. Sebag dévoile à travers une série de monographies les différents visages de Tunis, avant de nous donner le grand livre que mérite la capitale de l'ancienne Régence. Peu de gens connaissent mieux et aussi intimement les traits de la Tunisie ; et nul n'a scruté avec autant de scrupule et de passion Tunis : une attention bien voisine de l'affection lui permet de s'approcher des milieux les plus humbles, sans provoquer chez eux cette rétraction et ce silence qui rebutent les enquêteurs les plus obstinés. Elle lui permet aussi de saisir du dedans la vie la plus secrète de la cité, et d'en noter les détails les plus menus mais aussi les plus profonds.

L'analyse économique ne rend pas compte de tous les problèmes du sous-développement. Elle laisse hors de ses prises les forces de freinage des structures sociales et psycho-sociologiques. Ces dernières, difficiles à saisir, car les enquêtes du type récit autobiographique manquent trop souvent. Dans une terre comme la Sicile, à la fois sous-développée et surchargée d'histoire, le témoignage littéraire peut être également d'un grand intérêt. Pirandello ou Verga nous en apprennent plus sur la Sicile que bien des chiffres. Malgré un certain succès de snobisme, et certaines lacunes, le roman Le Guépard est un témoignage valable que l'on ne récusera pas en Sicile.