Le rapport entretenu par l’histoire et les sciences sociales avec la documentation, comprise comme l’ensemble des matériaux – textes, chiffres, artefacts, images, paroles, etc. – produits et transmis par une société, a considérablement évolué au cours des vingt dernières années. Les documents ne sont plus considérés comme de simples dépôts d’informations sur le monde social, dans lesquels il suffirait de venir puiser. La documentation a été l’objet d’un processus de dénaturalisation, critiquant la dimension métaphorique des termes comme « sources », « données », « data » ou « témoignage ». Restituer la construction de la documentation et son historicité, en mesurant la manière dont ces dernières orientent l’écriture scientifique, est devenu un problème primordial de la recherche en sciences sociales. Cette approche holistique de la documentation engage à écrire une histoire dont l’échelle d’observation est déterminée de manière plastique par les documents existants – abondants ou rares, représentatifs ou fragmentaires – et par les outils permettant de les traiter. En intégrant explicitement l’analyse de la documentation à l’écriture scientifique, en exposant les conditions sociohistoriques d’élaboration des matériaux mobilisés, ce nouveau rapport aux documents invite à redéfinir les dimensions ontologique et narrative du travail des sciences sociales et à réinterroger de manière réflexive leur rapport à la référentialité.