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Y a-t-il « trop de démocratie » en URSS ?*

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Marc Ferro*
Affiliation:
EHESS

Extract

« Ne sommes-nous pas trop démocrates, et cela ne conduit-il pas à un affaiblissement de la discipline ? » Cette interrogation de K. Tchernenko, en 1982, a de quoi paraître insolite ; elle prend à contre-pied ceux qui croient à la vérité du témoignage des dissidents et jugent le régime soviétique à partir de la représentation qu'ils en donnent. Sans doute la « démocratie » à laquelle se réfère Tchernenko n'a-t-elle ni le même statut, ni le même fonctionnement que la « démocratie » de type occidental. Si on tire les leçons de l'expérience rapportée tour à tour par les émigrés, les opposants, les dissidents depuis près de trois quarts de siècle, on jugerait plutôt que la démocratie des soviets a fait naufrage ; et que pendant ces quinze dernières années au moins, s'il est vrai que les mesures de contrôle et de surveillance de la société ne sont plus sanglantes, comme à l'époque de Staline, les mailles du filet qui enserrent cette société sont plus fines encore qu'auparavant. Les possibilités de téléphoner à l'étranger, de recevoir des publications venues de l'Ouest ont encore été réduites sous Andropov ; les jugements portés officiellement à Moscou sur les dissidents, les refuzniks, comme sur la situation en Pologne, sont autant de signes qui, vus de l'Occident, témoignent de ce resserrement.

Summary

Summary

Beginning with an observation of K. Tchernenko who asks if “the excess of democracy doesn't jeopardize discipline,” Marc Ferro examines the meaning such an appraisal might have. In juxtaposing the origins of the operation of the Soviet regime to the contemporary institutional System, he observes that in certain centers of power the border between the leaders and the lead can beporous: more over, during the Brejnevian period one moves more and more, with the increase of the level of knowledge, from a polymorphous power to an institutional polymorphism while at the different echelons of power the democratic idea becomes disassociated from the notion of pluralism or of the freedom of expression. But is it irreversible?

Type
Histoire de L'URSS
Copyright
Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1985

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Footnotes

*

K. Cernenko, « Avangardnajarol’ partii Kommunistov »,Kommunist, 1982, 6 ; repris dans Narod ipartija ediny, izd. Reci i staty, Moscou, 1984, p. 294.

References

Notes

1. Spartak, juin 1917.

2. Cette famille qui apparaît dès 1918 avec les écrits des mencheviks, des SR, des anarchistes, puis des trotskistes, des staliniens et ex-staliniens, présente toutes les variétés de jugement. Cf. Ferro, Marc, L'Occident et la révolution soviétique, Paris, Éditions Complexe, 1980.Google Scholar

3. Cette famille est apparue avec l'ouvrage de Arendt, Hannah, The Origins of Totalitarianism, New York, 1951;Google Scholar elle s'est considérablement agrandie depuis.

4. On trouve un itinéraire de ces courants et leur topographie actuelle dans Pierre Hassner, « Le totalitarisme vu de l'Ouest », dans Totalitarisme, sous la direction de Guy Hermet, Paris, Éditions Economica, 1984, pp. 15-41 ; pour les pays de l'Est, cf. Jacques Rupnik, « Le totalitarisme vu de l'Est », ibid., pp. 43-71.

5. A. Gershenkron, « The Rate of Industrial Growth in Russia since 1885 », Journal of Economie History, 1947, supplément 7, dont les analyses ont, au reste, été remises en cause. CM. E. Falkus, « Russia's National Income, 1913. A réévaluation », Economica, n° 137, 1968, pp. 52-74. Sur le consensus, renvoyons à notre première application du concept à l'URSS : « Instincts-Institutions, note d'introduction à une étude du Consensus », Mélanges Ch. Morazé : Culture, science et développement, Toulouse, Privât, 1979, pp. 387-391. Sur « l'organisation » du consensus, voir Victor Zaslavsky, The Neo-Stalinist State, New York, Sharpe, 1982, 194 p.

6. Ch. Bettelheim, La lutte des classes en URSS, 3e période, 1930-1941, les dominés, 1982, 320 p. ; id., La lutte des classes en URSS, 3epériode, 1930-1941, les dominants, 1983, 350 p. ; Hélène Carrère D'Encausse, Le pouvoir confisqué. Gouvernants et gouvernés en URSS, Paris, Flammarion, 1980, 302 p. ; The Soviet Polity in the Modem Era, Erik P. Hoffmann et Robbin F. Laird éds, New York, Aldine Publishing, 1984, pp. XI-XVI.

7. Pour une analyse plus approfondie de ces problèmes, voir notre ouvrage, Des soviets au communisme bureaucratique, Paris, Gallimard, « Archives », 1980, 264 p.

8. Ib id.

9. G. T. Rittersporn, « Société et appareil d'État soviétiques (1936-1938) : contradictions et interprétations », Annales ESC, n° 4, 1979, pp. 843-867.

10. Friedgut, Théodore H., PoliticalParticipation in the USSR, Princeton Univ. Press, 1979, 354 p.Google Scholar ;pp. 41-81.

11. Pierre et Lavigne, Marie, Regards sur la Constitution soviétique de 1977, Paris, Economica, 1979, 162 p.Google Scholar ; p. 40.

12. Cf. T. H. Friedgut, op. cit., passim.

13. Ibid., pp. 155-235.

14. Ibid., p. 42. La Maison Jaune, siège de l'Institut de philosophie, rendu illustre par le récit romanesque d'A. Zinoviev, Lausanne, L'Age d'Homme, 1982.

15. Adams, Jan S., Citizen Inspectors in the Soviet Union. The People's Control Committee, New York, Praeger, 1979, 234 p.Google Scholar (Préface de Jerry Hough).

16. Cité par Jerry Hough, ibid., p. V ; Kerblay, Basile, « Les problèmes de la socialisation dans le monde rural soviétique », dans Du mir aux agrovilles, Paris, IMSECO, éd. de l'I.E.S., 1985, 424 p.Google Scholar, p. 367 ; Humphrey, Caroline, Karl Marx Collective, Economy Society and Religion in a Siberian Collective Farm, Londres-Paris, Cambridge Univ. Press-Maison des Sciences de l'Homme, 1983, 522 p.Google Scholar pp. 114-116.

17. Sur les formes traditionnelles de l'endoctrinement, de la formation, voir Heller, Michel, La machine et les rouages, la formation de l'homme soviétique, Paris, Calmann-Lévy, 1985, 322 p.Google Scholar Sur la fonction ambiguë des fêtes qui, à la fois, renforcent le contrôle et, simultanément, ouvrent des petites aires autonomes, voir le compte rendu de l'ouvrage de C. Lane, dans ce numéro. Sur une des fonctions de l'enseignement de l'histoire, voir note 20, ainsi que notre Histoire sous surveillance, Paris, Calmann-Lévy, 1985.

18. T. H. Friedgut, op. cit., passim ; Jerry Hough et Merle Fainsod, How the Soviet Union is Governed, éd. 1980, 680 p., et « Changes in Soviet Elite Composition », dans Russia at the Crossroads, S. Bialer et T. Gusterson éds, Londres, G. Allen, 1982, 224 p. ; pp. 39-65.

19. Colton, Timothy S., Commissars, Commanders and Civilian Authority. The structure of Military Politics, Harvard Univ. Press, 1979, 365 p.Google Scholar ; du même, « The Impact of the Military on Soviet Society », dans E. P. Hoffmann et R. F. Laird éds, op. cit., note 6, pp. 393-417. La thèse de l'URSS, société militaire, est défendue par Castoriadis, C., Devant la guerre, Paris, 1981.Google Scholar

20. Le penchant des autorités pour le cérémonial militaire apparaît à la télévision ; en outre et surtout, l'éducation patriotique et soviétique est programmée par un ajustement de l'analyse des problèmes historiques à la formation du sens civique et moral. Cf. Pavel Solomonovic Lejbengrub, Ideino-Nravstvennoe Vospitanie v Obuâenii Istorii SSSR (VII-X Klassy), posobie dlja uiitelja (L'éducation morale dans l'enseignement de l'histoire de l'URSS, 7e-10e classes, manuel pour les enseignants), Moscou, 1983, 288 p. Cet ouvrage, tiré à 150 000 exemplaires, n'est qu'un exemple parmi les nombreux livres et revues appartenant à « l'arsenal pédagogique ».

21. Ibid. On sait que l'invasion de l'Afghanistan eut lieu sans que Brejnev en eût connaissance et qu'elle fut entreprise, sans doute de connivence avec quelques membres du bureau politique, par les forces stationnées dans les républiques. Dans les quarante-huit heures, la situation fut” régularisée » et Brejnev en assura la responsabilité. Toutefois, ce qu'on sait n'est pas vraiment prouvé.

22. John H. Miller, « The Communist Party : Trends and Problems », dans Soviet Policy for the 1980s, Archie Brown et Michael Kaser éds, M. St Antony's, 1982, 280 p. ; pp. 1-35. En 1981, le Parti compte 17 430 413 membres pour une population de plus de 20 ans de 178 874 000 personnes, soit un adulte sur dix. Les membres du KNK ont dépassé les 9,5 millions en 1976, pour 682 000 postes (moyenne 11 personnes), cf. J. S. ADAMS, op. cit., note 15, p. 152. Cf. également J. Hough, op. cit., note 18, « Changes… ».

23. Eko, 1983. Information aimablement communiquée par V. Garros et M. H. Mandrillon.

24. T. H. Froedgut, op. cit., pp. 203-204.

25. Erik P. Hoffmann, « Soviet Perpectives on Leadership and Administration », dans E. P. Hoffmann et R. F. Laird éds, op. cit., note 6, pp. 109-131.

26. Andropov, Ju. V., Kommunistiëeskaja Ubezdennost'-velikaja sila stroitelej novogo mira (La conviction communiste : grande force constructrice d'un monde nouveau), Moscou, 1977, p. 30 ss.Google Scholar

27. Gorbacev, M. S., Leninizm - livoe tvorCeskoe ucënie, vernoe rukovodstvo k dejstviju (Le léninisme : une théorie créatrice et vivante, guide infaillible de l'action), Moscou, 1983, 30 p., pp. 1722.Google Scholar

28. Ju. V. Andropov, op. cit., note 26, p. 30 et suiv.