Hostname: page-component-78c5997874-v9fdk Total loading time: 0 Render date: 2024-11-05T13:40:37.947Z Has data issue: false hasContentIssue false

Un Moyen Âge sans censure? Réponse à Alain Boureau

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Luca Bianchi*
Affiliation:
Università del Piemonte Orientale-Vercelli

Extract

Il est notoire que les historiens et notamment les médiévistes français ont donné une contribution décisive à l’affirmation d’une «nouvelle histoire» caractérisée aussi bien par le renouveau des méthodes que par l’élargissement du domaine de la discipline et la prise en compte de nouveaux objets. Croyances, mythes, mentalités, sentiments, rêves, gestes, comportements: rien n’échappe plus à une recherche historique qui a profondément transformé ses critères ontologiques et ses principes herméneutiques. Il est toutefois un phénomène qui serait, de fait et de droit, inaccessible à l’historien: la censure dans les universités médiévales. En effet, dans sa note critique à propos des livres sur les limites de la liberté intellectuelle à Paris aux XIIIe et XIVe siècles récemment publiés par Johannes M. M. Hans Thijssen et moi-même, Alain Boureau ne s’est pas contenté de soutenir que la censure fut un phénomène sans grande importance dont les effets «furent faibles». En développant des considérations qu’il avait déjà proposées dans la conclusion de son brillant essai sur les condamnations de Jean Peckham, il a critiqué mon interprétation de certains épisodes, d’ailleurs marginaux dans l’organisation de mon travail; il a contesté aussi bien ma classification «typologique» visant à distinguer les différentes formes de la censure que la méthode de Thijssen, fondée sur l’analyse des procédures judiciaires; il a mis en doute la possibilité même d’«envisager un ouvrage de synthèse sur la censure médiévale»; et il a précisé que, si ce projet est irréalisable, «cela ne tient pas au talent des auteurs, mais à la construction de la censure comme objet historique autonome, qui induit la recherche d’un agent et d’un patient. Il est évident que l’historien ne peut pas vider le mot “censure” de toute sa charge morale. Dès lors, il ne peut guère se conduire qu’en procureur ou en avocat

Type
La censure au Moyen Âge
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002 

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References

À propos de l’article d’ Boureau, AlainLa censure dans les universités médiévales » (note critique), Annales HSS, 55-2, 2000, pp. 313323 CrossRefGoogle Scholar. Le texte ici publié est celui, légèrement mis à jour,de mon intervention à la table ronde «Censure,facteur de progrès ou entrave à la liberté de pensée? »,organisée par la chaire de Philosophie médiévale de l’université de Fribourg (Suisse) le 24 novembre 2000,avec la participation d’Alain Boureau,Ruedi Imbach et Silvain Piron. La forme orale de mon intervention a été conservée.

1 - Thijssen, Johannes M. M. H., Censure and Heresy at the University of Paris, 1200-1378, Philadelphie, University of Pensylvania Press, 1998 CrossRefGoogle Scholar; Bianchi, Luca, Censure et liberté intellectuelle à l’Université de Paris (XIIIe-XIV e siècles), Paris, Les Belles Lettres, 1999 Google Scholar. Dans toutes les citations les italiques sont de moi.

2 - A. Boureau,« La censure... », art. cit., p. 321.

3 - Boureau, Alain, Théologie, science et censure au XIIIe siècle. Le cas de Jean Peckham, Paris, Les Belles Lettres, 1999, pp. 335338 Google Scholar.

4 - Cf. Laughlin, Mary Mc, Intellectual Freedom and its Limitations in the University of Paris in the Thirteenth and Fourteenth Century, New York, Arno Press, 1977 Google Scholar; Courtenay, WilliamInquiry and Inquisition: Academic Freedom in Medieval Universities », Church History, 58, 1989, pp. 168181 CrossRefGoogle Scholar; De Libera, Alain, Penser au Moyen Age, Paris, Le Seuil, 1991 Google Scholar.

5 - A. Boureau,« La censure... »,art. cit.,p. 323.

6 - Ibid., p. 321.

7 - Il serait intéressant d’examiner en détail ces registres,qui ne sont pas classés selon l’ordre chronologique. Par exemple dans la section relative à la faculté des arts,nous trouvons,l’un après l’autre,les quatre statuts réglementant le contenu et les méthodes d’enseignement,de discussion et d’interprétation des textes: statut de 1255 (liste des textes à lire et commenter en classe); statut de 1272 (défense de traiter des questions théologiques); statuts « anti-ockhamistes » de 1339-1340. Cf. L. Bianchi, Censure et liberté..., op. cit., p. 291,n. 26 et p. 327,n. 21.

8 - Voir infra, p. 741.

9 - A. Boureau, « La censure... »,art. cit.,pp. 315,323.

10 - Ibid., p. 318.

11 - Ibid., p. 323.

12 - Ibid., pp. 321,319.

13 - Ibid., p. 319; voir aussi A. Boureau, Théologie..., op. cit., p. 335.

14 - Ibid., p. 319.

15 - Dondaine, Hyacinthe-François, préface à la Responsio ad Magistrum Ioan Vercellis..., in Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia , t. XLII, Rome, Editori di San maso, 1979, pp. 264265 Google Scholar.

16 - Chartularium Universitatis Parisiensis, éd. par Denifle, Henri et Chât, ÉMile [réimpr. de l’édition de Paris 1891-1899], Bruxelles, Culture et Civilisation, 1 p. 204 Google Scholar, 210-211. Concernant les formules de consilio, je renvoie à L. Bianchi, Ce liberté..., op. cit., pp. 100-101.

17 - A. Boureau,« La censure... », art. cit., pp. 319, 321.

18 - Ibid., pp. 319, 321.

19 - L. Bianchi, Censure et liberté..., op. cit., pp. 13, 21-22.

20 - Cf. A. Boureau,« La censure... »,art. cit., p. 321, et les pages de mon livre mentionnées à la note précédente.

21 - L. Bianchi, Censure et liberté..., op. cit., pp. 21-52.

22 - A. Boureau, « La censure... », art. cit., p. 319.

23 - Cf. Gand, Henrid, Quodibet X, 5, Macken, Roland (éd.), Louvain, Leuven University Press, 1981, pp. 127128 Google Scholar, apparat; Quodlibet II, 2, Wielockx, Robert (éd.), Louvain, Leuven University Press, 1983, pp. 821 Google Scholar (ici p. 11: «Exposui tamen magis modum ponendi, anima separata, materiam manere nudam, quia obscurior erat » ).

24 - A. Boureau, « La censure... », art. cit., pp. 318-319, 322.

25 - Cf. A. Boureau, Théologie..., op. cit., p. 333.

26 - Cf. Emery, Kent et Speer, Andreas, « After the Condemnation of 1277: New Evidence, New Perspectives, and Grounds for New Interpretations », in Aertsen, J. A., Emery, K. et Speer, A. (éds), Nach der Verurteilung von 1277. Philosophie und Theologie an der Universität von Paris im letzten Viertel des 13. Jahrhunderts. Studien und Texte, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2001, pp. 1718 Google Scholar.

27 - «Utrumque enim horum modorum exposui, sed neutrum sustinui», Quodlibet II, 2, p. 11; «. ..et ego eodem tempore in dubio reliquissem...», Quodlibet X, 5, op. cit., p. 128, apparat.

28 - « Aliquam tamen apparentiam dedit illa imaginatio partis materiae extra partem ad vocandum materiam nudam corpus quoquo modo, secundum quod pertractavimus in prima disputatione nostra de Quolibet, quando positio illa recens erat, non tantum percrutata quantum modo, propter quod nec eam ibi reprehendimus, sed eam solummodo cum aliis exposuimus, nihil definiendo», Quodlibet IX, 8, Macken, Roland (éd.), Louvain, Leuven University Press, 1983, p. 159 Google Scholar.

29 - Putallaz, François-Xavier, Insolente liberté. Controverses et condamnations au XIIIe siècle, Paris-Fribourg, Le Cerf/Éditions universitaires de Fribourg, 1995, p. 174 Google Scholar, explique le silence d’Henri sur les événements de 1277 par le fait que la pluralité de formes était désormais rendue à son statut de doctrine philosophique légitime. Deux autres explications sont toutefois possibles: 1) Henri n’a pas voulu garder le souvenir humiliant de l’épisode où il s’était laissé « convaincre » par les arguments peu philosophiques de l’évêque et du légat; 2) même après leur mort, il n’a pas osé dénoncer publiquement et par écrit leur interférence dans la libre discussion au sein des écoles.

30 - De La Mare, Guillaume, Declarationes Magistri Guilelmi, Pelster, Franz (éd.), Münster, Aschendorff, 1956, p. 20 Google Scholar.

31 - Marston, Roger, Quodlibeta Quatuor, IV, 11, Etzkorn, Gerard F. et Brady, Ignatius C. (éds), p. 389 Google Scholar. Ce passage est cité dans L. Bianchi, Censure et liberté..., p. 251, n. 122.

32 - L. Bianchi, Censure et liberté..., pp. 47-48.

33 - Sur tout ceci, voir ibid., pp. 53-67.

34 - A. Boureau, « La censure... », p. 322.

35 - A. Boureau, Théologie..., op. cit., p. 333.

36 - Cf. Henri De Gand, Quodlibet II, op. cit., pp. 66-70.

37 - Voir Porro, Pasquale, « Ponere statum. Idee divine, perfezioni creaturali e ordine del mondo in Enrico di Gand», Mediaevalia. Textos e Estudos, 3, 1993, pp. 154159 Google Scholar; « Metaphysics and Theology in the Last Quarter of Thirteenth Century: Henry of Ghent Reconsidered», in Aertsen, J. A. (éd.), Geisteslben im 13. Jahrhundert, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2000, pp. 272274 CrossRefGoogle Scholar.

38 - A. Boureau, « La censure... », art. cit., pp. 321-322; cf. aussi ID., Théologie..., op. cit., pp. 32-33.

39 - A. Boureau, « La censure... », art. cit., p. 322.

40 - Voir L. Bianchi, Censure et liberté..., op. cit., pp. 59-63, 203-230.

41 - Ibid., p. 9.

42 - A. Boureau, « La censure... », art. cit., p. 318.

43 - L. BIANCHI, Censure et liberté..., op. cit., pp. 10-11 et 15: voir aussi Bianchi, L., « 1277: A Turning Point in Medieval Philosophy?», in Aertsen, J. A. et Speer, A. (éds), Was ist Philosophie im Mittelalter? Akten des X. Internationalen Kongress für mittelalterliche Philosophie der Société internationale pour l’étude de la philosophie médiévale 25. bis 30. August 1997 in Erfurt, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1998, pp. 90110 Google Scholar. Il faudrait nuancer et préciser certaines affirmations de A. Boureau concernant les changements occasionnés par la censure. A son avis, «un effet paradoxal» des mesures de 1270, 1272 et 1277 « fut d’importer en théologie des discussions philosophiques et logiques » (« La censure... », art. cit., p. 323; cf. aussi Théologie..., op. cit., p. 338). A dire vrai, par suite de la condamnation de 1277, il s’est produit justement le contraire, à savoir l’utilisation en philosophie naturelle d’idées, d’instruments conceptuels et d’autorités théologiques. L’« importation » en théologie des débats et de la terminologie philosophique commence bien avant et a d’autres causes intellectuelles (l’influence de l’aristotélisme, le développement d’une attitude « analytique », etc.) et institutionnelles (le fait que la plupart des étudiants de théologie étaient en même temps enseignants de philosophie).

44 - Cf. L. Bianchi, Censure et liberté..., op. cit., pp. 9-18, 62-67.