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Un discours de la méthode pour une histoire environnementale du haut Moyen Âge

Published online by Cambridge University Press:  22 November 2022

Magali Watteaux*
Affiliation:
Université Rennes 2, UR Tempora et UMR [email protected]

Résumé

Le dernier livre de Jean-Pierre Devroey, La Nature et le roi. Environnement, pouvoir et société à l’âge de Charlemagne (740-820), paru en 2019, offre une véritable leçon de méthode historique en même temps qu’il incarne les premiers développements de l’histoire environnementale dans le champ de la médiévistique. Bien que l’auteur assume l’inscription de sa recherche dans le contexte actuel des débats et des inquiétudes sur le réchauffement climatique, sa force est de plaider pour une histoire environnementale dégagée de tout déterminisme naturel. La présente contribution propose de revenir sur ce qui caractérise la méthode de J.-P. Devroey, en particulier s’agissant de l’articulation entre événements climatiques ou biologiques et crises frumentaires. Enfin, des convergences peuvent être discernées avec de récents travaux en histoire du droit, en archéogéographie et en géoarchéologie, qui dessinent les contours des synthèses plus vastes restant à écrire.

Abstract

Abstract

Jean-Pierre Devroey’s 2019 volume La Nature et le roi. Environnement, pouvoir et société à l’âge de Charlemagne (740-820), offers a real lesson in historical method while also embodying the first developments of environmental history in the field of medieval studies. Although the author acknowledges that his research is rooted in current debates and concerns about global warming, the real strength of his work is its plea for an environmental history free from all natural determinism. This article takes a closer look at what characterizes Devroey’s methodology, in particular with regard to connections between climatic or biological events and crop crises. It also points to convergences with recent works in the history of law, archaeogeography, and geoarchaeology, which are beginning to sketch the outlines of broader syntheses yet to be written.

Type
Historiographie
Copyright
© Éditions de l’EHESS

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References

1 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 263 : « La minutie passe souvent pour une qualité et un travers de l’historien médiéviste. Je dois prendre le risque de mériter l’un ou l’autre de ces jugements. »

2 Ibid., chap. 6 à 11.

3 Sur la base d’un corpus de 51 sources historiographiques franques de 740 à 820, mentionnant près de 400 événements naturels.

4 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., chap. 9 à 11, ici p. 260 et 263.

5 Ibid., chap. 12 et 13.

6 Pour une approche complémentaire, voir G. Bührer-Thierry, « La Nature et le corps du roi », art. cit.

7 Ibid., p. 449.

8 Ibid., p. 43-44.

9 Ibid., p. 17 : « Le déterminisme naturel heurte profondément mes convictions d’historien. »

10 Ibid., p. 449.

11 On notera que Jean-Pierre Devroey utilise de manière synonymique, donc interchangeable, les termes d’environnement et de nature, qui ont pourtant une histoire différente. Le premier n’acquiert son sens actuel que vers 1950 (représentation critique de l’évolution des milieux naturels dans les sociétés industrielles), mais finit très vite par désigner la « nature » elle-même. C’est ainsi que les paléo-environnementalistes étudient sous le nom d’« environnement » les éléments que l’on aurait, en d’autres temps, appelés « nature » ou « milieu naturel » (sédiments, plantes et animaux). Fort de son usage galopant, le terme a également fini par remplacer la notion de « milieu » utilisée depuis le xixe siècle par les géographes. J.-P. Devroey retient cependant le mot « nature » dans le titre général du livre, probablement au regard de sa dette vis-à-vis de Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

12 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 27.

13 Ibid., p. 17.

14 Gérard Chouquer et Magali Watteaux, L’archéologie des disciplines géohistoriques, Paris, Éd. Errance, 2013.

15 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 32.

16 Ibid., p. 432.

17 Ibid., p. 52.

18 Ibid., p. 121.

19 Ibid., p. 82.

20 Ibid. (nous soulignons). J.-P. Devroey parle plus loin d’une « approche qualitative fouillée des crises médiévales » (p. 115).

21 Ibid., p. 13.

22 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, op. cit. ; Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, éd. par M. Senellart, Paris, Gallimard, 2004.

23 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 236.

24 G. Bührer-Thierry, « La Nature et le corps du roi », art. cit.

25 Ibid., p. 128.

26 Ibid., p. 13.

27 Ibid., p. 401-426.

28 Ibid., p. 137.

29 Ibid., p. 120.

30 Ibid., p. 431 (l’auteur souligne).

31 Ibid., p. 57. Voir aussi, dans le présent numéro, Adam Izdebski et al., « L’émergence d’une histoire environnementale interdisciplinaire. Une approche conjointe de l’Holocène tardif », Annales HSS, 77-1, 2022, p. 11-58.

32 Ibid., p. 261.

33 Ibid., p. 127.

34 Ibid., p. 101.

35 Ibid., p. 335 : « S’imaginer que tout événement de grande intensité a fait l’objet d’au moins une trace écrite relève d’une foi inconsidérée dans le positivisme historique ! »

36 Ibid., p. 130.

37 Ibid., p. 344.

38 Ibid., p. 437.

39 Voir, entre autres, Isabelle Catteddu, Archéologie médiévale en France. Le premier Moyen Âge, ve- xie siècle, Paris, La Découverte, 2009.

40 Ibid., p. 361.

41 Ibid., p. 451.

42 Ibid., p. 357.

43 Ibid., p. 50.

44 J.-P. Devroey nuance toutefois en reconnaissant que « là où l’emprise seigneuriale était forte, ces essaimages partis des vieux terroirs ont pu être encadrés ou planifiés par les aristocraties foncières religieuses et séculières » (ibid., p. 357).

45 Ibid., p. 357-360.

46 Ibid., p. 427.

47 Josiane Barbier, Palatium, fiscus, saltus. Recherches sur le fisc entre Loire et Meuse du vie au xe siècle, thèse de doctorat, Paris 4, 2 t., 1994.

48 Gérard Chouquer, Dominer et tenir la terre durant le haut Moyen Âge, Tours, PUFR, 2020.

49 Sur les arguments archéologiques, voir Gianluca Bottazzi et Donato Labate, « La centuriazione nella pianura modense e carpigiana », in P. Bonacini et A. M. Ori (dir.), Storia di Carpi, vol. 1, La città e il territorio dalle origini all’affermazione dei Pio, Modène, Fondazione Cassa di Risparmio di Carpi, 2008, p. 177-206. Sur les arguments morphologiques, voir Gérard Chouquer, Les parcellaires médiévaux en Émilie et en Romagne. Centuriations et trames coaxiales. Morphologie et droit agraire, Paris, Publi-Topex, [2015] 2020 (livre électronique).

50 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 186.

51 Gérard Chouquer, « Les formes de la colonisation agraire médiévale. Apport du droit et de la géographie », Edad Media. Revista de Historia, 20, 2019, p. 47-82.

52 Jean-François Berger et Cécile Jung, « Fonction, évolution et ‛taphonomie’ des parcellaires en moyenne vallée du Rhône. Un exemple d’approche intégrée en archéomorphologie et en géoarchéologie », in G. Chouquer (dir.), Les formes du paysage, t. 2, Paris, Éd. Errance, 1996, p. 95-112.

53 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 448.

54 J.-P. Devroey pressent bien l’intérêt de ce type d’études puisqu'il appelle de ses vœux des enquêtes de terrain conjuguant archéologie, histoire et étude des cadastres anciens (ibid., p. 448). Il se prête même, en guise « d’excursion finale », au jeu d’une « micro-histoire environnementale à l’échelle des écosystèmes villageois », en l’espèce à Courtisols, dans la Marne, où il projette sur les plans cadastraux napoléoniens des informations tirées des textes de la seigneurie de Saint-Remi-de-Reims au milieu du ixe siècle (ibid., p. 443-448). Il ne reconnaît cependant pas sur ces plans les formes très régulières partant des deux villages-rues et qui se rapportent à des opérations de colonisation agraire des xiie-xiiie siècles. La place manque pour décrire les multiples différences entre sa démarche et l’analyse morphologique récente de l’archéogéographe Gérard Chouquer : Gérard Chouquer, « Les parcellaires de lotissement médiévaux en Champagne », publication électronique sur le carnet MaNoMa (« Manuel numérique ouvert de morphologie agraire »), Hypothèses, https://manoma.hypotheses.org/.

55 G. Chouquer, Dominer et tenir la terre…, op. cit.

56 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 360.

57 Ibid., p. 365.

58 Ibid., chap. 12 et 13.

59 Pour une introduction à l’archéogéographie à destination des médiévistes, voir Hélène Noizet, « De l’usage de l’archéogéographie », Médiévales, 66, 2014, p. 179-197.

60 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 427.

61 Guillaume Blanc, « L’histoire environnementale : nouveaux problèmes, nouveaux objets et nouvelles façons de faire de l’histoire », in G. Blanc, É. Demeulenaere et W. Feuerhahn (dir.), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 76-96.

62 Joëlle Burnouf et Gérard Chouquer, « L’archéologie et l’archéogéographie : pour comprendre l’espace et ses héritages », in J.-P. Demoule et B. Stiegler (dir.), L’avenir du passé. Modernité de l’archéologie, Paris, La Découverte, 2008, p. 93-104.

63 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 431.

64 Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, trad. par L. Bernardi, Paris, Flammarion, [1986] 2001.