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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Karine Le Bail et Julien Randon-Furling

L’épuration professionnelle du monde du spectacle à la Libération Histoire et sciences mathématiques

Rédigé par une historienne et un spécialiste de modélisation mathématique, cet article explore les enjeux épistémologiques de la collaboration interdisciplinaire à travers une étude de cas : l’épuration professionnelle du monde du spectacle à la Libération. Dans tout processus de justice, la question de l’équité, ou celle, équivalente, d’éventuelles discriminations, est difficile à instruire. A fortiori pour une épuration à caractère disciplinaire, où des artistes ont jugé leurs pairs. L’article montre que le formalisme mathématique, loin de se substituer à l’expertise historique, prolonge celle-ci par les moyens d’un autre langage, abstrait, enrichissant ainsi les modes d’accès au réel en faisant converger plusieurs dispositifs d’enquête. Progressant pas à pas dans la modélisation du problème et dans l’analyse des données, les deux chercheurs prennent soin d’expliciter les approches statistiques et mathématiques de plus en plus complexes qu’ils doivent mobiliser pour détecter des formes jurisprudentielles impossibles à capturer avec des outils classiques – jusqu’à l’idée originale de traiter un processus impliquant des décisions humaines comme un processus algorithmique complexe. Grâce au détournement d’une méthode d’inférence causale conçue pour étudier l’équité de certains processus algorithmiques de type « boîte noire », des résultats inédits, restés jusqu’alors totalement « cachés » dans les données, sont révélés et viennent, en retour, guider l’analyse historique.

The Purge of France’s Performing Arts after the Second World War: History and Mathematical Sciences

Written by a historian and a mathematical scientist, this article explores the epistemological stakes of interdisciplinary collaboration by focusing on a specific case study: the purge of performing artists after the liberation of France. While the artists most compromised during the occupation were brought before purge tribunals, less serious cases were referred to specialized commissions comprised of their peers. In any legal proceeding, it can be hard to reach a verdict when it comes to questions of fairness or potential discrimination, and this was especially true for these purge commissions. The authors show how mathematical formalism, while obviously not replacing historical inquiry, can extend its reach, offering multiple ways to apprehend an elusive reality thanks to the versatility of an abstract language. Progressing step by step through the modelling of the question and the analysis of the data, they explain the increasingly complex statistical and mathematical approaches mobilized to observe forms of jurisprudence that escape more traditional analysis—arriving at the innovative proposal to treat a trial involving human decisions as a complex algorithmic process. Adapting a causal inference approach designed to evaluate the fairness of “black box” type algorithmic processes brings to light unprecedented results, hitherto hidden in the data. These findings, in turn, lead to new insights for the historian.

Paul Pasquali

Quand Bourdieu découvrait Panofsky La fabrique éditoriale d’Architecture gothique et pensée scolastique (Paris-Princeton, 1966-1967)

Fondé sur des archives inédites et la relecture de divers textes publiés, cet article retrace la fabrique éditoriale d’ Architecture gothique et pensée scolastique , célèbre ouvrage d’Erwin Panofsky paru en français en 1967 aux éditions de Minuit, dans la collection de Pierre Bourdieu, qui l’a traduit, édité et postfacé. En examinant les conditions de possibilité de cette rencontre transatlantique et transdisciplinaire a priori improbable, survenue en 1966-1967, entre un jeune sociologue alors en début de carrière, établi à Paris, et un vieil historien mondialement connu résidant à Princeton, il vise à historiciser cette œuvre classique et à la relire de façon réflexive. Au carrefour de la sociologie historique des sciences sociales, de l’histoire de l’édition et de l’histoire des circulations intellectuelles transnationales, il invite plus largement à dénaturaliser nos pratiques de lecture en prenant pour objet nos héritages scientifiques. Pour ce faire, sont analysés successivement la formation du jeune Bourdieu et les premières réceptions de Panofsky en France dans les années 1950-1960, le contexte intellectuel et éditorial de cette importation dont les multiples enjeux sont explicités, les modalités concrètes de l’édition et de la traduction du livre, puis la genèse de la postface, où le concept bourdieusien d’habitus a été systématisé pour la première fois, au prix de malentendus que les archives permettent de documenter et de dissiper.

When Bourdieu Discovered Panofsky: The Editorial Making of Architecture gothique et pensée scolastique (Paris-Princeton, 1966-1967)

Based on unpublished archival material and a new reading of various published texts, this article traces the editorial process behind Erwin Panofsky’s famous A rchitecture gothique et pensée scolastique . Published in French in 1967 by Éditions de Minuit, the volume appeared in the collection directed by Pierre Bourdieu, who translated, edited, and postfaced it. By examining the conditions of possibility of this seemingly improbable transatlantic and transdisciplinary encounter, in 1966–1967, between a young Paris-based sociologist at the beginning of his career and an elderly, world-famous historian residing in Princeton, the article seeks to historicize this classic work and to read it in a new, reflexive way. At the intersection of the historical sociology of the social sciences, the history of publishing, and the history of transnational intellectual circulations, it invites us to denaturalize our reading practices by taking our scholarly heritage as an object. The article analyzes in turn the young Bourdieu’s training and the first receptions of Panofsky in France in the 1950s and 1960s, the intellectual and editorial context of this importation and its multiple implications, and the concrete modalities of the book’s translation and publication. The final section focuses on the genesis of the afterword, in which the Bourdieusian concept of habitus was systematized for the first time-though not without certain misunderstandings (it was wrongly attributed by Bourdieu to Panofsky) that the archives make it possible to document and dispel.

Guillaume Calafat

Enfermement et graffiti Des palimpsestes de prison aux archives murales (note critique)

Entrepris au début des années 2000, les travaux de restauration du bâtiment qui abritait les prisons de l’Inquisition de Palerme à l’époque moderne ont permis la redécouverte et l’étude historienne d’une impressionnante série de graffiti. Avec son livre, Del Santo Uffizio in Sicilia e delle sue carceri , Giovanna Fiume propose une riche synthèse de travaux individuels et collectifs qu’elle a consacrés à ces archives murales du tribunal palermitain. En faisant dialoguer l’histoire des procédures et l’histoire matérielle de la réclusion, elle parvient à identifier les auteurs possibles des inscriptions et des dessins exposés sur les parois des cellules. Elle met ainsi en lumière des trajectoires de prisonniers et des expériences de l’enfermement que les actes judiciaires taisent souvent. Ces graffiti offrent en effet une nouvelle strate documentaire pour mieux comprendre le système judiciaire, pénal et carcéral de l’Inquisition. Plus largement, cet ouvrage s’inscrit dans le sillage d’une efflorescence de recherches récentes, à la confluence des études littéraires, de l’anthropologie et de l’histoire de l’art, dédiées aux prisons et aux graffiti, qui s’intéressent tout à la fois à la dimension patrimoniale et scientifique, esthétique et ethnographique de ces empreintes graphiques. Cette note critique en propose une lecture et un état des lieux, comme autant de pistes méthodologiques et historiographiques pour documenter la vie sociale et intellectuelle à l’intérieur des prisons.

Incarceration and Graffiti: From Prison Palimpsests to Mural Archives (Review Article)

In the early 2000s, restoration work on the building that housed Palermo’s Inquisition prisons during the early modern period revealed an impressive series of graffiti and prompted their historical study. In Del Santo Uffizio in Sicilia e delle sue carceri , Giovanna Fiume offers a rich synthesis of the individual and collaborative work she has devoted to these “mural archives” of the Palermo court. Bringing together the procedural and material history of incarceration, she succeeds in identifying the possible authors of the inscriptions and drawings that line the cell walls. In so doing, she sheds light on the trajectories of prisoners and their experiences of imprisonment, often passed over in silence by legal sources. These graffiti thus offer a new layer of documentation that broadens our understanding of the Inquisition’s judicial, penal, and carceral systems. More broadly, Fiume’s work is part of a flourishing strand of recent research dedicated to prisons and graffiti, at the confluence of literary studies, anthropology, and art history, which is interested in both the patrimonial and scholarly dimensions of these graphic marks and their aesthetic and ethnographic aspects. In offering a brief overview of the field, this review article aims to suggest some methodological and historiographical avenues for documenting social and intellectual life inside prisons.

Thomas Glesener et Daniel Hershenzon

« Dans les rues, on ne voit que des musulmans ! » Esclavage délié et appartenance urbaine en Méditerranée espagnole aux xvii e et xviii e  siècles

En 1717, une plainte anonyme adressée au roi d’Espagne s’alarmait du nombre excessif de musulmans vivant à Carthagène (Murcie). Cette supplique déclencha une enquête du Conseil de Castille destinée à recenser les musulmans et à clarifier leur statut. Outre les esclaves des galères royales, l’enquête pointa tout particulièrement les libertinos , une catégorie méconnue d’esclaves privés résidant et travaillant librement dans la ville tout en étant lourdement endettés vis-à-vis de leurs maîtres en raison des sommes dues pour leur propre rachat. Cet article reconstitue la condition de ces esclaves déliés de leurs maisonnées et met au jour les tensions qu’elle suscita entre des normativités concurrentes. D’une part, le droit des esclaves à travailler pour financer leur affranchissement, tout comme celui des maîtres à vivre des rentes placées sur ces personnes étaient profondément ancrés dans les coutumes locales. D’autre part, en raison de l’augmentation de l’insécurité le long des côtes, les autorités locales et la couronne oeuvrèrent à restreindre cet enchevêtrement de droits en obligeant les maîtres à garder leurs esclaves chez eux. Ce conflit entre des régimes d’esclavage différents, l’un inscrit dans les droits locaux, l’autre adossé à la juridiction royale, eut pour enjeu l’accès des esclaves au marché du travail, à la libre résidence ou encore aux protections dispensées par le droit des contrats. En faisant de l’enquête elle-même le noeud problématique de la recherche, cet article interroge le sens d’une procédure qui, en recensant les esclaves, procédait moins à un dénombrement démographique, qu’à une redistribution des droits de cité entre des habitants musulmans.

“In the Streets, You See Nothing but Muslims!”: Unbound Slavery and Urban Belonging in the Spanish Mediterranean (Seventeenth and Eighteenth Centuries)

In 1717, an anonymous petition to the King of Spain expressed concern about the excessive number of Muslims living in Cartagena (Murcia). This complaint prompted the Council of Castile to launch a survey of the Muslim population with the aim of clarifying their status. In addition to galley slaves, the inquiry focused in particular on libertinos , a little-known category of slaves who lived and worked freely in the city but were heavily indebted to their masters because of the sums owed for their ransom. This article reconstructs the condition of these unbound slaves, who lived apart from their masters’ households, and the tensions this provoked between competing systems of norms. On the one hand, the right of slaves to work to finance their own redemption, and that of their masters to live off the rents imposed on them, were deeply rooted in local custom. On the other, rising insecurity along the coast prompted local authorities and the Crown to restrict these overlapping rights by forcing masters to keep their slaves at home. At stake in this conflict between different slavery regimes, the one based on local law and the other on royal jurisdiction, were slaves’ access to the labor market and their right to free residency and the protections afforded by contract law. Finally, by placing the inquiry itself at the heart of the study, the article investigates the meaning of a procedure that was less a demographic enumeration of slaves than a redistribution of rights to the city among its Muslim inhabitants.