Hostname: page-component-586b7cd67f-rdxmf Total loading time: 0 Render date: 2024-11-23T16:14:46.000Z Has data issue: false hasContentIssue false

Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  10 October 2019

Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Résumés / Abstracts
Copyright
© Éditions de l'EHESS 

Michaël Gasperoni

Les ghettos juifs d’Italie à travers le jus chazakah

Un espace contraint mais négocié

La ségrégation des juifs dans des ghettos, qui s’imposa comme une véritable technique de gouvernement dans certains États de la péninsule italienne à partir du xvie siècle, avait, pour les acteurs juifs et chrétiens, de nombreuses implications souvent imbriquées : politiques et idéologiques, économiques et sociales, spatiales, institutionnelles et juridiques. Discriminés et assignés à résidence dans des quartiers séparés et circonscrits, les juifs étaient notamment condamnés à devenir d’éternels locataires de leurs habitations. En effet, la ghettoïsation allait presque partout de pair avec un certain nombre de discriminations, comme l’interdiction de posséder les immeubles. De cette situation particulière émergea un droit particulier, le jus chazakah. Cette forme de propriété dissociée, que cet article se propose d’appréhender à travers une approche comparative où Rome et les États de l’Église occupent une place centrale, constitue un véritable laboratoire pour étudier aussi bien l’histoire d’une minorité que son rapport au groupe majoritaire et, plus largement, la complexité même des sociétés d’Ancien Régime. Le ghetto était un espace certes contraint et contraignant, mais toujours négocié par des minorités juives capables de mobiliser les différentes ressources économiques et juridiques à leur disposition pour négocier leurs droits, et ce même dans un contexte de plus en plus hostile.

Jewish Ghettos in Italy and the Jus Chazakah: A Constrained but Negotiated Space

The segregation of Jews in ghettos, which became a veritable technique of government in some states of the Italian Peninsula from the sixteenth century onward, had various implications for both Jewish and Christian actors. These implications were often intertwined, and could be political and ideological, economic and social, spatial, institutional, and legal. Effectively placed under house arrest in separate and confined quarters, Jews were condemned to become eternal tenants of their rented homes. Indeed, ghettoization was generally associated with other discriminations, such as the ban on owning buildings. From this particular situation emerged a specific kind of legal right, the jus chazakah. This article proposes to explore this dissociated form of ownership through a comparative approach in which Rome and the State of the Church occupy a central place, showing that it provides a veritable laboratory for studying both the history of a minority and its relationship to the majority group and, more broadly, the complexity of early modern societies. The ghetto was certainly a constrained and constraining space, but it was always negotiated by Jewish minorities capable of mobilizing the economic and legal resources at their disposal to negotiate their rights, even in an increasingly hostile context.

Angela Groppi

Les deux corps des juifs

Droits et pratiques de citoyenneté des habitants du ghetto de Rome, xvie-xviiie siècle

Après les interdictions et les limitations introduites au moment de l’institution du ghetto en 1555, les juifs de Rome engagèrent une bataille séculaire pour sauvegarder leur capacité d’agir professionnelle et commerciale. De cette bataille dépendirent non seulement les modes de leur appartenance à la sphère économique, mais aussi la négociation et la défense de leur statut de citoyens. S’il fut plus difficile pour les habitants du ghetto de résister à la pression conversionniste de l’Église ainsi qu’aux confiscations et aux destructions répétées de leurs livres, ils parvinrent plus aisément à obtenir gain de cause sur le plan des revendications économiques, notamment en s’appuyant sur le ius commune. Les archives des tribunaux, y compris ceux du Saint-Office et de la Rote, conservent les traces des nombreux contentieux les opposant aux marchands et aux artisans chrétiens. Celles-ci montrent que les juifs romains réussirent à exercer, au cours de la longue histoire du ghetto, leurs multiples activités, non seulement grâce à des pratiques transgressives, ou à une tolérance pragmatique dictée par l’utilité de leurs métiers et de leurs trafics, mais aussi et surtout à travers l’infatigable défense des normes juridiques autorisant leur agir économique. En faisant preuve d’une extraordinaire résilience, ils réussirent à vivre pendant des siècles en tant que juifs dans une société à majorité chrétienne et à tenir tête, souvent avec succès, à des concurrents économiques qui, brandissant l’étendard de leur « chrétienté », prétendaient qu’il ne fallait pas considérer cette minorité comme « des hommes d’un même peuple et comme des citoyens ».

The Jews’ Two Bodies: Citizenship Rights and Practices in the Roman Ghetto, from the Sixteenth to the Eighteenth Century

After the prohibitions and the restrictions introduced at the ghetto’s foundation in 1555, the Jews of Rome began a long battle to preserve their professional and commercial agency. On this battle depended not only the modalities of their membership in the economic sphere, but also the negotiation and defense of their status as citizens. If it was difficult for the inhabitants of the ghetto to resist the pressure of the Church to convert and the repeated confiscation and destruction of their books, they were more successful when it came to their economic demands, especially when these were based in ius commune. Court archives, including those of the Inquisition and the Rota, preserve the traces of numerous legal suits opposing Jews and Christian merchants or artisans. These show that throughout the long history of the ghetto, Roman Jews managed to carry out many professional activities—not simply thanks to transgressive practices or a pragmatic tolerance dictated by the usefulness of their skills and trades, but also and above all through the unceasing defense of the legal norms that authorized their economic activity. By demonstrating an extraordinary resilience, over several centuries they managed to live as Jews within a society that was predominantly Christian. They also managed to stand up, often successfully, to economic competitors who brandished their “Christianity,” and who asserted that this minority should not be considered as “members of the same people or as citizens.”

Gabriel Galvez-Behar

Louis Pasteur ou l’entreprise scientifique au temps du capitalisme industriel

Une économie politique critique de la science s’est récemment développée pour analyser le tournant néo-libéral qui la caractérise. Ce courant tend pourtant à négliger la longue durée de l’histoire économique des sciences qui permet de comprendre les évolutions récentes. Cet article montre, à travers l’étude de l’entreprise scientifique de Louis Pasteur, comment la question du partage de la valeur du travail scientifique se pose dès l’essor du capitalisme industriel au xixe siècle. Il étudie la manière dont Pasteur défend sa propriété scientifique, manifestant une forme de revendication sur le contrôle de ses découvertes. L’étude du lien entre le développement de la science industrielle et le capitalisme permet d’abord de comprendre la logique d’action au cœur de l’entreprise scientifique pasteurienne qui s’affirme dès le début de sa carrière, aux prises avec le capitalisme nordiste. Cette logique se renforce ensuite dans les années 1860, alors que la distinction entre science et industrie est formalisée sur le plan juridique. Elle est un moyen, pour Pasteur, de faire valoir sa propriété scientifique et ses droits, autant économiques que scientifiques, sur les fruits de son travail. Est enfin examinée la façon dont ces derniers sont réinvestis, soit pour créer une société commerciale, soit pour fonder l’Institut éponyme. L’entreprise pasteurienne apparaît ainsi comme un processus d’accumulation qui se nourrit de cette ambivalence créatrice.

Louis Pasteur and Scientific Entrepreneurship at the Time of Industrial Capitalism

A critical political economy of science has recently developed to analyze the neoliberal turn and its impact on scientific disciplines. However, it tends to neglect the long-term economic history of science, which can shed a crucial light on recent developments. Through the study of Louis Pasteur’s scientific business, this article shows how the question of the economic rewards of scientific work was posed from the rise of industrial capitalism in the nineteenth century. It analyzes the way in which Pasteur defended his scientific property, a means of claiming control over his discoveries. Studying the relationship between the development of industrial science and capitalism highlights the logic of action at the heart of Pasteur’s scientific enterprise, which took shape during his early career in capitalist northern France. This logic was reinforced in the 1860s, when the distinction between science and industry was formalized at the legal level. It gave Pasteur a means of defending his scientific property and his rights, both economic and intellectual, over the results of his work. The final section of the article examines how Pasteur reinvested these profits, whether to create a commercial company or to create the Institute that bears his name. His entrepreneurial initiatives thus emerge as a process of accumulation that thrived on this creative ambivalence.

Pekka Hämäläinen

Les coureurs de bois et le destin de l’empire français (note critique)

Cette note critique de l’Histoire des coureurs de bois : Amérique du Nord, 1600-1840 de Gilles Havard analyse l’ouvrage comme l’exemple d’un type de recherche nouveau embrassant un sujet extrêmement vaste pour en éplucher patiemment les différentes couches, le soumettre à une analyse microhistorique minutieuse et en offrir une vue d’ensemble complète qui le replace dans un contexte historique le plus large possible. Ce faisant, l’auteur parvient à fournir une vue de grande envergure sur les coureurs de bois en tant qu’acteurs historiques importants ayant parfois travaillé pour les ambitions impériales de la France en Amérique du Nord, parfois contre, parfois uniquement pour leur avantage propre. En s’écartant du cadre théorique qui domine l’historiographie nord-américaine aujourd’hui, Havard développe plusieurs thèmes importants qui traversent habilement l’histoire impériale, coloniale, économique, sociale, culturelle, environnementale et du genre, sans négliger les récits sur l’État, sur la technique et sur la mémoire. Histoire des coureurs de bois montre comment concilier, en pratique, la créativité conceptuelle avec une analyse détaillée et complète, sans compromettre aucune des deux.

Coureurs de Bois and the Fate of the French Empire (Review Article)

This review of Gilles Havard’s Histoire des coureurs de bois: Amérique du Nord, 1600-1840 presents the book as an example of a new kind of scholarship that takes on a massive topic, patiently peels it open layer by layer, exposes it to penetrating microhistorical analysis, and finally offers a comprehensive picture that places it in the broadest possible historical context. By doing so, Havard manages to provide a wide-ranging view of these independent fur traders as important historical actors who sometimes worked to advance France’s imperial ambitions in North America, sometimes worked against them, and sometimes worked exclusively for their own benefit. Eschewing the thesis-driven framework that currently dominates North American historiography, Havard is able to develop multiple important themes, moving nimbly from imperial, colonial, economic, social, cultural, gender, and environmental histories to histories of the state, technology, and memory. Histoire des coureurs de bois shows in practice how conceptual creativity can be balanced with detailed and comprehensive analysis, without compromising either.

Pierre-Michel Menger

Richard Wagner et la portée de son antisémitisme (note critique)

Dans l’immense bibliothèque des travaux sur Richard Wagner, les recherches consacrées à la judéophobie et à l’antisémitisme du compositeur ont progressé en plusieurs vagues, à partir de la fin des années 1960. Les controverses ont été et demeurent vives pour qualifier l’idéologie wagnérienne, pour cerner ses liens avec son œuvre musicale et pour tirer les leçons de l’amplification nationaliste et antisémite du culte wagnérien par le régime nazi. L’ouvrage du musicologue Jean-Jacques Nattiez, Wagner antisémite, offre un vaste bilan et comble une lacune majeure de la bibliographie des écrits wagnériens de langue française. Après avoir rappelé comment a émergé le traitement historiographique et musicologique de l’antisémitisme wagnérien, dont cet ouvrage fait un inventaire critique, sont examinés dans cet article quatre problèmes centraux auxquels conduit la lecture de Nattiez : les ressorts de la contextualisation de l’idéologie wagnérienne dans l’Allemagne et l’Europe du xixe siècle ; les services rendus à l’hubris créatrice de Wagner par son engagement antisémite et nationaliste ; le rôle joué par les descendants dépositaires du patrimoine artistique et institutionnel de Wagner dans la propulsion de l’antisémitisme jusque sous l’ère nazie, puis, après 1945, dans l’inversion progressive et, aujourd’hui, radicalement critique des positions ; la porosité entre les écrits antisémites de Wagner et sa production lyrique, qui appelle une réinterprétation de la question de l’autonomie de l’art.

Richard Wagner and the Impact of his Anti-Semitism (Review Article)

In the vast library of works on Richard Wagner, research focusing on the composer’s Judeophobia or anti-Semitism has evolved in several stages since the late 1960s. Efforts to define Wagner’s ideology, to trace its connections with his music, and to draw lessons from the nationalist and anti-Semitic exploitation of the composer’s cult by the Nazi regime have sparked—and continue to spark—controversy. In his book Wagner antisémite, the musicologist Jean-Jacques Nattiez presents a wide-ranging overview that fills an important gap in French-language scolarship on Wagner. This article begins by revisiting the emergence of the historiographical and musicological treatment of Wagner’s anti-Semitism, inventoried by Nattiez. It goes on to examine four central questions raised by a reading of this volume: the contextualization of Wagnerian ideology in nineteenth-century Germany and Europe; the contribution of Wagner’s anti-Semitic and nationalistic engagement to his creative hubris; the role of his descendants, custodians of his artistic and institutional heritage, in the promotion of anti-Semitism before and during the Nazi era, and after 1945 in the progressive and now radical reversal of these positions; and finally, the interpenetration of Wagner’s anti-Semitic writings and the musical substance of his works, which prompts us to revisit the question of the autonomy of art.