Hostname: page-component-f554764f5-qhdkw Total loading time: 0 Render date: 2025-04-09T11:14:48.360Z Has data issue: false hasContentIssue false

Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  02 April 2025

Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Résumés / Abstracts
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Adrian Muckle et Benoît Trépied

Sous le radar colonial ?: Histoire et mémoire d’un foyer multiracial « invisible » en Nouvelle-Calédonie

Les recherches sur les intimités interraciales en contexte colonial s’intéressent généralement à des cas de litiges administratifs ou de conflits judiciaires qui ont attiré l’attention des autorités coloniales vis-à-vis de certains « couples mixtes », « familles multiraciales » et autres individus « métis ». Mais qu’en est-il de la vie et de l’expérience de celles et ceux qui n’ont pas contesté leur statut légal et sont restés sous le « radar administratif », demeurant ainsi virtuellement invisibles dans les archives de l’État colonial ? Cet article aborde ces questions dans le cadre de la colonie française de Nouvelle-Calédonie, en analysant la trajectoire d’un foyer familial établi à l’abri des regards officiels, composé d’un colon français, d’une femme autochtone kanak et de leurs descendants. L’objectif est ici de comprendre ce que ce phénomène de relative invisibilité sociale révèle de la portée et des limites de la domination coloniale « au ras du sol ». Croisant enquête ethnographique de terrain et recherche en archives, l’article retrace les conditions dans lesquelles cette configuration familiale a pu émerger puis se maintenir pendant plus de cinquante ans. Elle a finalement disparu après la mort du colon français, lorsque chacun des deux groupes familiaux élargis – du côté européen et du côté kanak – a œuvré, à des degrés divers, à l’effacement de ce passé gênant au sein de leurs mondes sociaux respectifs.

Under the Colonial Radar? The History and Memory of an “Invisible” Mixed-Race Household in New Caledonia

An expanding scholarship on interracial intimacy in colonial contexts has generally focused on cases of administrative disputes or judicial conflicts that brought “mixed couples,” “mixed-race families,” or “métis” to the attention of colonial authorities. But what of the lives and experiences of those who did not contest their legal status, remaining under the administrative radar and thus virtually invisible in the archives of the colonial state? This article tackles these issues in the context of the French colony of New Caledonia by analyzing the trajectory of a family household established out of official sight, made up of a French settler, a Kanak woman, and their descendants. The goal here is to understand what this phenomenon of relative social invisibility reveals about the scope and limits of colonial domination “at ground level.” Combining ethnographic fieldwork and archival research, the article traces the conditions under which this family configuration was able to emerge and then endure for over fifty years. It finally disappeared after the death of the French settler, when each of the wider family groups—European and Kanak—to varying degrees sought to efface this awkward past within their respective social worlds.

Lauren Benton et Adam Clulow

L’art de ne pas posséder une île: Pitcairn et les circuits juridiques de l’Empire britannique dans le monde pacifique

Les historiens ont fait preuve d’une étonnante indifférence à l’égard des dimensions juridiques de l’« empire informel ». Cet article montre que les pratiques juridiques ont en réalité créé et soutenu une indétermination de souveraineté. Nous nous intéressons à Pitcairn, une petite île isolée du Pacifique, peuplée en 1789 par une poignée de Britanniques et de Tahitiens après la mutinerie du Bounty. Administrateurs britanniques, professionnels du droit, voyageurs et historiens ont avancé un enchevêtrement de revendications, chacune liée à une chronologie particulière, sur la manière dont Pitcairn est devenue britannique. Une des thèses qui ressort de ces controverses est qu’un capitaine de la marine britannique aurait pris possession de l’île en 1838. Nous remettons en question cette version ainsi que d’autres récits prédominants en montrant comment les multiples reconfigurations des liens entre l’île et l’empire ont non seulement empêché la première d’être absorbée dans le second, mais également de devenir une entité indépendante. Les visites intermittentes des officiers de la marine britannique ont progressivement constitué un système juridique improvisé, tandis que des factions rivales parmi les habitants de l’île ont orienté les agents impériaux dans le soutien de projets locaux, y compris des tentatives de prise de pouvoir sur l’île. Pendant un siècle et demi, ces processus ont maintenu Pitcairn au seuil de l’empire. La portée de cette histoire dépasse largement le cas de ce minuscule territoire. En nous appuyant sur une étude micro-historique de Pitcairn afin d’éclairer plus largement l’agencement des relations entre entités politiques, nous montrerons que cette souveraineté indécise a pour origine ce que nous proposons d’appeler les « circuits juridiques » de l’empire au xixe siècle.

How Not to Possess an Island: Pitcairn and the Legal Circuits of British Empire in the Pacific World

Historians have been remarkably incurious about the legal dimensions of “informal empire.” This article shows that legal practices in fact created and sustained sovereign indeterminacy. Our focus is Pitcairn, a small, remote island in the Pacific settled in 1789 by a handful of Britons and Tahitians after the mutiny on the Bounty. British officials, legal professionals, island sojourners, and historians have advanced a jumble of claims, each attached to a particular timeline, about how Pitcairn became British. One prominent view is that a single British navy captain took possession of the island in 1838. We challenge this and other prevailing accounts by showing how repeated reconfigurations of island-imperial connections kept Pitcairn from being either enfolded into the empire or established as an independent entity. Intermittent visits by British naval officers gradually constituted a make-shift legal system, while rival factions of islanders steered imperial agents to support local schemes, including bids for island rule. For a century and a half, these processes held Pitcairn on the threshold of the empire. The significance of the narrative recounted here extends far beyond one small island. This microhistory illustrates broad processes of interpolity ordering and locates the origins of sovereign indeterminacy in the “legal circuitry” of nineteenth-century empire.

Masha Cerovic

Pluraliser la modernité politique: Actualité de l’histoire transimpériale russo-ottomane (note critique)

Des monographies récentes témoignent du dynamisme de l’histoire transimpériale russo-ottomane contemporaine. L’étude des prisonniers de guerre, des réfugiés et des pèlerins permet notamment à trois jeunes historiens et historienne, Will Smiley, Vladimir Hamed-Troyansky et Lâle Can, d’offrir des perspectives neuves sur l’histoire d’institutions centrales de la modernité politique. Par l’exploitation de sources nouvelles, l’attention portée aux interactions entre acteurs étatiques et non étatiques, et aux pratiques ordinaires de gouvernement, comme par le décentrement des perspectives, ils tracent les contours d’un puissant renouvellement historiographique. Leur lecture croisée invite à interroger les dynamiques d’une co-construction d’ordres impériaux fondés sur des conceptions partagées de la souveraineté, de la sujétion et de la protection. Elle souligne l’imbrication systémique des projets de colonisation des deux empires, la centralité d’acteurs des marches impériales et la redéfinition complexe des affiliations et appartenances au cours de ces processus de modernisation souvent violents.

Pluralizing Political Modernity: Recent Transimperial Russian-Ottoman Historiography (Review Article)

A number of recent monographs testify to the dynamism of transimperial analyses of the Russian and Ottoman Empires in the late modern period. In particular, the study of prisoners of war, refugees, and pilgrims has enabled three young scholars, Will Smiley, Vladimir Hamed-Troyansky, and Lâle Can, to offer fresh perspectives on the history of institutions central to political modernity. By exploiting new sources, focusing on interactions between state and non-state actors, exploring ordinary practices of government, and decentering perspectives, these volumes contribute to shaping a powerful historiographical renewal. Reading them together, this article considers the dynamics of the co-construction of imperial orders based on shared conceptions of sovereignty, subjecthood, and protection. It underlines the systemic entanglement of the two empires’ colonization projects, the centrality of borderland actors, and the complex redefinition of affiliations and belonging that took place in the course of these often violent processes of modernization.

Corinne Bonnet, Julie Bernini, Thomas Galoppin, Sylvain Lebreton, Giuseppina Marano, Enrique Nieto Izquierdo et Alaya Palamidis

Des dieux qui comptent: Approches quantitatives des hiérarchies divines

Les religions antiques, en particulier polythéistes, constituent des systèmes particulièrement complexes, une pluralité de dieux renfermant chacun une pluralité d’aspects. La prise en compte des multiples noms de ces divinités offre un aperçu des modes de représentation et d’organisation des systèmes de dieux. C’est à l’étude de ces matériaux onomastiques que s’est attelé le projet « Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency » (MAP, 2017-2023), concentré sur les mondes grecs et ouest-sémitiques. Le principal résultat de ce projet est la base de données MAP qui répertorie les noms divins mentionnés dans plusieurs milliers de sources, en particulier épigraphiques. Devant une telle masse de données, comment articuler leur étude quantitative et qualitative ? Comment hiérarchiser les informations et les divinités ? L’objectif de cet article est donc double : d’un point de vue méthodologique, il s’agit de mettre en évidence l’utilité mais aussi les limites et les biais de la base de données MAP dès lors qu’on s’attache à comprendre la structuration des panthéons. D’un point de vue thématique, il s’agit d’analyser la manière dont les données recueillies donnent à voir, à diverses échelles, des réseaux au sein desquels les dieux se positionnent les uns par rapport aux autres et de possibles hiérarchies sous-jacentes. Quatre cas d’étude servent à explorer cette question : Artémis Ephesia à Éphèse ; Zeus Panamaros et Hécate à Stratonicée ; une comparaison entre la place d’Athéna et d’Asclépios dans leur sanctuaire respectif de Lindos et d’Épidaure ; et l’examen des titres soulignant le rang d’une divinité au Proche-Orient et en Égypte.

Gods That Count: Quantitative Approaches to Divine Hierarchies

Ancient religions, and polytheistic religions in particular, constitute complex systems in which a plurality of gods each contain a plurality of aspects. The analysis of the multiple names used for these deities offers insights into how such systems of gods are represented and organized. The study of this onomastic data was at the heart of the project “Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency” (MAP, 2017-2023), which focused on the Greek and West-Semitic worlds. Its main outcome is the MAP database, which records the divine names mentioned in several thousand sources, particularly epigraphic. Can such a vast amount of data be studied in ways that are at once quantitative and qualitative? How to establish a hierarchy of information and deities? The aim of this article is twofold. From a methodological point of view, it seeks to highlight the benefits, but also the limitations and biases, of the MAP database when it comes to understanding the structure of pantheons. From a thematic perspective, it analyses how the information gathered in the database reveals, at various scales, the relational networks in which the gods position themselves and points to possible underlying hierarchies. Four case studies are used to explore this question: Artemis Ephesia in Ephesos, Zeus Panamaros and Hekate in Stratonikeia, a comparison between the place of Athena and Asklepios in their respective sanctuaries in Lindos and Epidauros, and a study of the epithets that emphasize a deity’s rank in the Near East and Egypt.

Lucy Riall

Mobilités et espaces des révolutions

Le livre de Maurizio Isabella, Southern Europe in the Age of Revolutions, modifie notre compréhension des révolutions de 1820-1821. Cette date, selon lui, représente un moment de transformation dans une « ère des révolutions » de longue portée, qui laissa sa marque sur les pratiques politiques et sur les périphéries méridionales de l’Europe qui furent à l’initiative du mouvement révolutionnaire. Comme le remarque M. Isabella, cet espace « démontre le mieux l’interconnexion […] entre les soulèvements européens, ibéro-américains et asiatiques. À travers ses vastes recherches archivistiques et son accent sur la mobilité et l’implication populaire lors des mouvements qui survinrent en Europe méridionale, M. Isabella forge un nouveau récit et une nouvelle chronologie de l’âge des révolutions.

Revolutions: Mobilities, Spaces, and Places

Maurizio Isabella’s Southern Europe in the Age of Revolutions changes our understanding of the revolutions of 1820-1821. This date was, he shows, a transformative moment in the longer “age of revolutions,” which left its mark both on political practices and on the southern peripheries of Europe that took the revolutionary initiative. As Isabella remarks, this space “best demonstrates the interconnection … between European, Ibero-American and Asian uprisings.” Through his wide archival research and his emphasis on mobility and participation across the spaces and places of southern Europe, Isabella forges a new narrative and a new chronology for the age of revolutions.

Juan Luis Simal

Une manière méridionale de traverser l’âge des révolutions: Les révolutions des années 1820 et la cartographie imaginée de la civilisation

L’important ouvrage de Maurizio Isabella, Southern Europe in the Age of Revolutions, propose une étude approfondie des révolutions des années 1820 en Espagne, au Portugal, dans la péninsule italienne et en Grèce, en mettant l’accent sur la mobilisation populaire. M. Isabella réfute l’idée selon laquelle l’Europe du Sud a été un espace périphérique durant l’âge des révolutions. Il cherche au contraire à démontrer que celle-ci a produit ses propres éléments de modernité et d’anti-modernité. En outre, bien qu’il laisse certaines questions en suspens concernant l’écriture d’une histoire globale des révolutions, le livre ouvre à de nouvelles réflexions particulièrement stimulantes sur les manières de faire une histoire transnationale, connectée et comparative.

The Age of Revolutions Seen from Southern Europe: The 1820s Revolutions and the Imagined Cartography of Civilization

Maurizio Isabella’s important book, Southern Europe in the Age of Revolutions, offers an in-depth study of the 1820s revolutions in Spain, Portugal, the Italian peninsula, and Greece, focusing on popular mobilization. Isabella refutes the idea that southern Europe was a peripheral space during the age of revolutions. Instead, he seeks to demonstrate that the region produced its own elements of modernity and anti-modernity. Moreover, although his book leaves some questions about the writing of the global history of revolutions unanswered, it offers important new reflections on ways of doing transnational, connected, and comparative history.

Sakis Gekas

Une histoire transnationale de la révolution grecque

Southern Europe in the Age of Revolutions de Maurizio Isabella propose une comparaison unique entre la révolution grecque de 1821 et d’autres révolutions en Europe du Sud. L’auteur réfléchit à l’héritage durable de cette révolution, aux complexités des identités religieuses et nationales, et aux luttes qui ont façonné la naissance de l’État grec moderne. Ce livre montre de manière magistrale comment une révolte – réaction à un pouvoir centralisé de plus en plus violent – s’est transformée en révolution, modifiant à la fois l’Empire ottoman et influençant l’histoire européenne.

A Transnational History of the Greek Revolution

Maurizio Isabella’s Southern Europe in the Age of Revolutions, offers a unique comparison of the Greek revolution of 1821with other revolutions in Southern Europe. Isabella reflects on the enduring legacy of the revolution, the complexities of religious and national identities, and the struggles that shaped modern Greek statehood. The book masterfully shows how a revolt—the response to an increasingly violent centralized power—turned into a revolution that transformed the Ottoman Empire and influenced European history.

Pieter M. Judson

Au centre, la périphérie: Repenser l’Europe révolutionnaire du xixe siècle

Le livre de Maurizio Isabella, Southern Europe in the Age of Revolutions, démontre avec force qu’une partie de l’Europe, souvent perçue comme périphérique, a élaboré des pratiques révolutionnaires à la fois spécifiques et influentes au cours des premières décennies du xixe siècle. Ces pratiques et idéologies furent souvent partagées au-delà des frontières régionales. Cette contribution au forum des Annales, de la main d’un spécialiste de l’Europe centrale des Habsbourg, met en évidence trois éléments du livre particulièrement intéressants pour les historiens et historiennes du reste de l’Europe : M. Isabella tisse des liens de façon admirable entre différentes échelles d’analyse (le village, la région et l’État) ; il nous rappelle l’importance du concept de « fédéralisme » pour les libéraux européens ; enfin, son analyse a des conséquences plus larges pour l’étude des autres révolutions globales, notamment celle de 1848, dans la mesure où elle les soustrait à un point de vue franco-centré de la « propagation révolutionnaire ».

The Periphery Is the Center: Rethinking Nineteenth-Century Revolutionary Europe

Maurizio Isabella’s Southern Europe in the Age of Revolutions demonstrates persuasively that a part of Europe often considered peripheral generated distinct and influential revolutionary practices during the early decades of the nineteenth century. These practices and ideologies were often shared beyond regional boundaries. Written by a specialist of Habsburg Central Europe, this contribution to the Annales’ forum draws out three elements of particular interest to scholars of the rest of Europe. First, Isabella admirably weaves together analyses of different scales (village, region, and state). Second, he reminds us of the importance of the concept of “federalism” to European liberals. Finally, his analysis has broader implications for the study of other global revolutions, particularly those of 1848, in ways that remove them from a Franco-centric understanding of “revolutionary dissemination.”

Maurizio Isabella

Écrire l’histoire des révolutions dans l’Europe du Sud : quelques remarques rétrospectives

Cette réponse au forum des Annales consacré à mon livre Southern Europe in the Age of Revolutions est centrée sur le point de vue méridional de mon analyse, sur le cas de la Grèce dans ce contexte et sur la chronologie de l’âge des révolutions. Je souligne que la notion de « Sud » a été revendiquée par les révolutionnaires eux-mêmes au Portugal, en Espagne, au Piémont et à Naples, mais pas en Grèce. J’avance l’idée qu’une approche comparatiste permet d’envisager la révolution grecque non pas seulement comme une guerre d’indépendance, mais aussi comme un moment d’apprentissage politique. Enfin, je suggère que cette optique méridionale nous invite à intégrer ce que Franco Venturi a qualifié de « première crise » de l’Ancien Régime (1760-1770) dans la chronologie de l’âge des révolutions.

Writing a History of Revolutions in Southern Europe: Afterthoughts

This response to the Annales’ forum on my Southern Europe in the Age of Revolutions focuses on the Southern framework of my analysis, on the place of the Greece case within this context, and on the chronology of the age of revolutions. It highlights that the term “South” was adopted by the revolutionaries themselves in Portugal, Spain, Piedmont, and Naples—but not in Greece. It argues that a comparative framework enables us to explore the Greek revolution not only as a war of independence but also as a moment of political apprenticeship. Finally, it suggests that this Southern focus invites us to reintegrate what Franco Venturi termed the “first crisis” of the ancien régime in the 1760s and 1770s into the chronology of the age of revolutions.