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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  20 February 2018

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Résumés / Abstracts
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Grégory Quenet

L'Anthropocène et le temps des historiens

La notion d'Anthropocène a surgi si rapidement sur la scène politique et académique qu'il est parfois difficile de s'orienter parmi la masse des publications et des événements, et de situer les différents arguments. Cet article propose de prendre du recul en s'interrogeant sur ce que cette notion fait au temps des historiens. En l'absence d'une étude sociologique et intellectuelle qui cartographierait précisément les acteurs et les lieux, une approche généalogique permet de révéler un certain nombre de déplacements conceptuels depuis la proposition initiale : le passage d'un temps géologique à un temps historique a, en effet, transformé la nature de l’événement Anthropocène. De plus, la réponse des sciences humaines et sociales a été critique, révélant la tension entre, d'un côté, le label et le forum, de l'autre, le cadre analytique appliqué à des études empiriques. En définitive, la notion de période appliquée à l'Anthropocène pose un certain nombre de difficultés (téléologie, retour d'un global occidentalo-centré, synchronisation de l'histoire. . .), alors que la pluralisation des seuils et des césures temporelles apparaît comme un enrichissement de l’écriture de l'histoire, engageant de nouveaux chantiers de recherche ouverts à la matérialité et aux acteurs non-humains.

The Anthropocene and the Time of Historians

The notion of the Anthropocene has arrived so rapidly on the political and academic scene that it is sometimes difficult to orient oneself amid the mass of publications and events, or even to situate the different arguments presented. This article proposes to take a step back by examining the effects of this concept on historians’ notion of time. In the absence of a sociological and intellectual study providing a precise map of the actors and places involved, a genealogical approach can reveal a certain number of conceptual displacements that have occurred since the idea was first proposed. In particular, the passage from geological time to historical time has transformed the nature of the Anthropocene as event. Furthermore, the response of the humanities and social sciences has been critical, revealing the tension between the Anthropocene as a label and forum for discussion, and the Anthropocene as an analytical frame applied to empirical studies. Finally, while applying the notion of period to the Anthropocene poses a certain number of difficulties (teleology, the return to a Western-centered vision of the global, the synchronization of history, etc.), the pluralization of thresholds and temporal breaks appears to enrich the writing of history, opening up new avenues of research receptive to materiality and to non-human actors.

Pierre Charbonnier

Généalogie de l'Anthropocène: La fin du risque et des limites

Cet article vise à éclairer l’émergence du concept d'Anthropocène dans les sciences sociales et la philosophie contemporaines. Il inscrit cette notion dans le contexte assez large d'une crise de ces savoirs, désormais confrontés à la nécessité de considérer le changement climatique global à la fois comme un socle empirique et comme un horizon politique incontournable. Cette réflexion repose sur une hypothèse : l'organisation des savoirs relatifs aux relations entre modernité et nature a été profondément bouleversée dans la dernière décennie, et les concepts sur lesquels reposaient ces savoirs, le risque et la limite, ont dû être réaménagés. En effet, concevoir le présent à travers le concept d'Anthropocène suppose que la rationalité du risque, c'est-à-dire la suspension de l'autonomie politique moderne, et l'idée d'une limitation fondamentale du développement matériel ne peuvent plus être dissociées. Cette hypothèse permet d'envisager la configuration épistémologique dans laquelle nous nous trouvons et d'en discuter quelques aspects.

A Genealogy of the Anthropocene: The End of Risk and Limits

This article aims to shed light on the emergence of the Anthropocene as a concept within the social sciences and philosophy. It frames this evolution in the wider context of a crisis of knowledge, confronted with the need to consider global climate change as both an empirical bedrock and an inescapable political horizon. The central hypothesis is that the organization of our knowledge about the relationships between modernity and nature has undergone a profound shift over the last decade, necessitating a reconfiguration of the two main concepts on which this knowledge relied: risk and limits. To consider the present situation through the concept of the Anthropocene is to imply that risk rationality (i.e., the suspension of modern political autonomy) and the notion of a fundamental limitation of material development can no longer be considered separately. In the final part of the article, this hypothesis makes it possible to discuss some aspects of our current epistemological configuration.

Jan Zalasiewicz, Colin Waters et Mark Williams

Les strates de la ville de l'Anthropocène

Le tissu d'une ville correspond à une transformation de matériaux géologiques bruts en un assemblage complexe de nouveaux minéraux, fabriqués par des humains, et de roches, telles que l'acier, le verre, le plastique, le béton, la brique et la céramique. Cette activité est considérée en termes de « métabolisme urbain », avec des afflux et des flux quotidiens de personnes, de nourriture, d'eau et de déchets. Empruntée aux temps géologiques, une échelle de temps plus longue, de quelques années au millénaire, est adoptée ; elle reste pertinente pour le présent et les générations humaines futures. Dans les systèmes sédimentaires naturels, les flux de matériaux sont gouvernés par des forces naturelles, comme le climat et la gravité, et ils laissent des traces physiques dans les strates des rivières. Dans les villes, les flux de matériaux géologiques nécessaires à les construire et à les reconstruire sont réalisés par les humains et sont largement produits par les énergies fossiles stockées dans les hydrocarbures. Les assemblages de roches anthropogéniques et de minéraux qui en résultent peuvent être pensés comme des systèmes sédimentaires (et/ou des traces fossiles), fossilisables, à l’échelle de la planète. Extrêmement plus diversifiés que les strates géologiques naturelles, ils évoluent aussi bien plus rapidement, notamment en ce qui concerne les déchets. Considérer les villes par le biais d'une telle perspective peut devenir de plus en plus utile, compte tenu de leur nécessaire adaptation aux conditions changeantes de l’époque émergente, l'Anthropocène.

City-strata of the Anthropocene

The fabric of a city represents a transformation of raw geological materials into a complex assemblage of novel, human-made minerals and rocks such as steel, glass, plastics, concrete, brick, and ceramics. Its activity has been considered in terms of an “urban metabolism,” with day-to-day inflows and outflows of people, food, water, and waste materials. Here we take a longer time-scale of years to millennia, related to geological time-scales but still meaningful for present and future generations of humans, and consider cities as sedimentary systems. In natural sedimentary systems, such as those of rivers, the flows of materials are governed by natural forces such as climate and gravity, and they leave physical records of river-strata. In cities, the flows of geological materials needed for their construction and reconstruction are directed by humans, and largely powered by the fossil energy stored in hydrocarbons, rather than by gravity or the sun. The resultant assemblages of anthropogenic rocks and minerals may be thought of as sedimentary (and/or trace fossil) systems that are fossilizeable and now exist on a planetary scale. Far more diverse than natural geological strata, they are also evolving much more rapidly, not least in terms of their growing waste products. Considering cities through such a perspective may become increasingly useful as they come to be influenced by, and need to adapt to, the changing conditions of the emerging Anthropocene epoch.

Bruno Karsenti

L’écologie politique et la politique moderne

L'exigence de politisation de l’écologie qui s'accuse toujours plus aujourd'hui suppose que l'on soit en mesure de conduire une critique de la politique moderne, reprise dans ses concepts fondamentaux et dans son histoire. Cette thèse, développée dans le dernier livre de Bruno Latour, Face à Gaïa, laisse ouverte la question de savoir quel type de critique est le mieux adapté à cette fin. Cet article se propose de la traiter en suivant les lignes argumentatives de l'ouvrage et la recomposition des rapports entre science, politique et religion à laquelle il procède. Constitutifs de l'expérience de la modernité, ces rapports apparaissent différemment selon la conception des collectifs que l'on privilégie et la façon dont on appréhende leur ancrage environnemental. À la différence de B. Latour, la thèse défendue ici considère que c'est dans le cadre des sociétés modernes, prises comme des collectifs foncièrement originaux et dotés d'une histoire déformée et méconnue par l'idéologie moderniste, que la conception de la justice proprement écologique doit nécessairement se formuler. L'enjeu de la critique requise en vue de la politisation de l’écologie est de déterminer autrement les acteurs impliqués dans la crise environnementale, en repartant des liens spécifiques que la modernité a noués entre les sociétés, des formes d'auto-compréhension que celles-ci sécrètent en se développant et des attentes de justice qui en résultent.

Political Ecology and Modern Politics

The increasingly evident need to politicize ecology implies the capacity to conduct a critique of modern politics, reexamining its fundamental concepts and its history. This thesis, developed in Bruno Latour's most recent book, Facing Gaïa, raises the question of what critique is best adapted to this end. This article seeks to address this question by following on from the arguments of Facing Gaïa and its recomposition of the relations between science, politics, and religion. These relations, which are constitutive of the experience of modernity, appear differently depending on the conception of collectives emphasized and how one understands their anchoring in the environment. Unlike Latour, the author argues that it is within the framework of modern societies, understood as an entirely new kind of collective whose history has been distorted and ignored by modernist ideology, that a conception of a specifically ecological justice must be formulated. The critique that is necessary to the politicization of ecology implies a new way of determining the actors involved in the environmental crisis, breaking the particular ties that modernity has forged between societies, the forms of self-awareness they produce as they develop, and the expectations of justice that result from them.

Nadia Matringe

Le dépôt en foire au début de l’époque moderne: Transfert de crédit et financement du commerce

À partir des archives privées d'une banque marchande de premier plan au xvie siècle (la maison Salviati de Lyon), cet article apporte un éclairage sur un important instrument de financement du commerce au début de l’époque moderne : le dépôt en foire. Si l'histoire financière a souvent fait du dépôt bancaire et des activités des banques d'affaires des sujets d’étude distincts, cet article démontre qu'un type spécifique de dépôt bancaire a émergé au xvie siècle sur les places de foire, en lien étroit avec les activités de banque d'affaires et le commerce international. Il apparaît que le dépôt en foire, tel que révélé par l'analyse des livres de la maison Salviati, est tout à la fois un instrument de compensation et un instrument de crédit, et qu'il participe largement au financement des grands échanges commerciaux européens. Le crédit, issu principalement du commerce international et de la banque, s'y trouvait ainsi immédiatement réinjecté. Les investissements étaient stimulés par les nombreux avantages qu'offraient les foires de Lyon, notamment la licéité du prêt avec intérêt, les options d'investissement et les possibilités d'achats et de transferts rapides. Les prêts aux hommes d'affaires locaux et étrangers stimulaient le commerce des marchandises et, surtout, le change, en conférant à Lyon une position unique dans le système du commerce et des changes en Europe. Cette forme de dépôt bancaire était étroitement liée au développement des banques d'affaires qui travaillaient principalement sur commission et en tiraient des bénéfices substantiels, sans pour autant se spécialiser dans le dépôt ni même devenir des banques de dépôt.

The Fair Deposit in the Early Modern Period: Credit Reallocation and Trade Finance

Based on the private records of a prominent sixteenth-century merchant bank (Salviati of Lyon), this article focuses on an important instrument of trade finance in the early modern period: the fair deposit. While the financial history of deposit banking has often been separated from that of merchant banking, this article demonstrates that during the sixteenth century a specific type of deposit banking emerged at fairs, intrinsically connected to merchant banking and international trade. As revealed by analysis of the Salviati archives, the fair deposit appears to have been an instrument of both clearing and credit, sustaining the financing of large-scale European trade. Credit mostly derived from international trade and banking, where it was reinjected almost immediately. Investments were stimulated by the numerous advantages offered by the fairs held at Lyon: licit lending at interest, a choice of investments, and the possibility of making purchases and rapid transfers. Loans to local and foreign businessmen nourished the trade of commodities and, above all, the exchange business, conferring on Lyon a crucial position in the European trade and exchange system. This form of deposit banking was closely related to the development of merchant banks that worked mostly on commission, drawing substantial profits from it without becoming specialists or even deposit banks.

Arnaud Bartolomei, Matthieu de Oliveira, Fabien Eloire, Claire Lemercier et Nadège Sougy

L'encastrement des relations entre marchands en France, 1750-1850: Une révolution dans le monde du commerce ?

La période 1750-1850 est souvent placée au centre des grands récits de la modernisation, notamment ceux qui la caractérisent par un passage de relations économiques encastrées dans des liens familiaux ou communautaires à des transactions impersonnelles uniquement appuyées sur le marché et des dispositifs juridiques. Ces récits sont ici mis à l’épreuve à travers l'analyse systématique de trois corpus de sources correspondant à des instruments largement utilisés par les marchands de l’époque : lettres d'entrée en relation, lettres circulaires et procurations notariées. Cette étude, à la fois qualitative et quantitative, ne met en évidence aucune révolution, et peu d’évolutions linéaires. En revanche, elle conduit à dépasser l'opposition entre des transactions commerciales encastrées et totalement désencastrées. De nombreux indices de la complémentarité entre des transactions économiques personnalisées et d'autres plus impersonnelles sont en effet perceptibles. D'autres types d'encastrement jouent aussi un rôle important : d'une part, les relations répétées ou celles établies par l'intermédiaire de tiers ; d'autre part, une forme d'homophilie sociale entre marchands, fondée notamment sur le partage d'un langage commun, celui du commerce.

The Embeddedness of Relationships between Merchants in France (1750–1850): A Revolution in Commerce?

Narratives of modernization often describe the period between 1750 and 1850 as marking a transition from embedded economic relationships (relying on kinship or community ties) to impersonal market transactions supported by legal arrangements. This article questions these narratives by studying three sets of tools employed by early modern and modern merchants on a daily basis: letters of introduction, circular letters, and notarized proxy forms. Systematic quantitative and qualitative analysis of these documents reveals few traces of a revolution or even a consistent linear evolution. To the contrary, it challenges the opposition between embedded and completely disembedded relationships. Indeed, there is strong evidence that personal and impersonal supports for economic transactions complemented rather than substituted one another. In addition, other types of embeddedness also played an important role: on the one hand, repeated interactions and relational chains involving intermediaries; on the other, a homophilic sociability among merchants that was partly based on the shared language of commerce.