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Religion et politique : Géographie de la résistance aux Inventaires (février-mars 1906)

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

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Au début de 1906, l'Inventaire des biens ecclésiastiques, prévu par l'article 3 de la loi de Séparation des Églises et de l'État afin de permettre la dévolution des biens aux associations cultuelles, entraîna dans un certain nombre de régions une vive protestation, voire une résistance vigoureuse qui put donner à croire, un moment, que la France se trouvait au bord de la guerre civile. Le tragique incident de Boeschèpe — le 6 mars 1906, un manifestant est tué par le fils du percepteur — amène la chute du cabinet Rouvier, remplacé par un cabinet Sarrien auquel prennent part Clemenceau et Briand. Soucieux d'apaisement, le nouveau gouvernement suspend les opérations d'inventaire et l'agitation prend fin. Elle n'en entraîne pas moins des conséquences considérables, renforçant Pie X et son entourage dans leur parti-pris d'intransigeance, fortifiant nombre de catholiques français dans l'idée qu'en définitive, la résistance est payante.

Type
Histoire et Cartographie
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1966

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References

page 1259 note 1. Nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage : La Séparation de l'Église et de l'État, Paris, Julliard, coll. « Archives », 1966, 198 p.

page 1260 note 1. ARCH. NAT. BB18 2309. 2 à 8 (” Rapports des procureurs généraux sur les infractions commises dans leur ressort contre la loi de Séparation de l'Église et de l'État, en particulier à l'occasion des inventaires des biens d'Église »).

page 1260 note 2. Les liasses conservées aux Archives nationales donnent une indication sur chaque infraction : voilà qui permettrait apparemment de dresser une carte indiquant chaque manifestation. Cette tentative séduisante soulèverait, en fait, des difficultés d'importance : une manifestation de foule sans incident ne donne pas lieu à délit ; inversement quelques agitateurs peuvent occasionner des infractions qui ne correspondent qu'à des incidents mineurs dans la réalité. D'autre part, des administrateurs, plus diplomates que d'autres, se sont vite abstenus de faire procéder aux inventaires lorsqu'ils savaient trouver une résistance violente. L'absence de manifestations n'est donc pas par elle-même un critère. L'établissement d'une carte très détaillée serait très difficile ; pour la dresser il faudrait au moins recourir aux rapports de préfet ou de police conservés dans les Archives nationales, ou départementales. L'entreprise n'est pas irréalisable; modifierait-elle l'image que donnent, à eux seuls, les rapports de synthèse des procureurs généraux lus avec discernement ?

page 1261 note 1. BB18 2309, 5.

page 1262 note 1. C'est ce qui se passa dans la Haute-Loire où les incidents furent les plus graves.

page 1262 note 2. Évoquant un département républicain comme l'Aude, le pays des Sarraut, le procureur général près la cour de Montpellier note : « on a laissé les inventaires suivre leur cours normal dans le calme le plus parfait, au milieu de l'indifférence, et on peut dire de l'assentiment général. » BB 18 2809, 5 (11.5.1906).

page 1262 note 3. Amiens. BB18 2309, 2 (31.3.1906). « Aucun acte d'hostilité ou de résistance violente ne s'est produit. Si, dans quelques rares localités, des groupes de fidèles se sont réunis à l'église au jour fixé pour l'Inventaire qui s'est fait au son des cloches ou des chants, le plus souvent tout s'est borné à la lecture par les curés, ou les desservants, d'une protestation de pure forme. Dans bien des paroisses même, les ministres des cultes se sont mis de bonne grâce à la disposition des fonctionnaires délégués pour faciliter leur mission. »

page 1262 note 4. BB18 2309, 8 (15.3.1906). Le rapport se poursuit par la description de la résistance, violente et massive, dans la Haute-Loire.

page 1262 note 5. Dans bien des départements, il en alla comme dans le Loiret : une manifestation à la cathédrale, sans « aucun incident sérieux » ; « dans les petites villes et dans les campagnes, l'indifférence des populations a été complète ».BB18 2309, 6 (30.3.1906).

page 1262 note 6. Nancy. BB18 2309, 5. « Irritation » de l'arrondissement de Lunéville qui n'entraîne pas toutefois des « actes de résistance ayant un caractère délictueux ». — Amiens.BB18 2309, 2. « Il ne faudrait pas voir dans cette modération des catholiques des régions du Nord-Est une approbation de la loi de Séparation… » ; « leur mécontentement est constant et général. »

page 1263 note 1. Dressée d'après les rapports en BB18 2309, 2 à 8.

page 1263 note 2. Note du Ministère de l'Intérieur. BB18 2309, 1. : au 31 mai, sur 68 010 établissements à inventorier, 63 219 l'ont été.

page 1263 note 3. BB18 2309, 7. Le procureur général explique ce calme par les conseils du cardinal Labouré et, dans le Finistère, par l'attitude du député de l'arrondissement de Brest, l'abbé Gayraud. C'est dans cet arrondissement pourtant que « s'étaient produites les manifestations les plus violentes à l'occasion de l'application de la loi sur les Congrégations ». Faut-il rappeler aussi que le quotidien démocrate chrétien l'Ouest-Éclair, dont l'audience est déjà considérable, désapprouva nettement les manifestations de violence ?

page 1264 note 1. BB18 2309, 3.

page 1264 note 2. Caen. BB18 2309, 3. « Ces dispositions conciliantes (du clergé) firent brusquement place à l'esprit de résistance le plus aveugle dès que furent connues les manifestations dont certaines églises de Paris avaient été le théâtre. » I l s'agit de la Manche. Même notation à Angers,BB18 2309, 2.

page 1264 note 3. Les instructions données au clergé peuvent même passer pour un désaveu discret d'un certain style de manifestations : « soucieux de garder la charité, comme le doivent surtout des ministres de Jésus-Christ, ils répondront à l'iniquité par la justice, aux outrages par la douceur et aux mauvais traitements par des bienfaits. »

page 1264 note 4. La Croix du 20 février.

page 1264 note 5. BB18 2309, 2.

page 1264 note 6. BB18 2309, 5.

page 1264 note 7. Ainsi dans l'Aveyron et en Flandre.

page 1265 note 1. Une exception, l'arrondissement de Sarlat, pays de mission sur la carte du chanoine Boulard, « bien que les populations soient indifférentes en matières religieuses, il y a eu des manifestations suscitées par les militants des partis hostiles au gouvernement ». Bordeaux BB18 2309, 3.

page 1265 note 2. Il serait suggestif d'étudier les contre-manifestations anticléricales. A Saint-Claude « les imprudentes manifestations de 200 bourgeois d'une ville ouvrière jetèrent sur la cathédrale les exaltés du prolétariat anticlérical ». BesançonBB18 2309, 3. L'église fut en partie saccagée. A Foix, des contre-manifestants chantent l' « Internationale » ou des refrains de café-concert (Préfet 13 février 1906) : F19 1974. A Tourcoing, des contre-manifestants socialistes parcourent les rues, brisent les vitres des industriels soupçonnés d'avoir fourni les ballots de laine et de coton qui barraient l'entrée des églises (F19, 1974).

page 1265 note 3. Pau. BB18 2309, 6.

page 1266 note 1. « Dans l'arrondissement de Moutiers, bien que les habitants soient catholiques pratiquants, très cléricaux, l'intervention énergique de l'évêque a empêché toute manifestation. » Chambéry, 22 mars 1906. BB18 2309, 4.

page 1266 note 2. « Sous l'empire peut-être d'une intervention diocésaine sage et éclairée, les opérations d'inventaire ont pu avoir lieu à quelques exceptions près dans des conditions de calme presque complet. » Douai. BB18 2309, 4 (15.3.1906). Faut-il rappeler que Ribot, qui voyait dans l'inventaire une mesure conservatoire, était député « progressiste » du Pas-de-Calais.

page 1266 note 3. Rapport du préfet (F19 1974, 1 ; 3 avril) : 321 inventaires terminés sur 325. « Dans la plupart des communes où des difficultés s'étaient élevées, les curés se sont rendus aux raisons qui leur étaient exposées et ont même facilité la tâche de l'agent des domaines. » « C'est ainsi que tous les inventaires ont pu être faits sans qu'il ait été nécessaire de faire intervenir un seul gendarme ou agent de police. »

page 1266 note 4. Rouen. BB18 2309, 8.

page 1266 note 5. Revue de la philosophie positive, t. XXIII, pp. 232-246, sept.-oct. 1879, reproduit dans De l'établissement de la Troisième République (1880), pp. 489-508.

page 1266 note 6. Cartes nos 2 et 3. Les députés élus en 1902 n'avaient pas pris parti, le plus souvent, sur la question de la Séparation. Mais il serait bien extraordinaire que, trois ans plus tard, ils n'aient pas modelé leur vote sur les sentiments de leurs électeurs.

page 1268 note 1. On sait au reste combien Ribot contribua à amender dans un sens libéral le projet de Briand. Le Procureur près la Cour de Besançon note les manifestations bruyantes de l'« aristocratie », alors que la « bourgeoisie s'inclinait tout en protestant par ses paroles ou ses écrits… l'aristocratie reproche à la bourgeoisie ses défections et sa lâcheté. Un fossé, tout au moins provisoire, s'est creusé entre le cléricalisme et le catholicisme ». BB18 2309, 3.

page 1269 note 1. Caen. BB18 2309, 3. Significatif est l'apologue imaginé parla Croix du Nord: un industriel refuse de se rendre aux manifestations contre l'inventaire malgré les prières de sa femme. Mais voici qu'il rêve qu'un petit homme « à l'accent languedocien » veut faire l'inventaire de ses biens. Il se décide alors à aller manifester. (” Deux inventaires », Croix du Nord, 26 février 1906).

page 1269 note 2. BB18 2309, respectivement 8, 5, 2. Cf. F7 12715 et F19 1974, 2 : rapports détaillés, émanant d'informateurs directs, sur les fameuses manifestations de Sainte-Clotilde et de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou. La responsabilité des groupes de l'Action française et des journalistes de la Libre Parole apparaît déterminante. Le clergé parisien ne cacha pas sur le moment même qu'il avait été débordé par des manifestants mus, d'abord, par des préoccupations politiques : la lettre de l'abbé Gardey, curé de Sainte- Clotilde, parue dans le Figaro du 4 février 1906, en témoigne. Dans ses Souvenirs, Louis DIMIER revendique la première part pour l'Action française dans le mouvement des Inventaires : « Il était inévitable que beaucoup de ceux qui se soulevèrent pour empêcher les inventaires fussent de chez nous ». (Vingt ans d'Action française et autres souvenirs, p. 68). Les maurrassiens avaient choisi le bon terrain de manœuvre. Selon le rapport de Pau BB18 2309, 6 : ailleurs que dans l'arrondissement de Bayonne, résistance passive ou presque nulle. « Seules quelques personnalités marquantes du parti réactionnaire se sont fait une gloire d'outrager les fonctionnaires du gouvernement de la République ».

page 1270 note 1. Une exception, l'agglomération lilloise, Lille et Roubaix plus que Tourcoing du reste. La résistance prend un caractère de masse qu'elle n'a à coup sûr ni à Paris, ni à Montpellier, Toulouse ou Nancy.

page 1270 note 2. Cela est vrai tout particulièrement dans la Mayenne et le Maine-et-Loire. BB18 2309, 2. « Domestiques, fermiers, petits fournisseurs sont embrigadés. »

page 1270 note 3. Le procureur évoque Baume-les-Dames : « cet état d'esprit est l'oeuvre des prêtres qui publiquement en chaire ont représenté l'inventaire comme une spoliation et une profanation. » BB18 2309, 3. Ainsi Chambéry (BB18 2309, 4) : dans la région de Saint-Jean-de-Maurienne « les populations sont fanatisées par un clergé ardent jouissant d'une grande influence. »

page 1270 note 4. Cf. Caen (BB18 2309, 3), le mouvement de résistance dans la Manche, d'abord le fait de politiciens, est « aujourd'hui secondé et violemment entretenu par le clergé qui, tout d'abord, n'avait pu imaginer qu'il serait si facile d'égarer et de soulever les sentiments religieux de la foule ». Le P. G. près la Cour d'Angers évoque l'agitation « profonde » dans le département de la Mayenne : « Si la plupart des ecclésiastiques eussent accepté la formalité prescrite par la loi avec une certaine philosophie, il n'en a pas été de même de leurs paroissiens. » BB18 2309, 2.

page 1270 note 5. Ainsi Pontarlier (BB18 2309, 3) : « On ne quitte plus le cabaret » (Baume-les-Dames). Angers aussi : « Un usage immodéré de l'alcool. » BB18 2309, 2.

page 1270 note 6. Ainsi près de Vitré, ou à Sainte-Anne-d'Auray. BB18 2309, 7.

page 1270 note 7. BB18 2309, 8. Témoignage du médecin légiste qui se rendit à Boeschèpe. BB18 2309, 4. « La bande qui a fait irruption dans l'église après inventaire comprenait principalement des habitants du hameau de Steenakker, repaire de braconniers et, de fraudeurs. »

page 1271 note 1. BB18 2309, 6 (Nîmes).

page 1271 note 2. BB18 2309, 8 (15-3-1906).

page 1271 note 3. L'Éclair, 3 mars 1906.

page 1271 note 4. Député d'une circonscription où les manifestations furent très violentes, l'abbé Lemire prête cette réaction à ses électeurs devant l'inhabituel déploiement de forces : « Non, cela ne se fera pas, on ne nous enlèvera pas nos églises. » (J.O., 8 mars 1906). Le député d'Hazebrouck savait, et il le dit, que telle n'était pas la volonté des agents de l'enregistrement ; personnellement, il ne voyait dans l'inventaire qu'une mesure conservatoire, il n'en est que mieux placé pour apprécier le sentiment des populations.

page 1271 note 5. Ainsi le 27 février, l'inventaire de la chapelle de Champels sur la commune de Monistrol, ou les manifestations à Notre-Dame-d'Auray, à la Louvesc au tombeau de saint François Régis.

page 1272 note 1. BB18 2309, 8.

page 1272 note 2. En 1957, le pourcentage d'enfants qui fréquentent les écoles primaires catholiques dépasse 30 % dans cinq départements : l'Aveyron, la Lozère, l'Ardèche, la Haute-Loire, les Côtes-du-Nord, dépasse 40 % dans deux départements : la Mayenne et le Finistère, dépasse 50 % dans cinq départements : le Morbihan, l'Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique, la Vendée, le Maine-et-Loire. Ce sont bien les douze départements où ont éclaté les manifestations les plus violentes contre les inventaires. (D'après la Documentation Catholique, LIV, n° 1254, 23 juin 1957.)