Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Les quelques réflexions qui suivent sont faites à partir du livre de Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire. A partir de : en cela, elles répondent sans doute à l'un des voeux de l'ouvrage qui, dans ses énoncés volontiers programmatiques, tend à susciter des prolongements. A partir de et non pas sur : on ne traitera donc pas ici de son analyse de L'Éducation sentimentale et des débats qu'elle a, à juste titre, provoqués. Ni de ceux qu'a enclenchés le ton polémique exhibé par intervalles dans ce Livre.
Written in the form of a dialogue with the work by Pierre Bourdieu, The Rules of Art, Genesis and Structure of the Literary Field, this article poses the question of whether it is possible to speak of a literary field prior to the 19th century and outside of France. Bourdieu's book, it seems, is beset by a dilemma: on the one hand, this concept is presented as the theoretical basis of “a science of literary works”, and on the other hand, the restrictions, imposed with regard to its definition seem to limit its utilisation to the French context starting from the 19th century. This article pleads for a clearly historical use of the concept of field in order to be able to work towards a sociology of literature which is open to comparisons and which one day, thanks to such a theoretical foundation, will lead to a general history of literatures.
1. Bourdieu, Pierre, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Éditions du Seuil, « Libre examen », 1992.Google Scholar
2. Sans doute dans l'intention de « tordre le bâton dans l'autre sens », comme il dit dans l'excuse qu'il en fait p. 260.
3. Sur plusieurs points, le livre de P. Bourdieu appelle des discussions qui, au-delà des polémiques susdites, sont d'importance à la fois pour préciser son apport en matière d'analyse du littéraire et marquer l'évolution de celle-ci. Voir Saint-jacques, Denis, « Faut-il brûler Les Règles de l'art ? » dans Discours social/Social discourse, vol. V, n° 3-4, 1993 Google Scholar. Pour lever toute ambiguïté, on précisera que ces points, qui n'entrent pas dans l'espace et le champ du présent article, relèvent à nos yeux non de la polémique en pro et contra, mais bien d'un débat scientifique de fond et qu'il s'agit notamment de l'opposition qu'il marque entre la « croyance » et l'attitude scientifique en matière littéraire —question qui touche bien en effet un point crucial —, de la place accrue — qui semble justifiée — par rapport à ses écrits précédents sur le sujet, faite ici à Villusio, enfin de son usage des concepts de vision du monde et d'homologie structurale —y compris en tenant compte des distances déclarées qu'il prend envers Goldmann — qui, en revanche, nous paraissent devoir être réinterrogés pour une analyse textuelle efficace.
4. D'autant que dans la tradition de la recherche en France, l'histoire littéraire, modèle dominant des études littéraires sur la durée du siècle écoulé, et la sociologie ont, d'origine — depuis un siècle justement — partie liée (voir pour un historique Viala, A., « État historique d'une discipline paradoxale », Le Français aujourd'hui, n° 72, décembre 1985, pp. 41–49 Google Scholar, numéro spécial Histoire littéraire, 1).
5. Son article « Champ intellectuel et projet créateur », qui inaugure cette réflexion, est paru dans Les Temps modernes en 1966.
6. Ibid, p. 254.
7. Ibid., pp. 426-427.
8. Ibid., p. 86.
9. Ibid, pp. 191-192, 166 ss.
10. Ibid., pp. 358-359.
11. Ibid., p. 287.
12. Voir Viala, A., Naissance de l'écrivain. Sociologie de la littérature à l'âge classique, Paris, Éditions de Minuit, 1985 Google Scholar ; Les institutions de la vie littéraire en France au XVIIe siècle, Lille, ANRT, 1985.
13. Voir A. Viala, L'esthétique galante, Toulouse, SLC, 1988 et «D'une politique des formes : la galanterie », dans XVII’ Siècle, n° 182, 1994-1, numéro spécial, Voies de la création littéraire au XVIIe siècle.
14. E. Mortgat, « La quête des premiers classiques français et les origines de l'histoire littéraire nationale », dans Littératures classiques, n° 19, numéro spécial, Qu'est-ce qu'un classique ?, 1993 (éléments de travaux plus amples en cours d'achèvement).
15. Voir Viala, A., Racine. La stratégie du caméléon, Paris, Seghers, 1990.CrossRefGoogle Scholar
16. On ajouterait volontiers ici — mais il y faudrait encore bien des pages — les analyses touchant aux relations contradictoires entre le champ littéraire et celui du pouvoir au xvir siècle ; entre autres ceci : en rendant impossible l'exercice de l'éloquence dans l'espace du politique, l'absolutisme monarchique a suscité un déplacement du centre de gravité de la poétique vers les arts de la forme et de la fiction, l'hétéronomie marquée d'un côté induisant une autonomisation accrue de l'autre.
17. Voir par exemple H. Merlin, « Horace, l'équivoque et la dédicace », dans Voies de la création, op. cit.
18. Y. Délègue, notamment : Le royaume d'exil. Le sujet de la littérature en quête d'auteur, s. 1., Obsidiane, 1991.
19. Heinich, N., DU peintre à l'artiste, Paris, Éditions de Minuit, 1993 Google Scholar ; voir aussi, pour le XVIIIe siècle, Becq, A., Genèse de l'esthétique française, Pise, Pacini, 1984.Google Scholar
20. Voir la périodisation de l'histoire littéraire en termes de constitution ou non du champ et de ses configuration historiques, « L'auteur et son manuscrit dans l'histoire de la production littéraire », L'auteur et le manuscrit (sous la direction de M. Contât), Paris, PUF, 1991.
21. P. Bourdieu note la question en passant, à propos de l'Angleterre (p. 306).
22. Voir Saint-jacques, Denis, « Vers un champ unifié des littératures francophones ? », Revue de l'Institut de Sociologie, Bruxelles, juin 1991, pp. 19–25.Google Scholar
23. Maurice Lemire (sous la direction de), D. Saint-jacques et al, La vie littéraire au Québec (2 vols parus, vol. I, 1764-1805 : la voix française des nouveaux sujets britanniques, 498 p. ; vol. II, 1806-1839: le projet national des Canadiens, 587 p.), Québec, PUL, 1990-1991.
24. Par exemple Les Muses de la Nouvelle-France de Marc Lescarbot.
25. Pour plus de détails, voir D. Saint-jacques et Marie-Andrée Beaudet, « Émergence et évolution du champ littéraire québécois avant 1914 », à paraître dans Texte (Toronto).
26. Voir Ponton, Rémy, « A propos de quelques contemporains d'Alphonse Daudet », Politix, n° 14, 1991, pp. 65–72 CrossRefGoogle Scholar ; et, sur la lecture d'un conte de Daudet en termes de champ, Viala, « Ah ! qu'elle était jolie… », Politix, n° 17, 1992, pp. 125-141.