Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Le pouvoir et le sacré sont des catégories commodes pour explorer les phénomènes politiques du haut Moyen Âge. Les émotions sont ici proposées comme catégorie analytique nouvelle et utile. Les paradigmes aujourd’hui anciens de l’histoire des émotions, élaborés par Johan Huizinga et Norbert Elias qui imaginaient un Moyen Âge en enfance et émotionnellement incontrôlé, ne sont plus viables. Les cognitivistes et les constructionnistes ont démontré depuis que les émotions sont des jugements pré ou non-verbaux profilés par les sociétés elles-mêmes. Cette approche nous permet de postuler l’existence de « communautés émotionnelles », chacune dotée de son vocabulaire et de ses propres modes d’expression. Deux de ces communautés du VIIe siècle sont ici examinées : la première a pris forme dans la cour neustrienne de Clotaire II et de son fils, Dagobert Ier ; la seconde correspond aux factions qui se sont exprimées au cours des vingt dernières années du siècle. Leurs différences radicales jettent une lumière nouvelle à la fois sur le pouvoir et le sacré au début du Moyen Âge.
Power and the sacred have been convenient categories with which to explore early Medieval politics. Emotions are here proposed as a new and useful category of analysis. The old paradigms of emotions history elaborated by Johan Huizinga and Norbert Elias, which saw the Middle Ages as childish and emotionaly out of control, are no longer viable. Cognitivists and social constructionists have shown that emotions are pre- or non-verbal judgments that are shaped by their societies. This new view allows us to postulate “emotional communities”, each with their own favoured emotional vocabularies and modes of expression. Two different emotional communities of the seventh century are explored. The first formed at the Neustrian court of Clothar II and his son Dagobert ; the second represented the factions of the last twenty or so years of the century. Their radical differences shed new light on both power and the sacred in the early Middle Ages.
La recherche à l’origine de cet essai a pu être entreprise et menée à bien grâce au National Endowment for the Humanities Fellowship, l’American Academy de Rome et la Loyola University de Chicago (Lester K. Little). Je remercie Claude Gauvard, Richard A. Gerberding, Dominique Iogna-Prat, Régine Le Jan, Piroska Nagy, Stephen D. White et Ian Wood pour leurs judicieuses remarques.
1 - Frazer, James George, The Golden Bough. A Study in Magic and Religion, Part 1, vol. 1 : The Magic Art and the Evolution of Kings, New York, Macmillan, [1890] 1935, pp. XII Google Scholar et 366 : « Toute investigation sur la religion primitive des Aryens devrait commencer par les croyances et les pratiques superstitieuses de la paysannerie d’aujourd’hui, ou au moins être constamment reconsidérée et vérifiée en référence à celles-ci. »
2 - Pirenne, Henri, Mahomet et Charlemagne, Paris, Félix Alcan, [1922] 1937, p. 40.Google Scholar
3 - Wallace-Hadrill, John Michael, The Barbarian West. The Early Middle Ages, A.D. 400-1000, Cambridge, Blackwell, [1952] 1962;Google Scholar ID., The Long-Haired Kings and Other Studies in Frankish History, Toronto, University of Toronto Press, « Medieval Academy Reprints for Teaching-11 », [1962] 1982.
4 - Huizinga, Johan, Le déclin du Moyen Âge, Paris, Payot, [1919] 1932, p. 10 Google Scholar (l’ouvrage parut initialement en hollandais en 1919).
5 - Elias, Norbert, La civilisation des moeurs, Paris, Calmann-Lévy, [1939] 1991.Google Scholar Écrit en allemand alors que N. Elias, fuyant les nazis, vivait réfugié en Angleterre, l’ouvrage suscita peu d’échos lors de sa parution. Mais, il devint un ouvrage de référence lors de sa réédition et de sa traduction en anglais et en français, respectivement en 1968 et 1978 ; voir GERD SCHWERHOFF, « Zivilisationsprozeß und Geschichtswissenschaft. Norbert Elias’ Forschungsparadigma in historischer Sicht », Historische Zeitschrift, 266, 1998, pp. 561-606.
6 - N. ELIAS, La civilisation des moeurs, op. cit., pp. 91-92.
7 - Ibid., p. 283.
8 - Voir Rosenwein, Barbara H., « Worrying about Emotions in History », American Historical Review, 107–3, 2002, pp. 821–845.CrossRefGoogle Scholar
9 - Sur le XIIe siècle, voir Dinzelbacher, Peter, Angst imMittelalter. Teufels- Todes- und Gotteserfahrung: Mentalitätsgeschichte und Ikonographie, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1996, p. 94 Google Scholar, qui cite N. Elias en le suivant sur ce point. Pour plus d’approfondissement, et en particulier sur l’éclosion de l’amour au début du Moyen Âge, voir ID., « Gefühl und Gesellschaft im Mittelalter. Vorschläge zu einer emotionsgeschichtlichen Darstellung des hochmittelalterlichen Umbruchs », in G. Kaiser et J.-D. MüLler (dir.), Höfische Literatur, Hofgesellschaft, höfische Lebensformen um 1200, Düsseldorf, Droste, « Studia humaniora-6 », 1986, pp. 213-241. Sur le XIe siècle, voir Little, Lester K., « Anger in Monastic Curses », in Rosenwein, B. H. (dir.), Anger’s Past. The Social Uses of an Emotion in the Middle Ages, Ithaca, Cornell University Press, 1998,Google Scholar chap. 1. Sur le Xe siècle, voir Jaeger, C. Stephen, The Origins of Courtliness. Civilizing Trends and the Formation of Courtly Ideals, 939-1210, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1985.Google Scholar Pour de plus amples considérations sur le réexamen de la question par les médiévistes, voir B. H. Rosenwein, « Worrying about Emotions… », art. cit.
10 - Voir Barbara H. Rosenwein, « Controlling Paradigms », in ID. (dir.), Anger’s Past…, op. cit., pp. 234-235 ; Deigh, John, « Cognitivism in the Theory of Emotions », Ethics, 104, 1994, pp. 824–826,CrossRefGoogle Scholar fait remonter ce modèle à la pensée de Descartes et de Hume, qui s’opposaient aux théories plus cognitives chez les scolastiques médiévaux. Elle en découle cependant aussi par les notions scolastiques liées aux théories médicales sur les esprits du corps, les humeurs et le rôle du coeur en tant que siège de l’émotion (voir Harvey, E. Ruth, The Inward Wits. Psychological Theory in the Middle Ages and the Renaissance, Londres, Warburg Institute, 1975, pp. 24–27 Google Scholar).
11 - Une des expressions en anglais pour évoquer la colère est : « Iblew my top » [NdT : comme on dit, en français, « fulminer » ou « être soupe au lait »]. Voir Lakoff, George, Women, Fire, and Dangerous Things. What Categories Reveal about the Mind, Chicago, The University of Chicago Press, 1987, pp. 380–415.CrossRefGoogle Scholar
12 - Un ouvrage de Keith Oatley offre, parmi beaucoup d’autres, une bonne introduction à ce sujet : Best Laid Schemes: The Psychology of Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
13 - Voir, notamment, HarrÉ, Rom (dir.), The Social Construction of Emotions, Oxford, Blackwell, 1986.Google Scholar
14 - Aperçu bibliographique, représentatif mais aucunement exhaustif : Althoff, Gerd, « Empörung, Tränen, Zerknirschung. “Emotionen” in der öffentlichen Kommunikation des Mittelalters », Frühmittelalterliche Studien, 30, 1996, pp. 60–79;Google Scholar ID., « Ira Regis: Prolegomena to a History of Royal Anger », in B. H. ROSENWEIN (dir.), Anger’s Past…, op. cit., chap. 5 ; ID., « Demonstration und Inszenierung: Spielregeln der Kommunikation in mittelalterlicher Öffentlichkeit », Frühmittelalterliche Studien, 27, 1993, pp. 27-50 ; Becher, Matthias, « “Cum lacrimis et gemitu”. Vom Weinen der Sieger und der Besiegten im frühen und hohen Mittelalter », in Althoff, G. (dir.), Formen und Funktionen öffentlicher Kommunikation im Mittelalter, Stuttgart, Thorbecke, 2001, pp. 25–52 ;Google Scholar Stephen D. White, « The Politics of Anger », in B. H. ROSENWEIN (dir.), Anger’s Past…, op. cit., chap. 6, s’inscrit dans une tradition – l’histoire du droit anglo-américaine – qui a longtemps considéré les sentiments comme fonctionnels, particulièrement dans la vie politique. Voir, notamment, Jolliffe, John Edward Austin, Angevin Kingship, Londres, A. et Black, C., [1955] 1963, ici pp. 87–109 Google Scholar sur la « colère » du roi. Pour des commentaries sur cette historiographie, voir Barbara H. Rosenwein, «Eros and Clio: Emotional Paradigms in Medieval Historiography », in H.-W. GOETZ et J. JARNUT (dir.), Mediävistik im21. Jahrhundert. Stand und Perspektiven der internationalen und interdisziplinären Mittelalterforschung, sous presse.
15 - FRÉDÉGAIRE, Chronique, 4. 41, in Wallace-Hadrill, J. M. (éd. et trad.), The Fourth Book of the Chronicle of Fredegar with its Continuations, Londres, Thomas Nelson, 1960, p. 34:Google Scholar « Timentis Brunechildem et odium in eam habentes ». Sur la date de l’écrit de Frédégaire, voir Wood, Ian N., « Fredegar’s Fables », in Scharer, A. et Scheibelreiter, G. (dir.), Historiographie imfrühen Mittelalter, Vienne, Oldenbourg, « Veröffentlichung des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung-32 », 1994, p. 360.Google Scholar
16 - Dans les deux cas, le terme employé pour dire « amour » est le verbe « diligo ». Sur l’éventail des significations, comparer FRÉDÉGaire, Chronique, op. cit., 4. 46, p. 39, où il est dit que Clotaire a aimé sa femme d’un « amour unique » (unico amore Chlotharius dilexerat), et 4. 51, p. 42, où la reine Gondeberge est « aimée » (diligebatur) de tous.
17 - Ibid., 4. 87, op. cit., p. 74 : « Graue amaretudines merorem adreptus super aequum sedens lacremas oculis prorumpens plangebat quos perdederat. »
18 - J. M.WALLACE-HADRILL, Long-Haired Kings…, op. cit., pp. 142-143.
19 - Lebecq, StÉphane, Les origines franques, Ve-IXe siècle, Paris, Le Seuil, « Nouvelle histoire de la France médiévale-1 », 1990, p. 170.Google Scholar
20 - Passio Leudegarii, I, 2, éd. par Bruno Krusch, Monumenta Germaniae Historica, Scriptores RerumMerovingicarum [MGH-SRM], 5, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 1997, p. 284 : « In adventum eius territi sunt omnes. »
21 - Ibid., I, 5, p. 287 : « Ideo magis coeperunt [optimates] metuere. »
22 - Ibid., I, 8, p. 290 : « Malorum crevit invidia redeviva » ; sur l’ira du roi, voir ibid., 10, p. 293.
23 - Ianmiller, William, The Anatomy of Disgust, Cambridge, Harvard University Press, 1997,Google Scholar chap. 7 ; Kuper, Adam, The Invention of Primitive Society: Transformations of an Illusion, Londres, Routledge, 1988.Google Scholar
24 - Voir Reddy, William M., The Navigation of Feeling. A Framework for the History of Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001,CrossRefGoogle Scholar pour une étude des emotives, qu’il considère comme des « actions parlées » constituant les principaux modes d’expression des affects.
25 - Sur ce point, voir Garrison, Mary, « The Study of Emotions in Early Medieval History: Some Starting Points », Early Medieval Europe, 10–2, 2001, pp. 243–250.CrossRefGoogle Scholar
26 - C’était déjà l’argument d’Aristote dans sa Poétique, et on le retrouve aujourd’hui dans la moderne « théorie de la réception ». Voir aussi Nussbaum, Martha C., Upheavals of Thought. The Intelligence of Emotions, Chicago, The University of Chicago Press, 2001, pp. 239–243.CrossRefGoogle Scholar
27 - Buc, Philippe, The Dangers of Rituals. Between Early Medieval Texts and Social Scientific Theory, Princeton, Princeton University Press, 2001, pp. 65–66.Google Scholar
28 - Chez William Reddy, le mot emotiv renvoie aux fonctions transformationnelle et performative des affects.
29 - Il est néanmoins évident que l’interface entre les auteurs, ce qu’ils écrivent, ce qui s’est réellement passé et l’éventuel lecteur ou auditeur de leurs textes n’est pas simple ; voir Booth, Wayne C., The Rhetoric of Fiction, Chicago, The University of Chicago Press, [1961] 1983.CrossRefGoogle Scholar
30 - Sur l’identité de l’auteur, voir l’introduction de Bruno Krusch à la Passio Leudegarii, MGH-SRM, 5, op. cit., pp. 256-257.
31 - Beaucoup de psychologues distinguent entre cinq et dix émotions de base, mais leur nombre varie d’une théorie à l’autre et, naturellement, tous les affects ne sont tels. Quoi qu’il en soit, il existe à toute époque et dans toute langue un nombre indéfini mais toujours limité de mots pour définir les émotions.
32 - Pour un exemple très élaboré de cette méthodologie de la contextualisation, même si elle ne porte pas spécifiquement sur les émotions, voir Wood, Ian, The Missionary Life. Saints and the Evangelisation of Europe, 400-1050, New York, Longman, 2001.Google Scholar
33 - Il était parfaitement possible de passer d’une communauté émotionnelle à une autre ou de vivre assez vieux pour appartenir successivement à plusieurs. Ce pourrait avoir été le cas d’Ouen, présent à la cour de Clotaire II pendant sa jeunesse et partisan d’Ébroïn à la fin de sa vie. Pour d’autres exemples, voir B. H. ROSENWEIN, « Worrying about Emotions… », art. cit.
34 - Fouracre, Paul, « Attitudes towards Violence in Seventh- and Eighth-Century Francia », in Halsall, G. (dir.), Violence and Society in the Early Medieval West, Woodbridge, Boydell Press, 1998, pp. 60–75.Google Scholar
35 - L’ouvrage clef est celui de Fouracre, Paul et Gerberding, Richard A. (dir.), Late Merovingian France: History and Hagiography, 640-720, Manchester, Manchester University Press, 1996;CrossRefGoogle Scholar sur l’importance des différences régionales, Fouracre, Paul, « The Nature of Frankish Political Institutions in the Seventh Century », in Wood, I. (dir.), Franks and Alemanni in the Merovingian Period: An Ethnographic Perspective, Woodbridge, Boydell Press, 1998, pp. 285–301.Google Scholar
36 - Voir P. FOURACRE et R. A. GERBERDING, Late Merovingian France…, op. cit., pp. 198-199.
37 - Ne sont pas pris en considération ici tous les documents francs du VIIe siècle mais, de préférence, ceux qui peuvent raisonnablement être regroupés et contextualisés comme représentatifs des deux communautés en question.
38 - DIDIER DE CAHORS, Epistulae, éd. par Dag Norberg, Acta Universitatis Stockholmiensis, Studia Latina Stockholmiensia, 6, Stockholm, Almquist & Wiksell, 1961 (avant 655) [DIDIER] ; JONAS, Vita Columbani, éd. par Bruno Krusch, in MGH-SRM, 4, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 1997, pp. 61-152 (639-643) ; JONAS, Vita Iohannis, éd. par Bruno Krusch, in MGH-SRM, 3, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 1995, pp. 505-517 (659) ; JONAS (?), Vita Vedasti II, éd. par Bruno Krusch, in MGH-SRM, 3, pp. 406-413 ; Passio Desiderii [de Vienne] II, éd. par Bruno Krusch, in MGH-SRM, 3, pp. 638-645 (avant 639-643, et peut-être même 614) ; Vita Desiderii, 9-11 (lettres de Herchenefreda à son fils Didier), éd. par Bruno Krusch, in MGH-SRM, 4, pp. 569-570. On remarquera que la plupart de ces écrits datent des années 640 ou leur sont antérieurs. Beaucoup sont des vies de saints, ce qui atteste l’importance accordée au sacré pendant cette période. Comme les Vitae sont notoirement riches en topoi, on peut objecter que les évocations d’affects y sont de pures conventions. Toutefois, ces dernières ne sont adoptées que parce qu’elles suscitent des échos chez les auteurs, comme chez leurs lecteurs et auditeurs. Méthodologiquement, mieux vaut se fonder sur les émotions et les thèmes récur rents à travers tout un texte ou un groupe de textes que sur des passages isolés.
39 - Voir DIDIER, 1. 11, p. 30, qui nomme certains membres influents de son entourage à la cour. Sur ceux qui exercèrent une fonction auprès du roi, voir Ebling, Horst, Prosopographie der Amtsträger des Merowingerreiches von Chlothar II (613) bis Karl Martell (741), Beiheft der Francia, 2, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 1974.Google Scholar Sur les liens étroits qu’entretinrent ces hommes mêmes après avoir quitté la cour, voir Wood, Ian, The Merovingian Kingdoms (450-751), New York, Longman, 1994, pp. 150–151.Google Scholar
40 - JONAS, Vita Columbani, 1. 26, p. 100. Pour une bibliographie sur l’entourage d’Ouen, voir Rosenwein, Barbara H., Negotiating Space: Power, Restraint, and Privileges of Immunity in Early Medieval Europe, Ithaca, Cornell University Press, 1999, pp. 66–70 Google Scholar, et Gerberding, Richard A., The Rise of the Carolingians and the « Liber Historiae Francorum”, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 86 Google Scholar, qui comporte une liste des amis d’Ouen.
41 - Sur le rôle de Clotaire quant à la première charge épiscopale d’Amand, voir Vita Amandi episcopi, I, 8, éd. par Bruno Krusch, MGH-SRM, 5, p. 434 ; sur sa nomination à la dignité d’évêque de Maastricht, ibid., no I, 18, p. 442.
42 - JONAS, Vita Iohannis, Incipit, p. 505.
43 - B. H. ROSENWEIN, Negotiating Space…, op. cit., pp. 70-73.
44 - Édit de Paris (614), 9, in MGH-Capitularia RegumFrancorum, 1, éd. par Alfred Boretius, Hanovre, Impensis Bibliopolii Hahniani, 1883, p. 22.
45 - Concile de Paris (614), 4, in Concilia Galliae, a. 511-a. 695, Charles de Clercq (dir.), Corpus christianorumseries latina, 148A, Turnhout, Brepols, 1963, p. 276. Sur d’autres réglementations visant à l’auto-modération à cette période, voir B. H. ROSENWEIN, Negotiating Space…, op. cit., chap. 2 et 3.
46 - Certaines de ces « émotions » (pathès) issues du monde antique furent incorporées au système chrétien des vices et des vertus ; voir Sorabji, Richard, Emotion and Peace of Mind: FromStoic Agitation to Christian Temptation. The Gifford Lectures, Oxford, Oxford University Press, 2000, chap. 23.Google Scholar
47 - Wood, Ian, « Deconstructing the Merovingian Family », in Corradini, R., Diesenberger, M., et Reimitz, H. (dir.), The Construction of Communities in the Early Middle Ages: Texts, Resources and Artifacts, Leyde, E. J. Brill, 2002, pp. 149–171,Google Scholar avance que Clotaire II n’était probablement « pas l’héritier biologique de Chilpéric », mais sans doute le fils de l’amant de sa mère, Landéric. Ce pourrait être une des raisons de la mauvaise réputation des mères à sa cour : cherchait-il à faire oublier sa propre mère pour mieux rappeler le souvenir de son royal père putatif ?
48 - I .WOOD, The Merovingian Kingdoms…, op. cit., pp. 195-197.
49 - JONAS, Vita Iohannis, 6, p. 509 : « ut […] vigorem relegionis ob matris blandimenta non molliret ».
50 - B. Krusch avait déjà établi le parallèle entre ces deux passages (MGH-SRM, 3, p. 509, n. 2).
51 - Ces lettres se trouvent dans la Vita Desiderii, 9-11, MGH-SRM, 4, pp. 569-570.
52 - Passio Desiderii [de Vienne], 16, p. 644.
53 - JONAS, Vita Iohannis, 6, p. 509.
54 - La question se pose tout particulièrement au sujet de la prétendue absence d’affection parentale envers les enfants au Moyen Âge. Le locus classicus est l’ouvrage de AriÈs, Philippe, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.Google Scholar
55 - JONAS, Vita Columbani, 2. 5, p. 117 et 118.
56 - Jaeger, C. Stephen, Ennobling Love. In Search of a Lost Sensibility, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1999, p. 4.Google Scholar
57 - JONAS, Vita Columbani, 1. 21, p. 94.
58 - On rencontre la colère dans JONAS, Vita Columbani, 1. 19, p. 87 : « Dominum […] ad iracundiam provocare », ainsi que la haine dans une lettre reproduite dans la Vita Desiderii, 9, p. 569, où Herchenefreda parle de la « mala opera quae Deus odit ».
59 - JONAS, Vita Columbani, 1. 4, p. 70.
60 - JONAS, Vita Iohannis, 2, p. 507.
61 - Et pas uniquement dans l’hagiographie. Dans une lettre d’un évêque anonyme à un jeune roi, Epistolae aevi Merowingici collectae, 15, éd. par Wilhelm Gundlach, in MGH, Epistolae [Epp.], 3, Munich, MGH, 1994, p. 460, le monarque est ainsi exhorté : « Time Deum, ama illum. »
62 - JONAS, Vita Iohannis, 2, p. 507 ; 3, p. 508 ; 4, p. 509 ; 18, p. 515.
63 - JONAS, Vita Columbani, 1. 20, p. 91 : « Anxius pater » ; ibid., 1. 21, p. 93 : « Merori merorem » ; ibid., 1. 22, pp. 95-96 : Colomban montre un « maestus vultus » ; ses compagnons sont « multa tristitia depressos ».
64 - Pour cette section, les sources sont les suivantes : éd. par Bruno Krusch : BOBOLENUS, Vita Germani [de Grandval], in MGH-SRM, 5, pp. 33-40 (après 675-avant 700) ; Passio Leudegarii I, ibid., pp. 282-322 (avant 684) ; Passio Praejecti, ibid., pp. 225-248 (années 680) ; Vita Wandregiseli, ibid., pp. 13-24 (670-700) ; Vita Balthildis, in MGH-SRM, 2, pp. 482-508 (v. 680) ; Vita Geretrudis, ibid., pp. 453-464 (v. 670) ; Chartae Latinae Antiquiores [Chla], 14, éd. par Hartmut Atsma et Jean Vezin, Dietikon-Zurich, Urs Graf Verlag, 1982 ; Vita Audoini, éd. par Wilhelm Levison, in MGH-SRM, 5, pp. 553-567 (après 680).
65 - Voir P. Fouracre et R. A. Gerberding, Late Merovingian France…, op. cit., pp. 211- 215, et Fouracre, Paul, The Age of Charles Martel, New York, Longman, 2000, chap. 1.Google Scholar
66 - Fouracre, Paul, « Merovingian History and Merovingian Hagiography », Past & Present, 127, 1990, pp. 3–38,CrossRefGoogle Scholar ici pp. 35-36, avance que la place accordée à l’envie dans ces sources est due à la forte influence du climat de rivalité entre les communautés ecclésiastiques. Mais P. Fouracre et R. A. Gerberding, Late Merovingian France…, op. cit., p. 47, renvoient de façon plus convaincante à une rivalité générale « pour les bénéfices, manifestement limités, du pouvoir et de la fortune » non seulement dans le clergé mais au sein de l’élite en général.
67 - Bobolenus, Vita Germani, 10, p. 37.
68 - Passio Leudegarii I, 3-4, p. 286.
69 - Passio Praejecti, 4, p. 228.
70 - Passio Leudegarii I, 21, p. 302.
71 - Passio Praejecti, 4, p. 228.
72 - Vita Wandregiseli, 6, p. 16.
73 - ChLA, 14, pp. 26-27, no 580.
74 - Passio Praejecti, 4, p. 228. Pourtant, dans la lettre de Léger à sa mère (v. 675), destinée à la consoler de la mort d’un de ses fils, il lui conseille de « diligere inimicos et orare pro eis » (aimer nos ennemis et prier pour eux), ce qui est présenté comme le remède à la haine (odium) ; voir Epistolae aevi Merowingici collectae, 17, p. 466. Curieusement, Vincent-Cassy, Mireille, « L’envie au Moyen Âge », Annales ESC, 35–2, 1980, pp. 253–271,Google Scholar pense que le Moyen Âge a ignoré l’envie depuis l’époque de Cassien jusqu’au XIIe siècle. Elle ne s’appuie que sur les traités portant sur les péchés.
75 - Ceci a déjà été relevé par P. Fouracre et R. A. Gerberding, Late Merovingian France…, op. cit., pp. 46-47, qui explique que le diable constituait un bouc émissaire commode pour les auteurs en quête de justifications du fait que des chrétiens en martyrisaient d’autres. Accuser le diable favorisait aussi la réconciliation entre factions précédemment en lutte, en déplaçant la source du conflit.
76 - Sur Vulfetrude, Vita Geretrudis, 6, p. 460 ; sur Léger, Passio Leudegarii, I, 3, p. 286.
77 - Vita Wandregiseli, 6, p. 16 : « Diabulus invidiosus est » ; ibid., 15, p. 21 : « Diabulus ut decidat et lugeat, quia maximam merorem habet. »
78 - Passio Leudegarii I, 3, p. 286.
79 - Le terme « quasi » se justifie peut-être comme qualificatif permettant à l’auteur de la Vita d’utiliser le mot dans un sens si nouveau. Mais il s’avère que l’auteur a aussi employé « quasi » pour décrire la frayeur de Gertrude à la vue d’une sphère ardente : Vita Geretrudis, 4, p. 458 : « Quasi pavore perterrita. » Il s’agit donc peut-être d’une convention sémantique stylistique.
80 - Vita Geretrudis, 1, pp. 454-455. Cet épisode fait l’objet d’une lecture attentive et pénétrante dans Catherine Peyroux, « Gertrude’s furor: Reading Anger in an Early Medieval Saint’s Life », in B. H. Rosenwein, Anger’s Past…, op. cit., chap. 2.
81 - Passio Leudegarii I, 4, p. 286.
82 - Ibid., pp. 286-287. La personne à laquelle renvoie l’expression « de metu » n’est pas clairement indiquée, mais P. FOURACRE et R. A. GERBERDING, Late Merovingian France…, op. cit., p. 221, n. 104, remarquent à juste titre qu’ailleurs (Passio Leudegarii I, 28, p. 309), les persécutions d’Ébroïn sont clairement attribuées à sa propre peur.
83 - Passio Leudegarii I, 5, p. 287.
84 - Ibid., 29, p. 310.
85 - Ibid., 4, pp. 286-287.
86 - Vita Balthildis, 11, pp. 496-497.
87 - Ibid., 11, p. 497 : « Dolebat enim cum dolentibus per studium caritatis et cum gaudentibus gaudebat […] [Elle et son abbesse] se invicem tenere ad plenissime diligerent in Christo. »
88 - Epistolae aevi Merowingici collectae, MGH-Epp., 3, p. 466 : « Habes […] domina Astheria abbatissam: est tibi mater, est tibi soror, est tibi filia. »
89 - Passio Leudegarii I, 10, p. 293.
90 - BOBOLENUS, Vita Germani, 9, p. 36.
91 - Vita Geretrudis, 1, pp. 454-455.
92 - N. ELIAS, La civilisation des moeurs, op. cit., pp. 279-280, où les « pulsions » sont l’équivalent des « décharges affectives » et sont étroitement associées aux « manifestations émotionnelles » ; cf aussi pp. 284 et 281.
93 - Voir Rozin, Paul, Lowery, Laura, Imada, Sumio et Haidt, Jonathan, « The CAD Triad Hypothesis: A Mapping between Three Moral Emotions (Contempt, Anger, Disgust) and Three Moral Codes (Community, Autonomy, Divinity) », Journal of Personality and Social Psychology, 76, 1999, pp. 574–586.CrossRefGoogle Scholar
94 - Voir White, Stephen D., « Repenser la Violence : de 2000 à 1000 », in Bourin, M. et Rosenwein, B. H. (dir.), L’an mil en 2000, Médiévales, 37, 1999, pp. 99–113,Google Scholar qui commence par interroger toute définition simple de la violence.
95 - S. D. WHITE, « The Politics of Anger », art. cit., pp. 137-139.
96 - Sur la portée éthique de ces affects particuliers, voir M. C. NUSSBAUM, Upheavals of Thought…, op. cit., parties II et III.
97 - Parmi les autres communautés concernées, voir celle en liaison avec Frédégaire qui paraît, à bien des égards, une « figure de transition ». Pétri des traditions de Jonas, il n’en paraît pas moins appartenir à la faction austrasienne favorable à Grimoald/Pépin plutôt qu’à la cour neustrienne, attachée au passé et partisane de Dagobert. S’il réprouve Brunehaut, il est capable d’imaginer des reines aimantes et aimées ; voir I. N. WOOD, « Fredegar’s Fables », art. cit.
98 - Cf. Reddy, William M., « Against Constructionism: The Historical Ethnography of Emotions », Current Anthropology, 38, 1997, p. 335:CrossRefGoogle Scholar « C’est dans la maîtrise des affects que se situe véritablement l’exercice du pouvoir : la politique n’est qu’un processus destiné à déterminer ce qui doit être réprimé comme illicite, ce qui doit être encouragé comme louable. » Article publié avec le soutien du LAMOP-Paris 1.