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Paracelse alchimiste : Notes critiques et positives

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

A. Mazaheri*
Affiliation:
Centre national de la Recherche scientifique, Paris

Extract

D'un commun accord, les historiographes des sciences nous présentent Paracelse (1493-1541) comme le fondateur de la pharmacologie moderne. Dans les pays protestants — Allemagne et Suisse, Angleterre et États-Unis — il y a eu au XVIe et au XVIIe siècle un fort courant de mysticisme scientifique se réclamant de Paracelse. Au XVIIIe et dans la première moitié du XIXe, la science devenant de moins en moins mystique, Paracelse fut presque entièrement oublié. Mais voici qu'à la fin du XIXe siècle un nouveau courant mystique — le nationalisme allemand qui cherchait à faire revivre le « passé germanique » — remit Paracelse à la mode.

Le restaurateur de son culte fut l'historien et médecin germanique Karl Sudhoff. Son édition monumentale en quatorze volumes des œuvres de Paracelse eut un énorme retentissement en Allemagne et ensuite dans tout cet univers de parlers germaniques et de confessions protestantes qui constitue une bonne part de l'Occident.

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1956

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References

page 183 note 1. Paracelsus, Magic into Science, New York, Henry Schuman, 1951 Google Scholar.

page 183 note 2. The Life and Soul of Paracelsus, Londres, Gollancz, 1951 Google Scholar.

page 183 note 3. Paracelsus, Natur und Ofîenbarung, Hanovre, Theodor Oppermann. 1953.

page 183 note 4. Mystiques, spirituels, alchimistes du XVIe siècle allemand, Paris, A. Colin, 1955 Google Scholar (Cahiers des Annales, 10).

page 184 note 1. How Chemicals Entered the Officiai Pharmacopoeias ? (Archives Intern. d'Hist. des Sciences, 1954, n° 28-29, p. 303-314.)

page 185 note 1. Voir, entre autres sources, le Dr Soubeiran, J. et le Cne Thiersant, Dabry de, La Matière médicale en Chine, Paris, 1874 Google Scholar. Le Pen-tsao en 3 tomes existait sous le règne de Han P'ing (A.D. 1-5) et traitait de 365 drogues, dont les métaux et leurs dérivés. Cf. Chi Min-Wong, K. et Liente, Wu, A History of Chinese Medecine, Shangai, 1936 Google Scholar.

page 185 note 2. Contrairement à la physica grecque, médecine centrée autour de l'anatomie et de la chirurgie et qui mérite bien son nom d'hippocratisme, médecine qui sera redécouverte par le Méditerranéen Vésale, la science médicale qui se réclame de Shen Nung, de Huang Ti, de T'ung Tchun, etc. est avant tout une chimie, l'art de doser les poisons et les contre-poisons et d'en essayer l'action sur l'organisme vivant. C'est ce que nous appelons du nom de chimie-médecine. Cet art qui est, on le verra, très différent de « l'hippocratisme », sera à son tour redécouvert par les chimistes-médecins germaniques Stahl et Sylvius, nos « contemporains », mais aussi les disciples d'Helmont et de Paracelse. A leur art ils donneront le nom de « iatrochimie ». (du grec iatria, t médecine »). Nous employons le terme plus clair de « chimie-médecine », mais nous le remplacerons parfois par son synonyme allemand, depuis longtemps, d'ailleurs, admis en français.

page 186 note 1. Zain Ed-Din de Chiraz, Manuscrit des Ikhtiyarat…, composé en 1366 A.D. et c'est une pharmacopée que l'auteur a dédiée à l'épouse du shah Shuja, la sultane Bédi ul-Jémal.

page 187 note 1. Nul doute qu'en pareil cas le « Menteur » mourait par l'effet de l'auto-suggestion, croyant à la suite de ses maîtres les Grecs que le soufre est un poison, à rencontre du « Véridique », sauvé par sa foi en la vertu de la Magie sino-zoroastrienne. Du reste, ces mages apparus seulement au Ier siècle av. J.-C, secrètement disciples de l'antique science chinoise, science inconnue des Grecs, se donnaient pour des faiseurs de miracles et nullement pour de simples savants. De là le sens péjoratif que les Grecs donnèrent dès lors à la magica et celui de charlatans donné aux « magiciens ». Le premier disciple de la médecine chinoise mentionné par les historiens grecs fut ce « magicien » princier de Mithridate Eupator, rebelle à tous les poisons, comme le crurent les Grecs. Derrière cette magica, il y avait en réalité la chimiatrie chinoise, dont les secrets n'étaient pas connus des Méditerranéens. Les mages dont ces secrets augmentaient le prestige, se gardaient bien de les divulguer. Telle est l'origine du caractère « hermétique » de la science magique, ultérieurement appelée Khymika, d'après le nom du sage Khymes qui correspond au « saint » Khûm ou Hûm de la tradition sassanide. Sur les rapports de ce « saint vieillard » avec les Chinois nous avons écrit un autre article. Il est d'autant plus important que nul n'a encore rien publié sur l'alchimie sassanide ni sur ses origines. Or l'alchimie byzantine et celle des Arabes se ramènent toutes deux à cette magica qui remonte, à son tour, à la science chinoise de la nature. Par l'intermédiaire de cette magica l'alchimie indienne elle-même remonte à la science mêdicale et naturelle des anciens Chinois. Nous y reviendrons.

page 188 note 1. DrGurlt, E., Bibliographisches Lexikon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Voelker, Leipzig, 1886 Google Scholar, article Paracelsus. II y est dit, d'après des sources allemandes, que Paracelse voyagea beaucoup et se rendit jusqu'en Asie.

page 188 note 2. Ms. de la Bibliothèque de Vienne (Flügel, Cat., 1498). L'auteur est Ali Bey et l'ouvrage se nomme Durar el-anivar fi asrar el-Hadjer.

page 188 note 3. Bibl. Nat., Paris, Supplément turc 536.

page 189 note 1. Une recette de « Drogue d'Immortalité », élixir composé de soufre, d'or liquide, de soie brute, etc. nous a été conservée par le docteur Emin ed-Dewla. C'est l'élixir de vie qu'un chimistemédecin boudhiste avait préparé pour Arghun (1284-1291), le souverain mongol de Perse. Ce prince, contre l'avis de son vizir juif Sa'd ed-Dewla, prit de cet élixir de vie pendant les huit ans que devait durer son règne. Il en mourut, dit Emin ed-Dewla !

Le terme byzantin xeiron remonte à l'iranien khshêr, « lait » ou « breuvage » ; le mot iranien lui-même dérive du khotanais, langue tarimienne, ksêra, « lait », « médecine », sens sino-iranien passé dans le sanskrit par l'intermédiaire du prakrit, langue savante du Grand Véhicule centralasiatique. Notre mot élixir dérive toutefois de l'arabe al-Iksîr qui vient directement de l'iranien et non pas de la forme mixte byzantine xeiron : ce qui explique l'absence en arabe de la finale grecque -on régulièrement reproduite à la fin de tous les mots grecs la comportant et empruntés par l'arabe. Néanmoins l'expression chinoise de « Drogue d'Immortalité » avait été traduite Anûsh-Dârûk par les Sassanides, et les docteurs musulmans nous en ont transmis la composition. On voudra bien noter que le terme khshêr dont les Byzantins ont tiré leur xeiron s'appliquait également à Anûsh-Dârûk, « Drogue d'Immortalité », mais possédait, en plus, le sens plus large de i lait médicinal », d'« extrait ». La place nous manque pour entrer dans plus de détails. Nous y reviendrons à une autre occasion.

page 189 note 2. Reshid ed-Din, le docteur juif de Ghazan (1294-1304 A.D.), le prince mongol de Perse ainsi que celui de Uldjeytou qu'il fut accusé d'avoir empoisonné (1316) et fut en conséquence exécuté sur l'ordre de son successeur — Reshid ed-Din, disons-nous, laissa une imposante pharmacie chinoise comprenant « un millier de pots chinois en porcelaine et quantité de boîtes laquées » renfermant divers médicaments chinois. C'était sa pharmacie personnelle. Quant à l'hôpital-école fondé par Ghazan à Tabriz, 50 professeurs chinois et tibétains, à côté de quelques professeurs sarazins et juifs, dont ledit Reshid ed-Din, y enseignaient, chacun ayant la direction de 10 élèves. Il y avait également des oculistes et des rebouteux, directeurs d'étude ayant chacun 5 élèves. Tout ce monde logeait dans des habitations publiques sises derrière Phôpitalécole. Pour nous donner une idée de l'importance de cet établissement, on note qu'il y entrait journellement 300 kilogrammes (100 men) de graines d'anis, autant d'agaric, autant de mastic, autant de lavande, autant de cuscute, autant d'absinthe, etc. Quant au Jardin Botanique, il fut fondé également par Ghazan. Nous apprenons par le traité de botanique Atar u Akhbar que le prince mongol de Perse fit transplanter d'Extrême-Orient, et de Chine en particulier, nombre de plantes médicinales ou tout simplement utiles dans son jardin persan et réussit à les y faire acclimater.

page 190 note 1. Fr. Oswald Kohen cité par le DrShevki, Osman, dans Turk Tebabet Tarihi (Histoire de l'art médical en Turquie), Istanbul, 1925, p. 9495 Google Scholar, d'après Adnan, A., La Science chez les Turcs Ottomans, Paris, 1934, p. 52 Google Scholar. Concernant Stuttgart, il s'agit du Bûrger Hospital, attenant à l'Hospital-Kirche. En effet, en 1482, Stuttgart devenu la capitale des comtes de Wurttemberg reçut tous les soins de ces derniers. L'église fut achevée en 1493 et l'hôpital en question fut édifié tout à côté. Quant à l'hôpital de Greenwich, il fut ouvert en 1705 par Guillaume III. Avec ses deux coupoles de 40 mètres de hauteur et sa cour carrée, il rappelle l'hôpital de Stuttgart et, en général, un dar-esh-shefa turc ou persan.

Le prototype de tous les hôpitaux-écoles de médecine du monde est le « temple » de Shen Nung, l'Esculape chinois, auquel tout l'extrême-Orient rend un culte. Ce « temple », un hôpitalécole dédié à cet Esculape, est soigneusement décrit par le Rituel des Tchéou (1050-249 B. C. d'après de Saussure). Son plan (cf. Chi-Min-Wong, K. et Lien-Teh, Wu, A History of Chinese Medicine, Shanghai, 1936 Google Scholar) rappelle celui des anciens hôpitaux-écoles occidentaux I Comment est-ce possible ? Les hôpitaux-écoles occidentaux, dont le type est l'ancien Hôtel-Dieu de Paris (829 A. D.) dérivent tous de l'hôpital-école d'Alexios Ier (Constantinople) qui dérive, à son tour, du Xénodokhion fondé en 370 A. D., par saint Basilios, évêque de Cappadoce, à la porte de Césarée, une ville arménienne. On croit que l'évèque imita les « Indiens », c'est-à-dire les Bouddhistes d'Asie centrale, dont les institutions étaient copiées par les Arsacides d'Arménie, ces plus anciens rois chrétiens, modèles des rois de Byzance, à bien des égards.

Tout porte à croire que l'hôpital arsacide imité par saint Basilios était du même type que le Bimarestan de Djundi-sâbûr, fondé par Sapor Ier (240-261 A. D.), hôpital-école qui, après avoir fleuri pendant toute la période sassanide (226-632), devint sous l'Islam le modèle des hôpitaux-écoles musulmans. Sa pharmacopée purement chinoise (musc, camphre, gingembre, rhubarbe, curcuma, etc.) nous a été conservée par les médecins arabes qui l'adoptèrent. Son architecture, également imitée par les Musulmans, fut reproduite par les établissements arabes du même genre (al-bimaristan en arabe et shifakhana en persan et en turc). Le sujet mériterait un article à part. Répétons que tous les hôpitaux-écoles, tant musulmans que bouddhistes et chrétiens, sont des imitations plus ou moins bien réussies du « Temple » de Shen Nung, l'Esculape chinois et en copient les particularités.

page 191 note 1. Communication du Dr Galib ATA au IXe Congrès d'Histoire de la Médecine, Bucarest.

page 191 note 2. Les Chinois ne semblent pas avoir craint l'effet des poisons autant que les Grecs. Ils semblent avoir de bonne heure découvert le phénomène appelé « accoutumance ». Shen Nung, cet Bsculape chinois dont les tablettes sont rituellement en place d'honneur dans tout hôpitalécole de chimie-médecine, Shen Nung, dit une antique légende, goûta lui-même 70 poisons différents. Il y a toujours eu, en Chine, des « cobayes » volontaires et, avant tout le monde, les médecins essayaient eux-mêmes les poisons en les absorbant par doses infimes, afin d'en connaître les conséquences. Ils essayaient également les antidotes.

Les chimistes-médecins chinois ont de toute antiquité reconnu qu'un poison est avant tout une question de dose, en même temps qu'un problème d'accoutumance. Voici l'emploi interne de quelques poisons minutieusement dosés : contre une fièvre rebelle, arsenic, 1 g 47 ; minium, 3 g 68 ; — ou encore : sulfure d'argent, 1 g 47 ; réalgar, 3 g 68 ; cinabre, 3 g 68. Cette préparation, mêlée à un tas de produits neutres, sera divisée en pilules de 0 g 36 chacune. Le malade ordinaire en prendra seulement une par jour ; s'il est un homme robuste, il peut en prendre 2 par jour. ( Thiersant, Dabry de, La Médecine chez les Chinois, Paris, 1869, p. 86 Google Scholar). Voici une autre recette contre le même type de fièvre : soufre, 0 g 36 ; orpiment, 0 g 36…. Et une autre contre le vomissement : mercure, 1 g 80 (ibid., p. 188).

Les leçons des chimistes-médecins chinois atteignirent de bonne heure, par la route de la soie, les Cours des Arsacides et des Scythes hellénisants (cf. le cas mystérieux pour les Grecs de Mithridate Eupator). Il y eut ainsi des mages sinisants (néo-mages ou « magiciens », leur science étant appelée magica, magiciens qu'il faut se garder de confondre avec les mages antérieurs dont parle Hérodote) dont quelques-uns rédigèrent des ouvrages bizarres que cite Pline dans son Histoire naturelle (il y a particulièrement un Zoroaster et un Osthanes). Mais, au contact du monde hellénistique, les leçons chinoises furent le plus souvent mal interprétées ou remaniées, donnant naissance à ce que l'on appela la Ehymica, l'art du « magicien » Khymes ou Khimes, soit le saint vieillard Khoum (ou Houm) de la légende iranienne, l'ascète dont parle le Livre des Chahs de Ferdowsi.

Toutes ces déformations « alchimiques » de la chimie-médecine chinoise se retrouvent dans les traités de Geber. Il écrit dans son Kitab el-khetvaç (Livre des propriétés, chapitre XIII) les lignes suivantes : « Un centième de khar (un alliage naturel chinois) vaut cent centièmes d'élixir ; 2 centièmes de fer valent 100 centièmes d'élixir. » Et, traduite en notre langage, voici la suite : « 4 centigrammes de plomb valent 1 g d'élixir ; 5 cg d'étain ou 7 cg de cuivre ou 10 cg d'argent, ou 20 cg d'or, ou 90 cg d'ammoniac, ou 150 cg de mercure ou 60 ou 75 cg de mercure sublimé, ou 70 cg d'arsenic jaune ;ou 50 cg d'arsenic rouge, ou 170 cg de soufre blanc, ou 125 cgde soufre rouge valent 1 seul gramme d'élixir » ! A cette mesure, à cette « balance » comme traduit P. Krauss, Geber donne le nom de mizan, dont le vrai sens est « poids » ou « dose ».

Ces ingrédients cités par Geber sont tout simplement des drogues métalliques et minérales chinoises qu'on retrouve dans le Pen-tsao. Leur « balance » n'est autre chose que la dose de chacune I Quant à l'élixir, nous avons dit plus haut que c'est tout bonnement la Drogue d'Immortalité ». Or, voilà des recettes de chimie-médecine chinoise devenues chez les Méditerranéens des préjugés scientifiques grecs (Arabes et Byzantins), des formules alchimiques pour réaliser la « pierre philosophale ».

Ce qui chez les Chinois était science expérimentale, devient mysticisme dans le moyen âge méditerranéen, la mythologie de l'or !

A la veille de la conquête mongole, non seulement dans les pays méditerranéens, de tradition médicale grecque, mais dans l'Asie centrale (Khoraçan) elle-même, on avait oublié ou altéré en alchimie l'essentiel des leçons chimico-médicales des anciens chinois. Cette conquête mongole eut pour conséquence de réouvrir complètement la route de la soie, de refouler les influences méditerranéennes et de faire une nouvelle fois place à celles de la civilisation, de la science chinoise.

Les hôpitaux-écoles furent réorganisés à la chinoise, des chimistes-médecins chinois vinrent enseigner en Perse, où on ne les avait pas revus depuis près de mille ans, depuis les Sassanides. Ces docteurs chinois formèrent des élèves persans et, en même temps, reprit le vieux trafic des produits pharmaceutiques chinois par la route de la soie, trafic quelque peu interrompu sous les califes sarazins.

Les médecins et les pharmacologues persans des XIVe et XVe siècles citent souvent, suivant les cas, l'opinion des Iksîriyân —l'école médicale de l'élixir—et c'est justement l'école qui prescrit comme remèdes des métaux et minéraux regardés comme poisons par la médecine grecque des Méditerranéens. Dans les hôpitaux-écoles ottomans, aux XVe et XVIe siècles, fleurissait toujours l'enseignement chimico-médical des Iksîriyân persans des XIIIe et XIVe siècles, disciples des nombreux maîtres chinois qui avaient professé, à Tabriz, en Perse, à l'hôpital-école à la chinoise fondé par le sultan mongol Ghazan (1294-1304). Nous avons dit qu'à la fin du XVe siècle Paracélse entra en contact avec ces disciples des Chinois, dans quelque hôpital-école de Turquie, celui de Méhémet II le Conquérant à Istanbul, ou plus probablement celui de Bajazet II (1481-1512) à Andrinople.