Hostname: page-component-cd9895bd7-lnqnp Total loading time: 0 Render date: 2024-12-23T18:40:33.696Z Has data issue: false hasContentIssue false

Paganisme et rusticité. Un gros problème, une étude de mots

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

Extract

Les étapes de la diffusion du christianisme à travers le monde romain sont restées imprécises ; l'attitude des diverses classes sociales, des différents peuples de l'Empire nous est souvent inconnue. Une opinion généralement accréditée voit dans l'emploi du terme paganus, pour désigner les nonchrétiens, la preuve d'une plus grande résistance à l'Évangile dans les milieux ruraux.

Type
Essais
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1953

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

page 173 note 1. Zeiller, Jacques, Paganus, étude de terminologie historique, Paris, 1917 Google Scholar (thèse compl. pour le doctorat es lettres, Paris). — Le présent article est le développement d'une communication faite en 1950 aux Antiquaires de France, en présence de Jacques Zeiller. L'intérêt que ce maître a bien voulu prendre à mon modeste essai m'a incité à poursuivre mes recherches. Qu'il trouve également ici un remerciement pour l'usage que j'ai fait, abondant, de références et d'exemples allégués dans son étude.

page 174 note 1. Vielliard, René, Recherches sur les origines de la Rome chrétienne, Paris, 1941 Google Scholar.

page 174 note 2. Les superstitions de nos campagnards, en plein xxe siècle, n'empêchent pas l'existence de leur foi chrétienne moins abstraite peut-être et moins théologique que celle des citadins. Les ruraux de l'Empire romain mêlèrent peut-être plus longtemps des souvenirs mythologiques aux leçons de l'Evangile, même si leur conversion était ancienne, antérieure même à celle des villes qui adoptèrent sans doute une foi plus épurée. Mais tout cela nous conduit aux T” et vie siècles, alors que le terme paganus était employé depuis deux siècles.

page 174 note 3. L'École de Philosophie d'Athènes sera fermée seulement en 529.

page 174 note 4. Épitaphe de Catane (300-330), Commentaire de Marius Victorinus (t 361), Rescrit de Valentinien Ie r (370) : le terme était donc employé à la fin du m0 siècle.

page 174 note 5. Édit de Milan (313), mort de Julien, dernier empereur païen (363), retrait de la statue de la Victoire du Sénat et derniers jeux olympiques (394). En ce iv” siècle finissant, les succès de saint Martin eussent-ils été aussi considérables s'il s'était adressé aux foules de Gonstantinople, de Rome, de Garthage et d'Alexandrie (émeutes païennes de 391)? En réalité, le paganisme rural offrait peut-être moins de résistance que le paganisme urbain. Ce dernier semble être « tombé » comme un fruit mûr, lorsque tout l'Empire fut devenu chrétien. La fin du paganisme nous est plus inconnue que les débuts du christianisme.

page 175 note 1. Les plus grands écrivains latins sont nés et ont souvent vécu de longues années dans d'obscures bourgades : Salluste à Amiterné, Varron à Réate, Virgile à Andes, Horace à Venouse, Ovide à Sulmone, Juvénal à Aquinum. Les urbains comme Tite-Live (Padoue), Sénèque et Lucain (Gordoue), les deux Pline (Côme) n'ont peut-être pas fourni aux lettres antiques une contribution plus grande que les ruraux. Sans doute la ville avec ses mécènes a-t-è*lle toujours finalement attiré à elle les beaux esprits, elle ne les a pas toujours produits : remarque valable pour d'autres temps et d'autres pays. — Il faudrait d'ailleurs pouvoir prouver l'attrait de l'Évangile sur les milieux cultivés antiques, à l'esprit façonné depuis des siècles par une conception toute différente de la morale et du monde.

page 175 note 2. Bien qu'étymologiquement goy désigne un peuple quelconque et aussi l'un de ses membres (gens et gentilis), le terme se restreint pratiquement aux peuples étrangers à la loi de Moïse. Le peuple des Douze Tribus est alors désigné par le substantif Am qui continue cependant à être pris dans une acception générale.

page 175 note 3. Durant l'époque byzantine et également sous la domination turque, Exxvr) n'eut jamais que le sens péjoratif de païen. Il a fallu la création du Royaume de Grèce au début du xixe siècle pour remettre le mot à l'honneur ; aujourd'hui cependant la langue néo-grecque est encore appelée romaïque, c'est-à-dire romaine !

page 176 note 1. Telle est l'opinion de M. J. Zeiller, qui n'aurait cependant pas manqué d'ajouter un argument à sa théorie si les rapports entre Heiden, «païens», et Heiden, «landes », «bruyères » lui avaient paru possibles.

page 176 note 2. André Piganiol, L'Empire chrétien, 1947, p. 382.

page 176 note 3. Pangere, « fixer » et « ficher ». Pagus désigne, au concret, la borne fichée ; pax et pactus, à l'abstrait, la convention qui fixe les accords.

page 177 note 1. Ces vici qui furent souvent le noyau des chrétientés provinciales.

page 177 note 2. Gens, de génère, « engendrer », désigne surtout le clan, à l'origine purement patricien, dont tous les membres se considèrent comme les descendants d'un ancêtre commun. Le mot finit par être pris souvent dans le sens restreint de familia, « famille » ou, au contraire, dans le sens général de « tribu », « nation », « peuple ». — Civitas désigne- à l'origine l'ensemble des hommes libres, cives, des « citoyens », puis les droits afférents à cette communauté et finalement le territoire lui appartenant.

page 178 note 1. En provençal cévenol, une forme locale, pages, désigne le propriétaire, en opposition à la masse des journaliers et des paysans sans terre.

page 178 note 2. Les noms de la plupart de nos provinces sont issus d'anciens adjectifs qualifiant les pagi : Pagus Lcmovicinus, Limousin; Pagus Andecavus, Anjou; Pagus A urelianeniis, Orléanais ; Pagus Gratianopolitanus, Oraisivaudan ; e t c . L'adjectif a été peu à peu substantivé, mais son genre, le masculin, reste garant de son origine.

page 179 note 1. Pour l'habitant de la grande ville, la bourgade est déjà la campagne ; pour le fermier ou le cultivateur du hameau, du village, le plus modeste chef-lieu de canton prend valeur de ville. De même dans l'Antiquité, le vicus est peut-être une ville pour le servus de la villa voisine, il est sûrement l'a campagne pour les habitants de Vurbs, capitale de la civitas. Et que dire de pays comme l'Italie, ou les paysans, les cultivateurs, habitent souvent dans des villes I

page 179 note 2. La racine indo-européenne de toute cette famille désigne simplement un groupe de maisons. L'origine de urbs est douteuse, les rapprochements avec orbis, « cercle » (d'où enceinte?) ou avec urvum, « manche de charrue » (d'où sillon de l'enceinte?) ont semblé peu probants a MM. Ernout et Meillet, qui pensent à un emprunt à une langue non indo-européenne. Les civilisations urbaines se sont développées en effet en Orient et sur les bords de la Méditerranée avant les invasions aryennes. Rus est au contraire bien latin, mais ne désigne à l'origine que l'espace libre ; il s'oppose autant à domus qu'à vicus ou qu'à urbs I

page 179 note 3. Évolution semblable chez les juifs. Goy a fini par être inséparable de notions qui lui étaient au début totalement étrangères. Aujourd'hui même, en judéo-allemand (yidich), l'adjectif goisch signifie couramment grossier , « de mauvais goût », « de mauvaise qualité . Le terme hébraïque est d'ailleurs passé sans être traduit dans tous les dialectes juifs de la Diaspora, et il est probable qu'à Rome les Juifs parlant latin n'employaient pas gentilis. Ce dernierterme était aussi resté beaucoup trop près de son sens étymologique pour être pris en mauvaise part et l'on comprend que les chrétiens aient vite senti îe besoin de distinguer les individus de noble naissance, les gentilshommes, des païens méprisés.

page 180 note 1. Th. Zahn, Paganus (dans Neue Kirchliche Ztschr., 1889, p. 18-44), etB. Altaner, Paganus (Ztschr. Kirchen Geschichte, 1939) ont exposé les arguments de cette théorie. J. Zeiller avait répondu au premier en 1917 dans l'ouvrage déjà cité, il a répondu au second en 1940 (C. R. Académie des Inscript.s p. 526).

page 180 note 2. Il y a bien un substantif grec IlaYoç qui se rattache d'ailleurs comme pagus à une même racine indo-européenne signifiant « fixer ». Mais l'évolution sémantique grecque a suivi d'autres détours. Si IIriyvu|ii a bien comme pangere le sens de « fixer », « ficher », Ilayo; signifie, non pas la «borne», mais le «rocher», fiché naturellement e“n terre, puis la «colline», le «tertre” : Apecoç Tiayoç, la colline d'Ares ou des Ap«i. HriYvuu.! signifie aussi « fixer par coagulation », « figer », et îlayo; a de ce fait également le sens de « glace » I Nous sommes bien loin du latin, et il est probable, comme le pense J. Zeiller, que ces deux écrivains ont imaginé un rapport entre paganus et l'Aéropage païen.

page 180 note 3. Il est dommage que les Latins n'aient pas vu dans la « borne » [pagus est pris ici dans son sens étymologique) le symbole de l'entêtement et de l'incompréhension : les pagani auraient été considérés par Orose comme les individus bornés I

page 181 note 1. Aucun rapport entre les pagani de Cicéron et les pagi des quatre tribus primitives de Servius Tullius, annexes des vici intra-muros. Ces pagi furent bientôt transformés en tribus rusticae, au fur et à mesure de l'accroissement du domaine de Rome à travers l'Italie ; on en comptait trente et un à l'époque de Cicéron, et le qualificatif rusticae n'indique rien d'autre que leur situation à l'extérieur du pomoerium de Rome, puisqu'elles comprenaient toutes les villes italiennes pourvues de la civitas romana. Ces pagani aut montani habitent au contraire les vici intra-muros, ils composent les quatre tribus urbanae.

page 181 note 2. On retrouve ce sens chez Pompeius Festus : Minervam pagani pro sapienta ponebant (” Minerve incarnait la sagesse chez les gens du peuple») — et Empanda, dea paganorum («Empanda, divinité populaire»).

page 182 note 1. Cette inscription m'a été signalée par M. W. Seston ; il incline à voir dans les pagani des civils ; ils le sont évidemment, mais pas plus que les vétérans, la différence entre les deux est d'ordre juridique et politique.

page 183 note l. Togatu», revêtu de la toga, vêtement du citoyen sans armes ﹛togae dotes, cédant arma logae, etc..) correspond seul à notre « civil ». Civilis qualifie tout ce qui se rapporte au civis, au « citoyen », et rfest « civil » qu'en terme juridique pour s'opposer à « naturel », naturalis.