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Ouvrir les camps, fermer les yeux

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Georges Didi-Huberman*
Affiliation:
EHESS

Résumé

Au moment même où il est devenu possible de commémorer en grande pompe la libération d’Auschwitz, la connaissance historique des camps se heurte encore à un problème de méthode: il demeure très difficile d’articuler la lisibilité de l’histoire à la visibilité des documents, photographiques ou cinématographiques, qui témoignent de cette période, depuis juillet 1944 (l’ouverture de Majdanek par l’armée soviétique, filmée par Roman Karmen) jusqu’en mai 1945 (l’ouverture de Falkenau par l’armée américaine, filmée par Samuel Fuller). Les exigences théoriques formulées par Walter Benjamin à l’endroit de la connaissance historique permettent cependant de mieux articuler le constat au récit, l’état des lieux à l’« état du temps », l’image à sa « légende ». Le film réalisé par Samuel Fuller à Falkenau, puis recontextualisé par Emil Weiss en 1988 nous montre exemplairement comment des images de l’horreur peuvent être rendues à une certaine condition – esthétique, éthique – de lisibilité, afin que soit reconnue avec dignité de quelle indignité les hommes sont capables. Façon de montrer à l’œuvre une très ancienne coalescence de l’imago avec la dignitas civile. « Brève leçon d’humanité en vingt et une minutes» d’images tremblantes, comme disait l’auteur même de ces images.

Abstract

Abstract

At a time when it has become possible to commemorate with great pomp the liberation of Auschwitz, historical knowledge about concentration camps still stumbles upon a methodological problem: articulating the legibility of history with the visibility of documents, whether photographs or films about this period, from July 1944 (the liberation of Majdanek by the Soviet army, filmed by Roman Karmen) to May 1945 (the liberation of Falkenau, filmed by Samuel Fuller) remains problematic. However, the theoretical framework set up by Walter Benjamin regarding historical knowledge enables us to better articulate statement with narrative, “spirit of the place” with “spirit of the time”, image with “legend”. The film directed by Samuel Fuller in Falkenau, later re-contextualised by Emil Weiss in 1988, exemplifies how images of horror can be transmitted under certain – aesthetic, ethical – conditions of legibility so that the indignity of men can be rendered with dignity. It is a way of highlighting an age-old coalescence between imago and civil dignitas. “A twenty-one-minute brief lesson in humanity” of quivering images, as the very author of these

Type
Falkenau 1945
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2006

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References

1 - Wieviorka, Annette, Auschwitz, 60 ans après, Paris, Robert Laffont, 2005, p. 9 Google Scholar.

2 - Ibid., pp. 9-10.

3 - Ibid., pp. 14 et 20.

4 - Cf. Robin Régine, « Une mémoire menacée: la Shoah », in ID., La mémoire saturée, Paris, Stock, 2003, pp. 217-375.

5 - Ibid., pp. 304-314 (où l’on constate que R. Robin peine à dégager un point de vue à partir de ladite « querelle autour des images des camps »). Pour une excellente – et incisive – synthèse sur les usages mémoriels de l’histoire, voir Traverso, Enzo, Le passé, modes d’emploi. Histoire, mémoire, politique, Paris, La Fabrique, 2005 Google Scholar.

6 - Brayard, Florent, La « Solution finale de la question juive »: la technique, le temps et les catégories de la décision, Paris, Fayard, 2004 Google Scholar.

7 - Cf. Didi-Huberman, Georges, « Pour une anthropologie des singularités formelles. Remarque sur l’invention warburgienne », Genèses. Sciences sociales et histoire, 24, 1996, pp. 145-163 Google Scholar (où se trouve discuté le « paradigme indiciaire » selon Ginzburg). C’est à partir de ce principe que j’ai tenté d’interroger les quatre photographies prises en août 1944 par les membres du Sonderkommando de Birkenau (ID., Images malgré tout, Paris, Éditions de Minuit, 2003).

8 - Hilberg, Raul, La destruction des juifs d’Europe, Paris, Fayard, [1985] 1988 Google Scholar (rééd. Paris, Gallimard, 1991), ii, pp. 338-747.

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10 - Benjamin, Walter, Paris, capitale du xixe siècle. Le livre des passages (1927-1940), trad. par Jean Lacoste, Paris, Le Cerf, 1989, p. 477 Google Scholar.

11 - Ibid.

12 - Ibid., pp. 479-480 (traduction légèrement modifiée).

13 - Ibid., p. 477. Sur cette question, se reporter à Didi-Huberman, Georges, Devant le temps. Histoire de l’art et anachronisme des images, Paris, Éditions de Minuit, 2000 Google Scholar; ID., L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002; Zumbusch, Cornelia, Wissenschaft in Bildern. Symbol und dialektisches Bild in Aby Warburgs Mnemosyne-Atlas und Walter Benjamins Passagen-Werk, Berlin, Akademie Verlag, 2004 Google Scholar.

14 - Warburg, Aby, « L’art du portrait et la bourgeoisie florentine. Domenico Ghirlandaio à Santa Trinita. Les portraits de Laurent de Médicis et de son entourage » (1902), trad. par Sybille Muller, Essais florentins, Paris, Klincksieck, 1990, p. 106 Google Scholar (traduction modifiée par nous).

15 - Voir, notamment, Neumann, Gerhard et Weigel, Sigrid (dir.), Lesbarkeit der Kultur. Literaturwissenschaften zwischen Kulturtechnik und Ethnographie, Munich, Wilhelm Fink, 2000 Google Scholar.

16 - Dans un fragment ultérieur du Livre des passages, Benjamin tente de résumer en cinq mots cette notion de la lisibilité historique: « images » (Bilder), « monade » (Monade), « expérience » (Erfahrung), « critique immanente » (immanente Kritik) et, enfin, « sauvetage » (Rettung) de la mémoire (W. BENJAMIN, Paris, capitale du xixe siècle..., op. cit., p. 494).

17 - ID., « Sur le concept d’histoire » (1940), trad. par Maurice de Gandillac, revue par Pierre Rusch, Œuvres, iii, Paris, Gallimard, 2000, pp. 430-431.

18 - Laqueur, Walter, Le terrifiant secret. La « Solution finale » et l’information étouffée, Paris, Gallimard, [1980] 1981, pp. 7-9 Google Scholar.

19 - Soviet government statements on Nazi atrocities, Londres, Hutchinson, 1946, p. 222.

20 - Tous ces renseignements proviennent de la très précise étude de Liebman, Stuart, « La libération des camps vue par le cinéma: l’exemple de Vernichtungslager Majdanek », Les Cahiers du judaïsme, 15, 2003, pp. 49-60 Google Scholar.

21 - Cf. Boguslawska-Swiebocka, R. et Cegłowska, Teresa, KL Auschwitz. Fotografie dokumentalne, Varsovie, Krajowa Agencja Wydawnicza, 1980 Google Scholar; Świebocka, Teresa (dir.), Auschwitz. A history in photographs, Oświęucim-Varsovie-Bloomington-Indianapolis-Auschwitz-Birkenau Museum/Ksiąuzh ka I Wiedza/Indiana University Press, 1993, pp. 190-215 Google Scholar et passim; Strzelecki, Andrzej, The evacuation, dismantling and liberation of KL Auschwitz, Oświęucim, Auschwitz-Birkenau State Museum, 2001 Google Scholar; A. WIEVIORKA, Auschwitz..., op. cit., pp. 23-37.

22 - Chéroux, Clément (dir.), Mémoire des camps. Photographies des camps de concentration et d’extermination nazis (1933-1999), Paris, Patrimoine photographique/Marval, 2001, pp. 103-127 Google Scholar.

23 - Ibid., pp. 128-171.

24 - Sontag, Susan, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois Éditeur, [1973] 1983 (éd. 1993), p. 34 Google Scholar.

25 - S. Liebman, « La libération des camps... », art. cit., p. 55.

26 - Témoignage d’Alexandre Voronzov, cité par A. WIEVIORKA, Auschwitz..., op. cit., pp. 27-28.

27 - About, Ilsen, Matyus, Stephan et Winkler, J.-M. (dir.), La part visible des camps. Les photographies du camp de concentration de Mauthausen, Vienne-Paris, Bundesministerium für Inneres/Éditions Tirésias, 2005, pp. 130-141 Google Scholar, où l’on peut voir successivement les (mauvais) clichés du 5 mai 1945 et ceux de la remise en scène de la libération du camp, le 7 mai.

28 - Cf. Matard-Bonucci, Marie-Anne et Lynch, Édouard (dir.), La libération des camps et le retour des déportés, Bruxelles, Éditions Complexe, 1995, pp. 63-73 Google Scholar (« La pédagogie de l’horreur ») et pp. 163-175 (« Les filtres successifs de l’information »); Delporte, Christian, « Les médias et la découverte des camps (presse, radio, actualités filmées) », in Bédarida, F. et Gervereau, L. (dir.), La déportation. Le système concentrationnaire nazi, Paris, Musée d’histoire contemporaine-BDIC, 1995, pp. 205-213 Google Scholar; Barnouw, Dagmar, Germany 1945. Views of war and violence, Bloomington, Indiana University Press, 1996 Google Scholar; Drame, Claudine, « Représenter l’irreprésentable: les camps nazis dans les actualités françaises de 1945 », Cinémathèque, 10, 1996, pp. 12-28 Google Scholar; Lindeperg, Sylvie, Clio de 5 à 7. Les actualités filmées de la Libération, archives du futur, Paris, CNRS Éditions, 2000, pp. 155-209 Google Scholar.

29 - Cf. Insdorf, Annette, L’Holocauste à l’écran, Paris, Le Cerf, 1985 Google Scholar; Avisar, Ilan, Screening the Holocaust. Cinema’s images of the unimaginable, Bloomington-Indianapolis, Indiana University Press, 1988 Google Scholar; Deguy, Michel (dir.), Au sujet de Shoah, le film de Claude Lanzmann, Paris, Belin, 1990 Google Scholar; Friedlander, Saul (dir.), Probing the limits of representation. Nazism and the « Final Solution », Cambridge-Londres, Harvard University Press, 1992 Google Scholar; Fleury-Vilatte, Béatrice, Cinéma et culpabilité en Allemagne, 1945-1990, Perpignan, Institut Jean Vigo, 1995, pp. 21-52 Google Scholar; Gauthier, Guy, Le documentaire, un autre cinéma, Paris, Armand Colin, [1995] 2005, pp. 224-228 Google Scholar; Zelizer, Barbie, Remembering to forget. Holocaust memory through the camera’s eye, Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 1998 Google Scholar; Monicelli, Francesco et Saletti, Carlo (dir.), Il racconto della catastrofe. Il cinema di fronte a Auschwitz, Vérone, Società Letteraria-Cierre Edizioni, 1998 Google Scholar; Mesnard, Philippe, « La mémoire cinématographique de la Shoah », in Coquio, C.(dir.), Parler des camps, penser les génocides, Paris, Albin Michel, 1999, pp. 473-490 Google Scholar; Niney, françois, L’épreuve du réel à l’écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles, De Boeck Université, [2000] 2002, pp. 253-292 Google Scholar; Lowy, Vincent, L’histoire infilmable. Les camps d’extermination nazis à l’écran, Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 38-56 Google Scholar; Bartov, Omer, Grossmann, Atina et Nolan, Mary (dir.), Crimes of war. Guilt and denial in the twentieth century, New York, The New Press, 2002, pp. 61-99 Google Scholar; Waltraud, « Wara » Wende, (dir.), Geschichte im Film. Mediale Inszenierungen des Holocaust und kulturelles Gedächtnis, Stuttgart-Weimar, Metzler, 2002 Google Scholar; Kramer, Sven (dir.), Die Shoah im Bild, Munich, Text + Kritik, 2003 Google Scholar.

30 - Agamben, Giorgio, « Qu’est-ce qu’un camp? » (1995), Moyens sans fin. Notes sur la politique, Paris, Payot & Rivages, 1995, p. 50 Google Scholar; ID., Homo sacer I, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil, [1995] 1997, p. 183.

31 - Cf. Brayard, Florent (dir.), Le génocide des juifs entre procès et histoire, 1943-2000, Paris-Bruxelles, IHTP/Éditions Complexe, 2000 Google Scholar. Sur les rapports de l’histoire et du droit – c’est-à-dire de l’historien et du juge –, cf. Ginzburg, Carlo, Le juge et l’historien. Considérations en marge du procès Sofri, Lagrasse, Verdier, [1991] 1997 Google Scholar; ID., Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, Paris, Le Seuil/Gallimard, « Hautes études », [2000] 2003, pp. 13-42.

32 - Sur la question générale du témoignage visuel et de l’image comme preuve, voir Dulong, Renaud, Le témoin oculaire. Les conditions sociales de l’attestation personnelle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1998 Google Scholar; Burke, Peter, Eyewitnessing. The uses of images as historical evidence, Ithaca, Cornell University Press, 2001 Google Scholar; Niney, François (dir.), La preuve par l’image? L’évidence des prises de vue, Valence, Centre de Recherche et d’action culturelle, 2003 Google Scholar.

33 - Cité et traduit par Delage, Christian, « L’image comme preuve. L’expérience du procès de Nuremberg », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 72, 2001, pp. 63-78, ici p. 65 CrossRefGoogle Scholar.

34 - Voir Douglas Lawrence, « Film as witness: Screening Nazi concentration camps before the Nuremberg tribunal » (1995), in ID., Memory of judgment: Making law and history in the trials of the Holocaust, New Haven-Londres, Yale University Press, 2001, pp. 11-37; CHRISTIAN DELAGE, « L’image photographique dans le procès de Nuremberg », in C. CHéROUX (dir.), Mémoire des camps..., op. cit., pp. 172-173; ID., « L’image comme preuve... », art. cit., pp. 63-78. Christian Delage a également publié et traduit le texte de l’audience du 29 novembre 1945 du Tribunal de Nuremberg, au cours de laquelle fut projeté le film Nazi concentration camps. Le commander James B. Donovan y annonce explicitement que « les États-Unis présentent comme preuve un documentaire sur les camps de concentration. Ce compte rendu provient de films pris par les autorités militaires au fur et à mesure de la libération par les armées alliées des régions où se trouvaient ces camps » (CHRISTIAN DELAGE, « L’audience du 29 novembre 1945 du Tribunal militaire international de Nuremberg et la projection du film Les Camps de concentration nazis », trad. et présentation par Christian Delage, Les Cahiers du judaïsme, 15, 2003, pp. 81-95, ici p. 84).

35 - Ibid., p. 87. Sur les films tournés par l’armée britannique et le projet inachevé de Sidney Bernstein – qui appela Alfred Hitchcock en tant qu’advisor pour le montage –, voir S. Lindeperg, Clio de 5 à 7..., op. cit., pp. 231-235; Guerzoni, Benedetta, « The memory of the camps, un film inachevé. Les aléas de la dénonciation des atrocités nazies et de la politique britannique de communication en Allemagne », Les Cahiers du judaïsme, 15, 2003, pp. 61-70 Google Scholar.

36 - Cf. G. Didi-Huberman, Images malgré tout, op. cit., pp. 115-149.

37 - Gervereau, Laurent, Les images qui mentent. Histoire du visuel au xxe siècle, Paris, Le Seuil, 2000, pp. 203-219 Google Scholar.

38 - Joly, Martine, « Le cinéma d’archives, preuve de l’histoire? », in Bertin-Maghit, J.-P.et Fleury-Vilatte, B. (dir.), Les institutions de l’image, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001, pp. 201-212 Google Scholar (à propos du film de Sidney Bernstein).

39 - Cité par C. Delage, « L’image comme preuve... », art. cit., p. 69.

40 - Ces témoignages aujourd’hui forment un considérable corpus. Sur leur statut et leur façon de convoquer l’historien, se reporter à Wieviorka, Annette, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998 Google Scholar. Parmi les plus récentes publications de témoignages sur l’ouverture des camps, voir, Axelrad, Édouard et alii, Les derniers jours de la déportation, Paris, Le Félin, 2005 Google Scholar, et Bernadac, Christian, La libération des camps: racontée par ceux qui l’ont vécue, Paris, Éditions France-Empire, 2005 Google Scholar, nouvelle édition revue par Édouard Bernadac de Bernadac, Christian, La libération des camps: le dernier « jour de notre mort », Paris, M. Lafon, 1995 Google Scholar.

41 - Delbo, Charlotte, Auschwitz et après, ii, Une connaissance inutile, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 174 Google Scholar.

42 - Rousset, David, Les jours de notre mort, Paris, Hachette-Littératures, [1947] 1993, p. 960 Google Scholar.

43 - Wiesel, Élie, La nuit, Paris, Éditions de Minuit, 1958, pp. 174-175 Google Scholar. C’est exactement sur cette scène, le premier regard du prisonnier dans un miroir, que s’ouvrira le livre de Semprun, Jorge, L’écriture ou la vie, Paris, Gallimard, [1994] 1996, p. 13 Google Scholar.

44 - Langbein, Hermann, Hommes et femmes à Auschwitz, Paris, Fayard, [1972] 1975 (éd. 1997), pp. 448-475 Google Scholar.

45 - Levi, Primo et Debenedetti, Leonardo, Rapport sur Auschwitz (1945-1946), trad. par Catherine Petitjean, Paris, Kimé, 2005, p. 51 Google Scholar.

46 - Ibid., pp. 52-84.

47 - Rastier, François, « Primo Levi: prose du témoin, poèmes du survivant », in Gaudard, F.-C. et Suárez, M. (dir.), Formes discursives du témoignage, Toulouse, Éditions universitaires du Sud, 2003, pp. 143-160 Google Scholar; ID., Ulysse à Auschwitz: Primo Levi, le survivant, Paris, Le Cerf, 2005; voir également le beau texte de Mouchard, Claude, « “Ici”? “Maintenant”? Témoignages et œuvres », in Mouchard, C. et Wieviorka, A. (dir.), La Shoah. Témoignages, savoirs, œuvres, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes/ Cercil, 1999, pp. 225-260 Google Scholar.

48 - Cf. Beckett, Samuel, L’innommable, Paris, Éditions de Minuit, 1953, p. 213 Google Scholar: « [...] il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire ces mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer. »

49 - Levi, Primo, Si c’est un homme, trad. par Martine Schruoffeneger, Paris, Julliard, [1947] 1987 (éd. 1993), pp. 162-186 Google Scholar. Tout ce dernier chapitre est simplement intitulé « Histoire de dix jours ».

50 - Ibid., pp. 167-168.

51 - Ibid., p. 169.

52 - Ibid., pp. 171-172.

53 - Ibid., p. 178.

54 - Ibid., p. 181.

55 - Ibid., pp. 183-184.

56 - Ibid., p. 184.

57 - Ibid., p. 185.

58 - Ibid., p. 186.

59 - Kertész, Imre, « Discours prononcé à la réception du prix Nobel de littérature à Stockholm, le 10 décembre 2002 », Bulletin de la Fondation d’Auschwitz, 80-81, 2003, pp. 165-171, ici p. 169 Google Scholar.

60 - PRIMO LEVI, « Retour à Auschwitz » (1982), transcription M. Belpoliti, trad. par Catherine Petitjean, Rapport sur Auschwitz, op. cit., p. 108. On sait que Giorgio Agamben a radicalisé cette idée jusqu’à faire du camp « la matrice secrète, le nomos de l’espace politique dans lequel nous vivons encore » (G. AGAMBEN, « Qu’est-ce qu’un camp? », art. cit., p. 47; ID., Homo sacer I, op. cit., p. 179).

61 - Antelme, Robert, L’espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957, pp. 269-306 Google Scholar.

62 - Ibid., pp. 300-301.

63 - Ibid., p. 302. Sur l’inaudible des premiers récits de la déportation, voir Wieviorka, Annette, « Indicible ou inaudible? La déportation: premiers récits (1944-1947) », Pardès, 9-10, 1989, pp. 23-59 Google Scholar.

64 - Fuller, Samuel, A third face. My tale of writing, fighting, and filmmaking, édité par Christa Lang Fuller et Jerome H. Rudes, New York, Applause, 2002, p. 6 Google Scholar. Cf. Rothberg, Abraham, Eyewitness history of World War ii, New York, Bantam Books, 1962 Google Scholar. Sur Samuel Fuller, voir Server, Lee, Sam Fuller: Film is a battleground. A critical study, with interviews, a filmography, and a bibliography, Jefferson-Londres, McFarland, 1994 Google Scholar.

65 - S. Fuller, A third face..., op. cit., p. 110.

66 - Ibid., p. 105.

67 - Ibid., pp. 65 et 73.

68 - Ibid., p. 73.

69 - Ibid., p. 79.

70 - Ibid., p. 114.

71 - Ibid., pp. 118-120.

72 - Ibid., pp. 162-175.

73 - Ibid., p. 214.

74 - Narboni, Jean et Simsolo, Noël, Il était une fois... Samuel Fuller. Histoires d’Amérique racontées par Samuel Fuller à Jean Narboni et Noël Simsolo, Paris, Les Éditions des Cahiers du cinéma, 1986, pp. 114-115 Google Scholar.

75 - S. Fuller, A third face..., op. cit., p. 218.

76 - Ibid., pp. 217-218 (voir également le témoignage de Samuel Fuller dans le film de Yann Lardeau et Emil Weiss, A travelling is a moral affair, Paris, M. W. Productions, 1986).

77 - Ibid., pp. 215-216.

78 - Ibid., p. 215.

79 - Dans le film d’Emil Weiss, Falkenau, vision de l’impossible, Paris, M. W. Productions, 1988.

80 - Le type de cérémonie funéraire imposée aux civils allemandsà Falkenau seretrouve dans nombre d’autres camps, par exemple à Vaihingen ou à Buchenwald. Cf. M.-A. Matard-Bonucci et É. Lynch (dir.), La libération des camps..., op. cit., pp. 68-71.

81 - Cf. J. Narboni et N. Simsolo, Il était une fois..., op. cit., pp. 114-118; Y. Lardeau et E. Weiss, A travelling is a moral affair, op. cit.

82 - Cf. Godard, Jean-Luc, « Rien que le cinéma » (1957), Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, éd. par Alain Bergala, Paris, Cahiers du cinéma, 1998, I, pp. 96-98, ici p. 96 Google Scholar; ID., « Signal » (1957), Ibid., pp. 115-116; ID., « Feu sur Les Carabiniers » (1963), Ibid., p. 239; ID., « Trois mille heures de cinéma » (1966), Ibid., p. 295. On sait que Godard fera jouer à Samuel Fuller son propre rôle dans Pierrot le fou, pour que soit donnée du cinéma une définition en six mots: « Love, hate, action, violence, death, emotion » (ID., « Parlons de Pierrot » (1965), Ibid., p. 268).

83 - J. Narboni et N. Simsolo, Il était une fois..., op. cit., p. 13.

84 - S. Fuller, A third face..., op. cit., pp. 229-234.

85 - Cité par L. Server, Sam Fuller..., op. cit., p. 52.

86 - Delage, Christian et Guigueno, Vincent, L’historien et le film, Paris, Gallimard, 2004, pp. 46-58 et 210-214 Google Scholar.

87 - S. Fuller, A third face..., op. cit., pp. 236 et 240.

88 - Ibid., pp. 219, 234 et 291.

89 - ID., The Big Red One, Paris, Christian Bourgois Éditeur, [1980] 1991, pp. 515-531.

90 - ID., A third face..., op. cit., pp. 122, 219 et 382-383 (où Fuller raconte le millier de pages du scénario, les problèmes de casting, etc.) et pp. 475-483. Le film The Big Red One, Los Angeles, Lorimar, 1980, a fait récemment l’objet d’une « reconstitution » ou, plutôt, d’un travail de restitution de nombreuses scènes tronquées à sa sortie (Los Angeles, Warner Bros Entertainment, 2005).

91 - ID., A third face..., op. cit., p. 383.

92 - Ibid., p. 482.

93 - J. Narboni et N. Simsolo, Il était une fois..., op. cit., p. 320.

94 - Le roman offre une version sensiblement différente: S. Fuller, The Big Red One, op. cit., pp. 520-523.

95 - En toute logique hollywoodienne, ce silence voulu par Fuller est atténué par une composition musicale qui s’est faite sans son accord (il n’a même jamais rencontré le compositeur Dana Kaproff). Alors, « silence » veut dire ici que l’orchestre est réduit à quelques hautbois, flûtes ou violoncelles.

96 - Voir Vidal-Naquet, Pierre, Les assassins de la mémoire. « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme (1980-1987), Paris, La Découverte, 1991 Google Scholar.

97 - «Aujourd’hui, il y a des gens pour dire, comme Le Pen, que tout ça n’est qu’un “détail”! » S. Fuller dans le film d’E. WEISS, Falkenau, vision de l’impossible, op. cit., dont le commentaire est transcrit par Christian Delage: SAMUEL FULLER, « Falkenau » (1988), L’historien et le film, op. cit., pp. 210-214, ici p. 214.

98 - Sur ce retour au lieu par delà sa destruction même, voir Didi-Huberman Georges, « Le lieu malgré tout » (1995), in ID., Phasmes. Essais sur l’apparition, Paris, Éditions de Minuit, 1998, pp. 228-242.

99 - S. Fuller, A third face..., op. cit., p. 511.

100 - Je pense, bien sûr, à l’imago romaine et à sa fonction généalogique, dignitaire et funéraire. Cf. Georges Didi-Huberman, « L’image-matrice. Histoire de l’art et généalogie de la ressemblance » (1995), in ID., Devant le temps..., op. cit., pp. 59-83.

101 - - S. Fuller, A third face..., op. cit., p. 511.

102 - Cf. G. Didi-Huberman, Images malgré tout, op. cit., pp. 110-113.

103 - S. Fuller, « Falkenau », art. cit., p. 210.

104 - Ibid., pp. 211-212.

105 - Christian Delage rappelle à ce propos que « les tribunaux militaires américains ont condamné à mort vingt-cinq des tortionnaires de Flossenbürg et de ses satellites » (C. Delage et V. Guigueno, L’historien et le film, op. cit., p. 288).

106 - S. Fuller, « Falkenau », art. cit., pp. 211 et 213.

107 - Ibid., p. 211.

108 - Ibid., p. 212.

109 - J. Narboni et N. Simsolo, Il était une fois..., op. cit., p. 117.

110 - S. Fuller, « Falkenau », art. cit., p. 212. Façon d’indiquer la dimension éthique du témoignage (aknowledgment) par delà sa dimension de preuve et de connaissance (knowledge).

111 - Ibid., p. 213.

112 - Ibid., pp. 210, 211 et 213.

113 - Ibid., p. 214 (le mot « humanité » a été omis dans la transcription).

114 - ID., A third face..., op. cit., p. 215.

115 - ID., « Falkenau », art. cit., p. 211.

116 - ID., A third face..., op. cit., p. 217. Fuller répétera: « Film doesn’t lie » (Ibid., p. 511).

117 - Partie du commentaire de Falkenau, vision de l’impossible omise dans ID., « Falkenau », art. cit., pp. 210-214.

118 - Ibid., p. 212.

119 - Dans le film de Y. Lardeau et E. Weiss, A travelling is a moral affair, op. cit.

120 - Cf. Agamben, Giorgio, Enfance et histoire. Destruction de l’expérience et origine de l’histoire, Paris, Payot, [1978] 1989, pp. 33-34 et 102-106 Google Scholar. Rappelons comment Warburg définissait en 1929 sa « science des images »: « Histoire de fantômes pour grandes personnes » (Gespenstergeschichte f[ür] ganz Erwachsene).

121 - Il faudrait donc lire ensemble les deux essais de Christian Delage, « Cinéma, enfance et histoire », in A. De Baecque et C. Delage (dir.), De l’histoire au cinéma, Paris-Bruxelles, IHTP/Éditions Complexe, 1998, pp. 61-98, et ID., « Samuel Fuller à Falkenau: l’événement fondateur », L’historien et le film, op. cit., pp. 46-58. Voir également l’article – paru alors que ce texte était déjà rédigé – de Le Forestier, Laurent, « Fuller à Falkenau: l’impossible vision? », 1895. Revue de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, 47, 2005, pp. 184-193 Google Scholar.

122 - Dans les travaux, par ailleurs pionniers, de Ferro, Marc, Cinéma et histoire, Paris, Gallimard, [1977] 1993, pp. 144-152 Google Scholar (« Sur l’antinazisme américain, 1939-1943 ») et pp. 217-226 (« Y a-t-il une vision filmique de l’histoire? »).

123 - Cf. Jacques RanciÈRE, « L’historicité du cinéma », in A. De Baecque et C. Delage (dir.), De l’histoire au cinéma, op. cit., pp. 45-60; ID., La fable cinématographique, Paris, Le Seuil, 2001.

124 - Sur G. Stevens, voir notamment Delage, Christian, « La couleur des camps », Les Cahiers du judaïsme, 15, 2003, pp. 71-80 Google Scholar.

125 - Daney, Serge, « Le travelling de Kapo » (1992), Persévérance: Entretien avec Serge Toubiana, Paris, POL Éditions, 1994, pp. 13-39, ici p. 24 Google Scholar.

126 - Cf. S. Fuller, A third face..., op. cit., pp. 365-374; J. Narboni et N. Simsolo, Il était une fois..., op. cit., pp. 226-234. Pour une critique de cette scène, se reporter à S. Lindeperg, Clio de 5 à 7..., op. cit., pp. 258-260.

127 - Damisch, Hubert, « Montage du désastre », Cahiers du cinéma, 599, 2005, pp. 72-78, ici p. 76 Google Scholar.

128 - Ibid., pp. 73 et 78.

129 - Ibid., pp. 76-77. H. Damisch veut d’abord faire croire que je présentais comme inédites les images du Sonderkommando d’Auschwitz, « connues en fait de longue date », écrit-il, alors que j’en ai tenté l’histoire depuis 1944 jusqu’à leur traitement dans les récents livres d’histoire (G. DIDI-HUBERMAN, Images malgré tout, op. cit., pp. 11-56). Puis il conteste à mi-mots, donc sans arguments, que deux d’entre ces photographies aient été prises depuis la chambre à gaz du crématoire V de Birkenau (Ibid., pp. 22-25 et 144-149). Il en déduit que ces images « censées avoir été prises depuis l’une des chambres à gaz d’Auschwitz [...] ne sauraient passer, en tout état de cause, quelque imagination qu’on y déploie, pour des images des chambres à gaz», m’imputant une confusion – images prises depuis une chambre à gaz et images de chambre à gaz en état de fonction-nement – que je ne fais jamais. Enfin, il prétend déceler dans cette pseudo-confusion l’appel explicite à un « concept aussi suspect et éculé que celui d’empathie », censé soutenir une « apologie de l’image » contre tout langage et toute parole, là où je n’ai fait que tenter de reconstruire – par recherche historique et travail d’écriture – un point de vue et une lisibilité pour ces images.

130 - Ibid., p. 76.

131 - Ibid., p. 72.

132 - Travail pourtant déjà effectué par Delage, Christian, « Les camps nazis: l’actualité, le documentaire, la fiction. À propos du Criminel (The Stranger, Orson Welles, USA, 1946) », Les Cahiers de la Shoah, 2003, pp. 87-109 Google Scholar.

133 - Cf. cependant Stuart Liebman, « Les premières constellations du discours sur l’Holocauste dans le cinéma polonais », De l’histoire au cinéma, op. cit., pp. 193-216.

134 - Welles, Orson, Moi, Orson Welles. Entretiens avec Peter Bogdanovitch, Paris, Belfond, [1992] 1993, pp. 213-214 Google Scholar.

135 - Hubert Damisch se trompe encore lorsqu’il écrit que «là où le commentaire des Actualités françaises se sera systématiquement abstenu, pour de bons ou de mauvais mobiles, de prononcer le mot “juif” [...] et où, onze ans plus tard, le silence sera encore de règle sur ce point dans le commentaire de Jean Cayrol pour Nuit et brouillard d’Alain Resnais, les quelques images des camps présentées par Welles dans The Stranger s’inscrivent au contraire d’emblée, nommément et sans équivoque, dans la perspective de la “solution finale” et de ce qu’on nommera plus tard la Shoah » (art. cit., p. 74), puisque, dans ses commentaires sur les images des camps, le procureur Wilson n’évoque pas les juifs, mais les « populations des pays vaincus » comme objet du génocide nazi. Pour d’autres exemples de cet usage du document dans la fiction, à cette époque, voir Delage, Christian, « L’image dans le prétoire. Usages du document filmé chez Fritz Lang et Stanley Kramer », Études photographiques, 17, 2005, pp. 45-66 Google Scholar.

136 - Kessel, Joseph, « Images vues au tribunal de Nuremberg » (1945), Les Cahiers du judaïsme, 15, 2003, pp. 97-99 Google Scholar.

137 - H. Damisch, « Montage du désastre », art. cit., p. 78.

138 - Cf. Didi-Huberman, Georges, « Montage des ruines », Simulacres, 5, 2001, pp. 8-17 Google Scholar. ID., Images malgré tout, op. cit., pp. 151-187 (« Image-montage ou image-mensonge »).

139 - H. Damisch, « Montage du désastre », art. cit., p. 77.

140 - Cf. Didi-Huberman, Georges, « De ressemblance à ressemblance », in Bident, C. et Vilar, P. (dir.), Maurice Blanchot. Récits critiques, Tours-Paris, Éditions Farrago/Léo Scheer, 2003, pp. 143-167 Google Scholar.

141 - Freud, Sigmund, La naissance de la psychanalyse. Lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans (1887-1902), éd. par Marie Bonaparte, Anna Freud et Ernst Kris, trad. par Anne Berman, Paris, PUF, 1956 (éd. 1973), p. 151 Google Scholar.

142 - Ibid., p. 152.

1 - ID., L’interprétation des rêves, trad. par Ignace Meyerson, revue par Anne Berman, Paris, PUF, [1900] 1967 (éd. 1971), pp. 273-274.

144 - ID., La naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 152.

145 - Weigel, Sigrid, « Scholems Gedichte und seine Dichtungstheorie. Klage, Adressierung, Gabe und das Problem einer biblischen Sprache in unserer Zeit », in Mosès, S. et Weigel, S. (dir.), Gershom Scholem. Literatur und Rhetorik, Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau, 2000, pp. 16-47 Google Scholar.

146 - Voir F. RASTIER, Ulysse à Auschwitz..., op. cit., pp. 192-198.

147 - Cf. Fleckner, Uwe, « “Der Leidschatz der Menschheit wird humaner Besitz”. Sarkis, Warburg und das soziale Gedächtnis der Kunst », Sarkis. Das Licht des Blitzes – Der Lärm des Donners, Vienne, Museum moderner Kunst/Stiftung Ludwig, 1995, pp. 33-46 Google Scholar.

148 - De Certeau, Michel, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 327 Google Scholar.

149 - Benjamin, Walter, « Sur le concept d’histoire » (1940), trad. par Maurice de Gandillac, revue par Pierre Rusch, Œuvre, t. III, Paris, Gallimard, 2000, p. 431 Google Scholar.