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Nature des choses et qualité des personnes. Le Consulat de commerce de Turin au XVIIIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Simona Cerutti
Affiliation:
EHESS-CRH

Résumé

Le pluralisme juridique est un objet souvent évoqué par les historiens des sociétés d’Ancien Régime, mais hélas rarement étudié. Cet article cherche à comprendre comment, dans une même situation et à un même moment historique (Turin au XVIIIe siècle) ont pu coexister au moins deux systèmes de revendication des droits et d’administration de la justice. La procédure sommaire (en vigueur dans le Consulat de commerce), s’inspirant des idéaux du droit naturel et de la «nature des choses», légitimait les pratiques sociales comme sources du droit; la procédure ordinaire était en revanche sensible à des critères liés à la hiérarchie des statuts. En fait, elle satisfaisait à des demandes sociales différentes, à une conception supra-locale, ou bien locale, du droit. Entre 1720 et 1730, la justice sommaire fut supplantée par la procédure ordinaire. L’analyse du fonctionnement du Consulat et des procès qui s’y tinrent montre qu’elle ne fut pas la victime d’un processus inéluctable de professionnalisation progressive du droit, mais plutôt d’une compétition entre deux façons de concevoir et de revendiquer le «juste ». En fait, l’histoire des rapports entre les deux procédures est celle de l’articulation entre l’action et le statut, ainsi que de la dialectique entre les dimensions locales et supra-locales du droit. Autant de thèmes qui dominent la culture juridique d’Ancien Régime.

Summary

Summary

Legal pluralism, a topic often evoked by the historians of the Old Regime societies, has scarcely received any attention from scholars. The purpose of this article is to understand how, in a specific place and historical moment (18th-Century Turin), at least two systems of right vindication and justice administration were able to coexist. The summary procedure (used in the Consulate of Commerce) inspired by the ideals of natural right and the “nature of things” gave legitimacy to social practices as sources of law: ordinary procedure on the other hand was subject to criteria linked to hierarchical statutes. Actually, this satisfied various social demands, a supralocal or local conception of law. Between 1720 and 1730, summary justice was replaced by ordinary procedure. The analysis of the workings of the Consulate and of its trials shows that it did not suffer from the inevitable process of progressive professionalization of law, but rather from two competing ways of conceiving and claiming what is “just”. In fact, the history of the rapports between the two procedures is that of the connection between action and statute as well as of the dialectic between the local and supralocal dimensions of law. These are the prevailing themes of the legal culture of the Old Regime.

Type
Justiciables et tribunaux Marchands, ouvriers
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002

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References

1 - Ascheri, Mario, «Il processo civile tra diritto comune e diritto locale: da questioni preliminari al caso della giustizia estense», Quaderni Storici, 101-2, 1999, pp. 355389, ici p. 364 Google Scholar.

2 - Voir Cerutti, Simona et Ago, Renata, introductionaunuméro monographique «Procedure di giustizia», Quaderni Storici, 101-2, 1999, pp. 307313 Google Scholar, ici p. 307 sq.

3 - Ces processus ont été reconstruits avec lucidité, en particulier par Hespanha, António Manuel, «Savants et rustiques: la violence douce de la raison juridique», Ius commune, X, 1983, pp. 147 Google Scholar.

4 - Le premier Consulat de commerce fut créé à l’initiative du corps des marchands turinois; sa direction était assurée par quatre de ses membres. En 1687, sous le règne de Victor-Amédée II, des hommes de lois remplacèrent les marchands, et des sénateurs de l’État furent nommés premier et deuxième consul. Cette situation se maintint jusqu’au XIXe siècle mais avec une parenthèse importante de dix ans: entre 1723 et 1733, le Consulat fut rendu au corps des marchands. Cette décennie est au centre de ces pages. Sur le Consulat, se reporter à Cerutti, Simona, «Normes et pratiques, ou de la légitimité de leur opposition», in Lepetit, B. (éd.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, pp. 127149 Google Scholar; Id., « Giustizia e località a Torino in età moderna: una ricerca in corso», Quaderni Storici, 89-2, 1995, pp. 445-486; Id., « Statut juridique individuel, statut juridique corporatif. Le Consulat de commerce de Turin au XVIIIe siècle», in M. Boone et M. Prak (éds), Statuts individuels, statuts corporatifs et statuts judiciaires dans les villes européennes (Moyen Âge et Temps modernes), Louvain, Garant, 1996, pp. 237-254; Id., « Faits et faits judiciaires: le Consulat de commerce de Turin au XVIIIe siècle», Enquête, 7, 1998, pp. 145-174.

5 - Sur la procédure sommaire, restent fondamentaux les ouvrages de Lattes, Alessandro, Studi di diritto statutario. I. Il procedimento sommario o planario negli statuti , Milan, Hoepli, 1886 Google Scholar; Id., Il diritto commerciale nella legislazione statutaria italiana, Milan, 1884; Hilaire, Jean, Introduction historique au droit commercial, Paris, PUF, 1986 Google Scholar; Santarelli, Umberto, Mercanti e società tra mercanti, Turin, Giappichelli Editore, [1989] 1998 Google Scholar.

6 - Sonenscher, Michael, Work and Wages. Natural Law, Politics and the Eighteenth-Century French Trades, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 Google Scholar. Une grande partie de sa réflexion sur le droit naturel s’appuie sur le livre fondamental de Macpherson, Crawford B., The Political Theory of Possessive Individualism, Oxford, Oxford University Press, 1962 Google Scholar (trad. fr.: La théorie politique de l’individualisme possessif, de Hobbes à Locke, Paris, Gallimard, 1971).

7 - Domat, Jean, Lois civiles dans leur ordre naturel, 2e éd., Paris, 1689, t. II, p. 397 Google Scholar. Cf. Foriers, Paul, «La conception de la preuve dans l’école du droit naturel», in La preuve, Recueils de la Société Jean Bodin, Bruxelles, 1965 Google Scholar, IIe partie, pp. 169-192.

8 - Outre les sources citées dans Cerutti, Simona, La ville et les métiers. Naissance d’un langage corporatif (Turin, 17e -18e siècle), Paris, Éditions de l’Ehess, 1990 Google Scholar, nous avons consulté: Archivio di Stato di Torino [AST], Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Assicurazioni, vol. 147, année 1741; vol. 148, années 1744-1745; vol. 149, années 1747-1753; Consolato di commercio, Atti soggetti a insinuazioni, vol. 135, années 1739-1740; vol. 135 bis, années 1748-1754; Insinuazione Torino, Inventari dei beni post mortem, 1747, 1750, etc. Sur la culture des magistrats dans le Piémont du XVIIIe siècle, voir Valla, Giuseppe, «Un giurista dell’ultimo diritto comune. Ricerche su Tomaso Maurizio Richeri (1733-1797)», Rivista di Storia del diritto italiano, LV, 1982, pp. 117182 Google Scholar; Stella, Pietro, Giusnaturalismo e giansenismo nell’Università di Torino, Turin, SEI, 1958 Google Scholar; Balani, Donatella, Toghe di Stato: la facoltà giuridica dell’Università di Torino e le professioni nel Piemonte del Settecento, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1996 Google Scholar; Piano, Patrizia Del, Il trono e la cattedra. Istruzione e formazione dell’élite nel Piemonte del Settecento, Turin, Deputazione subalpina di storiapatria, 1997 Google Scholar.

9 - Voir les ouvrages de Clavero, Bartolomeo et en particulier «Historia y antropología. Por una epistemología del derecho moderno», in Ruiz-Funes, J. Cerdáy et Salvador-Coderch, P. (éds), Seminário de historia del derecho y derecho privado. Nuevas técnicas de investigación, Barcelone-Bellaterra, Universidad Autónoma de Barcelona, 1985, pp. 312348 Google Scholar; et de Hespanha, António Manuel, en particulier Panorama histórico de cultura jurídica europeia, Lisbonne, Publicaço˜es Europa-América, 1997 Google Scholar.

10 - Voir en particulier Hilaire, Jean, Le droit, les affaires et l’histoire, Paris, Economica, 1995, p. 256 Google Scholar sq., et Id., Introduction historique..., op. cit.; Lafon, Jacqueline Lucienne, Les députés du commerce et l’ordonnance de mars 1673. Les juridictions consulaires. Principes et compétences, Paris, Cujas, 1979 Google Scholar.

11 - Voir Grossi, Paolo, L’ordine giuridico medievale, Bari, Laterza, 1995 Google Scholar.

12 - Ibid., pp. 57 et 58.

13 - Sur ce thème, voir en particulier Grossi, Paolo, Le situazioni reali nell’esperienza giuridica medievale. Corso di storia del diritto, Padoue, Cedam, 1968 Google Scholar; Id., Il dominio e le cose. Percezioni medievali e moderne dei diritti reali, Milan, Giuffrè, 1992; Id., Un altro modo di possedere. L’emersione di forme alternative di proprietà alla coscienza giuridica post-unitaria, Milan, Giuffrè, 1977.

14 - Cf. en particulier Torre, Angelo, Il consumo di devozioni. Religione e comunità nelle campagne dell’Ancien Régime, Venise, Marsilio, 1995 Google Scholar. Sur les actes possessori et sur leur usage par le Sénat piémontais au XVIIIe siècle, cf. Silvestrini, Maria Teresa, La politica della religione. Il governo ecclesiastico nello stato del XVIII secolo, Florence, L. S. Olschki, 1997 Google Scholar; Raggio, Osvaldo, «Costruzione delle fonti e prova: testimoniali, possesso e giurisdizione», Quaderni Storici, 91-1, 1996, pp. 135156 Google Scholar.

15 - Ast, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Atti soggetti a Insinuazione, vol. 135: « Testimoniali di trasferta aggiudicazione e missione in possesso in favore della ragione di negozio cantante in Crema sotto il nome di Persico e compagni e in odio del signor Clapier », 30 juin 1739.

16 - Ast, Sez. Riunite, Camerale Piemente, Ubena Legge, art. 492, m. 1-2: « Atti di riduzione dei beni e eredità del fu Germano Matthieu di Arneis... », 2 juin 1729 (ce document offre de nombreux exemples d’actes de possession).

17 - Sur ces questions, je renvoie à l’introduction du numéro de Quaderni Storici sur Cittadinanze (89-2, 1995, pp. 281-286), rédigée par Simona Cerutti, Robert Descimon et Maarten Prak, ainsi qu’à S. Cerutti, « Giustizia e località... », art. cit.

18 - Ces dernières années, la raison pratique a été le point de départ d’une profonde révision de la pensée de Thomas d’Aquin et, plus généralement, de la pensée jusnatura-liste classique. Quelques-unes des étapes de cette réflexion (outre les travaux classiques de John Finnis, Henry Veatch, et Brian Tierney) passent par les recherches de Mcinerny, Ralph, Aquinas on Human Action. A Theory of Practice, Washington, Catholic University of America Press, 1992 Google Scholar.

19 - La raison pratique chez Thomas d’Aquin est définie par opposition à la raison spéculative, théorétique: « [...] Tout ce vers quoi l’homme est incliné par nature relève de la loi naturelle; et il est propre à l’homme d’être incliné à agir selon la raison. Mais il appartient à la raison de procéder des principes communs aux conclusions propres, selon le livre I des Physiques. Toutefois la raison spéculative et la raison pratique se comportent différemment sur ce point. En effet, la raison spéculative s’occupe principalement des choses nécessaires, où il est impossible qu’il en soit autrement; aussi la vérité se rencontre-t-elle sans aucune défaillance dans les conclusions particulières comme dans les principes généraux. La raison pratique, au contraire, s’occupe de réalités contingentes qui comprennent les actions humaines. C’est pourquoi, bien que dans les principes généraux il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillance » (Summa Theologiae, I-Ii q. 94 a. 4, souligné par nous); et: « La raison pratique a pour objet l’action humaine, qui est particulière et contingente, non les réalités nécessaires dont s’occupe la raison spéculative » (Ibid., q. 91 a. 3). Sur la reprise par Thomas d’Aquin de la distinction aristotélicienne entre raison pratique et raison théorétique, voir les réflexions de Lisska, Anthony J., Aquina’s Theory of Natural Law. An Analytic Reconstruction, Oxford, Clarendon Press, 1996 Google Scholar, en particulier p. 3 sq.

20 - Il s’agit du commentaire du De trinitate de Boèce, Opuscula. XVI, De Trinitate, 5. 1. (cité dans A. J. Lisska, Aquina’s Theory..., op. cit., p. 3).

21 - Cf. 94. a. 2: « Mais parce que le bien a raison de fin, et le mal raison du contraire, il s’ensuit que l’esprit humain saisit comme des biens, et par suite comme dignes d’être réalisées, toutes les choses auxquelles l’homme se sent porté naturellement; en revanche, il envisage comme des maux à éviter les choses opposées aux précédentes.

22 - Segaloni, Danilo, «“Practica” “Practicus”, “Practicare” in Bartolo e in Baldo», in L’educazione giuridica, II, Profili storici, Pérouse, Università degli Studi di Perugia, 1979, pp. 52103 Google Scholar, ici p. 71. L’inventio experimentalis semble ainsi se référer à la scientia experimentalis « dont le nom apparaît pour la première fois dans l’histoire de la pensée sous la plume de Roger Bacon » (D. Segaloni cite ici Étienne Gilson).

23 - Le « magnétisme » du réel est tellement fort qu’il « peut conditionner tous les sujets qui se trouvent dans son rayon d’action au point qu’il peut peser fortement sur leur statut social »: « Hommes ou femmes, riches ou pauvres, clercs ou laïcs, nobles ou gens du peuple, paysans ou marchands. Comme personnes en chair et os, ils sont objet du droit, avec leur fardeau d’historicité. Et c’est cela que l’aequitas prend en compte [...], elle prêche une égalité qui est chargée de faits » (P. Grossi, L’ordine giuridico medievale..., op. cit., p. 97).

24 - AST, Regie Costituzioni, m. 24, n. 1, « Memoria dei Dubij proposti dal Consolato dipendentemente dalle Regie Costituzioni », 15 décembre 1724.

25 - Pour des fragments de leurs biographies, reconstituées à partir des centaines d’actes notariés qu’ils ont produits, voir S. Cerutti, La ville et les métiers..., op. cit., chap. V. En outre, ensemble, ils participèrent au succès, grandissant dans ces années-là, d’une confrérie réservée aux marchands.

26 - Dans le cadre des Regie Costituzioni (Leggi e Costituzioni de S. M., per Gio’ Battista Valletta, stampatore di S. M., Turin, 1723), la procédure sommaire en vigueur dans le Consulat devait même devenir un modèle pour les autres tribunaux de la ville.

27 - Sur ce débat et les stratégies de ceux qui soutenaient ou contestaient la procédure sommaire, voir S. Cerutti, « Faits et faits judiciaires... », art. cit.

28 - AST, I. Sez. Regie Costituzioni, m. 7, t. Ii, « Registro dei pareri e memorie degl’Esaminatori sopra le materie disposte per le Costituzioni del 1723 », p. 141 (souligné par nous); cf. en outre, ibid., « Notizie umiliate a S. M. d’ordine della medesima dal Segretario di guerra Platzaert concernente il Consolato e le qualità dei giudici che devono comporlo » (s. d., mais 1722); enfin, Commercio, cat. I, m. 1, « Notizie riguardanti la qualità dei soggetti che compongono il Magistrato della conservazione di Lione, e maniera in cui si regola e giurisdizione » (s. d.); ibid., « Forma di procedere del Consolato di Lione », janvier 1723.

29 - Les mêmes arguments sont allégués dans un avis du 22 août 1722, ibid., p. 135: « Sentimento per i Consolati secondo la Nuova Pianta determinata da S. A. ».

30 - Sur la crise en général, voir Arese, Giovanni, L’industria serica piemontese, Turin, Bono, 1922 Google Scholar; sur ces derniers aspects, se reporter à Chicco, Giuseppe, La seta in Piemonte 1650-1800. Un sistema industriale d’Ancien Régime, Milan, F. Angeli, 1995, p. 100 Google Scholar sq.

31 - AST, I Sez. Commercio, cat. Iv, m. 7: « Ordine di S. M. R. proibitivo l’estrazione de’cochetti e sete fuori stato », 20 juin 1722; voir aussi G. Chicco, La seta in Piemonte..., op. cit.

32 - Selon des modalités bien décrites dans Ast, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Ordinanze 5, Ordinati e pareri 1723 in 1731, c. 14v, 20 oct. 1724 (liste proposée pour la désignation du nouvel adjoint du Consulat).

33 - AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Ordinanze 5; Ordinati e pareri 1723 in 1731, c. 1: « Atto del primo ingresso dei Signori Consoli da Sua Maestà deputati al Consolato», 23 novembre 1723. On passe à quatre Consulats pour tout le pays, et de nouvelles compétences leur sont attribuées: l’inspection des fabriques et des manufactures, la surveillance des ouvriers, les artistes et leurs relations avec les négociants.

34 - Leggi e Costituzioni..., op. cit., p. 234 sq.

35 - AST, I Sez. Commercio, cat. I, m. 1 d’addizione, n. 1: « Riflessi che si fanno sopra le Costituzioni de Consolato ». Le même texte se trouve dans ibid., Regie Costituzioni, m. 24, n. 1; « Motivi di S. M. eccitati dalla medesima in occasione della lettura fattale delle Regie Costituzioni, ed ordine suo communicati alli PP. Pensabene e Riccardi e avvocato Berterini », 20 août 1722, dans AST, Regie Costituzioni, m. 7 n t. II, Registro dei pareri..., op. cit., p. 82.

36 - Notons que cette évolution d’un tribunal des actions vers un tribunal des personnes contredit l’historiographie courante qui désigne le premier comme plus moderne et le second comme plus archaïque. Beaucoup de travaux sur le droit des marchands se sont intéressés à cette dialectique entre la vocation universaliste et la définition corporative. Voir, parmi d’autres, J. Hilaire, Introduction historique..., op. cit., et Id., Le droit..., op. cit.; Umberto Santarelli, Mercanti e società..., op. cit.; Migliorino, Francesco, «Mysteria concursus». Itinerari premoderni del diritto commerciale, Milan, Giuffré, 1999 Google Scholar. Sur le rapport entre droit des marchands et droit commercial, les travaux de Petit, Carlos sont fondamentaux, en particulier «Derecho mercantil. Entre corporaciones y codigos», in Grossi, P. (éd.), Hispania. Entre derechos proprios y derechos nacionales, Milan, Giuffrè, 1999, pp. 315500 Google Scholar; Id., « “Mercatura” y “ius mercatorum”. Materiales para una antropologia del comerciante premoderno», in Petit, C. (éd.), Del « ius mercatorum » al derecho mercantil, Madrid, Marcial Pons, 1997 Google Scholar.

37 - AST, I Sez. Cat. I, m. 1, inventariato, n. 27: « Memoria in cui si riferiscono i pareri delli Presidenti Pensabene, Ricardi, Controllore Generale, Avvocato Generale Cotti e Avvocato Fiscale Generale Berterini » (s. d., mais 1724).

38 - Le Sénat de Savoie, par exemple, dénonce dans la même période l’impossibilité de procéder, conformément aux Constitutions, à des interrogatoires de « nombreux témoins»; si un noble, un membre du clergé ou encore un fonctionnaire étaient amenés à témoigner dans un procès qui impliquait un de leurs domestiques, comment aurait-on pu respecter la procédure et leur demander « s’ils sont domestiques, débiteurs, créditeurs, consanguins ou alliés des parties ? » (AST, I Sez. Regie Costituzioni, m. 23, n. 23: « Dubij del Senato di Savoia su le Regie Costituzioni », s. d., mais 1725, p. 2).

39 - Biblioteca della Provincia di Torino [BPT], Processi civili, MV-a-505; 289; 128; 482; 461; 512; 522; 489 (1731-1735); sur ces familles, voir S. Cerutti, La ville et les métiers..., op. cit., chap. III.

40 - Des exemples analogues, moins intéressants, se trouvent dans les registres ordinaires. J’ai analysé les procès de l’année 1731 parce que les registres des Ordinanze e Costituti sont particulièrement bien conservés. Cent quarante-quatre actes et environ cinq cents ordonnances furent produits par les parties opposées au cours de cette année.

41 - En 1705, par exemple, le baron Bonaventura Perrachino, cité par un certain Segre (qui affirme avoir confectionné, sur sa demande et celle de ses associés Alberio et Archier, un lingot d’argent qu’il a ensuite refusé de retirer), nie « avoir négoce et être associé avec les sieurs Alberio et Archier parce que ce n’est pas mon domaine de faire le négociant, et je suis gentilhomme et non marchand, mais j’admets avoir des intérêts ou une participation dans le négoce du sieur Gerolamo Alberio quondam Marco pour la fabrique de dorures, négoce auquel le sieur Archier est associé au sieur Alberio ». Ces précautions prises, le procès continue et se termine enfin par un accord entre les parties quant au paiement du lingot. La confrontation est donc possible malgré les dissymétries sociales: AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Costituti, procès Segre/Perrachino, 24 septembre 1705.

42 - Les consuls dénoncèrent souvent des comportements ressentis comme humiliants: ainsi, les « conseils » de certains ministres sur la façon de se comporter au tribunal. L’attitude du notaire secrétaire du Consulat est significative quand il dit « tolérer peu volontiers la subordination à des personnes non juristes » et, quand il approchait les consuls, « les conseillant de se débarrasser des procès difficiles et de les confier à d’autres »; il prévenait aussi les parties « de la sentence qui va être prononcée de manière à ce qu’elles puissent se retirer et ne pas payer les émoluments et les frais » (Ast, I Sez. Commercio, cat. 1, m. 1).

43 - Merlotti, Andrea, L’enigma della nobiltà. Stato e ceti dirigenti nel Piemonte del Settecento, Florence, Olschki, 2000 Google Scholar. Ce sont aussi les années durant lesquelles se réalise la Perequazione, première tentative pour contrôler les immunités ecclésiastiques et nobiliaires sur la terre. Sur ce thème bien étudié, voir entre autres Symcox, Geoffrey, Victor Amadeus II. Absolutism in the Savoyard State, 1675-1730, Berkeley-Londres, University of California Press, 1983, p. 162 Google Scholar sq.; Levi, Giovanni, L’eredità immateriale. Carriera di un esorcista nel Piemonte del Settecento, Turin, Einaudi, 1985, p. 103 Google Scholar sq. (trad. fr. Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989).

44 - AST, I Sez. Materie criminali, m. 18, n. 18: « Scritture concernenti la causa di concorso del già banchiere Francesco Antonio Colomba vertita nanti li delegati di S. M. », 1722-1723. Sur les règles juridiques des faillites, dans les États italiens en particulier, voir Sciumé, Alberto, Ricerche sul fallimento nel diritto moderno. Il momento settecentesco, Milan, Giuffrè, 1985 Google Scholar; Parker, Wilson, «The Origins of Bankruptcy in Medieval Canon and Roman Law», Proceedings of the Seventh International Congress of Medieval Canon Law, Cité du Vatican, 1988, pp. 495506 Google Scholar; Santarelli, Ugo, Per la storia del fallimento nelle legislazioni italiane dell’età intermedia, Padoue, Cedam, 1964 Google Scholar; Speciale, Giuseppe, Fallimento tra dolo e sfortuna. L’azione revocatoria e il diritto d’asilo nei secoli XVI-XVIII, Rome, Il Cigno Galileo Galilei, 1996 Google Scholar.

45 - Ibid., m. 26, n. 4: « Memoria delle determinazioni date da S. M. sovra le Costituzioni », 20 décembre 1728; ibid., n. 7: « Capi di Costituzione, che S. M. si è riservata di determinare colle determinazioni indi date li 20 del detto mese », 19 janvier 1729.

46 - R. Ago et S. Cerutti, « Procedure di giustizia... », art. cit.; cet aspect a été efficacement souligné par Muldrew, Craig, The Economy of Obligation. The Culture of Credit and Social Relations in Early Modern England, Londres, MacMillan Press, 1998 Google Scholar.

47 - AST, I Sez. Regie Costituzioni, m. 24, n. 1.

48 - Ibid. (souligné par nous).

49 - Cette définition calque celle, célèbre, donnée par Roland Mousnier, qui connut un grand succès jusqu’à des temps assez récents. Pour ma part, autant je trouve anachronique cette image statique et consensuelle de la stratification sociale, autant me semblent imprécises et insuffisantes les réponses polémiques que bien des historiens lui ont opposée. Ces réponses insistent surtout sur la multiplicité des rôles sociaux dont les individus étaient investis; ce qui est évidemment vrai. Cependant, l’affaire considérée ici me semble intéressante parce qu’elle montre non seulement la multiplicité des rôles sociaux, mais surtout la pluralité des sources qui les attribuent: des institutions – famille, marché, Église, État... – mais aussi des pratiques sociales: habiter, payer, marcher dans un lieu, etc.

50 - Sur ce point, voir le bel article de Descimon, Robert, «Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, “essence” ou rapport social ?», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46-1, 1999, pp. 521 Google Scholar.

51 - Selon la conception volontariste de la citoyenneté exprimée, entre autres, par Bartole da Sassoferrato et par Balde; elle est analysée tout spécialement par Kirshner, Julius, « Civitas sibi faciat civem. Bartolus of Sassoferrato’s Doctrine on the Making of a Citizen», Speculum, XLVIII-4, 1973, pp. 694713 CrossRefGoogle Scholar; cf. en outre Id., « Between Nature and Culture: An Opinion of Baldus of Perugia on Venetian Citizenship as Second Nature», The Journal of Medieval and Renaissance Studies, 9-2, 1979, pp. 179-208.

52 - Ce que j’ai mesuré à travers le dépouillement des actes de l’année 1731 (Ordinanze, vol. 12 – en réalité Costituti, janvier-juin 1731 –, vol. 13 et vol. 14, juin-décembre).

53 - AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Ordinanze, vol. 12, procès Pelleri/Gazza, c. 245 sq.

54 - A ce sujet voir en particulier J. Hilaire, Le droit..., op. cit., pp. 61-74 et 255 sq. Henri LÉVY-Bruhl, « Le régime fiscal des sociétés de commerce au XVIIIe siècle», Revue d’histoire du droit, 1934; U. Santarelli, Mercanti e società..., op. cit.

55 - AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, vol. 32 bis (Congreghe).

56 - Cf. par exemple AST, I. Sez. Commercio, cat. 1, m. 1, n. 25: « Relazione del Consolato circa la parlata men rispettosa fatta dal mercante Ughes in occasione che fu il medesimo chiamato nanti esso », 6 janvier 1726; voir, en outre, la disposition qui suivit l’épisode: ibid., cat. 1, m. 1 da ordinare, n. 3: « Copia di lettera con cui il Guardasigilli per ordine di S. M. fa noto al Consolato che nel caso venga ad esso mancato di rispetto rimane astretto a punire i contravventori coll’arresto personale », 19 janvier 1726.

57 - AST, I Sez. Commercio, cat. 1, m. 1, « Memoria dei Dubij... », op. cit.

58 - AST, I Sez. Regie Costituzioni, m. 27, n. 14: « Parere del Consiglio di Commercio sovra lo stabilimento delle Società mercantili et libertà alle medesime di potersi stabilire per vie di scritture pubbliche o private senza neppure alcun obbligo di registrazione in Consolato », 28 mai 1729.

59 - Ce phénomène prit des dimensions considérables au sein des corporations, comme l’a montré le dépouillement des sources pour chaque métier (Ast, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, vol. 1, 2, 6, 9-12, 37, 40, 51-67).

60 - L’argumentation de Bernardo Antonio Gazza (en fait, de son avocat) qui refuse les demandes de remboursement de son prétendu (et non reconnu) associé, se fonde essentiellement sur la contestation de la valeur des livres de commerce (Ast, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, procès Gazza/Pelleri, cc. 217 sq. ).

61 - Camaiore, juif de Casale, munitionnaire général de la couronne de France, chargé de la distribution de pain aux troupes françaises prisonnières dans les États de Savoie, nie pouvoir rendre compte de ses prétendues dettes envers le juif Bachi car, « durant le temps où il faisait du commerce, il ne gardait pas de livres pour son négoce et ses affaires particulières, mémorisant ses intérêts grâce aux lettres de ses correspondants ». Argument peu crédible pour un banquier au vaste réseau d’affaires (ibid., procès Camaiore-Segre/Bachi, cc. 123 sq.); de même pour le banquier Francesco Domenicho Boch contre les créditeurs Bongiovanni (ibid., procès Boch/créditeurs Bongiovanni, cc. 165 sq. ); ou Boschis contre Maria Margherita Perret, marchande de boutons (ibid., procès Boschis/Perretti, cc. 78 sq. ).

62 - « Les marchands n’ont pas pour habitude de noter toutes leurs opérations dans les livres et journaux, mais prêtent foi au brouillard comme à un journal et à un livre», ibid., Costituti 1705: procès Massimino/Mestiatis, 10 novembre (les volumes concernant l’année 1705 ne sont pas numérotés); pour d’autres exemples, voir S. Cerutti, « Giustizia e località... », art. cit. Les contestations de livres existaient naturellement au début du siècle et elles donnaient lieu à des expertises sur l’écriture, mais leur valeur probatoire n’était pas mise en cause.

63 - AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Ordinanze, vol. 12, procès Pelleri/Gazza, c. 245.

64 - Ceci justifie aussi le changement du titre du volume: non plus, comme jusqu’en 1724, avant l’entrée des marchands, « Costituti o Registro degli atti e oblazioni di giuramento », mais « Registro delle inserzioni delle comparse, risposte, repliche, liquidazioni ».

65 - Pour une belle discussion sur l’opportunité de produire des serments en tribunal dans les années 1720, cf. AST, I, Sez. Regie Costituzioni, m. 7, n. 4: « Memoria di diversi quesiti da esaminarsi per la formazione... », s. d. (1722).

66 - AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Ordinanze, vol. 12, procès Blanchi/Treves et Arnaud/Treves, s. d. (janvier).

67 - Cf. par exemple le procès Maffei/Boggialla (ibid., cc. 114 sq. ), où deux témoins déclarent que, en tant que marchand, monsieur Pavesio’ a droit à un intérêt plus élevé que les autres créanciers du négociant Maffei. Une fois encore, cette nouvelle procédure a été ratifiée par les Costituzioni de 1729.

68 - Des exemples très explicites dans les actes produits pour les procès Pelleri/héritiers Pelleri (ibid., cc. 103 sq. ).

69 - Cf. en particulier les actes concernant le procès Nigri/Lionner, ibid., dont les dépositions sont datées: 19 et 29 mai; 4, 16, 25 et 28 juin 1731.

70 - Cf., pour 1731, les procès Castelalfero/Turione, ibid., Ordinanze (vol. 13, c. 229); vol. 12, Buffa/Detourondet, daté du 8 février; Boggialla/Maffei, 10 février; Pelleri/héritiers Pelleri, 12 mars; Coradi/Mecalli, 21 avril, dans lesquels sont nommés les avocats des parties.

71 - Cette interchangeabilité des études notariales a été finement étudiée par Ago, Renata, Economia barocca. Mercato e istituzioni nella Roma del Seicento, Rome, Donzelli, 1998 Google Scholar.

72 - Vol. 13, procès Pelleri/héritiers Pelleri, p. 82 v. Voir de même le procès Maffei/Boggialla, p. 56 sq.

73 - Le ton de la lettre que le comte Platzaert adresse au consul Gioannetti tourne à l’indignation lorsqu’il plaide pour que « les procès se traitent selon la justice et l’équité naturelle, sans tenir compte de ce que peut apporter l’argument de raison » AST, I. Sez. Commercio, cat. 1, s. d.

74 - S. Cerutti, « Faits et faits judiciaires... », art. cit.

75 - Voir certains épisodes dans AST, Sez. Riunite, Consolato di Commercio, Ordinati n. 5, pp. 24 sq.; cf. aussi G. Chicco, La seta in Piemonte..., op. cit.

76 - Le 23 juillet 1730, période de crise économique très aiguë, un édit royal leur donne satisfaction en interdisant « à qui que ce soit, passés trois mois après la publication du présent édit, d’exercer dans nos États la vente au détail des étoffes en laine de tout genre, s’il n’est pas notre sujet ou s’il n’a pas obtenu par Nous des lettres de naturalisation sous peine de cent écus d’or », « Editto di S. M. concernente il commercio cioè la vendita di panni di lana, etc.», in Duboin, Felice Amato, Raccolta per ordine di materia delle leggi, provvidenze, editti manifesti, ece. Pubblicati dal principio dell’anno 1681 sino alli 8 dicembre 1798, Turin, 1818-1868, p. 638 Google Scholar sq. Voir en outre AST, I Sez. Commercio, cat. 2, m. 1, Consiglio di Commercio, reg. 1720-1750, « Fabbriche di lana », 9 avril 1732.

77 - « [...] Car il arrive bien rarement, voire presque jamais, que les étrangers soient hypothécaires, mais presque toujours chirographaires, car leurs crédits sont seulement des lettres, lettres de change ou billets de banque...», ibid., p. 67 sq.; AST, I, Sez. Regie Costituzioni, m. 24, n. 1, « Memoria dei Dubij...», op. cit.

78 - AST, I. Sez. Regie Costituzioni, m. 24, n. 2: « Riflessi del Consolato sul par. 17 del titolo dei Banchieri », 13 avril 1725.

79 - Sur le problème des coûts de la justice, voir S. Cerutti, «Faits et faits judiciaires... », art. cit.

80 - Ce groupe, très controversé, continue d’être l’objet de nombreuses études (cf. les contributions parues dans Ricuperati, Giuseppe (éd.), Storia di Torino, V, Dalle città razionale alla crisi dello Stato d’Antico Regime (1730-1798) , Turin, Einaudi, 2002 Google Scholar). Une analyse fine lui a été consacrée par Morandini, Cesare, La mano nel telaio. Imprenditori e reti di relazioni nelle storia di un distretto manifatturiero sabando Google Scholar, à paraître.

81 - Cf. Lafon, Jacqueline Lucienne, «L’arbitre près la juridiction consulaire de Paris au XVIIIe siècle», Revue d’histoire du droit français et étranger, 72, 1973, pp. 217270 Google Scholar.

82 - Voir le remarquable article de Abel, Richard L., «A Comparative Theory of Dispute Institutions in Society», Law and Society Review, 8, 1973, pp. 217347 CrossRefGoogle Scholar.

83 - Sur ce point, voir en particulier U. Santarelli, Mercanti e società..., op. cit., p. 82 sq.; J. L. Lafon, Les députés de commerce..., op. cit., montre comment pendant une bonne partie du XVIIIe siècle, à Paris, les députés demandent une réglementation rigoureuse en matière de faillites. Sur les propositions de la seconde moitié du siècle pour distinguer pénalement la banqueroute frauduleuse de la banqueroute simple, voir Levy-Bruhl, Henri, Un projet de code de commerce à la veille de la Révolution: le projet Miromesnil (1778-1789), Paris, Leroux, 1932, pp. 211223 Google Scholar.

84 - Bullarium Romanum seu Novissima et accuratissima collectio apostolicarum constitutionum, t. 12, Rome, 1736, cité dans Speciale, Giuseppe, «“Fures, latrones publici, decocti fraudolenti”. Il “confugium” per i falliti da Innocenzo Iii a Benedetto XIII», Rivista internazionale di diritto comune, 7, 1996, pp. 140174 Google Scholar, ici p. 173.

85 - Le thème est évidemment démesuré. Paolo Prodi lui a récemment consacré une synthèse ambitieuse et controversée ( Prodi, Paolo, Una storia della giustizia. Dal pluralismo dei fori al moderno dualismo tra coscienza e diritto, Bologne, Il Mulino, 2000 Google Scholar).