Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
Le rôle de la mer dans l'histoire a fait couler beaucoup d'encre. D'éminents géographes s'attachèrent, aux environs de 1900, à le définir par principe. En France, Vidal de la Blache s'y intéressa et Camille Vallaux consacra à ces problèmes des pages intéressantes, cependant que l'Écossais Sir Halford Mackinder étudiait la grandeur et les faiblesses de la puissance britannique, liée à la mer — et qu'en Allemagne Frédéric Ratzel travaillait dans le même sens : la première puissance maritime d'alors et la grande puissance militaire qui rêvait de domination universelle devaient en bonne logique se préoccuper activement de la question. L'école de la Geopolitik de Haushofer a repris plus récemment les idées de Mackinder et de Ratzel pour les mettre au service du grand dessein hitlérien. Mais ce qui restait encore du monde de 1900 s'est écroulé avec la débâcle allemande et l'effondrement japonais. Il est temps de reprendre le tableau brossé lors des débuts de la géographie moderne et de refaire le point.
page 10 note 1. Les géographes français ont attaché dans l'ensemble peu d'attention aux questions maritimes. Pourtant Vidal de la Blache y revint à plusieurs reprises soit dans son Tableau Géographique de la France, soit dans les Principes de Géographie Humaine ; Camille Vallaux acoorda plus d'importance au facteur maritime dans plusieurs de ses ouvrages et encore dans la Géographie de l'Histoire qu'il publia en collaboration avec Jean Brunhes. Ce dernier a plusieurs fois comparé la mer et le désert dans sa Géographie Humaine : le fait que l'homme ne peut guère s'établir à titre sédentaire ni sur l'une ni dans l'autre, ne saurait effacer des différences considérables dues avant tout à la qualité des techniques de transport ; nous ne disposons encore d'aucune méthode de traversée du désert qui soit comparable aux avantages présentés depuis longtemps par la navigation maritime. Un milieu désertique accroît plutôt la continentalité.
page 10 note 2. Sir Halford J. Mackinder a laissé deux ouvrages capitaux : Britain and the British Seas (1902) et Démocratie Ideals and Reality ; le second volume, publié d'abord en 1919, puis réédité à New York en 1942, reprenait dans un chapitre la théorie du « Heartland » présentée d'abord en 1904 devant la Royal Geographical Society à Londres, dans une communication intitulée « The Geographical Pivot of History ». Les travaux de Friedrich Ratzel qui concernent la mer sont sa Politische Geographie (1897) et sa brochure Das Meer als Quelle der Völkergrosse (1900). Ces travaux ont donc précédé ceux de Mackinder qui formula cependant un système plus original et plus complet sur le problème. Il est probable que tous deux furent influencés par les travaux que les historiens et stratèges des Amirautés publiaient alors, en particulier par les deux livres de l'amiral américain Mahan, A. T., The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 (publié à Boston en 1890) et The influence of Sea Power upon the French Revolution and Empire, 1793-1812 (Boston, 1892)Google Scholar.
page 12 note 1. SirMackinder, Halford J., « The Round World and the winning of the Peace », Foreign Affairs, New York, juillet 1943.Google Scholar Le rôle de la France dans une telle alliance nord-atlantique est défini comme « tête de pont » (bridgehead), celui de la Grande-Bretagne comme « aérodrome fortifié » (moated airdrome).
page 14 note 1. L'hypothèse, avancée par le Professeur Griffith Taylor, de l'Université de Toronto, dans un chapitre du recueil Compass of the World : a symposium on political geography (New York, 1944), fut reprise par l'Annuaire du Canada, publication officielle du Gouvernement canadien. Elle ne semble guère devoir se réaliser dans les faits si la défense des régions maritimes se maintient en Amérique du Nord comme elle est esquissée dans la seconde partie de cet article.
page 14 note 2. Voir James, Preston, Latin America, New York, 1942 Google Scholar, et notre article « Tendances d'évolution des Amériques », dans la revue Politique Etrangère, juillet-août 1948.
page 16 note 1. Mackinder, art. cité dans Foreign Affairs. Par de telles conceptions, la défense des mers cesse de reposer sur le contrôle des détroits et des mers étroites, selon la vieille théorie anglaise. Au cours de la récente guerre, on a encore pu entendre dire par M. MacCloy,. alors Sous-Secrétaire d'État américain à la guerre, que « la Méditerranée est la Marne de cette guerre » (1942). Désormais la défense des continents se fait par-dessus les larges océans. On assiste véritablement à une révision de l'échelle à laquelle se font les conoeptions stratégiques. Les détroits et les archipels au large des côtes perdent beaucoup de leur importance.
page 18 note 1. Voir Gottmann, J., « Changements de structure dans la géographie humaine des États-Unis », dans Annales de Géographie, 1948, p. 131–145.CrossRefGoogle Scholar On lira avec fruit sur les débuts de la vie économique des États-Unis : Brown, Ralph H., Mirror for Americans. Likeness of the Eastern Seabord, 1810, New York, 1943 Google Scholar, et du même auteur, Historical Geography of the United States, New York, 1947. Les histoires économiques des États-Unis sont nombreuses, nous avons utilisé plus particulièrement Chester Wright, W., Economic History of the United States, New York, 1941.Google Scholar
page 18 note 2. JEAN Gottmann, « Tendances d'évolution des Amériques », art. cité. On trouvera une discussion plus approfondie ipar pays dans notre ouvrage L'Amérique, actuellement sous presse à la Librairie Hachette.
page 19 note 1. Voir notre second article sur les « Changements de structure dans la géographie humaine des États-Unis » [Annales de Géographie, 1948, p. 219-226).
page 21 note 1. Dans son Histoire Universelle en cours de publication, M. Jacques Pirenne reprend; la théorie de la prédominance des « civilisations maritimes ». Son exposé souvent brillant ne devrait pas faire oublier la grande diversité des civilisations qui ont existé dans les régions maritimes, et la variété des résultats que, selon les cas, apportèrent les expansions maritimes. Le géographe est bien conscient de l'existence de zones de civilisations diverses, mais il distingue avant tout des régions, dont chacune a sa personnalité propre. Il sent profondément touite la fluidité et la versatilité au cours de l'histoire de la notion de « continentalité » et se demande comment le terme de « civilisation continentale » pourrait garder une valeur permanente.