Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Dans mon étude du système des ceques à Cuzco (The ceque system of Cuzco ; the social organization of the capital of the Inca, Zuidema, 1964 ; Wachtel, 1966), j'ai décrit les concepts incaïques relatifs à l'organisation sociale et politique, dans leur dimension historique. Bien qu'il ait toujours été admis que cette tradition historique comportait aussi des éléments mythiques et légendaires, les chroniqueurs espagnols, de même que les chercheurs modernes, ont conservé ce cadre chronologique général, comme hypothèse raisonnable de travail. Selon cette chronologie, à Manco Capac, fondateur mythique de la dynastie inca, succédèrent quatre rois, appartenant à Hurin Cuzco (Cuzco d'en bas) : soit Manco Capac, Sinchi Roca, Lloque Yupanqui, Mayta Capac, Capac Yupanqui, suivis par cinq rois de Hanan Cuzco (Cuzco d'en haut) : Inca Roca, Yahuar Huacac, Viracocha Inca, Pachacuti Inca, Tupac Yupanqui.
In this article the ceque system of Incaic Cuzco is analyzed, on the basis of recent fieldwork, as a system of sightlines radiating outward from the central Temple of the Sun. One major reason that led the Incas to define the direction of a ceque was their concern with water. During the feast dedicated to expelling illnesses from the valley of Cuzco, the principal ceques separating the four suyus were followed as far as the first major rivers; but all ceques were also followed until a source was reached where water that entered the valley was ritually cleaned. Two important ceques are discussed that were directed towards the sources of two of the most important irrigation canals of Cuzco. Place-names associated with these ceques and canals also played a major role in Inca ancestor myths. A re-analysis is given of Inca concepts of social organization in Cuzco and of the mythical character of their history on the basis of these data on the spatial organization of the Cuzco valley.
1. Une analyse nouvelle et exhaustive des sources hispaniques liées à cette question nous sera donnée par P. Duviols. L'étude du système d'irrigation au Cuzco et dans les vallées voisines a été menée par Jeannette Sherbondy, dont j'utilise ici les données sur le lac Coricocha et le canal de Tambo Machay. Je l'en remercie.
2. L'enquête de terrain menée à Cuzco en 1973, dans l'intention de localiser les huacas et les ceques et d'étudier l'astronomie et le calendrier incaïques, a été financée par la National Science Foundation; l'enquête de 1975, par l'American Philosophical Society; celle de 1976, par l'organisation Earthwatch et par le Centre d'études latino-américaines de l'Université d'Illinois ; celle de 1977 par le Social Science Research Council et par l'Organisation Earthwatch. Je veux exprimer à tous ces organismes ma gratitude et aussi au Dr A. F. Aveni, mon collaborateur dans l'enquête astronomique.
3. Cette enquête de terrain fut menée avec la collaboration de ceux qui étaient à l'époque étudiants de l'Université de Huamanga, à Ayacucho, Pérou, ainsi qu'avec des étudiants de l'Université d'Illinois. Leurs publications sont indiquées dans la bibliographie (Catacora, Earls, Isbell, Palomino, Pinto et Quispe).
4. Je devrais faire ici une restriction technique. L'horizon des derniers ceques de Collasuyu et d'Antisuyu est très lointain. L'ushnu et Coricancha se trouvent respectivement au nord-ouest et au sud-est de la ville et les horizons septentrional et occidental se trouvent près de la ville. Donc, dans le cas de Chinchaysuyu, par exemple, les coureurs allaient de l'ushnu à un but situé au bord de l'Apurimac, à l'ouest de Cuzco. Le premier ceque de Chinchaysuyu, bien qu'il comprenne une huaca importante située à la sortie de Cuzco, et à l'ouest, traverse la direction de la course et se termine dans un lieu près de Cuzco, situé juste au nord.
5. Le terme de puquio (source) devrait être pris dans un sens large, comme il en ressort du travail de terrain, pour englober également des points spéciaux sur les canaux et les rivières où ceux-ci sont endigués, traversent un profond ravin ou contournent un rocher.
6. Sarmiento (chap. 19, 20) raconte que Yahuar Huacac passa sa jeunesse à Paulo (Paullu) ou à Micaocancha (de Guaillacanes ou de Patahuaillacan), qu'on peut facilement prendre pour Micaycancha. D'autre part, le document de 1552 mentionne, outre Micaypata, « des vieux murs ou ruines », c'est-à-dire Patahuamancancha, Inca Paucar, Cumocaca, « qui confinent à des rochers de Paullo-vaillacan ». Lorsqu'en compagnie de l'archéologue Percy Paz je visitai, pendant l'été de 1977, le village de Patabama, nous découvrîmes un site archéologique important, montrant une occupation des alentours du village apparemment longue, et situé sur un promontoire proche de l'endroit où le sentier descend vers Paullu. Une première analyse des tessons révéla la présence de styles préincaïques associés à Chanapata et à Kilke. Nous pouvons probablement identifier le promontoire avec les « rochers de Paullo-vaillacan », et le site archéologique avec ces « vieilles ruines » mentionnées dans le document ou avec Micaypata ou Micaycancha.
7. Rappelons qu'il s'agit là du même endroit dont parle Thornton Wilder dans The bridge of San Luis Rey, version moderne d'un vieux récit péruvien.
8. On peut se demander quelle est la signification de la guerre des Chancas dans l'histoire incaïque. Les versions les plus anciennes — Betanzos situait cet événement avant le déluge —, ou les plus indigènes — Guaman Poma rattachant cette guerre à l'époque de Manco Capac, ou Santacruz Pachacuti Yamqui —, ont des résonances tellement mythiques, qu'il est difficile de faire la part de la fiction et de la réalité. D'ordinaire on associe cette guerre au roi Pachacuti Inca, ce qui s'explique par le caractère légendaire du souverain dont le nom signifie « celui qui renverse le monde ». Les chroniqueurs plus tardifs donnèrent à cet événement une allure plus historique, mais ne l'associèrent pas unanimement à Pachacuti. Certains en effet lièrent cette guerre à Manco Capac, ce qui constitue une différence chronologique considérable. A la vérité, nous ne savons pas quel événement historique a pu prendre de telles proportions épiques. Un chroniqueur anonyme Uesuîta anónimo, p. 162) lie la guerre Chanca à une rébellion de prêtres incas ainsi qu'aux conquêtes des Chinchas, qui, de la cóte, avancèrent dans les montagnes en direction de Cuzco et de Titicaca. Des documents publiés récemment montrent en effet le pouvoir économique des commerçants Chincha jusqu'à l'époque de la conquête (Rostworowski, 1977). Toutefois Rowe (1966), sans connaître la provenance de ces informations issues du chroniqueur anonyme, auxquelles il se réfère en citant Uhle, a prouvé de façon concluante, avec des arguments archéologiques, qu'il n'y a pas de raison de croire que les Chinchas, ou, en l'occurrence, les Chancas, réalisèrent des conquêtes militaires en rapport avec leur essor économique. Il peut par conséquent paraître étrange que Rowe place la date de la défaite Chanca par Pachacuti Inca, à la charnière de l'historicité incaïque. Au demeurant cette date de 1438 n'apparaît que dans Cabello de Valboa. A l'époque où ces idées furent émises (1945), ces hypothèses pouvaient être stimulantes. Mais en fait elles eurent pour effet de conférer aux manuels courants sur la culture incaïque un sentiment positiviste erroné.
Sarmiento qui est, à mon sens, le meilleur chroniqueur espagnol, donne à la dynastie incaïque une profondeur temporelle de mille années ; Guaman Poma pense en termes bibliques de 6 000 années (Zuidema, 1964 ; Ossio, 1977 ; Wachtel, 1971). Cabello Valboa lui-même situe la défaite Chanca après 500 ans d'histoire inca, période que donnent encore Vasquez de Espinosa et Montesinos. Il est possible que les idées millénaristes médiévales aient eu sur l'élaboration de ces séquences dynastiques « primitives » une influence aussi grande que les concepts mythologiques andins. Nous pouvons donc considérer que la date de 1438 fut choisie du point de vue de la fin d'une période, ce qui arriva aussi pour ces empires définis en termes de mille ans ou de cinq cents ans. Ce choix peut avoir été déterminé par la défaite de Manco Inca, dans sa tentative de reconquête de l'empire, tombé aux mains des Espagnols : vers 1538, cent ans après que les Chancas eurent été chassés de Cuzco, selon Cabello Valboa ou ses informateurs.