Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Dans la première partie de sa note critique, Matt Stolper a brossé à grands traits les étapes de l'affirmation cahotique et tardive d'un champ historique qui, pendant longtemps, était resté dans l'ombre épaisse et mutilante de l'« Orient millénaire » et de la « Grèce éternelle », à savoir l'histoire de l'empire achémenide où l'on voit s'effectuer, sous la domination des Perses (v. 550-330), un bouleversement géopolitique majeur dans l'histoire du Moyen-Orient : la réunion au sein d'une même construction étatique « rassembleuse » de tous les territoires et populations entre l'Indus et la Méditerranée, entre le Syr-Darya et l'île d'Éléphantine.
1 A la suite des organisatrices de Yachaemenid Workshop de Groningen en 1986 (Amélie Kuhrt et Heleen Sancisi-Weerdenburg, Achhist IV [1991] : XIII), je note que c'est précisément au cours d'une discussion sur l'impact de l'empire dans les provinces et sur les conditions de l'observation (Le. quels sont les « marqueurs » de la présence impériale ?) que le président d'une session, excédé (ou feignant de l'être), s'exclama : « Was there ever a Persian empire ? ».
2 « Bulletin d'Histoire achéménide I (Bhach I) », Topoi, Supp. 1, 1997, pp. 5-127. Pour ne pas abuser de l'hospitalité des Annales, j'ai restreint le nombre de références bibliographiques ; le lecteur curieux pourra se reporter à la bibliographie de mon livre (pp. 1079-1145) et à Bhach I.
3 Voir le rapport de Voigt, Mary et de ses collaborateurs dans Anatolica, 23, 1997, pp. 1–59 Google Scholar et, plus récemment, Voigt, M. et Cuyler Young, T. Jr., « From Phrygian Capital to Achaemenid Entrepot: Middle and Late Phrygian Gordion », Iranica Antiqua, XXXIV = Studies in honor of David Stronach, 1999, pp. 191–242.Google Scholar
4 Cf. les deux rapports préliminaires parus dans le BIFAO 96, 1996, pp. 385-451 et 98, 1998, pp. 367-462, et mes commentaires dans Bhach I, 32-34, 88-89.
5 Voir mes analyses antérieures dans Rois, tributs et paysans, Paris, Les Belles Lettres, 1982, pp. 405-430, 475-489.
6 La découverte récente d'un ostrakon daté de l'an 43 d'Amasis (528) ne remet pas nécessairement en cause cette interprétation (BIFAO, 98, 1998, pp. 442-443, 461).
7 Mise en place de la problématique dans Histoire de l'empire perse, pp. 824-832.
8 Ibid., pp. 764-774 et, depuis lors, B. Lyonnet, Prospections archéologiques en Bactriane orientale (1974-1978), Gardin, J.-C. (dir.), vol. 2 : Céramique et peuplement du chalcolithique à la conquête arabe (Mémoires de la Mafac 8), ERC, Paris, 1997 Google Scholar ; Gardin, J.-C., Prospections archéologiques en Bactriane Orientale (1974 1978), vol. 3 : Description des sites et notes de synthèse, ERC, Paris, 1998 Google Scholar ; du même, « A propos de “ l'entité politique bactrienne ” », Topoi, Supp. 1, 1997, pp. 263-277.
9 Je prolonge ici des réflexions déjà introduites ailleurs : « L'histoire politique de l'empire achéménide : problèmes et méthodes. (A propos d'un ouvrage de M. A. Dandamaev) », Revue des Études anciennes, 95/3-4, 1993, pp. 399-423 ; « L'histoire achéménide : sources, méthodes, raisonnements et modèles », Topoi, 4/1, 1994, pp. 109-130 ; «Histoire impériale et histoire régionale. A propos de l'histoire de Juda dans l'empire achéménide », dans A. Lemaire, N. Saboe (éds), Congress Volume Oslo 1998, Supp. Vêtus Testamentum 1999 (sous-presse).
10 Voir ma synthèse dans « Sources grecques et histoire achéménide », dans Rois, tributs et paysans, op. cit., pp. 491-506, et le problème a été évoqué à de multiples reprises au cours des Achaemenid Workshops 1983-1990 ; l'un d'entre eux y a même été entièrement consacré en 1984 (= Achhist II, Leiden, 1991) ; voir également le colloque organisé sur le thème de la vision transmise par Xénophon dans Vanabase, Briant, P. (éd.), Dans les pas des Dix-Mille. Peuples et pays du Proche-Orient vus par un Grec, Toulouse, 1995.Google Scholar
11 Voir par exemple les réflexions de F. Ioannès, P. Briant (éd.), Dans les pas des Dix- Mille…, op. cit., p. 197 (en soulignant la valeur informative de Xénophon dans Vanabase pour les spécialistes des textes cunéiformes), et mon commentaire ibid. XI-XII.
12 Je pense en particulier à ce texte où Arrien, racontant la remontée du Tigre par Alexandre, fait référence à des ouvrages disposés en travers du cours du fleuve, et désignés sous un terme grec auquel on ne connaît pas d'équivalent dans la Babylonie de ce temps ; néanmoins il s'est avéré qu'une fois débarrassé de son interprétation polémique gréco-macédonienne, ce passage donnait accès à une information technique et économique de première importance (cf. F. Joannès, art. cité, p. 194, n. 17, à la suite d'un article que j'ai publié en 1986, « Alexandre et les katarraktes du Tigre », Mélanges Michel Labrousse, Toulouse, pp. 11-12 ; voir maintenant ma note dans NABU 1999/12 G : rapprochement proposé avec des textes de Mari).
13 Là-dessus, voir Histoire de l'empire perse, en particulier pp. 217-222.
14 En limitant l'enquête aux années 90, on notera la parution d'une dizaine de monographies dans ce champ de la recherche (pas moins de cinq entre 1995 et 1998), en rapport avec la publication de milliers de tablettes jusqu'alors entreposées dans les réserves des musées.
15 C'est en ce sens que, surpris et un peu choqué par l'analyse critique et distanciée que j'exprimais lors d'une conférence sur les apports des sources classiques, un ami assyriologue, spécialiste de l'empire néo-assyrien, regrettait un jour devant moi de ne pas bénéficier, quant à lui, des secours d'un Hérodote. Sa réflexion dépitée me rappelle ce qu'écrivait Marc Bloch (Apologie pour l'histoire ou le métier d'historien2, Paris, réimpr. 1993, p. 75) : « Que le préhistorien, que l'historien de l'Inde ne donneraient-ils pas pour disposer d'un Hérodote ? ». Encore faut-il préciser que Marc Bloch (prenant l'exemple de l'histoire romaine qu'il connaissait par l'expérience paternelle) entendait montrer surtout que, si le travail de l'historien avait tant progressé, c'était essentiellement à partir de l'interrogation bien conduite des documents épigraphiques, papyrologiques, numismatiques ou archéologiques. (Sur la vaine recherche d'équivalents d'Hérodote et de Tite-Live pour reconstituer l'histoire de l'Inde ancienne, voir maintenant les réflexions de Thapar, Romila, « La quête d'une tradition historique : l'Inde ancienne », Annales HSS, 1998, n° 2, pp. 347–359 CrossRefGoogle Scholar).
16 Le plus souvent en parallèle avec le babylonien et l'élamite, parfois aussi avec l'égyptien hiéroglyphique.
17 Les savants qui consacrèrent leurs efforts au déchiffrement du cunéiforme avaient de bonnes raisons d'opérer ainsi, puisque les sources classiques leur fournirent les noms royaux de la dynastie achéménide, véritable clef des premières lectures (dues à Grotefend en 1803 à partir d'inscriptions persépolitaines) — en fonction d'une méthode comparable à celle qu'adopta Champollion devant la pierre de Rosette à partir de sa version grecque.
18 II est clair par exemple que l'importance du fameux passage d'Hérodote V. 52-54 sur la route Sardes-Suse a été sérieusement revue à la baisse depuis la publication des tablettes de Persepolis (série Q) et leur utilisation en liaison avec un éloquent document araméen d'Égypte. On peut évoquer également l'exemple des révoltes babyloniennes à l'époque de Xerxès ; si les sources classiques ont été abondamment utilisées, c'est plutôt par défaut, « [comme] solution de pis-aller […] en attendant la lumière qui peut-être un jour viendra de Babylone » ( Briant, P., Studia Iranica, 21, 1992, p. 15 Google Scholar) ; aujourd'hui, les progrès déjà enregistrés conduisent les historiens à accorder une priorité beaucoup plus affirmée à la documentation babylonienne (voir récemment Rollinger, R., « Ùberlegungen zu Herodot, Xerxes und dessen angeblicher Zerstörung Babylons », Altorientalische Forschungen, 25/2, 1998, pp. 339– 373 Google Scholar) ; si l'on recourt encore (avec précaution) aux sources classiques, c'est que la documentation babylonienne conserve des zones d'ombre gênantes (Bhach I, 52-53).
19 Major Rawlinson, H. C., The Persian Cuneiform Inscription at Behistun, Londres, 1846, p. 187 Google Scholar: « The évidence of Herodotus, in regard of the early incidents of the reign of Darius, must be received with considérable caution ».
20 La version araméenne n'est connue que par un papyrus lacunaire d'Éléphantine.
21 Pour la version en vieux perse, voir déjà les utiles réflexions et suggestions de Herrenschmidt, C., « Les historiens de l'empire achéménide et l'inscription de Bisotun », Annales ESC, 1982, n° 5-6, pp. 813–823 Google Scholar, les commentaires de Lecoq, P., Les inscriptions de la Perse achéménide, Paris, 1997 Google Scholar, ainsi que les travaux en cours de Jean Kellens, d'Éric Pirart, de P. O. SKJÆRVØ pour ne citer qu'eux.
22 Dans la lignée de l'article publié par Schmitt, R., « Zur babylonischen Version der Bisutun-Inschrift », AfO, 27, 1980, pp. 106–126.Google Scholar A propos d'un autre document trilingue (l'inscription lycio-gréco-araméenne de Xanthos) et de la méthode qui (à mon avis) doit présider au travail de l'historien et à ses rapports avec les trois versions (sous l'approche analytique et sous l'approche synoptique), voir mon étude « Cités et satrapes dans l'empire achéménide : Xanthos et Pixôdaros », Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, janvier-mars 1998 [1999], pp. 305-340.
23 Entrepreneurs and Empire, Leyde, 1985 : 31, n. 116: «Use of similar terms in the administrative Systems of several provinces of the Empire is no guarantee of identical administrative relationships in ail areas… » — règle de méthode à laquelle je n'ai pas manqué de souscrire explicitement (p. 969) ou implicitement (p. 466).
24 Voir Histoire de l'Empire perse, op. cit., pp. 526-528, 981-983, en renvoyant aux travaux de M. Stolper, et en dernier lieu la publication d'un très remarquable texte babylonien par Jursa, M., Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, 87, 1997, pp. 101–104.Google Scholar