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Les Romains riaient-ils ?
Published online by Cambridge University Press: 20 January 2017
Résumé
Le rire est l’un des plus difficiles et des plus fascinants objets historiques, tant il résiste à la possibilité de conclusions fermes et de systématisation. En partant du témoignage de Dion Cassius à propos d’un fou rire, au Colisée, en 192 av. J.-C., cet article explore les différents défis heuristiques de l’histoire du rire – plus particulièrement pour l’Antiquité classique. Il défend l’idée qu’il n’existe pas de « théorie classique du rire », qui est, dans la forme que nous connaissons, une invention de la Renaissance, relayée ensuite, et que les approches du rire en Grèce et dans l’ancienne Rome sont bien plus nombreuses que l’on imagine habituellement. Il est néanmoins possible d’identifier des éléments types repris dans les usages discursifs du rire dans la Rome antique. Ce texte examine plus particulièrement la manière dont le rire fut utilisé pour intervenir entre le pouvoir politique et l’autocratie, mais aussi comment le rire est considéré comme frontière entre l’animal et l’homme. La réflexion s’achève sur la possibilité et les conditions selon lesquelles, nous, contemporains, pouvons partager, encore aujourd’hui, le rire des Romains.
Abstract
Laughter is one of the most difficult and intriguing historical subjects, which defies firm conclusion or systematization. Starting from Dio Cassius’ first person account of laughter in the Colosseum in 192 AD, this paper explores some of the heuristic challenges of writing about the laughter of the past –and particularly of classical antiquity. It argues that it is misleading to imagine that there was any such thing as “the classical theory of laughter” (which, in the form we know it, is an invention of the Renaissance and later); and that ideas about laughter in ancient Greece and Rome were much more diverse than we usually imagine. Nevertheless we can see important patterns in the discursive use of laughter in ancient Rome. This paper examines particularly the way that laughter was used to mediate political power and autocracy, and the way that laughter operated on the boundary between animals and humans. It finishes by reflecting on how far we can still share in the laughter of the Romans, and under what conditions.
- Type
- Les Romains et le rire
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2012
Footnotes
Cet article est une version legerement adaptee d’une communication donnee lors de la conference Marc Bloch, a l’EHESS, en juin 2012. Je souhaitais exprimer ma reconnaissance a tous ceux qui m’ont offert cette possibilite, tout particulierement a Jacques Revel, Jean-Frederic Schaub, Francois Weil ainsi qu’a l’equipe de l’EHESS, et aux amis qui m’ont aidee, Valerie Huet, Nora Outaleb, John et Evelyne Scheid. Je travaille actuellement sur une etude du rire chez les Romains, a partir des Sather Lectures, universite de Californie, Berkeley, 2008.
References
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2- Ibid.
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10- Par exemple, Hopkins, Keith, Death and Renewal, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 16 CrossRefGoogle Scholar ; Dunkle, Roger, Gladiators: Violence and Spectacle in Ancient Rome, Harlow/New York, Pearson/Longman, 2008, p. 241.Google Scholar
11- Il s’agit du propos central de Beard, Mary, « Rituel, texte, temps. Les Parilia romains », in Blondeau, A.-M. et Schipper, K. (dir.), Essais sur le rituel, Louvain/Paris, Peeters, 1988, vol. 1, p. 15–29 Google Scholar ; voir également, avec des références plus spécifiques à Ovide, Scheid, John, « Myth, Cult, and Reality in Ovid's Fasti », Proceedings of the Cambridge Philological Society, 38, 1992, p. 118–131 CrossRefGoogle Scholar. C’est la thématique sous-jacente de nombreux articles dans Barchiesi, Alessandro et al. (éd.), Rituals in Ink: A Conference on Religion and Literary Production in Ancient Rome Held at Stanford University in February 2002, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2004 Google Scholar. Un ouvrage majeur en anthropologie, sur lequel se fonde une partie de ce travail sur l’Antiquité, est celui de Sperber, Dan, Le symbolisme en général, Paris, Hermann, 1974.Google Scholar
12- Les subtilités du récit de Dion sont habilement analysées par Hekster, Oliver, Commodus: An Emperor at the Crossroads, Amsterdam, J. C. Gieben, 2002, p. 154–155.Google Scholar
13- Les ouvrages de références sont Hobbes, Thomas, The Elements of Law, Natural and Politic, éd. par F. Tönnies, Londres, Cass, [1640] 1969, surtout p. 42 Google Scholar ; Bergson, Henri, Le rire. Essai sur la signification du comique, Paris, F. Alcan, 1900 Google Scholar ; Freud, Sigmund, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, [1905] 1988 Google Scholar. Les théories principales des XIXe et XXe siècles sont résumées par Minois, Georges, Histoire du rire et de la dérision, Paris, Fayard, 2000, p. 469–507.Google Scholar
14- [ARISTOTE], Problèmes, 35, 2, 964b ; ibid., 35, 6-7, 965a, De l’impossibilité de se chatouiller seul, les lèvres et les aisselles ; Joubert, Laurent, Traité du ris, contenant son essance, ses causes et mervelheus effais, Paris, N. Chesneau, 1579, p. 205–206 Google Scholar, identifie la peau située entre les orteils comme l’endroit le plus sensible aux chatouilles.
15- Cette question essentielle est également soulignée par Goff, Jacques Le, « Une enquête sur le rire », Annales HSS, 52-3, 1997, p. 449–455 CrossRefGoogle Scholar, introduction à un dossier consacré aux différents aspects historiques du rire.
16- Le chapitre intitulé « Fini de rire. La grande offensive politico-religieuse du sérieux (XVIe-XVIIIe siècle) », in Minois, G., Histoire du rire…, op. cit., p. 287–330 Google Scholar, en est un exemple typique, bien que la date précise de l’apogée du rire et de sa mort varie considérablement d’un historien à un autre. L’œuvre de Bakhtine, Mikhaïl (particulièrement dans sa traduction française, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, trad. par A. Robel, Paris, Gallimard, 1970 Google Scholar) a été soigneusement étudiée, discutée, imitée et critiquée dans les milieux de la recherche en lettres et en histoire. Il s’agit d’un ouvrage allusif et contradictoire, comme le concèdent jusqu’à ses plus grands admirateurs : voir Stallybrass, Peter et White, Allon, The Politics and Poetics of Transgression, Londres, Methuen, 1986, p. 10.Google Scholar
17- Citation extraite de Fairer, David W., English Poetry of the Eighteenth Century, 1700- 1789, Londres, Longman, 2003, p. 2 Google Scholar. On compte parmi d’autres études remarquables sur la compréhension de la culture britannique du rire au XVIIIe siècle celles de Gatrell, Vic, City of Laughter: Sex and Satire in Eighteenth-Century London, Londres, Atlantic Books, 2006 Google Scholar ; Dickie, Simon, Cruelty and Laughter: Forgotten Comic Literature and the Unsentimental Eighteenth Century, Chicago, University of Chicago Press, 2011 CrossRefGoogle Scholar. Le cas français recoupe en grande partie celui du Royaume-Uni, mais avec quelques différences majeures. Voir, par exemple, Baecque, Antoine De, Les éclats du rire. La culture des rieurs au XVIIIe siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2000.Google Scholar
18- Chartier, Roger, « La fête en question. Retour sur un colloque » et « Des fêtes de l’Ancien Régime à la fête révolutionnaire. Problèmes de lecture », in Gürttler, K. R. et Sarfati-Arnaud, M. (dir.), La fête en question, Montréal, University of Montreal Press, p. 1–4 et 35-56Google Scholar ; Id., « Discipline et invention. La fête », Diogène, 110, 1980, p. 51–71 Google Scholar, réimprimé in Chartier, Roger, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Le Seuil, 1987, p. 23–44.Google Scholar
19- On trouvera un compte rendu de ce que l’on sait de ces festivals dans l’ouvrage de Scullard, Howard H., Festivals and Ceremonies of the Roman Republic, Londres, Thames and Hudson, 1981, p. 205–207 Google Scholar. Dans une tradition qui, soyons honnêtes, remonte bien plus loin qu’a M. Bakhtine, la critique contemporaine a tendance à énormément exagérer les caractéristiques carnavalesques, « les orgies » comme l’écrit Minois, G., Histoire du rire…, op. cit., p. 65 Google Scholar. L’emphase qui est mise sur le motif du « renversement » est poussée à l’extrême dans Versnel, Hendrik S., Inconsistencies in Greek and Roman Religion, vol. 2 Google Scholar, Transition and Reversal in Myth and Ritual, Leyde, Brill, 1993, p. 136–227 Google Scholar ; notons également que l’idée reçue selon laquelle les maîtres servaient leurs esclaves est encore moins fondée sur des sources écrites que celle selon laquelle maîtres et esclaves partageaient leur repas : Macrobe, , Saturnales, 1, 7, 36 et 1, 11, 1Google Scholar. Pour la dimension paternaliste, voir Jeune, Pline Le, Lettres, 2, 17, 24.Google Scholar
20- Quintilien, , Institution oratoire, 6, 3, 7.Google Scholar
21- Voir, par exemple, Aristote, , Partie des animaux, 3, 10, 672b-673aGoogle Scholar ; Id., Poétique, 5, 1449b ; Id., Rhéthorique, 2, 12, 1389a. Pour un commentaire, voir Halliwell, S., Greek Laughter…, op. cit., p. 307–331 Google Scholar. Pour une critique réputée des incohérences dans la Poétique d’Aristote, voir Steiner, George, « Tragedy, Pure and Simple », in Silk, M. S. (dir.), Tragedy and the Tragic: Greek Theatre and Beyond, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 534–546, en particulier p. 545.Google Scholar
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24- Aristote, , Éthique à Nicomaque, 4, 8, 1128a-bGoogle Scholar, un passage qui a suscité diverses réactions chez les critiques : subtile et sophistiqué pour Halliwell, S., Greek Laughter…, op. cit., p. 307–322 Google Scholar ; confus (« it slides from tautology to tautology ») pour Goldhill, Simon, Foucault's Virginity: Ancient Erotic Fiction and the History of Sexuality, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 19.CrossRefGoogle Scholar
25- Aristote, , Partie des animaux, 3, 10, 673a.Google Scholar
26- David, , In Eisagogen, 204, 14–16.Google Scholar
27- L’étude la plus intéressante sur Hobbes et la théorie classique du rire est celle de Skinner, Quentin, « Hobbes and the Classical Theory of Laughter », in Skinner, Q., Visions of Politics, vol. 3 Google Scholar, Hobbes and Civil Science, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 142–176 Google Scholar. Une autre réflexion sur ce thème a fait l’objet d’une communication lors de la conférence Marc Bloch en 2001 : Quentin Skinner, « La philosophie et le rire », en ligne, http://cmb.ehess.fr/54, mais l’auteur a lui-même tendance à accorder trop d’importance à la théorie classique en tant que théorie.
28- Cicéron, , De l’orateur, 2, 281.Google Scholar
29- Ibid., 2, 217.
30- Porphyre, , Eisagoge, 4.Google Scholar Voir également, Quintilien, , Institution oratoire, 5, 10, 58Google Scholar ; Clément, , Le pédagogue, 2, 5, 46Google Scholar. Le fait que Lucien, au IIe siècle de notre ère, associe cette revendication è la philosophie péripatéticienne de façon explicite ne signifie pas nécessairement qu’elle ait émergé chez Aristote ou ses successeurs immédiats ( Lucien, , Les vies des philosophes à l’encan, 26 Google Scholar).
31- Ce sujet a été commente et discuté maintes fois. Ménager, Daniel retrace l’histoire de ces controverses de l’Antiquité à la Renaissance dans La Renaissance et le rire, Paris, PUF, 1995, p. 7–41 Google Scholar ; voir également Brun, Jacques Le, « Jésus-Christ n’a jamais ri. Analyse d’un raisonnement théologique », in Le BRUN, J., Homo religiosus. Autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, p. 431–437 Google Scholar ; Legoff, Jacques, « Jésus a-t-il ri ? », L’histoire, 158, 1992, p. 72–74 Google Scholar, un récit célກbre et fort utile ; Pagels, Elaine H. et King, Karen L., Reading Judas: The Gospel of Judas and the Shaping of Christianity, Londres, Allen Lane, 2007, p. 109–111, 115 et 120Google Scholar, commentaires p. 128, qui constitue une alternative à la tradition puisqu’ici, Jésus rit.
32- Plutarque, , Propos de table, 2, 1, 11-12.Google Scholar
33- Scriptores Historiae Augustae, Commode, 15.
34- Suétone, , Caligula, 24.Google Scholar
35- Ibid., 27; SéNèQUE, De la colère, 2, 33.
36- Résumé brièvement par J. LE GOFF, « Rire au Moyen Âge », art. cit., p. 1347-1348.
37- Macrobe, , Saturnales, 2, 4, 20.Google Scholar
38- Voir, par exemple, les autres plaisanteries d’Auguste dans Macrobe, , Saturnales, 2, 4Google Scholar ; ainsi que la célàbre joute verbale entre l’empereur Hadrien et une femme du peuple, racontée par Cassius, Dion, Histoire romaine, 69, 6, 3.Google Scholar
39- Voir, par exemple, Darwin, Charles, The Expression of the Emotions in Man and Animals, Londres, John Murray, 1872, p. 131–135 CrossRefGoogle Scholar. L’article le plus connu dans le domaine de l’anthropologie moderne est celui de Douglas, Mary, « Do Dogs Laugh? A Cross- Cultural Approach to Body Symbolism », Journal of Psychosomatic Research, 15, 1971, p. 387–390 CrossRefGoogle ScholarPubMed, réédité in Douglas, Mary, Implicit Meanings: Essays in Anthropology, Londres/ Boston, Routledge ' Paul, 1975, p. 165–169.Google Scholar
40- [LUCIEN], Lucius, 15. Bien que l’histoire fasse partie du recueil des œuvres de Lucien, il ne la raconta certainement pas lui-meme.
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- 2
- Cited by
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Translation available: Did the Romans Laugh?*