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Les rituels de l'agression en Aquitaine au XVIIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Gregory Hanlon*
Affiliation:
York University, Toronto

Extract

L'interaction sociale dans la société traditionnelle européenne, comme dans toute société, s'exprime à travers un code implicitement connu des participants. Si l'on accepte l'idée d'Erving Goffman que ces rapports sociaux avec l'engagement des moi de chacun, sont potentiellement dangereux, l'adhésion à un code ou à un rituel, constitue un respect de l'ordre social et protège la dignité des personnes. Le rituel devient alors l'instrument permettant aux individus de s'adapter aux structures sociales de leur milieu.

Dans la France méridionale du xviie siècle, les relations interpersonnelles ainsi codifiées, fournissent un bon exemple du danger potentiel. Le trait essentiel de cette sociabilité est l'extériorité des rapports et un comportement extraverti à l'usage de tous. Chacun, s'imaginant acteur sur l'agora local, tâche de jouer son rôle de manière à apparaître un peu plus important que son statut objectif ne le permet. Il faut tenir la tête haute et prodiguer des bravades, afin de prouver que l'on n'est pas sans importance, tout en restant en deçà des « fanfaronnades » ridicules. Le principe guidant la conduite individuelle, décrit si magistralement par Yves Castan, est d'exiger le maximum de reconnaissance pour soi, tout en accordant le minimum possible à autrui.

Summary

Summary

Research on delinquance using judicial records is handicapped because those records show only those crimes that society thought necessary to repress. This is partially overcome in sing archives from the different tiers of judicial machinery. For the 17th century Agenais it was never the less possible to identify not only the types and frequency of criminal acts, but also their actors and the extraordinary level of elite violence. Furthermore, an analysis of blow-by-blow accounts derived from judicial testimony permits us to go farther and identify the repetitive, or ritual stages of a given encounter, and the way in which it evolved over the century for men and women. The unfolding of each confrontation becomes a key to understanding society and its values.

Type
L'Europe Moderne
Copyright
Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1985

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References

Notes

1. Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, t. 2, Les relations en public, Paris, Éditions de Minuit, 1973,Google Scholar voir chapitre 2, Les territoires du moi.

2. Castan, Yves, Honnêteté et relations sociales en Languedoc 1715-1780, Paris, Pion, 1974, p. 13.Google Scholar Nous devons admettre ici que dans le domaine des valeurs et attitudes des Languedociens, de même que pour les Agenais voisins, l'éminent historien toulousain a tout dit, et mieux que nous. Nos divergences portent surtout sur ce que le xviie siècle possède de spécifique, et sur le fait que notre sujet concerne la violence en milieu urbain : les travaux anthropologiques consacrés aux rapports sociaux de l'Europe méditerranéenne traditionnelle nous ont été précieux ; en particulier l'oeuvre de Julian Pitt-Rivers, « Honour and Social Status », pp. 21-70, dans Honour and Shame : the Values of Mediterranean Society, J. G. Peristany éd., University of Chicago Press, 1966 ; et Du Boulay, Juliet, Portrait of a Greek Mountain Village, Oxford, Clarendon Press, 1974;Google Scholar Black-Michaud, Jacob, Feuding Societies, Oxford, Basil Blackwell, 1975.Google Scholar

3. Les coups et les blessures infligés aux épouses et aux domestiques sont monnaie courante, mais ils relèvent de la discipline familiale. Toutefois l'intervention des voisins — et surtout des voisines — dans les situations considérées comme excessives empêche que ces coups se perpétuent en milieu clos. Les brutalités répétées pouvaient éventuellement être sanctionnées par la police consulaire.

4. Afin de diminuer la distorsion, nous avons juxtaposé des affaires provenant de plusieurs niveaux de processus judiciaire. L'échantillon des sources couvre à peu près toute la gamme des niveaux juridiques de l'époque, mais la plupart des fonds ne comprennent qu'une partie des procès, généralement les informations judiciaires et les plaintes. Pour la ville de Clairac, nous avons dépouillé la totalité des liasses provenant de la Cour ordinaire, série très lacunaire mais qui fournit des éléments substantiels de quelque 130 affaires entre 1600 et 1660. Arch. Dép. Lot-et- Garonne. E. Supplément 2138, 2139, 2140, 2141, 2142, 2143, 2146, 2149, 2155, 2157, 2159, 2160, 2162, 2163, 2164, 2173, 2178, 2179, 2179 bis. Les registres de la justice consulaire de Clairac, Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E. Supplément 2180, 2181, ne contiennent guère de délits considérés comme criminels, à l'opposé de la juridiction consulaire d'Agen. Pour la ville d'Agen les sources sont moins fragmentaires, à commencer par la juridiction consulaire, qui débute en 1619. Afin de contrôler les résultats obtenus dans la juridiction de la Cour ordinaire, nous avons pris au hasard l'année 1621 comme représentative des affaires portées devant les consuls. Arch. Communales d'Agen, série FF, 46, 89, 91, 98. Les archives de la Cour ordinaire d'Agen ne débutent qu'en 1665 et elles paraissent bien lacunaires. Là nous avons choisi les années 1665-1670, avec un total de 115 cas criminels. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1412, 1413,1414, 1417, 1418. Nous avons ensuite opéré un deuxième sondage pour les années 1701-1707. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1507, 1509, 1512, 1513, avec un total de 84 affaires criminelles. Au niveau de la Sénéchaussée d'Agen, nous avons dépouillé les sentences 1638-1644 et 1665- 1668, de même que des lettres de grâce et de rémission. 1660-1703. Arch. Dép. Lot-et-Garonne B 219, 220, 221, 223, 224, 240, 241, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 260, 261,262,263,266,267. Dans les archives du Parlement de Bordeaux, il reste peu de chose concernant l'Agenais au xviie siècle. Il y avait une douzaine d'affaires criminelles, dont quatre meurtres et le seul viol de toutes nos recherches, pour la période 1676-1702. Arch. Dép. Gironde, B 3584, 3609, 3615, 3622, 3628, 3644. Signalons aussi un registre d'audiences de la Cour de la Chambre de l'Édit de Nérac, 1608-1609, B 5228, et une liste de toutes les affaires criminelles devant la Cour ordinaire de Clairac 1676-1686, B 2884. Enfin, en dernier lieu nous avons dépouillé les archives de l'Officialité diocésaine d'Agen, 1630-1700, surtout pour les paroisses urbaines : Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série G/I-108, St.- Caprais d'Agen, 1-124, Saint-Ëtienne d'Agen, 1-129, Saint-Pierre de Clairac. On y trouve de nombreux cas de conflits impliquant des ecclésiastiques.

5. Arch. Dép. Gironde, série B 2884, non classé.

6. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, Agen B 1412 à B 1419 et B 1507 à B 1519 Clairac E. Supplément 2139 à 2179 bis.

7. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1412 à B 1419.

8. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1507 à B 1519. Pour l'ensemble des affaires devant la Cour ordinaire, il faut noter que les cas les plus graves — meurtres et viol, par exemple — étaient dessaisis par le Parlement de Bordeaux et les minutes des procès sont perdues.

9. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1415.

10. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série G/H-129. L'échantillon a été constitué en prenant tous les accusés des affaires d'excès où une arme a été employée, et les accusés des cas de simples excès dont les noms de famille commençaient avec un B ou un S.

11. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2098.

12. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série G/I-108 Saint-Caprais d'Agen et G/I-124 Saint-Étienne d'Agen.

13. Hanawalt, Barbara A., Crime and Conflict in English Communities, 1300-1348, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1979, toc. cit., p. 129.Google Scholar

14. Michael Weisser, Crime and Punishment in Early Modem Spain, pp. 76-96 ; Gatrell, A. V., Lenman, B., Parker, G. éds, Crime and the Law : the Social History of Crime in Western Europe since 1500, Londres, Europa, 1980, loc. cit., p. 87.Google Scholar

15. Claverie, Elisabeth, « ‘L'honneur’ : une société de défis au xixe siècle », Annales E.S.C., n° 4, 1979, pp. 744759,Google Scholar pour les montagnes du Gévaudan. Quant au milieu urbain et à la criminalité au xvme siècle, Castan, Nicole, Les criminels de Languedoc : les exigences d'ordre et les voies du ressentiment dans une société pré-révolutionnaire (1750-1790), Toulouse, Publications de l'Université de Toulouse-Mirail, 1980.Google Scholar

16. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 219, 220, 221, 223, 224, 240, 241, 243, 244.

17. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 240, 241, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 260, 261, 262, 263, 266, 267. 18. L'obtention des lettres de grâce est évidemment plus facile pour des coupables appartenant aux catégories supérieures (voir tableau). Même dans une juridiction dont la majorité est catholique, l'appartenance de l'élite à la Réforme nous permet d'identifier la religion de l'accusé. C'est le cas à Duras, Miramont, Prayssas, Tournon, et peut-être dans d'autres cas.

19. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2139 à 2179 bis.

20. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1412 à 1418.

21. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1507 à 1513.

22. A Clairac un témoin parle d'une rencontre dans les « lieux où il se commet insollances et où on s'entrebat » sans se sentir obligé de citer l'emplacement de l'endroit, présumé connu de tous.

23. Un exemple de cette déclaration sans ambiguïté est l'interpellation par l'écolier Jean Brethès de Jean Charrière, un praticien âgé de 25 ans, devant une fille : « mort teste et sang, c'est vous l'insolant qui avez entrepris de dire mal de moi, Mordieu vous apprendrez à parler de personnes qui sont plus que vous et qui vous feront affront en tous les endroits où vous paraissez », ajoutant, « c'est à vous monsieur Charrière que j'en veux, vous m'avez trop fait, vous le payerez, il faut que nous nous embrassions (en duel) prenez garde à vous ; vous le payerez et prenez garde ! ». Charrière s'est plaint que le même jour un attroupement d'écoliers est passé et repassé devant chez lui, dissimulant mal leurs armes sous leurs vêtements, Arch. Dép. Lot-et-Garonne, B 1418, Cour ordinaire d'Agen, 21 mai, 1669.

24. S.J., Jean Baiole, Histoire sacrée d'Aquitaine, Cahors, 1644, loc. cit., p. 28.Google Scholar

25. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1412,19 avril 1665.

26. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1413, 27 janvier 1666.

27. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1413,11 mai 1666.

28. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2173.

29. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2173.

30. Pour ce rôle du frère aîné, dont il y a plusieurs cas dans nos sources, voir surtout l'article d'Yves Castan, « Père et fils en Languedoc à l'époque classique », pp. 31-45, XVIIe siècle, Le XVIIe siècle et la famille, 1974.

31. Arch. Dép. Gers, Hôpital Général de Condom, séries H. 77, 78, 79 : Registre du Consistoire de Layrac.

32. Arch. Dép. Gironde, série B 3622 Parlement : Tournelle, 18 janvier 1706.

33. Arch. Dép. Gironde, série B 5228 : Registre d'audiences de la Cour de la Chambre de l'Édit, 1608-1609.

34. Pérès : Chronique d'Isaac de Pérès 1554-1611, Agen, 1888, p. 222.

35. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2154.

36. Toutes les affaires comportant la peine capitale étaient envoyées à Bordeaux, ne laissant rien, ou presque, dans les archives locales. Il est ainsi impossible de savoir quelle pouvait être la fréquence du duel à Agen ou à Clairac au xvii= siècle.

37. Bernard Labénazie, , Annales d'Agen, Agen, 1889, loc. cit., p. 121.Google Scholar

38. Notons que le viol est un délit rarissime, attribué principalement à la dépravation de soldats ivres. Il est probablement vrai que le viol était occulté par la honte et par le préjudice qu'il portait à la renommée de la femme et de sa famille. Mais l'accusation de viol était considérée comme atroce. Même le consistoire calviniste de Layrac, pourtant très vigilant à l'égard de la fornication et de l'adultère, n'en souffle pas mot.

39. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1509, 1” juin 1701.

40. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, 2567, Mémoires du notaire Redays, 1617-1640. Redays note comment en février 1634 un groupe d'écoliers se laissèrent aller à faire « des vers et des pasquifs dans lesquels ils disaient mille médisances et détractions des personnes d'honneur. Ils furent emprisonnés par M. de Rance, procureur général et leur procès fut fait par la Chambre de l'Édit. Ils furent condamnés à verser solidairement 3 000 l.t. d'amende et ils demeurèrent quatre mois en prison ». Redays ajoute que « sans des amis (ils) feussent esté pandus pour donner exemple à la postérité à ne point détracter et médire de ses prochains. »

41. Prenons pour exemple une veuve de Clairac, d'une famille noble, Marie de Loches, 58 ans, qui poursuit en justice « une paysanne de ses voisines qui lui vola deux ceps de vigne », Arch. Dép. Lot-et-Garonne. E Supplément Cour ordinaire de Clairac, janvier 1640.

42. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2180, Justice consulaire de Clairac.

43. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, E Supplément 2182, Cour ordinaire de Clairac, mai 1629.

44. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1413, Cour ordinaire d'Agen, 20 août, 1666.

45. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1412 à 1418 et B 1507 à 1513.

46. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, série B 1507 à 1513.

47. Howard Zehr, TheModernizationof Crime in Germany and France, 1830-1913, 1975.

48. Voir à ce propos le livre très stimulant de Veyne, Paul, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Paris, Le Seuil, 1983,Google Scholar loc. cit., p. 93 ss.

49. Elias, Norbert, La civilisation des moeurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973:Google Scholar Un de ces manuels, écrit par le jésuite Léonard Périn est sorti des presses bordelaises vers 1620. Un manuel est sorti des presses à Agen en 1636, sans doute à l'usage du collège jésuite de la ville.

50. Arch. Dép. Lot-et-Garonne, B 1512, 3 août 1703 ; un procureur à la Cour déféqua en toute tranquillité devant un groupe de femmes d'artisans. Lorsque celles-ci l'interpellèrent et le taquinèrent — oh ! le pourceau ! — il rougit de mortification. Procureur et femmes ont tous transgressé les exigences nouvelles de la décence, créant l'embarras. Les modèles de bienséance préparent un comportement urbain spécifique, apanage des gens « importants », mais plus ou moins imité par une large partie de la population.

51. B. Labenazie, Annales d'Agen, op. cit., loc. cit., p. 135. Les jésuites à l'instigation de l'évêque d'Agen, organisèrent en 1709 une « retraite », d'abord pour les femmes de notables, et ensuite les uns après les autres, les servantes, les artisans, les écoliers, et enfin, les Messieurs. L'opération se répéta en 1711, chaque groupe passant huit jours d'endoctrinement intensif. Labenazie remarque combien les artisans sont devenus « modérés », les femmes « modestes ».

52. Lorenz, Konrad, L'agression, Une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 1969 (1963),Google Scholar surtout les p. 240 ss.