Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
L’article analyse la réception par l’élite médicale, le gouvernement et l’industrie britanniques des premières publications, à partir de 1950, liant tabagisme et cancer du poumon. Proprement inattendue, l’association mise au jour par les chercheurs du Medical Research Council posa des difficultés économiques et politiques au projet de Welfare State en cours d’actualisation. Elle mit également à l’épreuve la « machinerie consultative », dispositif complexe de comités scientifiques institué au sein du ministère de la Santé dans une perspective de rationalisation de la politique gouvernementale. Les obstacles à la mise en oeuvre de l’idéal d’objectivité sur lequel reposait sa légitimité, dans un contexte d’incertitude scientifique inédit, font l’objet d’une étude détaillée. Enfin, l’analyse des relations d’interdépendance entre chercheurs, responsables gouvernementaux, et industriels du tabac vient éclairer la dynamique scientifico-politique qui finit par contraindre le Cabinet britannique à reconnaître le caractère causal du lien entre tabagisme et cancer du poumon.
The article details the reactions of the British medical elite, government and the tobacco industry to the first studies, published in 1950, linking smoking to lung cancer. Highly unexpected, this relationship, identified by scientists at the Medical Research Council, financially and politically threatened the plans for a Welfare state that had just started being implemented. The alleged link between smoking and lung cancer also put to the test the complex scheme of scientific committees established within the Ministry of Health as a means of rationalizing the government's policy in this field. The difficulties experienced by experts in their efforts to measure up to the ideal of objectivity that provided the legitimacy for the ‘advisory machinery’ are analyzed. Finally, a detailed study of the interactions between scientists, policy makers and industrialists sheds light on the scientific and political dynamics that forced the British government to acknowledge that the link between smoking and lung cancer was a causal one.
Je remercie Jean-Paul Gaudillière, Kapil Raj et Paul-André Rosental pour leurs remarques sur une première version de cet article.
1- Brandt, Allan M., The cigarette century: The rise, fall, and deadly persistence of the product that defined America, New York, Basic Books, 2007 Google Scholar. Dans sa recension de l’ouvrage, Ian Tyrrel, The American Historical Review, 113-3, 2008, p. 782-785, ici p. 782, a fait remarquer qu’en dépit de son « titre accrocheur », l’essentiel du propos (entièrement circonscrit aux États-Unis) porte en réalité sur la période qui s’ouvre avec la publication, en 1964, du premier rapport du Surgeon General des États-Unis sur les risques du tabagisme.
2- La mécanisation de la fabrication de cigarette, entamée au milieu des années 1880 avec l’apparition de la « machine à rouler » Bonsack, entraîna un doublement des capacités productives accompagné d’une diminution de leur coût d’un facteur 100 : Rudy, Jarrett, « Indutrialization and technology », in Goodman, J. (dir.), Tobacco in history and culture: An encyclopedia, Détroit, Thomson Gale, 2005, vol. 1, p. 261–266 Google Scholar. L’importance des rations accordées aux soldats de la Première Guerre mondiale finit d’en banaliser l’usage. À partir des années 1930-1940, aux États-Unis, les industriels du tabac et leurs publicitaires commencèrent à cibler également les femmes en jouant en particulier du stéréotype de la fumeuse « moderne », émancipée, etc. : Schudson, Michael, Advertising, the uneasy persuasion: Its dubious impact on American society, New York, Basic Books, 1984, chap. VI, p. 178–208.Google Scholar
3- Ferrence, Roberta G., Deadly fashion: The rise and fall of cigarette smoking in North America, New York, Garland, 1989.Google Scholar
4- Le sommet du genre (hors le cas particulier des fictions littéraires ou cinématographiques) a sans doute été atteint avec Kluger, Richard, Ashes to ashes: America's hundred-year cigarette war, the public health, and the unabashed triumph of Philip Morris, New York, Vintage Books, 1997.Google Scholar
5- Une anthologie des dizaines de milliers de documents que les industriels du tabac ont été contraints de rendre publics au terme de nombreux procès intentés aux États-Unis et en Grande-Bretagne a été établie par Glantz, Stanton A. et al., The cigarette papers, Berkeley, University of California Press, 1996 Google Scholar : http://ark.cdlib.org/ark:/13030/ft8489p25j. La diffusion du terme même et son passage dans le vocabulaire français témoignent cependant des limites de cette entreprise de relations publiques.
6- A.M. Brandt, The cigarette century…, op. cit. ; Id., « The cigarette, risk, and American culture », Dædalus, 119-4, 1990, p. 155-176. Sur la situation britannique : Webster, Charles, « Tobacco smoking addiction: A challenge to the National Health Service », British Journal of Addiction, 79-1, 1984, p. 7–16 CrossRefGoogle Scholar ; Berridge, Virginia, « Science and policy: The case of post war British smoking policy », in Lock, S., Reynolds, L. A., Tansey, E. M. (dir.), Ashes to ashes: The history of smoking and health, Amsterdam, Rodopi, 1998, p. 143–171 Google Scholar. Pour une analyse des différentes dynamiques à l’oeuvre dans cette controverse mondiale, voir Berlivet, Luc, « Association and causation: The controversy over the scientific status of ‘risk factor’ epidemiology c.1947-c.1965 », in Berridge, V. (dir.), Making health policy: Networks in research and policy after 1945, Amsterdam, Rodopi, 2005, p. 43–74.Google Scholar
7- Foucault, Michel, « Le souci de la vérité », Dits et écrits. 1954-1988, Paris, Gallimard, 1994, t. IV, p. 668-678Google Scholar, ici p. 670 : « Problématisation ne veut pas dire representation d’un objet préexistant, ni non plus la création par le discours d’un objet qui n’existe pas. C’est l’ensemble des pratiques discursives ou non discursives qui fait entrer quelque chose dans le jeu du vrai et du faux et le constitue comme objet pour la pensée (que ce soit sous la forme de la réflexion morale, de la connaissance scientifique, de l’analyse politique, etc.). » Sur le rôle de la statistique probabiliste dans la (re)problématisation de la santé, voir par exemple Berlivet, Luc, « Déchiffrer la maladie. Épidémiologie et cultures de santé publique », in Dozon, J.-P. et Fassin, D. (dir.), Critique de la santé publique. Une approche anthropologique, Paris, Balland, 2001, p. 75–102.Google Scholar
8- L’exercice risque cependant de tourner à la recherche du « précurseur » : celui dont on ne peut savoir qu’après qu’il est venu avant, pour paraphraser Canguilhem, Georges, « L’objet de l’histoire des sciences », Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, [1968] 1983, p. 9-23, ici p. 22Google Scholar. Il a souvent débouché sur des propos anachroniques cherchant à expliquer pourquoi et comment ces signaux ont pu être ignorés. On reviendra un peu plus loin sur le récit des découvertes successives du rôle pathogène du tabac.
9- En dépit des nombreux liens tissés par-delà l’Atlantique entre les élites médicales d’une part et les industriels de l’autre, les débats britanniques et américains se sont initialement développés parallèlement, avant que l’internationalisation graduelle de la lutte contre le tabagisme, à partir des années 1960, ne les connecte de plus en plus étroitement.
10- Pour mieux résister à la tentation, extrêmement prégnante dans les travaux d’histoire et de sociologie politique du tabagisme, d’imputer rétrospectivement des desseins cachés (de dissimulation, notamment) à certains protagonistes, comme le fait Pollock, David, Denial and delay. The political history of smoking and health, 1951-1964: Scientists, government and industry as seen in the papers at the Public Records Office, Londres, ASH, 1999 Google Scholar. À comparer aux analyses, autrement plus distanciées de Webster, Charles, The health services since the war, t. I, Problems of health care: The National Health Service before 1957, Londres, HMSO, 1981, p. 233, 236-237 et 246Google ScholarPubMed, et de Berridge, Virginia, Marketing health: Smoking and the discourse of public health in Britain, 1945-2000, Oxford, Oxford University Press, 2007.CrossRefGoogle Scholar
11- On retrouve ici, dans le domaine des sciences de l’observation, un phénomène homologue à la « régression de l’expérimentation », analysée par Collins, Harry M., Changing order: Replication and induction in scientific practice, Londres, Sage Publications, 1985 Google Scholar, et les commentaires de Godin, Benoît et Gingras, Yves, « The experimenter's regress: From scepticism to argumentation », Studies in History and Philosophy of Science, Part A, 31-1, 2002, p. 133–148 CrossRefGoogle Scholar. Pour une application au cas d’une autre controverse épidémiologique, voir Berlivet, Luc, « Argumentation scientifique et espace public : la quête de l’objectivité dans les controverses autour des risques de santé », in François, B. et Neveu, É. (dir.), Espaces publics mosaïques. Acteurs, arènes et rhétoriques des débats publics contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 185–208.CrossRefGoogle Scholar
12- Lewis, Jane E., What price community medicine? The philosophy, practice, and politics of public health since 1919, Brighton, Wheatsheaf Books, 1986, p. 3 Google Scholar. Nombre de luttes politiques furent ainsi livrées sur le terrain des inégalités de santé et du mauvais état sanitaire des populations, quand, en France et dans d’autres pays continentaux, prévalait une problématisation en termes de « question sociale ».
13- Harris, José, « Political thought and the Welfare State 1870-1940: An intellectual framework for British social policy », Past & Present, 135, 1992, p. 116–141 CrossRefGoogle Scholar et Id., « Political ideas and the debate on State welfare 1940-45 », in H.L. Smith (dir.), War and social change: British society in the Second World War, Manchester, Manchester University Press, l986, p. 233-263.
14- Le NHS Act de 1946 s’ouvre sur une explicitation du « Duty of the Minister of Health » : C. Webster, The health services since the war, op. cit., p. 240 sq.
15- Dans les premiers mois, les dépenses engendrées par la création du NHS, le 5 juillet 1948, dépassèrent les estimations de près de 40%; il fallut deux ans au gouvernement pour évaluer de manière réaliste les dépenses de santé. Voir Webster, Charles, The National Health Service: A political history, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 23 Google Scholar et Cutler, Tony, « Dangerous yardstick? Early cost estimates and the politics of financial management in the first decade of the National Health Service », Medical History, 47-2, 2003, p. 217–238 Google ScholarPubMed.
16- Cette crainte n’a pas disparu comme en témoigne l’abandon par Tony Blair, peu de temps avant de quitter ses fonctions de Premier ministre, d’un projet de « smoking ban » conçu sur le modèle irlandais.
17- Leur consommation moyenne annuelle s’élevait désormais à 7 livres (soit près de 3, 2 kg), en augmentation constante depuis la fin du XIXe siècle, après deux siècles de stabilité autour de 2 livres en moyenne : voir Hilton, Matthew, Smoking in British popular culture, 1800-2000: Perfect pleasures, Manchester, Manchester University Press, 2000, p. 2 Google Scholar, et Rosemary E. Elliot, « ‘Destructive but sweet ‘: Cigarette smoking among women 1890-1990 », Ph. D., Glasgow University, 2001. La variable de genre demeurait cependant très prégnante : en 1948, la consommation moyenne journalière des hommes s’élevait à 14 cigarettes, celle des femmes à 6, 8 cigarettes : V. Berridge, Marketing health…, op. cit., p. 287. Au Royaume-Uni, le pic de consommation ne sera atteint qu’en 1973 pour les hommes (avec 22 cigarettes par jour en moyenne) et en 1976 pour les femmes (avec une moyenne journalière ne dépassant pas 17) : voir Pierce, John, « Consumption (demographics) », in Goodman, J. (dir.), Tobacco in history and culture…, op. cit., p. 167–186.Google Scholar
18- Ou peut-être à cause d’elles : le tabac ayant été accusé de causer les maux les plus divers, sans guère d’éléments probants, ses contempteurs (souvent mus par des motifs religieux ou moraux patents) se trouvèrent peu à peu décrédibilisés.
19- Selon la formule de V. Berridge, Marketing health…, op. cit., p. 47.
20- On reprend ici la périodisation proposée par Rosen, George, A history of public health, New York, MD Publications, 1958, p. 131 sq CrossRefGoogle ScholarPubMed.
21- Austoker, Joan, « The politics of cancer research: Walter Morley Fletcher and the origins of the British Empire Cancer Campaign », Bulletin of the Society for the Social History of Medicine, 37, 1985, p. 63–67 Google Scholar. L’ambition de ses fondateurs était de redynamiser un champ dominé par l’Imperial Cancer Research Fund.
22- C’est le cas en France : Pinell, Patrice, Naissance d’un fléau. Histoire de la lutte contre le cancer en France, 1890-1940, Paris, Métailié, 1992 Google Scholar, ainsi qu’aux États-Unis, même si l’American Cancer Society se préoccupe rapidement de mobiliser une partie de ses volontaires, dont certains (ex-)patients et leurs proches, aux côtés des médecins, voir Ross, Walter S., Crusade: The official history of the American Cancer Society, New York, Arbor House, 1987.Google Scholar
23- L’attentisme du Medical Research Council est, par exemple, très nettement perceptible dans la réponse que son secrétaire général réserve, en janvier 1935, à la proposition d’un médecin et philanthrope de Birmingham, Sir Gilbert Barling, de financer (à hauteur de mille livres sterling) une enquête sur l’apparente augmentation du nombre de cas de cancers du poumon et ses possibles « facteurs explicatifs » ; voir National Archives (dorénavant NA), MRC, FD 1/3567. Il est confirmé par d’autres correspondances remontant à la fin des années 1930, entre le MRC et des médecins insistant sur la nécessité d’alerter le public sur l’accroissement de la mortalité par cancer du poumon ou d’évaluer avec précision l’efficacité de tel ou tel traitement : voir NA, MRC, FD 1/1953, Claim of cancer cure: correspondence; cuttings and pamphlets; memorandum et NA, MRC, FD 1/4761, Smoking and health: proposed research by Dr Lennox-Johnston, Cheshire.
24- Hill, Austin Bradford, « Obituary: Dr Percy Stocks, 1889-1974 », Journal of the Royal Statistical Society, Series A (General), 138-2, 1975, p. 273–274.Google Scholar
25- NA, Ministry of Health, MH 55/1011 : l’initiative de P. Stocks est suivie de près par des hauts fonctionnaires du ministère de la Santé. Voir en particulier la lettre de R. J. R. Farrow à John E. Pater, en date du 28 mai 1946. Pour la correspondance de P. Stocks relative à cette question et celles d’autres protagonistes de la mobilisation, voir également NA, MRC, FD 1/1989, Conference on cancer and the lung.
26- NA, MRC, FD 1/1989, Percy Stocks, Cancer of the lung : soit une augmentation annuelle moyenne d’environ 8%. V. Berridge, Marketing health…, op. cit., p. 24, évoque pour sa part une multiplication par 6 du nombre de cas de cancers du poumon chez les hommes âgés de plus de 45 ans durant la seule période 1930-1945, sans toutefois préciser ses sources. En 1951, 13 000 décès furent imputés à cette maladie (contre 612 en 1922…), qui « dépassa » ainsi la tuberculose dans la hiérarchie des fléaux : voir C. Webster, The health services since the war, op. cit., p. 233.
27- NA, MRC, FD 1/1989, verbatim, Conference on cancer of the lung. Dès la fin des années 1930, Sir Ernest et sa femme Nina, elle-même médecin, avaient remarqué que les certificats de décès (anglais et gallois) des personnes mortes d’un cancer du poumon portaient fréquemment la mention « fumeur », inscrite dans la rubrique « observation » par le médecin certificateur : Kennaway, Nina M. et Kennaway, Ernest L., « A study of the incidence of cancer of the lung and larynx », Journal of Hygiene, 36-2, 1936, p. 236-26CrossRefGoogle ScholarPubMed7 et Id., « A further study of the incidence of cancer of the lung and larynx », British Journal of Cancer, 1, 1947, p. 260-298.
28- Proctor, Robert N., The Nazi war on cancer, Princeton, Princeton University Press, 1999, p. 208–209 et 237Google Scholar : bien que plusieurs journaux médicaux britanniques, notamment, aient souligné l’ampleur du programme de lutte contre le tabagisme engagé par le gouvernement nazi, leurs lecteurs ne semblent pas avoir prêté beaucoup d’intérêt aux travaux de leurs collègues allemands ; puis la guerre interrompit temporairement les abonnements des bibliothèques britanniques aux revues médicales allemandes. Les études allemandes sont néanmoins évoquées dans l’article princeps de Doll, Richard et Bradford Hill, A., « Smoking and carcinoma of the lung », British Medical Journal, 2-4682, 1950, p. 739–748.CrossRefGoogle ScholarPubMed
29- Higgs, Edward, « Medical statistics, patronage and the state: The development of the MRC Statistical Unit, 1911-1948 », Medical History, 44-3, 2000, p. 323–340.Google ScholarPubMed
30- Elle avait été expérimentée dans les années 1920 par Janet Lane-Claypon, l’une des très rares chercheuses en médecine de l’époque, dans le cadre d’une recherche sur l’étiologie du cancer du sein : voir Winkelstein, Warren, « Claypon, Janet Elizabeth Lane (1877-1967) », in Matthew, H. C. G. et Harrison, B. (dir.), Oxford dictionary of national biography, Oxford, Oxford University Press, 2004, vol. 11.Google Scholar
31- La liste de ce que l’on pourrait appeler les « ressemblances nécessaires » est susceptible de varier en fonction de l’objet de l’enquête. En pratique, les épidémiologistes s’efforcent de recruter plusieurs « témoins » pour chaque « cas », de manière à pallier aux « pertes de vue » durant l’enquête et à pouvoir comparer le groupe « cas » à différents types de « témoins ».
32- Doll, Richard, « Medical statistics », St Thomas’ Hospital Gazette, 34, 1936, p. 294–297.Google Scholar
33- NA, MRC, FD 1/1993, A. B. Hill, E.L. Kennaway et P. Stocks, Proposed investigation of cancer of the lung, s. d., annexe 1. Le titre de l’enquête figurant sur le questionnaire distribué aux enquêtrices : « Investigation of disease and social factors » était formulé de manière extrêmement vague, afin de ne pas alerter les différentes personnes impliquées sur les hypothèses des chercheurs et d’éviter, dans la mesure du possible, que le recueil d’information ne s’en trouve biaisé.
34- Hardy, Anne, « On the cusp: Epidemiology and bacteriology at the local government board, 1890-1905 », Medical History, 42-3, 1998, p. 328–346 CrossRefGoogle ScholarPubMed, et Amsterdamska, Olga, « Demarcating epidemiology », Science, Technology & Human Values, 30-1, 2005, p. 17–51 CrossRefGoogle Scholar. Pourtant, Hill et Kennaway avaient soigneusement évité toute compétition directe : ils échangèrent régulièrement leurs résultats et le soutien du second ne fit jamais défaut au premier au cours de la controverse scientifico-politique qui suivit.
35- Doll, Richard, « Smoking and lung cancer », American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, 162-1, 2000, p. 4–6.CrossRefGoogle ScholarPubMed
36- Politiquement, Hill était proche du parti libéral (entretien avec son fils Ian David Hill, Londres, 12 juillet 2003) ; il avait rejoint la Société d’eugénisme en 1931 (Wellcome Library, Eugenics Society Papers, SA/EUG/C. 152), ce qui ne l’empêcha pas de mener de nombreuses recherches sur les facteurs sociaux de la tuberculose dans le même temps, les dimensions héréditaires et environnementales des maladies n’étant pas nécessairement perçues comme antinomiques. Quant à Doll, son engagement communiste lui avait valu quelques difficultés professionnelles au début de sa carrière : voir notamment ses entretiens avec l’historien Max Blythe, Medical sciences video archive, Oxford Brookes University. Il a souvent fait part de sa surprise face aux premiers résultats soulignant le rôle du tabagisme, notamment lors d’un « witness seminar » organisé par des historiens de la médecine : Doll, Richard, « The first reports on smoking and lung cancer », in Lock, S., Reynolds, L. A. et Tansey, E. M. (dir.), Ashes to ashes…, op. cit., p. 130–140.Google ScholarPubMed
37- NA, MRC, FD 1/1989, Richard DOLL, Cancer of the lung investigation. Interim report, 1er mai 1948, p. 3-4.
38- NA, MRC, FD 1/1992, Martin WARE, Minutes of a meeting of the carcinoma of the lung committeee held at the London School of Hygiene and Tropical Medicine on 19.9.1949, 5 octobre 1949. La décision fut prise collégialement par Hill, Kennaway, Stocks et Doll.
39- Ibid., lettre de Richard Doll à Francis H. K. Green, 28 septembre 1949 : « Incidentally the investigation has gone much better than I expected and it looks as if smoking will be incriminated to a major extent! »
40- Ibid. : Mémorandum de F. H. K. Green, 13 octobre 1949. Les termes utilisés par Green indiquent que les travaux de la SRU firent l’objet d’une critique serrée : « After challenging Doll on a number of detailed points… » (souligné par nous).
41- Wynder, Ernst L. et Graham, Evarts A., « Tobacco smoking as a possible etiologic factor in bronchiogenic carcinoma », Journal of the American Medical Association, 143-4, 1950, p. 329–336 CrossRefGoogle ScholarPubMed. Trois autres études sur le même thème, plus rudimentaires encore, furent publiées aux États-Unis dans les mois qui suivirent : L. Berlivet, « Association or causation… », art. cit., p. 67, n. 41.
42- Sur les collaborations internationales de Hill, ses missions aux États-Unis et son implication dans de très nombreux comités scientifiques anglo-américains dès la fin de la guerre, voir en particulier : Committee of Privy Council for Medical Research, Report of the Medical Research Council for the year 1950-1951, London, HMSO, 1952, p. 37. Personne ne semble avoir signalé à Hill ou à Doll la présentation par Wynder de ses résultats préliminaires devant la National Cancer Conference en février 1949 : E. L. Wynder et E. A. Graham, « Tobacco smoking as a possible etiologic factor… », art. cit., p. 329.
43- Burby, Liza, « The vindication of Ernst Wynder », In touch: The good health guide to cancer prevention and treatment, 1-3, 1999, p. 56–59.Google Scholar
44- E. L. Wynder et E. A. Graham, « Tobacco smoking as a possible etiologic factor… », art. cit., p. 334.
45- Horton, Richard, « Common sense and figures: The rhetoric of validity in medicine (Bradford Hill Memorial Lecture 1999) », Statistics in Medicine, 19-23, 2000, p. 3149–3164.3.0.CO;2-E>CrossRefGoogle Scholar
46- R. Doll et A. B. Hill, « Smoking and carcinoma of the lung », art. cit.
47- Ibid., p. 746 et 747, respectivement.
48- Une association statistique si forte que Doll ironisa, après coup et de manière clairement provocatrice, sur le fait qu’ils n’avaient guère eu besoin du sacro-saint test du Chi 2, cher au collectif de pensée constitué autour de Karl Pearson, auquel Hill et Stocks avaient appartenu à des titres divers, pour percevoir sa significativité statistique : « Conversation with Sir Richard Doll », British Journal of Addiction, 86-4, 1991, p. 365-377.
49- R. Doll et A. B. Hill, « Smoking and carcinoma of the lung », art. cit., p. 747 : « The figures obtained are admittedly speculative, but suggest… ».
50- On reprend ici, parmi les très nombreux exemples possibles, la formulation adoptée par David Rising dans la nécrologie qu’il rédigea pour Associated Press à la mort de Doll, le 24 juillet 2005. Ce texte « d’agence », qui fut largement repris (on peut encore le lire sur le site de la chaîne américaine CBS : http://www.cbsnews.com/stories/2005/07/25/tech/main711305.shtml), est particulièrement symptomatique en ce qu’il altère les mots mêmes de l’article original pour les adapter aux catégories de pensée contemporaines, la référence initiale au tabac comme « a factor, and an important factor, in the production of carcinoma of the lung » devenant, dans la citation apocryphe, « ‘a cause, and a major cause’ of cancer of the lung ».
51- Ainsi, l’ouvrage de David Pollock (cheville ouvrière du principal groupe de lutte antitabagique britannique, Action on health and smoking) au titre particulièrement explicite : Denial and delay…, op. cit., repose-t-il entièrement sur une lecture (uniquement à charge et sans contextualisation aucune) d’extraits de documents consultés dans les archives publiques du Royaume-Uni.
52- R. Doll et A. B. Hill, « Smoking and carcinoma of the lung », art. cit., p. 746. Concession essentiellement rhétorique, toutefois, puisque l’enquête avait écarté la première hypothèse en établissant l’antériorité de la consommation de tabac sur la survenue de la maladie et que les deux auteurs affirmaient simultanément ne « pas pouvoir envisager une quelconque cause susceptible de conduire à la fois au développement de cette habitude [fumer] et au développement de la maladie 20 à 50 ans plus tard ».
53- NA, MH 11/1011, lettre d’Harold Himsworth à John A. Charles (Chief Medical Officer), 22 février 1951.
54- De fait, ce n’est qu’en 2002 que Doll écrivit aux survivants (Hill était décédé onze ans plus tôt) pour leur annoncer qu’après cinquante années de recherches l’enquête, dont les résultats avaient joué un si grand rôle dans l’histoire de la santé publique, touchait à son terme.
55- Haldane, Richard, Report of the machinery of government committee, London, HMSO, 1918.Google Scholar
56- Voir Webster, C., The health services since the war, op. cit., p. 240–248 Google ScholarPubMed ; dans le même sens, Berridge, V., Marketing health…, op. cit., p. 35 Google Scholar. La finalité de la « machinerie » était d’abord économique (les avis et conseils prodigués par les comités devaient permettre d’adapter l’offre de soin et de prévention aux besoins de santé), mais traduisait également une prise de responsabilité gouvernementale relativement au bien-être de la population, qui incitait à son tour les pouvoirs publics à s’entourer de scientifiques et de professionnels reconnus.
57- Parmi les travaux pionniers, voir en particulier : Daston, Lorraine, « Objectivity and the escape from perspective », Social Studies of Science, 22-4, 1992, p. 597–618 CrossRefGoogle Scholar et Id., « The moral economy of science », Osiris, 10, 1995, p. 3-24, ainsi que le récent ouvrage de Daston, Lorraine et Galison, Peter, Objectivity, New York, Zone Books, 2007 Google Scholar. Pour une présentation générale de l’historiographie de l’objectivité, voir Megill, Allan, « Four senses of objectivity », in Megill, A. (dir.), Rethinking objectivity, Durham, Duke University Press, 1994, p. 1–20 Google Scholar.
58- On retrouve ici la tension entre impératif de distanciation et nécessité de s’engager dans le monde pour pouvoir l’appréhender, bien analysée par Elias, Norbert, Engagement et distanciation. Contributions à la sociologie de la connaissance, Paris, Fayard, [1983] 1993 Google Scholar. C’est un point que nous avons développé à propos de l’analyse de controverses scientifiques : L. Berlivet, « Argumentation scientifique… », art. cit.
59- Doll avait lui-même exercé et mené des recherches cliniques au Central Middlesex County Hospital avant de rejoindre la SRU.
60- Le plus fameux spécialiste britannique de médecine nucléaire de l’époque : voir la notice qui lui est consacrée dans l’Oxford dictionary of national biography, op. cit.
61- NA, MH 133/453 : la lettre de Joules à Rock Carling est reproduite par le secrétaire du comité dans SAC(CR) (51) 2, Note by the Secretary. Il est intéressant de noter que l’ensemble du débat au sein de la « machinerie » britannique se focalisa sur la publication des chercheurs nationaux, sans qu’il soit jamais fait référence aux travaux américains. Ce « localisme scientifique » tranche avec la portée universelle des résultats concernant le lien allégué entre exposition à la fumée du tabac et la survenue du cancer du poumon.
62- NA, MH 133/453, SAC(CR) (51), First meeting Central Health Services Council. Standing cancer and radiotherapy advisory committee : voir le 9e paragraphe du compte rendu de la réunion.
63- NA, MRC, FD 1/1992, mémorandum de Green à Himsworth, 15 février 1951. Green reprend ici à son compte un point de vue élaboré par Doll à la suite de conversations avec Joules.
64- Stewart, John, The battle for health: A political history of the Socialist Medical Association, 1930-51, Aldershot, Ashgate, 1999, p. 202 et passim.Google Scholar
65- Voir Porter, Dorothy et Porter, Roy, « What was social medicine? An historiographical essay », Journal of Historical Sociology, 1-1, 1988, p. 90–109 CrossRefGoogle ScholarPubMed ; Porter, Dorothy, « Socialmedicine and the new society:Medicine and scientific humanism in mid-twentieth century Britain », Journal of Historical Sociology, 9-2, 1996, p. 168–187 CrossRefGoogle Scholar, et Palladino, Paolo, « Discourses of smoking, health, and the just society: Yesterday, today, and the return of the same? », Social History of Medicine, 14-2, 2001, p. 313–335 CrossRefGoogle Scholar.
66- NA, MRC, FD 1/2015 : voir par exemple la lettre de Green à Neville M. Goodman (haut fonctionnaire du ministère de la Santé), du 18 août 1952, rapportant une conversation informelle sur ce sujet, au cours d’un week-end. E. HIGGS, «Medical statistics, patronage and the state… », art. cit., p. 331, avait déjà pointé le rôle de la sociabilité propres aux clubs londoniens dans la consolidation de l’alliance entre Major Greenwood et Walter Fletcher, le premier secrétaire général du MRC, qui facilita grandement l’institutionnalisation de la statistique médicale en Grande-Bretagne, dans les années 1920.
67- Sur cet aspect de son épistémologie, voir Porter, Theodore M., Karl Pearson: The scientific life in a statistical age, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 257–260 Google Scholar. NA, MH 55/1011 : dans une lettre du 28 mars 1952 adressée à Charles, Hill détaillait néanmoins les points forts de son analyse statistique, en particulier la mise en évidence d’une relation linéaire directe entre « l’augmentation du risque [de cancer] et le niveau de tabagisme » (que l’on désignera plus tard sous le vocable de « dose-response relationship ») et annonçait simultanément le début du suivi de la cohorte des médecins britanniques, dont les premiers résultats ne seraient publiés que deux ans plus tard.
68- NA, MH55/1011, E. Kennaway, note manuscrite non datée. NA, MRC, FD 1/1992 : le compte rendu de la réunion du SAC(CR) du 26 juillet 1951 (6e paragraphe) fait bien ressortir la manière dont le président et le secrétaire du comité opposèrent, dans un document destiné aux pouvoirs publics, la prudence des deux chercheurs aux opinions tranchées des dirigeants du MRC.
69- NA, MH 133/453, voir en particulier les dossiers relatifs aux réunions des 26 juin 1952 et 23 novembre 1953. George VI mourut le 6 février 1952, à 56 ans, des suites d’une opération rendue nécessaire par un cancer du poumon. Le communiqué officiel du Palais cacha cette fin jugée dégradante, affirmant que le roi était « décédé paisiblement dans son sommeil » après s’être retiré normalement pour la nuit « in his usual health » : «The nation mourns », The Guardian, 7 février 1952.
70- NA, MH 133/453, SAC(CR) (52), Second meeting 26th June, 1952. En juin 1952, le SAC(CR) jugea ainsi préférable que les services de santé locaux et les organisations philanthropiques, plutôt que le ministère de la Santé ou toute autre institution centrale, se chargent de l’organisation de campagnes d’information sur « ce qui peut être fait » en matière de traitement du cancer et forment les médecins à « l’exploration précoce » des symptômes de la maladie. Sur l’anticipation des peurs du public et la crainte qu’elles ne nourrissent une « cancerphobia » contre-productive en termes de santé publique, voir notamment Toon, Elizabeth, « ‘Cancer as the general population knows it’: Knowledge, fear, and lay education in 1950s Britain », Bulletin of the History of Medicine, 81-1, 2007, p. 116–138 CrossRefGoogle Scholar.]
71- Tobacco Research Council, Review of past and current activities, Londres, 1963, p. 5.
72- NA, Treasury, T 233/1653, lettre d’Herbert Britain à Kenneth Couzens, 1er février 1954. L’analyse de la correspondance entre hauts fonctionnaires du Trésor et des dirigeants de compagnies de tabac fait ressortir un haut degré d’interconnaissance (ils ont souvent la même origine sociale) se traduisant notamment par l’usage du prénom et la latitude qui leur est donnée de se rencontrer « de manière purement privée et informelle ».
73- NA, MRC, FD 1/2015 : voir les nombreux échanges épistolaires, notes et comptes rendus de réunions archivés.
74- Ibid., lettre de Goodman à Green, 20 août 1952.
75- Ibid., lettre de Green à Hill, 7 novembre 1952.
76- Ibid., G. F. Todd, Smoking and lung cancer. A statistical study, Bristol, 17 juin 1953 (83 pages hors annexes).
77- Ibid., p. 1. Les trois principales séries de critiques émisent par Todd visaient « des défauts de procédure dans certaines enquêtes médicales » (y compris l’usage que Hill avait pu faire du test du Chi 2) ; le manque de fiabilité des déclarations des fumeurs sur leur consommation (tendance à la sous-déclaration) ; le manque de cohérence entre l’hypothèse avancée par Hill et Doll et les séries statistiques concernant les ventes de cigarettes durant la première moitié du XXe siècle.
78- Sur cette dimension de la « quête de l’objectivité » marquée par la délégation aux instruments et aux procédures formelles, voir L. Daston, « Objectivity and the escape from perspective », art. cit. ; L. Daston et P. Galison, Objectivity, op. cit., chap. 3. Ted Porter a bien analysé la « stratégie de communication » spécifique qu’autorise le recourt à la statistique mathématique : Porter, Theodore M., Trust in numbers: The pursuit of objectivity in science and public life, Princeton, Princeton University Press, 1995, p. VII Google Scholar ; Id., « Objectivity as standardization: The rhetoric of impersonality in measurement, statistics, and cost-benefit analysis », Annals of Scholarship, 9, 1992, p. 19-59.
79- NA, Cabinet Papers, CAB 124/1670, Himsworth au marquis de Salisbury, Cabinet Home Affairs Committee Tobacco smoking and cancer of the lung…, 1er février 1954 : quelques mois plus tard, dans un mémorandum adressé au Lord President du Conseil privé de la Couronne, dont dépendait formellement le MRC, son secrétaire général se plaignit de ce que « les commentaires des producteurs de tabac » avaient jusqu’alors manqué de « bon sens, de dignité, et d’une juste appréciation des éléments de preuve » disponibles. L’un des collaborateurs du Lord President lui fit écho, jugeant « choquante » l’attitude de ces entreprises (Ibid., Quirk to Slater, 2 février 1954). Ce sont cependant les seules critiques explicites, mais certes pas publiques, adressées aux industriels que l’on a pu relever dans les documents archivés.
80- NA, MRC, FD 1/2016 : par une lettre du 19 février 1953 adressée à John Partridge, l’un des dirigeants de la compagnie, Green confirma n’avoir rien à objecter à cet exercice de communication commerciale : « Le communiqué suit fidèlement le brouillon que vous m’avez aimablement montré lors de votre visite et nous n’avons rien à objecter à ses termes. » Le texte du communiqué insistait sur l’absence de preuve définitive et la fragilité statistique de l’accusation portée contre le tabac. Green fit montre durant toute cette période d’une grande capacité d’empathie, ainsi lorsqu’il dépeignait à Hill (lettre du 30 octobre 1952) les affres du même Partridge : « Il est dans la triste situation de celui qui ne veut pas que ses doutes [quant au lien entre tabac et cancer] soient levés, mais, à cette limite près, je pense qu’il fait un sérieux effort pour envisager cette éventualité d’un oeil impartial. C’est à n’en pas douter un homme sympathique [nice]. »
81- NA, MH 55/1011, mémorandum de Neville M. Goodman, 7 février 1953 et correspondance entre Sir John Charles et Percy Stocks.
82- Outre G. Maddex, le comité était composé de W. P. D. Logan (General Register Office), P. L. McKinley (General Registry Office of births, deaths and marriages of Scotland) et M. J. Kendall (London School of Economics).
83- NA, MRC, FD 1/2015 : l’appartenance de Todd à la société de statistique, rapportée par Hill, est mentionnée dans un mémo de Green à Himsworth daté du 6 novembre 1952. Sur l’élection conjointe de Hill et Maddex, ainsi que sur les liens entre Hill et Kendall dans au sein de la société royale, voir « Current Notes », Journal of the Royal Statistical Society, Series A (General), 112-2, 1949, p. 232-233 ; sur Hill et Maddex spécifiquement voir également : « A discussion on the reports of the Royal commission on population », Journal of the Royal Statistical Society. Series A (General), 114-1, 1951, p. 38-49.
84- Report of the Medical Research Council for the year 1950-1951, Londres, HMSO, 1952, p. 188.
85- NA, MH 55/1011, voir Smoking and cancer of the lung statistical advisory panel. Minutes of first meeting held at Caxton House, Tothill Street, SW1, on 8th July, 1953, ainsi que les comptes rendus des réunions suivantes.
86- NA, MH 55/1011, Smoking and lung cancer. Report of statistical panel appointed by the Chief medical Officer, Ministry of Health, 5 p., ici p. 3-4 (souligné par nous). Un des points les plus discutés au sein du comité fut le recours à la méthode « castémoins » ; tout en jugeant qu’il eut mieux valu tirer au sort les membres du groupe témoin dans la population générale, les membres réunis autour de Maddex estimèrent que les limites du dispositif mis en place n’invalidaient pas la démonstration.
87- NA, MH 55/1011, mémorandum de M. R. P. Gregson à N. Goodman et J. E. Pater (tous trois sont des hauts fonctionnaires du ministère) du 2 décembre 1953 commentant le renversement d’opinion intervenu au SAC(CR).
88- Ibid. Rock Carling était partisan d’« adoucir le ton » (tone down) du texte préparé par Joules et ses collègues, dont il confessa ne pas partager « les propos excessifs » et le goût « des actions spectaculaires » ; aussi ces derniers durent-ils insister à plusieurs reprises pour que ses amendements soient retirés, sans jamais parvenir à restaurer complètement le caractère tranchant de leur rédaction originale.
89- NA, MH 133/453, SAC(CR) 53, Third meeting. Meeting held on 22nd December 1953, at the MoH, point n° 5.
90- Ibid. L’expression « temporising answer » est, un temps, reprise par le ministre luimême, Iain Macleod, notamment dans sa lettre du 27 janvier 1953 à Howard Johnson, membre des Communes.
91- Cet ultime avis se serait en effet imposé au ministre au nom d’une règle non écrite de soumission au savoir scientifique de la « machine », parlant par la voie de son ultime rouage, réputé être le plus distancié.
92- Cette analyse, qui fait bien ressortir, simultanément, la tentation pour les pouvoirs publics d’instrumentaliser les avis scientifiques et ce qui y fait obstacle (soulignant ainsi l’inanité des récits comme celui de Pollock, qui tendent à représenter le ministre et ses conseillers en manipulateurs tout-puissants), fut longuement détaillée par J. E. Pater dans sa note du 19 janvier 1954 au Chief Medical Officer et à Sir Frederick Armer. Les textes des demandes écrites et orales formulées par les parlementaires sont conservés dans le même dossier, NA, MH 55/1011.
93- NA, MH 55/1011, document introductif présenté par I. Macleod : Cabinet Home Affairs Committee. Tobacco smoking and cancer of the lung. Memorandum by the Minister of Health, 26 janvier 1954.
94- NA, MH 55/1011, Iain Macleod à John Boyd-Carpenter (Financial Secretary to the Treasury), 29 janvier 1954 : « … for we all know that the Welfare State and much else is based on tobacco smoking ». Cette conscience des risques, y compris pour son propre département ministériel, d’une stigmatisation du tabagisme explique l’absence d’opposition frontale entre le ministre de la Santé et ses collègues de l’Économie et des Finances, dans le cours des négociations au sein du comité.
95- Berridge, V., Marketing health…, op. cit., p. 42.Google Scholar
96- NA, CAB 124/1670, Lord President – Tobacco smoking and cancer of the lung, 4 février 1954. Ces 600 millions de livres sterling perçus en 1950 correspondent à plus de 14, 8 milliards de livres actuelles, soit plus de 16, 6 milliards d’euros (au taux de conversion de septembre 2009). Un brouillon (non daté) de réponse à une interrogation parlementaire, conservé dans les archives du Trésor (NA, T 233/1653), atteste de ce qu’en 1956 le produit fiscal annuel des ventes de tabac avait encore augmenté de 10 %, pour atteindre 660 millions de livres.
97- NA, CAB 124/1670.
98- NA, CAB 100/130, Meeting minutes of a meeting held in the Leader's room, House of Lords, on Tuesday 9th February, 1954 at 2.30 p.m. Parmi les membres du comité, Salisbury (en sa qualité de Lord President du conseil privé de la Couronne) était particulièrement inquiet de ce que « des suspicions d’influence occulte puissent peser sur le MRC », au point d’envisager un temps « que l’argent soit offert à une autre organisation, comme la British Empire Cancer Campaign ».
99- NA, CAB 124/1670, Lord President – Tobacco smoking and cancer of the lung, 4 février 1954. Offre « moins généreuse qu’il n’y paraît », fit tout de même remarquer Salisbury : « L’argent sera versé selon les termes d’une convention [covenant] à sept ans, et va vraisemblablement entraîner une réduction de l’impôt sur le revenu [des industriels] et, peut-être également, de leur impôt sur les bénéfices. Ce qui signifie que le gouvernement paiera en définitive [une partie des sommes versées par les fabricants de tabac]. »
100- NA, CAB 124/1670, Harold Himsworth, Cabinet Home Affairs Committee, Tobacco smoking and cancer of the lung, 1er février 1954. NA, CAB 124/1670, Smoking and cancer of the lung, 8 février 1954 : le secrétaire général du MRC avait une claire conscience du fait que pour bénéficier durablement de cette manne financière (et éviter qu’un scandale ne le force à restituer l’argent, par exemple), l’organisme devrait être en mesure de démontrer avoir conservé toute son indépendance face aux industriels. Ainsi, à plusieurs reprises au cours des négociations qu’il eut avec ces derniers, réaffirmat-il l’intention du MRC de continuer à s’exprimer librement sur tout sujet de son choix, rappelant que le comité suivait Hill et Doll dans leurs analyses et que, s’ils « n’avaient pas réalisé tout ceci », il était encore temps pour Imperial tobacco et ses partenaires de retirer leur offre…
101- NA, CAB 130/100, minutes des réunions et résolutions du comité.
102- NA, CAB 128/27, Conclusions of a meeting of the cabinet held at Downing Street, S.W.1, on Wednesday, 10th February, 1954, at 11 a.m. Dans son intervention liminale devant ses collègues lors de la réunion du Cabinet devant approuver les termes de sa déclaration, Macleod qualifia significativement son intervention d’« unavoidable », terme entièrement négatif qui rend bien l’idée d’une contrainte extérieure irrésistible.
103- Voir par exemple la réaction du gouvernement britannique à la publication en 1962 du rapport élaboré par le Royal College of Physicians, résultat d’un habile travail de mobilisation de l’institution par un médecin, Charles Fletcher, dont les propriétés sociales se rapprochaient d’ailleurs de celles de Joules : Fletcher, Charles, « The story of the reports on smoking and health by the Royal College of Physicians », in Lock, S., Reynolds, L. et Tansey, E. M. (dir.), Ashes to Ashes…, op. cit., p. 202–205.Google ScholarPubMed
104- NA, CAB 128/27, Conclusions of a meeting of the cabinet held at Downing Street, S.W.1, on Wednesday, 10th February, 1954, at 11 a.m.
105- Hansard, House of Commons Debates, 12 février 1954, vol. 523, cc. 173-174W : http://hansard.millbanksystems.com/written_answers/1954/feb/12/smoking-and-lung-cancercommittees-report. L’existence d’interrogations encore pendantes est ainsi soulignée pour saper l’autorité de l’avis rendu par le comité : « J’accepte le point de vue du comité selon lequel les éléments de preuve statistiques désignent le tabagisme comme un facteur de cancer du poumon, mais je souhaite attirer l’attention sur le fait qu’il n’existe à ce jour aucune preuve tangible [firm evidence] ni de la manière ni de la mesure selon laquelle le tabagisme pourrait causer le cancer. »
106- NA, CAB 128/27, Conclusions of a meeting of the cabinet held at Downing Street, S.W.1, on Wednesday, 10th February, 1954, at 11 a.m, p. 65. L’objectif de santé publique présenté dans l’intervention du ministre de la Santé au cours de la réunion du Cabinet était encore plus circonscrit, puisque seuls « the risks apparently attending on excessive smoking » étaient envisagés (souligné par nous).
107- NA, MRC, FD 23/1112 et Hansard, op. cit. : le Squadron Leader Albert Cooper, représentant conservateur de la circonscription d’Ilford-South.
108- Ibid.
109- « Link between smoking and cancer », The Guardian, samedi 13 février 1954, http://www.guardian.co.uk/uk/1954/feb/13/smoking.fromthearchive : « Government Acts, Tobacco Firms’ Research Offer: Two important announcements were made yesterday on the debated relationship between smoking and cancer of the lung. » Sur un ton plus dramatique, le dimanche suivant l’hebdomadaire The Observer du 14 février 1954 titrait en une : « Smoking's link with cancer. Facts behind the findings ».
110- Les archives conservées dans les dossiers NA, MRC, FD 1/7777 à 7785 et FD 1/7788 attestent de la liberté scientifique dont bénéficia le comité durant les quelque neuf années de son fonctionnement, avant que les industriels ne se retirent de l’opération et créent leur propre centre de recherche.
111- Wellcome Trust Library, SA/CRC H. 1/17, Tobacco Research Council : les documents concernant cette alliance singulière sont conservés dans les archives de la British Empire Cancer Campaign.
112- « Scientist say: Make safety cigarette », News Chronicle, 8 février 1957.
113- En France, le Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes finança ainsi la création (en 1954) et l’essor du Groupe d’études sur la fumée du tabac, structure hybride associant des chercheurs du SEITA, de l’Institut du radium et de la section cancer de l’Institut national d’hygiène, dont les recherches multiformes (de l’épidémiologie à la recherche expérimentale) avaient clairement pour horizon la production d’une « cigarette anticancer ». L’expression est de Monique SENEZ, auteure d’un long article détaillant ce projet de production d’une « cigarette à combustion dirigée » : « Dans le plus grand secret la Régie française prépare les cigarettes anticancer », L’Aurore, 19 février 1958, p. 9. Aux États-Unis, une série de programmes de bien plus grande ampleur pris notamment la forme de financement direct (jusqu’en 1980) de centres de recherches de l’industrie par le National Cancer Institute ; Parascandola, Mark, « Science, industry, and tobacco harm reduction: A case study of tobacco industry scientists’ involvement in the National Cancer Institute's Smoking and Health Program, 1964-1980 », Public Health Reports, 120-3, 2005, p. 338–349.CrossRefGoogle ScholarPubMed
114- Le débat gagne un nombre croissant de pays : en cette même année débute, grâce à un financement du SEITA, l’enquête française sur le cancer du poumon : voir Berlivet, Luc, « Exigence scientifique et isolement institutionnel : l’essor contrarié de l’épidémiologie française dans la seconde moitié du XXe siècle », in Jorland, G., Opinel, A. et Weisz, G. (dir.), Body counts: Medical quantification in historical and sociological perspectives, Montréal, McGill/Queens University Press, 2005, p. 335–358.Google Scholar
115- Le suivi de la cohorte des médecins britanniques mise sur pied par Hill et Doll bénéficia ainsi d’importants financements, voir en particulier : NA, MRC, FD 1/7788, Progress of research on the causes of lung cancer. Financed from the British tobacco manufacturers’ benefaction during the period November, 1957 to March, 1959, p. 5, § 1, et les rapports successifs. Sur les recherches expérimentales, voir également FD 1/ 7778 à 7785 et FD 1/7788.
116- NA, MH 55/2232, lettre de Sir John Hawton à Herbert Britain, 15 mars 1956, ainsi que la déclaration initiale : Hansard (House of Commons Debates), 5 mars 1956, vol. 549, cc.1697-1698 et le démenti du 7 mai 1956, vol. 552, cc. 802-805.
117- Report of the Medical Research Council for the year 1955-1956, London, HMSO, 1957.
118- NA, MRC, FD 23/1112, Cabinet committee on cancer of the lung, s. d. L’entrée du journal d’Harold Macmillan (Chancelier de l’Échiquier de 1955 à 1957) pour le 19 avril 1956 frappe par son catastrophisme : « Réunion du Cabinet à 11 h 45, Singapour, la Guyane Britannique ; points de vue médicaux sur le cancer du poumon. Si nous perdons Singapour, c’est un terrible coup porté à nos intérêts en Extrême-Orient. Si les gens croient vraiment qu’ils vont attraper le cancer en fumant, c’est la fin du budget ! » MacMillan, Harold, The Macmillan diaries: The Cabinet years (1950-1957), Londres, Macmillan, 2003, p. 551 Google Scholar, cité par Berridge, V., Marketing health…, op. cit., p. 43 Google Scholar.
119- Ibid.
120- C. Fletcher, « The story of the reports… », art. cit.
121- A. M. Brandt, « The cigarette, risk, and American culture », art. cit. ; Parascandola, Mark, Weed, Douglas L. et Dasgupta, Abhijit, « Two Surgeon General's reports on smoking and cancer: A historical investigation of the practice of causal inference », Emerging Themes in Epidemiology, 3-1, 2006, p. 1–11.CrossRefGoogle ScholarPubMed
122- Parmi les scientifiques de premier ordre ayant émis des doutes sur le caractère cancérigène du tabac, ou même réfuté cette thèse, jusqu’au début des années 1980, on peut citer le statisticien et généticien anglais Ronald Fisher, le généticien américain Clarence C. Little, le psychologue britannique, d’origine allemande, Hans Eysenck. Les sciences sociales furent elles aussi impliquées dans la série de controverses sur ce thème, quoique de manière plus périphérique, avec notamment les interventions du sociologue Berger, Peter, « A sociological view of the antismoking phenomenon » in Tollison, R. D. (dir.), Smoking and society: Toward a more balanced assessment, Lexington, Lexington Books, 1985, p. 225–240.Google Scholar
123- La trajectoire de Geoffrey Todd est emblématique de ce dialogue scientifique improbable : après avoir grandement contribué à fonder puis dirigé le Tobacco manufacturers’ standing committee (bientôt rebaptisé Tobacco Research Council), dont il fut nommé directeur en avril 1961, le statisticien commença à critiquer les théories alternatives avancées pour infirmer la thèse d’un lien causal entre tabac et cancer. Il quitta son poste à la fin des années 1960 et fut bientôt fait membre honoraire de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, où il mena quelques recherches au sein du département de statistique médicale et épidémiologie, qu’Hill avait dirigé jusqu’à sa retraite, en 1961 : London School of Hygiene and Tropical Medicine, Report on the work of the School, 1973-1974, p. 14 et les rapports successifs (jusqu’en 1978).
124- Évoquée dans le roman sarcastique de Buckley, Christopher, Salles Fumeurs, Paris, Denoël, [1994] 1996.Google Scholar
125- À l’origine de cette problématisation, outre le débat sur les « facteurs de risque » du cancer, il convient de citer également l’enquête menée à Framingham (Massachusetts) sur l’étiologie des maladies cardio-vasculaires, voir notamment Oppenheimer, Gerald M., « Becoming the Framingham study, 1947-1950 », American Journal of Public Health, 95-4, 2005, p. 602–610.CrossRefGoogle ScholarPubMed
126- Porter, Dorothy, « From social structure to social behaviour in Britain after the Second World War », Contemporary British History, 16-3, 2002, p. 58–80, en particulier p. 75.CrossRefGoogle Scholar
127- Sur le cas français, voir Berlivet, Luc, « Une biopolitique de l’éducation pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention », in Fassin, D. et Memmi, D. (dir.), Le gouvernement des corps, Paris, Éd. de l’EHESS, 2004, p. 37–75.CrossRefGoogle Scholar
128- On pourrait aussi, avec N. Elias, Engagement et distanciation…, op. cit., p. 79 et passim, l’envisager comme une situation de « double contrainte ».
129- James, William, « Pragmatism and humanism », Pragmatism: The works of William James, Cambridge, Harvard University Press, [1907] 1975, vol. 1, p. 122 Google Scholar. La référence au « désherbage » du texte original est d’autant plus opportune que, sous la forme substantive, « weed » est également une appellation familière du tabac. Pour une discussion récente de la philosophie de la connaissance de James, voir Calcaterra, Rosa M., « Truth in progress: The value of the facts-and-feelings connection in William James », in Flamm, M. C., Lachs, J. et Skowroñski, K. P. (dir.), American and European values: Contemporary philosophical perspectives, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2008, p. 90–105.Google Scholar