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Les camps du sud de la France : de l'internement à la déportation

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Anne Grynberg*
Affiliation:
INALCO, Paris

Extract

Dès les semaines qui suivent leur accession au pouvoir, les responsables du régime de Vichy renforcent et développent le réseau d'internement mis en place à la fin de la Troisième République, balayant toutes les limites à l'arbitraire qui existaient jusqu'alors. Aux termes de la loi du 4 octobre 1940 — publiée au Journal Officiel du 18 octobre, comme le premier Statut des Juifs en date du 3 octobre —, les préfets peuvent interner dans des « camps spéciaux » les « étrangers de race juive ». De nouveaux camps sont créés (Rivesaltes, Noé, Récébédou) ; les autres — comme Gurs, par exemple — voient leur population augmenter considérablement. On estime à 40 000 environ le nombre de Juifs internés dans les camps de la zone sud au mois de février 1941, dans des conditions matérielles et psychologiques effroyables : promiscuité, malnutrition et saleté, humiliation et angoisse du lendemain.

Summary

Summary

An estimated 40 000 Jews were imprisoned in the internment camps of Southern France in the month of February 1941. Owing to liberations and emigration, this number decreased to 10 000 in July 1942, of which 4 000 were deported, never to return, in August 1942. This study examines the demands of the German authorities, the role of the Vichy government, and the changes in French public opinion when massive deportation began.

Type
La Politique Antijuive
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993

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References

1. Gilbert Badia, Cf. et alii, Les Barbelés de l'exil, Grenoble, Presses universitaies de Grenoble, 1979 Google Scholar ; et Monique Luirard, « Aspects de la législation sur les camps d'internement », dans, Répression, Camps d'internement en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Aspects du phénomène concentrationnaire, Saint-Etienne, Centre d'histoire régionale de l'université de Saint-Étienne, 1983, pp. 51-82.

2. Sur l'ouverture de ces camps, Anne Grynberg, cf., Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, La Découverte, 1991, pp. 201212.Google Scholar

3. Laharie, Claude, Le camp de Gurs, un aspect méconnu de l'histoire du Béarn, Pau, Infocompo, 1985, p. 233 ss.Google Scholar

4. Le Service social des étrangers est un organisme dépendant du Commissariat à la lutte contre le chômage (et donc du ministère du Travail). Créé en 1941, il a pour mission d'ouvrir des centres pour héberger les familles des internés incorporés dans les GTE. A la tête du SSE setrouve le quaker Gilbert Lesage, qui rêve de parvenir ainsi à sortir des camps des milliers d'internés. Parmi les centres du SSE, on peut citer notamment le centre féminin des Marquisats, près d'Annecy, les centres familiaux de Grammot dans l'Ain et de Douadic dans la Creuse, le centre de vieillards d'Alboussière en Ardèche, le centre d'inaptes de Montmélian en Savoie, ainsi que le sanatorium de Hauteville. Les conditions de vie dans ces maisons d'accueil sont inégales, parfois très rudimentaires. Sur le SSE, cf. René Nodot, Résistance non violente, 1940- 1944. Mémoires. Textes des interventions présentées devant la Commission d'histoire de la deuxième guerre mondiale à Lyon, les 17 janvier, 7 février et 9 mai 1978, Lyon, CDRP, 1978. Par ailleurs, les archives de Gilbert Lesage sont déposées au Centre de documentation juive contemporaine (désormais CDJC), à Paris.

5. La Direction des centres d'accueil (DCA) est une initiative de l'abbé Glasberg, avec le soutien de Mgr Gerlier, archevêque de Lyon. Au début de l'année 1942, la DCA gère quatre centres — dans le Rhône, la Drôme, le Cantal et les Hautes-Alpes ; chacun d'entre eux héberge une soixantaine de personnes. Nina Gourfinkel, Cf., L'Autre patrie, Paris, Le Seuil, 1953.Google Scholar Sur l'organisation financière des centres de la DCA, voir A. Grynberg, op. cit., pp. 283-285. Pour les centres de la Cimade — le Coteau fleuri au Chambon-sur-Lignon, le Mas du Diable près de Tarascon, le centre de Vabre dans le Tarn et le foyer Marie-Durant à Marseille —, on se reportera à l'ouvrage collectif intitulé Les Clandestins de Dieu. Cimade, 1939-1944, Paris, Fayard, 1968 ; et à Joutard, Philippe, Poujoi, Jacques. et Cabanel, Patrick, Cévennes terre de refuge, 1940-1944, Montpellier, Presses du languedoc-Club cévenol, 1987.Google Scholar Voir aussi : Michel, Alain, Les EIF en France pendant la seconde Guerre mondiale, septembre 1939-septembre 1944. Action et évolution, Paris, Éd. des EIF, 1984 Google Scholar ; et, sur le travail énorme accompli par l'OSE en faveur des enfants internés, Zeitoun, Sabine, L'oeuvre de secours aux enfants sous l'occupation en France, Paris, L'Harmattan, 1990.Google Scholar L'OSE a récemment reconstitué un important fonds d'archives de la période de la guerre, à la disposition des chercheurs à la bibliothèque de l'Alliance israélite universelle, à Paris. D'autres organisations s'emploient également à faire libérer des jeunes internés des camps et les prennent en charge. Les quakers de l'American Friends Service Committee accueillent des enfants au collège des pupilles de la nation à Aspet, près de Saint-Gaudens (Haute- Garonne), tandis que le Secours suisse gère un home à Sarcenas (Isère) et une pouponnière à Banyuls. Quant au Centre d'aide tchécoslovaque, il adresse les enfants libérés des camps à la maison d'accueil chrétienne de Vence. Cf. Rapports du Comité de Nîmes, Fonds de la commission des camps de Pugif, AD Alpes de Haute-Provence, 6 J 1.

6. Sur la question générale de l'émigration des internés : rapport de Siegbert Plastereck, délégué de la Hicem à Gurs. Archives départementales (désormais AD) des Pyrénées Atlantiques. Voir aussi : Maurice R. Davie, Refugees to America, New York, Harper and Bros., 1947 ; Wischnitzer, Mark, Visas to Freedom, Cleveland et New York, The World Publishing Company, 1956.Google Scholar

7. Rapport de T. Dannecker, Arch. CDJC, XXVb-87. Cité dans La Persécution des Juifs en France, présentée par la France à Nuremberg, recueil de documents présentés par Henri Monneray, Paris, CDJC, 1947, pp. 158-164.

8. Ils peuvent, dans ce cas, soit se trouver déjà dans le camp des Milles, près d'Aix-en-Provence, où sont rassemblés les internés en instance d'émigration, soit être encore éparpillés dans divers camps, où ils sont dès lors consignés. Cf. notamment : Jacques Granjonc et Theresia Grundtner (sous la direction de), Zone d'ombres, 1933-1944. Exil et internement d'Allemands et d'Autrichiens dans le sud-est de la France, Aix-en-Provence, Alinéa-Erca, 1990 ; Fontaine, André, Un camp de concentration en Provence ? Le camp d'étrangers des Milles, 1939-1943, Aixen- Provence, Edisud, 1989.Google Scholar

9. Compte rendu du conseil des ministres en date du vendredi 3 juillet 1942. Cité dans Klarsfeld, Serge, Vichy-Auschwitz, Paris, Fayard, 1983, vol. I, pp. 232233.Google Scholar

10. Sur les déportations des internés des camps de la zone non occupée, on pourra lire divers témoignages publiés dans Schramm, Hanna et Vormeier, Barbara, Vivre à Gurs. Un camp de concentration français, Paris, Maspero, 1979 Google Scholar ; ainsi que le journal du pasteur Manen, publié dans J. Grandjonc et T. Grundtner, Zone d'ombres, op. cit., pp. 353-376. C'est de ce texte qu'est extraite l'expression utilisée ici.

11. C'est le cri « Voilà les noirs ! » qui retentira dans les camps au cours des semaines suivantes, chaque fois que l'arrivée de la gendarmerie annoncera l'organisation d'un nouveau convoi de déportation.

12. Témoignage de Franz Soël sur les déportations du camp de Gurs, cité par H. Schramm et B. Vormeier, op. cit., p. 170.

13. C'est la loi du 27 septembre 1940 qui institue les GTE, qui rassemblent sous l'autorité du Commissariat de lutte contre le chômage les immigrés de 18 à 55 ans « en surnombre dans l'économie française » et qui ne peuvent pas regagner leur pays d'origine. Désignés d'office, ceux-ci doivent accomplir des tâches souvent pénibles — construction de routes, travaux de forestage, emplois dans le bâtiment —, tout en étant mal logés et mal nourris. Avant la création des centres du SSE, ils n'ont pas le droit de vivre près de leur famille (voir note 4).

14. Rapport de T. Dannecker, doc. cit.

15. Cf. Arch. CDJC, LXXI-84.

16. Cf. R. O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Le Seuil, 1973.

17. Archives Auswârtiges Amt (Bonn), dossier Kult ENf/RX II/Zv/vol. 68. Cité dans H. Schramm et B. Vormeier, Op. Cit., p. 266.

18. Ibid., p.268.

19. G. Badia, op. cit. Et, sur Breitscheid et Hilferding en particulier : Benedite, Daniel, La Filière marseillaise, Paris, Clancier-Guénaud, 1984 Google Scholar ; Fittko, Lisa, Le Chemin des Pyrénées. Souvenirs, 1940-1941, Paris, Maren Sell, 1988.Google Scholar

20. Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE), série Guerre 1939-1945,165/146, doc. 87 et 88.

21. AMAE, 165/146.

22. Robert O. Paxton, op. cit., p. 30.

23. Cf. Denis Rolland, Le Mexique et la France en crise, 1939-1942, thèse de Doctorat d'histoire soutenue en 1986 à l'université Paris I ; A. Grynberg, « Réfugiés espagnols et italiens dans les camps français », dans Italiens et Espagnols en France, 1938-1946, colloque international organisé par le Centre d'études et de documentation sur l'émigration italienne, le Centre d'histoire de l'Europe du xx” siècle (FNSP) et l'Institut d'histoire du temps présent (CNRS), sous la direction de Pierre Milza et Denis Peschanski (Paris, 28-29 novembre 1992). Actes du colloque en cours d'édition.

24. Cité par Weill, J., Contribution à l'histoire des camps d'internement dans l'anti-France, Paris, CDJC, 1946, doc. 1 et 2.Google Scholar

25. AMAE, 143/16.

26. Cf. H. Schramm et B. Vormeier, op. cit., p. 268 et 277 ; Moussinac, Léon, Le Radeau de la méduse. Journal d'un prisonnier politique, 1940-1941, Paris, Éd. Hier et Aujourd'hui, 1945, p. 250 Google Scholar ; Lecoin, Louis, De prison en prison, Antony, chez l'auteur, 1946, p. 201.Google Scholar

27. C. Laharie, op. cit., pp. 168-175

28. Cité par Serge Klarsfeld, op. cit., vol. I (1942), p. 101.

29. Carnets du pasteur Boegner, 1940-1945, présentés et annotés par Philippe Boegner, Paris, Fayard, 1992.

30. La France et la question juive, 1940-1944. La politique de Vichy, l'attitude des Églises et des mouvements de Résistance, Actes du colloque du CDJC, Paris, 10-12 mars 1979, publiés sous la direction de Georges Wellers, André Kaspi et Serge Klarsfeld, Paris, éd. Sylvie Messinger, 1981.

31. Grynberg, Anne, Les Camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939- 1944, Paris, La Découverte, 1991.Google Scholar

32. Ces cas d'exemption concernent les personnes âgées, les très jeunes enfants, les malades intransportables et les femmes enceintes, ainsi que les hommes ayant servi dans l'armée française ou dans une armée alliée pendant au moins trois mois ; ceux dont le conjoint est français ; et, catégorie mal définie, « ceux qui se sont signalés par leurs travaux artistiques, littéraires ou scientifiques et, enfin, ceux qui à un autre titre ont rendu des services signalés à notre pays » (Archives CDJC, CII-62). Cette même circulaire précise aussi les nationalités des « Juifs étrangers déportables » : Allemands, « ex »-Autrichiens, Tchécoslovaques, Polonais, Estoniens, Lituaniens, Lettons, Dantzigois, Sarrois, Russes arrivés en France après 1936.

33. En août 1942, il n'en reste plus guère dans les camps d'internement du sud de la France, la plupart ayant été libérés grâce aux œuvres qui les ont ensuite accueillis dans leurs maisons d'enfants ou, pour les plus grands, dans les fermes-écoles ; mais, au moment des déportations, certains fonctionnaires particulièrement zélés prévoient d'aller rechercher les enfants dans ces homes et, de fait, certains retournent dans les camps. Les travailleurs sociaux persuadent leurs parents « déportables » de ne pas les emmener avec eux et de les leur confier. Des scènes déchirantes se produisent lorsque parents et enfants doivent se séparer, pour que ces derniers soient emmenés hors des camps