Published online by Cambridge University Press: 25 January 2021
Cet article étudie les pratiques d’agences offrant aux travailleurs américains la possibilité d’accéder à des liquidités sur la base de leurs futurs revenus. L’historiographie a tour à tour associé ces prêts aux classes moyennes naissantes et à un crédit « moderne » ou à la classe ouvrière, associant la dette à la gestion d’urgences. Les données analysées, qui portent sur l’Illinois des années 1910, mettent plutôt en évidence trois types d’attitudes à l’égard du temps économique : à celui contraint des dettes pressantes s’oppose celui de la gestion budgétaire quotidienne et, enfin, celui de l’investissement. Loin de faire du crédit le marqueur d’une appartenance de classe et de dispositions économiques a priori, l’auteur considère l’attribution du crédit comme une épreuve de stratification. Ce prisme permet de dégager trois pôles au sein de l’espace social : un groupe modal et deux groupes extrêmes. Le premier est constitué d’ouvriers qualifiés, d’artisans et de salariés du public pour qui ces prêts représentent un substitut liquide et contractualisé au crédit affecté ou interpersonnel ; le deuxième est associé aux manœuvres et aux domestiques, à des faibles montants et à une forme d’instabilité salariale ; le troisième fait apparaître un crédit commercial, d’investissement ou destiné à couvrir des imprévus, octroyé à des salariés supérieurs et à des propriétaires de commerce. Cependant, ces trois groupes ne peuvent être statistiquement associés aux attitudes temporelles mises en exergue, ce qui souligne la coexistence d’horizons économiques différents au sein de chaque classe d’emprunteurs.
This article studies the credit practices of agencies offering small cash loans to American workers based on their future earnings. Recent historiography has associated these loans either with a nascent middle class and the birth of “modern” credit, or with the working class, equating debt with emergencies. In fact, the data analyzed here, based on Illinois agencies and borrowers in the 1910s, reveal three types of economic temporality: the bounded time of pressing debts contrasts with the continuous time of daily expenses, and, finally, the future time of investment. Far from associating credit with a predefined social class and economic dispositions a priori, this article considers credit allocation as a stratifying device. This analysis brings to light three distinct social groups: a large, modal group composed of skilled workers, craftsmen, and civil servants, who resorted to small loans as a contractual alternative to either affected or interpersonal credit, can be distinguished from two smaller groups at opposite ends of the spectrum. The first is associated with laborers and domestics, smaller amounts of money, and wage instability, whereas the second is linked to commercial credit, used by upper-level salaried workers and business owners for investment purposes or to meet an unforeseen liability. However, these three groups cannot be statistically associated with any one temporal rationality, emphasizing a complex layering of economic horizons within each class.
Cet article est accompagné d’une annexe accessible sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture » ; cette annexe accompagne aussi la version numérique de cet article.
1 Greta Krippner, « Democracy of Credit: Ownership and the Politics of Credit Access in Late Twentieth-Century America », American Journal of Sociology, 123-1, 2017, p. 1-47, ici p. 4. Pour une recherche antérieure à 2008, voir Lendol Calder, Financing the American Dream: A Cultural History of Consumer Credit, Princeton, Princeton University Press, 1999. Pour les travaux publiés depuis la crise de 2008, voir Donncha Marron, Consumer Credit in the United States: A Sociological Perspective from the 19th Century to the Present, Londres, Palgrave Macmillan, 2009 ; Louis Hyman, Debtor Nation: The History of America in Red Ink, Princeton, Princeton University Press, 2011 ; Wolfgang Streeck, « The Crises of Democratic Capitalism », New Left Review, 71, 2011, p. 5-29 ; Monica Prasad , The Land of Too Much: American Abundance and the Paradox of Poverty, Cambridge, Harvard University Press, 2012 ; Gunnar Trumbull, Consumer Lending in France and America: Credit and Welfare, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; Susan Soederberg, Debtfare States and the Poverty Industry: Money, Discipline and the Surplus Population, Abingdon, Routledge, 2014 ; Josh Lauer, Creditworthy: A History of Consumer Surveillance and Financial Identity in America, New York, Columbia University Press, 2017 ; Sarah L. Quinn, American Bonds: How Credit Markets Shaped a Nation, Princeton, Princeton University Press, 2019.
2 Les commerçants pratiquent également la saisie sur salaire, mais il s’agit d’un crédit affecté à l’achat d’un bien et non d’un prêt d’argent liquide. Dans ce cas, le crédit n’est pas une marchandise mais un moyen de paiement.
3 Le crédit bancaire aux particuliers connaît, lui, un développement plus tardif à partir du milieu des années 1930 : Ernst Dauer, Comparative Operating Experience of Consumer Instalment Financing Agencies and Commercial Banks, 1929-41, New York, NBER Books, 1944, p. 1-2.
4 Simon Bittmann, « De l’‘usure’ en Amérique. La transformation des politiques du crédit du progressisme au New Deal, 1903-1938 », Genèses, 117-4, 2019, p. 49-73.
5 Olivier Zunz, L’Amérique en col blanc. L’invention du tertiaire. 1870-1920, trad. par P. Ndiaye, Paris, Belin, [1990] 1991, p. 18 ; David M. Gordon, Richard Edwards et Michael Reich, Segmented Work, Divided Workers: The Historical Transformation of Labor in the United States, Cambridge, Cambridge University Press, 1982.
6 Jay M. Feinman, « The Development of the Employment at Will Rule », American Journal of Legal History, 20-2, 1976, p. 118-135 ; Bruce Laurie, Artisans into Workers: Labor in Nineteenth-Century America, Urbana, University of Illinois Press, 1997 ; Wanjiru Njoya, Property in Work: The Employment Relationship in the Anglo-American Firm, Aldershot, Ashgate, 2007 ; Jean-Christian Vinel, The Employee: A Political History, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2013.
7 Lawrence B. Glickman, A Living Wage: American Workers and the Making of Consumer Society, Ithaca, Cornell University Press, 1997.
8 Pour des exemples de travaux associant les prêts de petites sommes aux travailleurs pauvres, voir Lizabeth Cohen, Making a New Deal: Industrial Workers in Chicago, 1919-1939, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 104-105 ; D. Marron, Consumer Credit…, op. cit. ; L. Hyman, Debtor Nation, op. cit., p. 26 ; S. Soederberg, Debtfare States…, op. cit., p. 72-73 ; S. L. Quinn, American Bonds, op. cit. Pour des travaux qui voient dans ces prêts des pratiques annonciatrices de la classe moyenne (middle class) d’après-guerre, voir Mark H. Haller et John V. Alviti, « Loansharking in American Cities: Historical Analysis of a Marginal Enterprise », American Journal of Legal History, 21-2, 1977, p. 125-156 ; L. Calder, Financing…, op. cit., p. 52. L’expression « république des consommateurs » provient de l’ouvrage de Lizabeth Cohen, A Consumers’ Republic: The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Alfred A. Knopf, 2003.
9 Pour une discussion de l’expression dans le cadre de la France de la Belle Époque, voir Anaïs Albert, « Consommation de masse et consommation de classe. Une histoire sociale et culturelle du cycle de vie des objets dans les classes populaires parisiennes (des années 1880 aux années 1920) », thèse de doctorat, université Paris 1, 2014.
10 L. Cohen, Making a New Deal, op. cit., p. 129.
11 Le concept d’encastrement renvoie aux travaux de Karl Polanyi : sans en faire ici un usage historique, il permet de décrire un ensemble de transactions de crédit inscrites dans des relations de proximité entre prêteurs et emprunteurs.
12 Sur ces crédits encastrés, voir les témoignages de femmes juives et italiennes dans le Lower East Side de New York recueillis par Elizabeth Ewen, Immigrant Women in the Land of Dollars: Life and Culture on the Lower East Side (1890-1925), New York, New York University Press, 1985, p. 168-171.
13 Voir Anaïs Albert, « Le crédit à la consommation des classes populaires à la Belle Époque. Invention, innovation ou reconfiguration ? », Annales HSS, 67-4, 2012, p. 1049-1082, qui a étudié l’un de ces établissements, les magasins Dufayel : le recouvrement des créances mobilisait à la fois des « abonneurs », implantés localement dans les quartiers populaires, et une gestion à distance, au moyen de fiches individuelles conservées au siège de la firme. Pour des ouvrages déplorant le peu de travaux consacrés à la vente à tempérament des petits établissements de commerce aux États-Unis, voir L. Calder, Financing…, op. cit., p. 56-57 ; L. Cohen, Making a New Deal, op. cit., p. 128-130 ; Alain Chatriot et Marie-Emmanuelle Chessel, « L’histoire de la distribution : un chantier inachevé », Histoire, économie et société, 1, 2006, p. 67-82, en particulier p. 72-73.
14 Claire Lemercier et Claire Zalc, « Pour une nouvelle approche de la relation de crédit en histoire contemporaine », Annales HSS, 67-4, 2012, p. 979-1009.
15 Ibid., p. 982.
16 Edward P. Thompson, « Time, Work-Discipline, and Industrial Capitalism », Past & Present, 38, 1967, p. 56-97 ; Pierre Bourdieu, « La société traditionnelle. Attitude à l’égard du temps et conduite économique », Sociologie du travail, 5-1, 1963, p. 24-44, ici p. 26-30. Pour une introduction aux débats philosophiques sous-jacents : Jean-François Rey, « Faire le temps. D’une phénoménologie des attitudes temporelles à une théorie des pratiques temporelles », in M.-A. Lescourret (dir.), Pierre Bourdieu, un philosophe en sociologie, Paris, PUF, 2009, p. 145-164.
17 Thomas Angeletti, Arnaud Esquerre et Jeanne Lazarus, « Le sociologue et le temps », Raisons politiques, 48-4, 2012, p. 5-12, ici p. 7. Voir Frank Knight, Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin Company, 1921.
18 Sur ce point, voir Jeanne Lazarus, « Prévoir la défaillance de crédit : l’ambition du scoring », Raisons politiques, 48-4, 2012, p. 103-118, pour qui la rationalisation opérée par la quantification du risque de crédit produit un horizon « vidé de toute signification temporelle, mais également expérientielle » : aux « défaillances ressenties comme des événements » par les débiteurs, l’autrice oppose les anticipations calculées des prêteurs (p. 116).
19 L’accentuation de l’opposition entre ces deux formes de temps (contraint versus rationalisé) aux dépens des détails ethnographiques a été particulièrement critiquée dans le cas des travaux de Pierre Bourdieu sur l’Algérie. Voir Abdellah Hammoudi, « Phénoménologie et ethnographie. À propos de l’habitus kabyle chez Pierre Bourdieu », L’Homme, 184, 2007, p. 47-83 ; Paul Silverstein, « Of Rooting and Uprooting: Kabyle Habitus, Domesticity, and Structural Nostalgia », Ethnography, 5-4, 2004, p. 553-578.
20 Viviana Zelizer, The Social Meaning of Money: Pin Money, Paychecks, Poor Relief, and Other Currencies, New York, Basic Books, 1994.
21 Herman Kogan, Lending Is Our Business: The Story of Household Finance Corporation, Chicago, HFC, 1965, p. 16 ; Washington, Bibliothèque du Congrès, Archives de la Fondation Russell Sage (ci-après RSF), 123, Folder Mackey, « HFC Early History », note du Department of Remedial Loans de la RSF ; « Hotel Investment is an Eye-Opener », The Minneapolis Journal, 23 septembre 1906, p. 6, numérisé sur le site internet Chronicling America, https://chroniclingamerica.loc.gov. Ce site permet d’accéder à environ quinze millions de pages de journaux numérisées par la Bibliothèque du Congrès, dont la qualité autorise une recherche par mots-clés, concernant par exemple telle ou telle entreprise ou personnalité.
22 Daily Minnesota Tribune, 1er décembre 1882, disponible sur Chronicling America.
23 H. Kogan, Lending Is Our Business, op. cit., p. 14.
24 Elisabeth Anderson, « Experts, Ideas, and Policy Change: The Russell Sage Foundation and Small Loan Reform, 1909-1941 », Theory and Society, 37-3, 2008, p. 271-310.
25 Elizabeth Anderson, Bruce G. Carruthers et Timothy W. Guinnane, « An Unlikely Alliance: How Experts and Industry Transformed Consumer Credit Policy in the Early Twentieth Century United States », Social Science History, 39-4, 2015, p. 581-612.
26 Washington, Bibliothèque du Congrès, 123-124, Folder Unlicensed Lenders.
27 RSF, 123, Folder Mackey, Data from Illinois Offices, Mackey Syndicate, 1917.
28 S. Bittmann, « De l’‘usure’ en Amérique », art. cit., p. 58.
29 Clarence Hodson, Money Lenders: License Law and the Business of Making Small Loans on Unsecured Notes, Chattel mortgages, Salary Assignments, New York, Legal Reform Bureau to Eliminate the Loan Shark Evil, 1919, p. 59-76, disponible sur le site de la Bibliothèque Hathitrust (original déposé aux archives de l’université de Princeton), babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=njp.32101056350281&view=1up&seq=63.
30 Bureau du recensement, XIV e recensement national, 1920, vol. 9, Manufactures: Reports for States, p. 309, 314 (tableau 5) et 315 (tableau 6) ; vol. 10, Manufactures: General, p. 310 (tableau 3) et 909 (tableau 7), disponible sur le site du United States Census Bureau, https://www.census.gov/prod/www/decennial.html.
31 L. Cohen, Making a New Deal, op. cit., p. 46-48 ; Harold Mayer et Richard Wade, Chicago: Growth of a Metropolis, Chicago, The University of Chicago Press, 1973, p. 226-250.
32 La grande migration d’Afro-Américains en provenance du Sud reste faible jusqu’à la fin des années 1910. Sur la question des déterminants raciaux de l’accès au crédit dans le Sud-Est du pays à la même période, voir Simon Bittmann, « Une économie raciale de l’obligation. Loan sharks et travailleurs afro-américains au début du xxe siècle », Sociologie du travail, 61-4, 2019, DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.28381.
33 Bruce G. Carruthers, Timothy W. Guinnane et Yoonseok Lee, « Bringing ‘Honest Capital’ to Poor Borrowers: The Passage of the U. S. Uniform Small Loan Law, 1907-1930 », Journal of Interdisciplinary History, 42-3, 2011, p. 393-418.
34 Le contrôle exercé d’emblée par les membres de la HFC est visible dans l’organigramme de l’association professionnelle : National Consumer Finance Association, Yearbook of American Association of Small Loan Brokers, 1917, liste des responsables : babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=njp.32101067931046;view=1up;seq=5. Cette mainmise est telle qu’elle sera dénoncée en 1926 par le trésorier de l’association, dans une lettre adressée au délégué national : RSF, 88, AASLB 1922-1929, lettre de Charles Watts à William Young, 24 septembre 1926.
35 Claire Lemercier et Carine Ollivier, « Décrire et compter », Terrains & travaux, 19-2, 2011, p. 5-16, ici p. 10.
36 À savoir ceux de James Kelly, de Carl et Carrie McFeely, d’Edward Watson, de Tom Abbott, de George Bressler et de Westley Johnson : Brooklyn, Household Finance Corporation Archives (ci-après HFCA), NA 0102/036, Folder Ledgers and Applications, fichiers individuels d’emprunteurs, 1914-1916.
37 Brooklyn, HFCA, NA 0102/036, Folder Ledgers and Applications, Georges Bressler Files, « Bill of sale and list of goods ». Il s’agit de la liste la plus courte parmi l’ensemble des dossiers, mais les inventaires comportent parfois plus de quinze lignes de description.
38 Brooklyn, HFCA, NA 0102/036, Folder Ledgers and Applications, Edward Watson Files, « Bill of sale and list of goods ».
39 Cette dernière, dont le slogan est, en 1916, « Recherche de biens meubles en moins de trois minutes. Recherche de jugements dans tous les tribunaux. Recherche de biens immobiliers en tous genres », offre ainsi des services de vérification des biens, immobiliers et mobiliers, possédés par les clients ou déjà saisis par la justice : Brooklyn, HFCA, Folder NA 0102/036, Ledgers and Applications, Edward Watson Files, lettre de Chattel Mortgage Inc. à HFC, 1916. Sur le développement de la notation du crédit commercial à l’époque, voir Rowena Olegario, A Culture of Credit: Embedding Trust and Transparency in American Business, Cambridge, Harvard University Press, 2006.
40 George Angell, The Glory Years of HFC, Chicago, HFC, 2003, p. 16.
41 Un exemple d’une telle requête figure dans les sources : en mai 1945, le gérant d’une agence de HFC contacte l’employeur de Rita Lindsay, la Naval Air Station d’Alameda, en Californie, à la suite du défaut de l’emprunteuse sur plusieurs prêts. La lettre adressée à la responsable des ressources humaines réclame des informations sur l’emploi de Lindsay, « qui pourrait être [leur] employée », ce qui indique qu’il s’agit de la première prise de contact avec l’entreprise : Brooklyn, HFCA, NA 0102/036, Folder Ledgers and Applications, Rita Lindsay Files, lettre de G. R. Ellis, manager HFC, aux ressources humaines de la Naval Air Station, Alameda, 1945.
42 Brooklyn, HFCA, NA 0102/036, Folder Ledgers and Applications, Tom Abbott Files, Adverse Card Inquiry, Chicago Credit Bureau Inc. Sur le recours aux informations des bureaux de crédit à l’époque, voir J. Lauer, Creditworthy, op. cit.
43 La grille des catégories est disponible ici : https://usa.ipums.org/usa/volii/occ1920.shtml.
44 Selon des indications du type Laborer RR ou Fireman RR, les initiales RR désignant le chemin de fer (railroad), ou lorsqu’il s’agit de métiers spécifiques à l’industrie des chemins de fer, tel que celui d’aiguilleur (switchman) ou chef de train (brakeman).
45 La mention explicite « hors usine » (not in factory) est présente dans les sources comme dans le recensement, ce qui permet de construire un groupe de travailleurs à leur compte. Nous y incluons également ceux qui exercent des métiers artisanaux spécifiques, tel celui de forgeron ou de charpentier, et qui sont classés comme indépendants dans le recensement.
46 Cela confirme un résultat déjà mis en évidence dans le cas de New York par Michael Easterly, « Your Job is Your Credit: Creating a Market for Loans to Salaried Employees in New York City, 1885-1920 », thèse de doctorat, University of California, 2010. Voir également Alfred D. Chandler, Jr., The Visible Hand: The Managerial Revolution in American Business, Cambridge, Harvard University Press, 1993, p. 99-100.
47 S. Bittmann, « Une économie raciale de l’obligation », art. cit.
48 Le fait qu’aucun apprenti ne figure dans la base de données corrobore le lien entre statut d’emploi et accès au crédit.
49 Nous avons décidé de compter les foremen/forelady (contremaîtres hommes et femmes) au nombre des travailleurs, mais la question de l’appartenance de ces métiers à la catégorie des workers (« ouvriers ») a été largement débattue au début du siècle, comme l’a étudié J.-C. Vinel, The Employee, op. cit., p. 89-125.
50 Ce phénomène a déjà été mis en évidence par Tera W. Hunter dans le cas des travailleuses domestiques du Sud à la même époque, et par Martha Olney à l’échelle nationale pour les années 1920 : Tera W. Hunter, To ’Joy My Freedom: Southern Black Women’s Lives and Labors after the Civil War, Cambridge, Harvard University Press, 1998, p. 134-135 ; Martha Olney « When Your Word is Not Enough: Race, Collateral, and Household Credit », The Journal of Economic History, 58-2, 1998, p. 408-431.
51 Craig Muldrew, The Economy of Obligation: The Culture of Credit and Social Relations in Early Modern England, New York/Basingstoke, St. Martin’s Press/MacMillan Press, 1998, p. 95-98 ; Margot Finn, The Character of Credit: Personal Debt in English Culture, 1740-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 97 ; Gilles Laferté et al., « Le crédit direct des commerçants aux consommateurs : persistance et dépassement dans le textile à Lens (1920-1970) », Genèses, 79-2, 2010, p. 26-47.
52 La catégorie « autres métiers de bureau » comprend les métiers de bureau extérieurs au secteur de la vente, comme les sténographes, les opérateurs télégraphiques ou encore les commis expéditionnaires (shipping clerks).
53 Bureau du recensement, XIV e recensement national, 1920, vol. 18, Comparative Occupation Statistics 1870-1930, p. 113-129 (tableaux 9 et 10), www2.census.gov/prod2/decennial/documents/00312147ch2.pdf.
54 La distinction, très nette à l’époque, entre les « domestiques » et d’autres catégories de travailleurs pour lesquels la relation de servitude est moins mise en avant, est reprise par les recensements au moins jusqu’en 1920 : J.-C. Vinel, The Employee, op. cit.
55 La location de chambres ne représente pas nécessairement l’activité principale exercée : deux ouvriers de la sidérurgie et un vendeur (salesman) disent emprunter pour équiper des chambres au sein de leur maison afin de les louer. Dans ce cas, la location apporte à la fois un revenu complémentaire et des garanties supplémentaires.
56 Joanne J. Meyerowitz, Women Adrift: Independent Wage Earners in Chicago, 1880-1930, Chicago, The University of Chicago Press, 1987, p. 69-91 ; Richard Harris, « The End Justified the Means: Boarding and Rooming in a City of Homes, 1890-1951 », Journal of Social History, 26, 1992, p. 331-358 ; T. Hunter, To ’Joy My Freedom, op. cit., p. 97.
57 Wendy Gamber, The Boardinghouse in Nineteenth-Century America, Baltimore, John Hopkins University Press, 2007 ; R. Harris, « The End Justified the Means », art. cit.
58 Anaïs Albert, « La ‘démocratisation du luxe’. La consommation d’imitations par les classes populaires parisiennes à la Belle Époque », Entreprises et histoire, 78-1, 2015, p. 74-88.
59 J. Meyerowitz, Women Adrift, op. cit. ; T. Hunter, To ’Joy My Freedom, op. cit.
60 Aucune différence significative entre les femmes selon leurs origines ou leur couleur de peau n’apparaît dans le recensement de 1920 : Bureau du recensement, XIV e recensement national, 1920, vol. 4, p. 342-358 (tableau 5) : www2.census.gov/library/publications/decennial/1920/volume-4/41084484v4ch04.pdf.
61 RSF, 123, Folder Mackey, carte publicitaire. Sur le rapprochement fait, à l’époque, entre la gestion des liquidités et les compétences des femmes au foyer, voir V. Zelizer, The Social Meaning of Money, op. cit., p. 144-145.
62 L. Hyman, Debtor Nation, op. cit., p. 29.
63 Voir en particulier E. Anderson, B. G. Carruthers et T. W. Guinnane, « An Unlikely Alliance », art. cit., p. 584-585 et G. Trumbull, Consumer Lending…, op. cit., p. 24.
64 Pour une synthèse, voir Hélène Ducourant, « Crédit à la consommation et endettement des individus : des idées reçues et des outils pour les combattre », Revue française de socio-économie, 9-1, 2012, p. 11-21. Pour des études de cas, voir Ana Perrin-Heredia, « Les logiques sociales de l’endettement : gestion des comptes domestiques en milieux populaires », Sociétés contemporaines, 76-4, 2009, p. 95-119 et Camille François, « Déloger le peuple. L’État et l’administration des expulsions locatives », thèse de doctorat, université Paris 8, 2017, p. 87-90.
65 Pour des exemples d’ouvrages reprenant cette grille, voir ci-dessus la note 63, ainsi que les travaux de L. Hyman, Debtor Nation, op. cit. Nous n’entrons pas ici dans le détail des différentes conceptions du crédit « juste » ou « moral » défendu par les réformateurs de l’époque progressiste : pour plus de détails, voir S. Bittmann, « De l’‘usure’ en Amérique », art. cit.
66 Voir l’annexe « La classification des motifs en onze modalités », accessible sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».
67 Ce travail confirme en partie les résultats des études portant sur des formes similaires de crédit dans la France contemporaine, comme celle de Laure Lacan, « L’argent des crédits. Un argent neutre ? », Idées économiques et sociales, 182-4, 2015, p. 16-24.
68 On observe, sur la période, une affirmation des rôles genrés des époux au sein des foyers américains : l’ensemble des États ont ainsi voté, entre 1890 et 1915, une législation faisant de la désertion du mari un crime passible d’emprisonnement et de travail forcé. Ces dispositions visant les « fainéants » (home slackers) sont conçues comme des garde-fous, rendus nécessaires par les responsabilités accrues associées au chef de famille. Ici, l’emprunteuse fait explicitement référence au registre de l’abandon, peut-être pour susciter l’empathie du prêteur et augmenter par là ses chances de se voir octroyer le prêt. Voir Michael Willrich, « Home Slackers: Men, the State, and Welfare in Modern America », The Journal of American History, 87-2, 2000, p. 460-489.
69 John Steinbeck, À l’est d’Éden, trad. par J.-C. Bonnardot, Paris, Le Livre de poche, [1952] 2013, p. 201.
70 Un seul cas, concernant une logeuse, mentionne une dette contractée auprès d’un grand magasin, ce qui confirme l’hypothèse selon laquelle ce type de crédit reste peu diffusé au sein des classes populaires à la fin des années 1910.
71 L. Cohen, Making a New Deal, op. cit., p. 104-105.
72 Olivier Schwartz, Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, 1990, p. 118.
73 R. Olegario, A Culture of Credit, op. cit. ; J. Lauer, Creditworthy, op. cit.
74 Pour un exemple, voir le cas de Rita Lindsay, évoqué à la note 41.
75 Le cas d’un employé du fret (freight clerk) illustre le motif de prévision dans ce cadre, puisqu’il justifie sa demande de prêt de la manière suivante : « Pour payer une avance de loyer, faire sortir des meubles gagés. Pour fonder un foyer » (to set up housekeeping). S’il n’a peut-être pas encore de conjointe, il souhaite se préparer à cette éventualité.
76 G. Trumbull, Consumer Lending…, op. cit., p. 24.
77 Sur la capacité des agriculteurs à s’endetter pour acheter les outils ou les semences nécessaires à l’exercice de leur activité, notamment par le biais de crédits secondaires, en gageant leur terre, elle-même achetée à crédit, voir Allan G. Bogue, Money at Interest: The Farm Mortgage on the Middle Border, Ithaca, Cornell University Press, 1955, p. 1-6.
78 Sur la difficulté à obtenir des financements bancaires pour les petites entreprises, voir Naomi Lamoreaux, Insider Lending: Banks, Personal Connections, and Economic Development in Industrial New England, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 162 ; Charles Calomiris, « The Cost of Rejecting Universal Banking: American Finance in the German Mirror, 1870-1914 », in N. Lamoreaux et D. Raff (dir.), Coordination and Information: Historical Perspectives on the Organization of Enterprise, Chicago, The University of Chicago Press, 1995, p. 257-322.
79 Voir S. Quinn, American Bonds, op. cit. Le choix d’une variable passive s’explique par la redondance avec la variable de motif, puisque le crédit immobilier correspond à un sous-ensemble des motifs indiquant le paiement d’une dette ou d’un crédit.
80 Se reporter à la figure 4 pour la variable de motif.
81 Brigitte Le Roux et Henry Rouanet, Multiple Correspondence Analysis: Quantitative Applications in the Social Sciences, Thousand Oaks, Sage, [2006] 2010, p. 220.
82 L’algorithme associé à la CAH (méthode de Ward) suggère un regroupement optimal en trois classes. La classification permet ainsi de calculer deux valeurs : d’une part, au sein de chaque classe, la proportion d’individus possédant certaines modalités fortement représentées ; d’autre part, la proportion de l’ensemble des individus présentant les modalités fortes contenue dans chacune des classes. L’ensemble des variables retenues dans le modèle contribue significativement à la construction de la classification. Voir Jean-Paul Benzécri, « Introduction à la classification ascendante hiérarchique d’après un exemple de données économiques », Les cahiers de l’analyse des données, 10-3, 1985, p. 279-302. Pour une discussion des avancées méthodologiques que permet la CAH dans l’analyse de la stratification sociale, voir Joanie Cayouette-Remblière et Mathieu Ichou, « Saisir la position sociale des ménages : une approche par configurations », Revue française de sociologie, 60-3, 2019, p. 385-427.
83 A. Albert, « Le crédit à la consommation… », art. cit., p. 1067-1069.
84 Deux catégories d’individus – les emprunteurs sans emploi et les auteurs, auxquels on peut ajouter, dans une moindre mesure, les logeurs – tendent à se détacher des trois groupes principaux. Ils se situent au niveau du second groupe selon l’axe principal, mais sont plus isolés du fait de l’origine de leurs revenus : les individus sans emploi tirent leurs ressources de pensions ou de rentes, tandis que la rémunération des auteurs – qui sont principalement des musiciens (14 cas sur 16) – provient de la vente de leurs compositions ou de cours.
85 Marion Fourcade et Kieran Healy, « Classification Situations: Life-Chances in the Neoliberal Era », Accounting, Organizations and Society, 38-8, 2013, p. 559-572 ; id., « Seeing Like a Market , Socio-Economic Review, 15-1, 2017, p. 9-29.
86 Thomas Amossé et Marie Cartier, « ‘Si je travaille, c’est pas pour acheter du premier prix !’ Modes de consommation des classes populaires depuis leurs ménages stabilisés », Sociétés contemporaines, 114-2, 2019, p. 89-122, ici p. 91. Pour une présentation générale de ces travaux récents en sociologie, voir Lise Bernard, Olivier Masclet et Olivier Schwartz, « Introduction. Classes populaires aujourd’hui : questions de morphologie et de styles de vie », Sociétés contemporaines, 114-2, 2019, p. 5-21.
87 C. Lemercier et C. Zalc, « Pour une nouvelle approche… », art. cit.
88 L. Hyman, Debtor Nation, op. cit., p. 95.