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Le mythe de l'Amérique et « Moby Dick » de Melville*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Les circonstances de la colonisation et l'héritage puritain se sont conjugués pour faire du mythe de l'Amérique — recherche de la Nouvelle Terre Promise, rêve d'un Eden nouveau de pionniers — une idée clef de la civilisation américaine. Sur le plan littéraire, elle constitue, depuis le XIXe siècle, comme un point de repère auquel les écrivains confrontent incessamment la réalité, y voyant d'abord la réalisation du rêve, puis, de plus en plus souvent, son effondrement. C'est ce qui explique la prépondérance dans le roman américain, surtout au XIXe siècle, du genre « romance » qui, sous sa forme apparemment fantastique ou moralisante, constitue en réalité une prise de position symbolique par rapport au mythe de l'Amérique. Moby Dick n'échappe pas à cette règle. Nous nous proposons de montrer dans cet article, par une analyse détaillée du texte, que le chef-d'oeuvre de Melville peut être interprété sous cet angle, étant bien entendu qu'il ne s'agit là que d'une dimension de cette oeuvre polyvalente.

Type
Littérature et Société
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1970

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Footnotes

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Cet article constitue un des chapitres d'une étude plus vaste : Paradise Lost Anew : The Vision of America in the American Novel. A Study in Literary Continuity.

References

page 1547 note 1. Pour la façon dont le puritanisme a laissé son empreinte sur la civilisation américaine en lui conférant son caractère unique, voir : a) Adams, James Truslow, The Founding of New England, Boston, Atlantic, Little Brown & Co, 1963 ; Gaer, Joseph and Siegel, Ben, The Puritan Héritage : American Roots in The Bible, New York, Mentor Books, 1964 ; Miller, Perry, Errand Mo Wilderness, New York, Harper Torchbooks, 1956 et du même auteur, The New England Mind, Boston, Beacon Press, 1961 ; Schneider, Hébert, The Puritan Mind, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1961 ; Wertenbaker, Thomas J., The Puritan Oligarchy, New York, Grassev & Dunlap, 1956 ; b) Bradford, William, Of Plymouth Plantation, New York, Mentor Books (édition abrégée de l'histoire de Plymouth, remontant aux causes qui ont mené à cette imigration et racontée par l'homme qui fut pendant plus de trente ans le gouverneur de cette première colonie de New England) ; Miller, Perry, The American Puritans : Their Prose and Their Poetry, New York, Anchor Doubleday Book, 1956. Voir aussi Léon Barttz, City on a Hill, New York, 1964, pour une étude détaillée sur l'évolution du mythe de l'Amérique en tant que la Terre Promise.

page 1547 note 2. Voir A. N. Kaul, The American Vision, New Haven, Yale University Press, 1963 ; aussi Charles Sanford, The Quest for Paradise, Urbana, University of Illinois Press, 1961.

page 1547 note 3. Chase, Richard, The American Novel and ils Tradition, New York, Doubleday Anchor Books, 1957 Google Scholar (traduction française parue sous le titre Lumière et ténèbres, Paris, Seghers, 1965), montre que ce genre, assez déprécié en Europe à cette époque, se prêtait mieux pour décrire la réalité en termesmétaphysiques et éthiques. Sur la discussion relative au thème sur la nature du roman américain, voir l'anthologie de Louis D. Rubin et John R. Moore, The Idea ofan American Novel, New York, Crowell, 1961.

page 1548 note 1. Voir l'étude de Charles Feidelson, Jr., Symbolism and American Literature, University of Chicago Press, Phoenix Book, 1966, qui fait remonter les origines du symbolisme de Poe, Hawthorne, Melville, Whitman, à la tradition puritaine de voir le monde en termes allégoriques et au climat intellectuel spécifique des XVIIe et XVIIIe siècles.

page 1548 note 2. R. W. B. Lewis dans son essai « Walt Whitman : Always Going Out and Corning In », publié dans le recueil Trials of the Word, Yale University Press, New Haven, 1965, analyse les différentes éditions de Feuilles d'herbe et montre comment un certain pessimisme s'infiltrait, malgré l'effort du poète pour maintenir sa foi dans l'avenir de l'Amérique.

page 1548 note 3. Moby Dick publié, en 1851, et Feuilles d'herbe, dont la première édition parut en 1855, souvent considérés comme étant aux antipodes l'un de l'autre — et c'est certainement le cas pour ce qui est du jugement porté sur l'Amérique des années cinquante — sont centrés sur les mêmes problèmes. Comme l'écrit Lionel Trtlling dans The Libéral Imagination, New York, Doubleday Anchor Books, 1957, Melville et Whitman étaient « tous les deux les représentants de la dialectique de leur temps — ils contenaient tous les deux le oui et le non, l'affirmation et la négation de leur culture, et en cela ils étaient prophétiques du futur » (p. 7).

page 1548 note 4. J'emprunte le terme au fameux poème de Walt Whitman, « Song of The Open Road, » traduit en français par Léon Bazalgette : « Chant de la belle route » (Feuilles d'Herbe, Paris Mercure de France, 1955).

page 1549 note 1. Voir l'essai brillant du romancier Wright Morris, The Territory Ahead, New York, Atheneum, 1963, sur le motif de la fuite dans la littérature américaine.

page 1549 note 2. Moby Dick, traduction de L. J.-Jacques, J. Smith et J. Giono, Éditions Gallimard, p. 179. Toutes les citations qui suivent se rapportent à cette édition et les pages seront indiquées dans le texte même.

page 1549 note 3. Pour l'impact que la frontière a eu sur l'imagination américaine, voir Henry Nash Smith, Virgin Land : The American West as Symbol and Myth, New York, Vintage Books, 1957. Dans la première moitié du XIXe siècle, l'océan, souvent appelé « la seconde frontière », offrait des possibilités semblables à celles de la frontière et stimulait l'imagination. La mer promettait des aventures ; elle exigeait de ses adeptes des qualités de caractère semblables à celles de la frontière : courage, habileté, résistance, patience. James Fenimore Cooper fut le premier écrivain à utiliser cette analogie: non seulement il écrivit des romans sur la mer, mais aussi il employa beaucoup de métaphores maritimes dans ses descriptions de la frontière. Sur ce point, voir Thomas Philbrick, James Fenimore Cooper and The Development of American Sea Fiction, Harvard University Press, Massachusetts, 1961.

page 1549 note 4. Pour une étude détaillée des images de frontières, voir Edwin Fussell, Frontier : American Literature and the American West, New Jersey, Princeton, University Press, 1965.

page 1550 note 1. Henry David Thoreau, Walden, trad. L. Fabulet, Paris, Gallimard, 1922, écrit : « De la cité désespérée vous passez dans la campagne désespérée, et c'est avec le courage du vison et du rat musqué qu'il vous faut consoler (p. 12). »

page 1550 note 2. Melville fait allusion ici à Jean-Baptiste Cloots (1755-1794), le Persan qui prit le nom d'Anarcharsis à Paris et qui, avec une délégation représentant tous les hommes de toutes les races et nations, apparut devant l'Assemblée nationale en 1790.

page 1551 note 1. Il est intéressant de rappeler que Henry Wadsworth Longfellow, dans son poème épique Hiawatha (1855), imagine que son héros indien, reçoit l'homme blanc comme le prophète qui amène la vérité attendue.

page 1551 note 2. Voir l'essai de Sidney Kaplan, « Herman Melville and the American National Sin », dans Images of the Negro in American Literature, University of Chicago Press, 1966.

page 1552 note 1. Melville développe cette idée dans le conte Benito Cereno.

page 1553 note 1. Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Paris, Librairie de Médicis, 1951, vol. 2, p. 12.

page 1553 note 2. Voir R. W. B. Lewis, The American Adam, University of Chicago Press, Phoenix Books, 1958, pour une étude remarquable sur la façon dont l'imagination américaine s'est appropriée l'archétype d'Adam. Tony Tanner, The Reign of Wonder, Cambridge University Press, 1965, montre comment cet archétype a créé toute une façon de voir le monde et comment les grands écrivains américains, depuis Thoreau, en passant par Whitman, Mark Twain, jusqu'à nos jours, ont essayé de trouver un style qui puisse rendre cette façon de regarder le monde avec l'émerveillement d'un nouvel Adam.

page 1553 note 3. H. D. Thoreau, op. cit., p. 320.

page 1553 note 4. Pour l'importance que ces idées ont eue dans l'histoire intellectuelle des États-Unis, voir Merle Curti, The Growth of American Thought, New York, Harper, 1951.

page 1554 note 1. Vers les années 1840 et même plus tôt, de nombreux penseurs américains et parmi eux Cooper, Thoreau, Emerson, Hawthorne, s'étaient déjà rendu compte que le principe de l'intérêt personnel (” self-interest ») érigé par J. Hector de St. John de CRÈvecoeur dans Letters front an American Former (1782) au rang d'une des forces les plus progressistes en Amérique était socialement destructif et très dangereux.

page 1554 note 2. Voir Ralph Waldo Emerson, « Napoléon » dans Complète Essays and Other Writings, New York, Modem Library, 1950.

page 1554 note 3. Voir R. W. Emerson, « Self-Reliance », dans op. cit.

page 1555 note 1. Je suis ici Perry Miller, The New England Mind, Boston, Beacon Press, 1954, dans son affirmation que la prédestination était une des doctrines calvinistes acceptées par les puritains de New England, sans entrer dans la discussion soulevée sur ce point par Samuel Eliot Morison dans son livre The Intellectual Life of Colonial New England, Ithaca, Cornell University Press, 1960.

page 1555 note 2. Walt Whitman, « Enfants d'Adam », dans Feuilles d'herbe, vol. 1, p. 128.

page 1556 note 1. Nous trouvons ici de nouveau une des dichotomies fondamentales de la philosophie puritaine qui devint très importante avec la deuxième et surtout la troisième génération des puritains, et fut encore approfondie par l'influence de la morale victorienne.

page 1556 note 2. La communauté utopique de Brook Farm, à laquelle l'auteur fut lié pendant un certain temps, lui servit de modèle.

page 1558 note 1. Leslie Fiedler, Love and Death in the American Novel, New York, Delta Book, 1966, donne une interprétation homosexuelle à ce motif de l'amitié entre l'homme blanc et l'homme de couleur. Il me semble qu'il faudrait surtout y voir un essai pour transcender la barrière de couleur, une nostalgie du monde primitif et de la forêt vierge perdus pour jamais, une fuite enfin de la société et des valeurs qu'elle représente et qui sont souvent dans la littérature américaine personnifiées par la femme.

page 1559 note 1. Le texte anglais dit : « No more my splintered heart and maddened hand (souligné par moi, V. S.) were turned against the wolfish world », faisant ainsi allusion à l'image biblique. Il faut noter l'importance de la main dans toutes les scènes cruciales de la vie émotive de Ishmaël. C'est à travers le toucher, et non par la raison, qu'il découvre la vérité.

page 1559 note 2. Pour une étude intéressante de la complexité symbolique du Blanc et du Noir chez les symbolistes américains de la première moitié du XIXe siècle, voir Harry Levin, The Power of Blackness, New York, Vintage Book, 1960.

page 1560 note 1. Walt Whitman, « Chant de moi-même », dans op. cit., p. 49.

page 1561 note 1. On retrouve la même idée chez Nathaniel Hawthorne : le pire qui puisse arriver à l'individu — pensait-il — c'est de tomber hors de ce qu'il appelle « la chaîne magnétique de l'humanité » ; et aussi chez Whitman : voir son hymne des camarades tous liés par l'amour. L'homme-archétype, sans racines, sans passé, ne possédant pas de liens familiaux ou sociaux et se trouvant seul dans le vaste nouveau monde, peuplé par d'autres hommes dans la même situation, l'amour seul peut rompre la solitude.

page 1561 note 2. L'imagination de Melville, comme de Hawthorne ou de Faulkner, marquée par l'héritage puritain, tend à regarder le monde en termes de polarités, ce qui se traduit aussi bien par la structure de l'oeuvre que par ses images et symboles.

page 1565 note 1. Il ne faut pas oublier que la Déclaration de l'Indépendance énumère le droit à la poursuite du bonheur comme l'un des droits fondamentaux de l'homme.

page 1565 note 2. Walt Whitman, « Chant de moi-même », dans op. cit., p. 115.