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Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
L’envergure théorique et l’ambition épistémologique du livre de Cyril Lemieux rendent dérisoire la démarche qui consisterait à l’interpeller à partir des caractéristiques propres d’un des objets qui lui servent de terrain d’expérience. Pourtant la généreuse originalité de son choix de travailler en « basse continue » avec des terrains empiriques découpés et investis par d’autres chercheurs, en respectant leur mise en forme, invite à prendre au sérieux la question de la complaisance ou de la résistance de ces terrains à se prêter à l’expérience. Il se trouve que le chapitre 6 intitulé « Subversif inconscient » et centré sur la notion « d’incompossibilité » (le paragraphe de conclusion commence ainsi: « ce chapitre entendait suggérer en quoi l’expérience de l’incompossibilité est, pour la compréhension du comportement humain, une donnée fondamentale») s’appuie sur deux chapitres de mon livre Les pouvoirs de la littérature. Ce qui me frappe d’abord dans l’expérience originale de C. Lemieux, c’est la manière dont la reprise de l’objet historique fait, si j’ose dire, « tourner » cet objet autrement dans le récit même qui en est proposé. Description, analyse, mise en récit, qui proposaient dans mon livre un objet au regard du lecteur, deviennent un socle compact sur lequel est posé un autre récit en forme de résumé de la description et de l’analyse. Et c’est cette compacité, séparant au fond l’objet historique du passé auquel sa première construction le faisait appartenir, qui permet sa mise à l’épreuve par l’outil conceptuel cohérent du sociologue.
1 - Lemieux, Cyril, Le devoir et la grâce, Paris, Economica, 2009, p. 155 Google Scholar: « Quoique les individus soient toujours capables d’une pluralité d’actions, la situation actuelle ne leur permet que d’en accomplir une. Ainsi est-ce la possibilité, toujours offerte aux participants d’une situation, d’agir autrement qu’ils ne sont en train de le faire qui est à l’origine de la fragilité et de la réversibilité de cette situation. L’inconscient est la manifestation inquiétante de cette possibilité: sa première caractéristique est d’être subversif. »
2 - Jouhaud, Christian, Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000 Google Scholar.
3 - C. Lemieux, Le devoir et la grâce, op. cit., p. 23. Voir aussi p. 26: « une description entretient un rapport plus ou moins positif avec la grammaire de ce qu’elle décrit. Plus le rapport est négatif plus il produit en nous une impression d’obscurité », et p. 30: « C’est pourquoi il convient de toujours garder à l’esprit que le critère qui permet d’évaluer la vérité d’un énoncé n’est pas sa forme logique mais le sentiment d’évidence qu’il procure. »
4 - C. Lemieux, Le devoir et la grâce, op. cit., p. 158.
5 - Ibid., p. 159.
6 - Lemieux, Cyril, «À quoi sert l’analyse des controverses?», in «Comment on se dispute. Les formes de la controverse», Mil neuf cent , 25, 2007, p. 191-212 Google Scholar, ici p. 195.
7 - Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, «Du bon usage de la dispute», ibid., p. 5-12.