Hostname: page-component-cd9895bd7-hc48f Total loading time: 0 Render date: 2024-12-23T10:19:46.447Z Has data issue: false hasContentIssue false

Le Déclin D'Un Savoir la Crise de la Cosmographie a la Fin de la Renaissance

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Frank Lestringant*
Affiliation:
Université de Lille III

Extract

La découverte de l'Amérique et la révélation des « nouveaux horizons » ne sont pas les principales difficultés que rencontre la géographie de la Renaissance. Plus malaisé à concevoir que l'intégration d'un autre monde à l'imago mundi traditionnelle, le changement d'échelle qui fait passer d'un oekoumène insulaire, restreint et considéré comme plat sur la surface des eaux, à la totalité sphérique du globe terraqué, exige un déplacement du point de vue en hauteur. Au regard proche des descriptions antiques et médiévales se substitue un « regard éloigné ». Le modèle théorique qui permet l'ascension du regard et la distance accrue de l'observateur par rapport à l'objet-monde, est paradoxalement emprunté à l'Antiquité: c'est la cosmographie ou géographie universelle qui, selon la définition canonique de Ptolémée, décrit le monde par les cercles du ciel et leur projection sur la terre (écliptique, équateur, colures, parallèles, méridiens), et non pas suivant la morphologie propre aux lieux considérés, comme le fait en revanche la choro- ou topographie, dont les articulations et les frontières se modèlent sur les littoraux, les fleuves et les chaînes de montagnes.

Summary

Summary

Cosmography, or universal geography, was born in the sixteenth century from the encounter between the newly rediscovered Ptolemean cartography and the progress of the Great Navigations, registered in portolan charts. The rapid growth of this science—whose theoretical ambition was to describe the earth according to the celestial circles—at first brought fruitful results, manifest in the amount of free play accorded to the practician and in the role given to the so-called prospective “imagination.” But the same rapid growth quickly led to a decline, precipitated, towards the end of the Renaissance, by the suspicion which catholic and protestant theologians cast upon the pride and the vain curiosity presiding over the constitution of any universal science, a type of science which, according to them, held authorities in little respect and proudly based itself on the supremacy of mere experience.

Type
Représentations et Pratiques de L'Espace
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1991

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1. Lafond, Jean, « La notion de modèle », dans Le modèle à la Renaissance, Paris, Vrin, 1986, p. 12.Google Scholar

2. Montaigne, Michel de, Essais, I, 31, «Des Cannibales», Villey-Saulnier éd., Paris, PUF, 1965, p. 205.Google Scholar Hakluyt, Richard, The Principall Navigations, Voiages and Discoveries of the English Nation […], Londres, George Bishop & Ralph Newberie, 1589 Google Scholar, f° *3 v°, «Richard Hakluyt to the favorable Reader » : « those wearie volumes bearing the titles of universall Cosmographie […] beyng indeed most untruly and unprofitablie ramassed and hurled together».

3. Sur le cas d'André Thevet (1516-1592), voir mon étude: André Thevet, cosmographe des derniers Valois, Genève, Droz, 1991.

4. Sur tout ceci, voir Aujac, Germaine, Strabon et la science de son temps. I. Les sciences du monde, Paris, Les Belles Lettres, 1966, pp. 305306.Google Scholar

5. Cf. en particulier Numa Broc, La géographie de la Renaissance (1420-1620), Paris, Bncths, 1980, p. 7 ss : « Sébastien Münster, l'apogée du genre descriptif».

6. Münster, Sébastien, La Cosmographie universelle, Bâle, Heinrich Pétri, 1568, p. 833.Google Scholar La première édition latine remonte à 1544. Voir illustration I.

7. Ibid., pp. 870-871.

8. Ibid., p. 1396.

9. Sur l'entreprise de Grynaeus, voir N. Broc, op. cit., pp. 29-30, ainsi que l'étude de Korinman, Michel, «Simon Grynaeus et le “ Novus Orbis”: les pouvoirs d'une collection», dans Voyager à la Renaissance. Actes du colloque de Tours, 1983, Paris, Maisonneuve et Larose, 1987, pp. 419431.Google Scholar

10. Sur cet héritage historiographique, voir l'étude fondamentale de Guenée, Bernard, Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, Aubier, 1981.Google Scholar

11. Voir sur ce point, outre l'ouvrage récent de Desan, Philippe, Naissance de la méthode: Machiavel, La Ramée, Bodin, Montaigne, Descartes, Paris, Nizet, 1987 Google Scholar, mon étude: «Jean Bodin, cosmographe », dans Jean Bodin. Actes du colloque interdisciplinaire d'Angers (24-27mai 1984), Angers, Presses de l'Université d'Angers, 1985, t. I, pp. 133-145.

12. F. Lestringant, «Rage, fureur, folie cannibales: le Scythe et le Brésilien», dans Céard, Jean éd., La folie et le corps, Paris, Presses de l'École Normale Supérieure, 1985, pp. 4980.Google Scholar

13. Postel, Guillaume, Des Merveilles du monde, et principalement des admirables choses des Indes et du Nouveau Monde, Paris, J. Ruelle, 1553 Google Scholar. Sur ce traité, voir mon étude : « Cosmologie et mirabiliaà la Renaissance: l'exemple de Guillaume Postel», The Journal of Médiéval and Renaissance Studies, vol. 16, n° 2, fall 1986, pp. 253-279.

14. Belleforest, François de, La Cosmographie universelle de tout le monde […] Auteur en partie Munster […], Paris, N. Chesneau et M. Sonnius, 1575 Google Scholar, t. I, f° iij r°.

15. F. de Belleforest, op. cit., t. II, col. 1743-1745.

16. Ce brouillon partiel de la Cosmographie universelled'André Thevet (Paris, P. L'Huillier et G. Chaudière, 1575) a pour titre Le Livre contenant la description de tout ce qui est comprins soubz le nom de Gaule fait et observé par André Thevet Cosmographe du Roy et chevallier de Jherusalem ﹛circa1566 et 1572, Paris, BN, Ms fr. 4941). Au f° 10 v° on trouve par exemple, à propos de la ville d'Angoulême, l'ajout marginal suivant, écrit en travers: «ville qui gist a 17. degrés de longitude 23. minutes et a 45 degrés de longitude [lapsus pour :latitude] /44/ minutes, son plus long jours est de / 1 5 / heures /23/minute sellon la subputation, â jannays faite [biffé:sur les lieux] attendu que cest le lieu de ma naissance ».

17. Sur la personnalité de Joâo Afonso, pilote d'origine portugaise «acheté» par le roi François Ier et naturalisé français, voir l'étude décisive de Matos, Luis de, Les Portugais en France au XVIe siècle. Études et documents, Coimbra, Acta Universitatis Conimbrigensis, 1952, ch. I, pp. 1 77.Google Scholar Pour une évaluation, en général assez sévère, de l'oeuvre cosmographique d'Afonso (ou Alfonse), on se reportera à la contribution de Luis de Albuquerque, « Joâo Afonso (ou Jean Fonteneau) e a sua “ Cosmografia ” », Les Rapports culturels et littéraires entre le Portugal et la France. Actes du colloque de Paris, 11-16 octobre 1982, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian. Centre culturel portugais, diff. Jean Touzot, 1983, pp. 101-121.

18. André Thevet, Cosmographie de Levant, seconde éd., Lyon, Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1556 (rééd. Genève, Droz, 1985), pp. 3-4: «A Monsigneur François, Conte de La Rochefoucaud ». Cf. Guillaume Le Testtj, Cosmographie universelle selon les navigateurs, tant anciens que modernes. Par Guillaume Le Testu pillotte en la Mer du Ponent, de la ville Françoyse de grâce, 1556 (1555 ancien style), atlas relié de 58 planches ms (dont 50 cartes) enluminées sur papier 530 x 370 mm (Vincennes, Bibliothèque du Service historique de l'Armée de terre, DLZ 14, in-folio), f° I r°.

19. Pour la description de l'atlas de Le Testu, voir l'étude, à ce jour irremplacée, de l'abbé A. Anthiaume, «Un pilote et cartographe havrais au XVIe siècle, Guillaume Le Testu», Bulletin de géographie historique et descriptive, n° 1-2, 1911, et notamment pp. 28-29.

20. Guillaume Le Testu, op. cit., f. I. Cf. André Thevet, loc. cit.: « Qui est ce nouveau Anacharse ou Cosmographe, qui après plusieurs Auteurs tant anciens que modernes, peut inventer quelques choses nouvelles ? ».

21. Sur ces différentes méthodes de mesure, toutes inadéquates, voir Randles, William G. L., « Portuguese and Spanish attempts to measure longitude in the 16th Century », Boletim da Biblioteca da Universidade de Coimbra, vol. XXXIX, 1985, pp. 121.Google Scholar

22. W. G. L. Randles, « De la carte-portulan méditerranéenne à la carte marine du monde des Grandes Découvertes : la crise de la cartographie au XVIe siècle », communication présentée au XIIe Congrès international d'histoire de la cartographie (Paris, sept. 1987), dans Pelletier, M. éd., Géographie du monde au Moyen Age et à la Renaissance, Paris, Bibliothèque nationale, CTHS, 1989 Google Scholar. Sur le difficile mariage entre les portulans et la géographie ancienne, on consultera l'ouvrage de référence de Monique de la Roncière et Jourdin, Michel Mollat Du, Les Portulans. Cartes marines du XIIIe au XVIIe siècle, Fribourg, Office du Livre, et Paris, Nathan, 1984 Google Scholar, ainsi que la synthèse de Michel Mollat, « Le témoignage de la cartographie », dans Braudel, Fernand éd., Le Monde de Jacques Cartier, Paris, Berger-Levrault, et Montréal, Libre-Expression, 1984, pp. 149 164.Google Scholar

23. Cette mappemonde médiévale a été analysée par Lecoq, Danielle, «La Mappemonde du Liber Floridusou la vision du monde de Lambert de Saint-Omer », Imago Mundi. The Journal of the International Society for the History of Cartography, 1987, n° 39, pp. 949 Google Scholar. Cf. David Woodward, « Médiéval Mappaemundi», ch. 18, p. 330 ss de The History of Cartography, vol. I. Cartography in Prehistoric, Ancient, and Médiéval Europe and the Mediterranean, J. B. Harley et D. Woodward éds, Chicago, The University of Chicago Press, 1987.

24. Guillaume Le Testu, Cosmographie universelle, 1556, f° XIX r° : « ainsy que tesmoigne Emeric de Vespuce Florentin en sa Cosmographie du nouveau monde, laquelle Couleuvre mengent les beufz, et chievres ».

25. G. Le Testu, op. cit., f° XXI r°, face à la carte de l'Afrique méridionale (f° XX v°).

26. G. Le Testu, op. cit., f° XXVIII v°, carte représentant le golfe du Bengale et la presqu'île de Malacca. Dans le commentaire correspondant (f° XXIX rc) est alléguée l'autorité de «Marc Vénitien » (= Marco Polo).

27. Sur la thématique de la varietasà la Renaissance, voir Jean Céard, La Nature et les prodiges. L'insolite en France, au XVIe siècle, Genève, Droz, 1977.

28. G. Le Testu, op. cit., f° XXXIV v°, Commentaire au f° XXV r°.

29. Abbé A. Anthiaume, art. cit., 1911, p. 45. Cf. Hervé, Roger, Découverte fortuite de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande par des navigateurs portugais et espagnols entre 1521 et 1528, Paris, BN-CTHS, 1982, p. 27.Google Scholar

30. G. Le Testu, op. cit., f° XXXV r°, commentaire sur la carte du f° XXXIV v°, représentant les « Illes des Grifons » et, au-dessous, la « Terre Australie », avec un combat de sauvages nus et ensanglantés.

31. G. Le Testu, loc. cit.

32. Id., op. cit., f° XXXVII r°, commentaire sur la carte du f° XXXVI v° : « Mer oceane de l'Inde orientale».France. Actes du colloque de Paris, 11-16 octobre 1982, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian. Centre culturel portugais, diff. Jean Touzot, 1983, pp. 101-121.

33. Germaine Aujac, « L'Ile de Thulé, de Pytheas à Ptolémée », communication présentée au xiie Congrès international d'histoire de la cartographie (Paris, sept. 1987), et publiée dans Géographie du monde au Moyen Age et à la Renaissance, Paris, BN-CTHS, 1989, pp. 181-190.

34. G. Le Testu, op. cit., f° XXXV r°, à propos de la « Terre Australe ».

35. Id., f°XLr°.

36. Pour une définition de ce concept, dont le sens littéral est «que le regard peut embrasser aisément », voir l'article de Christian Jacob, « La Mimésis géographique en Grèce antique : regards, parcours, mémoire », dans Sémiotique de l'architecture. Espace et représentation. Penser l'espace, Paris, Éditions de la Villette, 1982, p. 67. Sur la notion d'harmonie universelle, voir Léo Spitzer, Classical and Christian Ideas of World Harmony. Prolegomena to an Interprétation of the Word ‘Stimmung', Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1963.

37. Leonardo Fioravanti, Miroir universel des arts et sciences, divisé en trois livres, Paris, P. Cavellat, 1584 et 1586, livre I, ch. 39 : « De la Cosmographie et de ses effects », p. 167. L'édition originale avait paru à Venise en 1564 sous le titre : Lo Spechio di scienza universale.

38. Ibid., p. 169.

39. François Hartog, Le miroir d'Hérodote, Paris, Gallimard, 1980, p. 275.

40. Leonardo Fioravanti, op. cit., p. 168.

41. Voir Joaquim Barradas de Carvalho, A la recherche de la spécificité de la Renaissance portugaise. L ‘" Esmeraldo de situ orbis» de Duarte Pacheco Pereira et la littérature portugaise de voyages à l'époque des Grandes Découvertes. Contribution à l'étude des origines de la pensée moderne, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian-Centre culturel portugais, 1983, t. II, p. 677 ss.

42. Palissy, Bernard, Discours admirables de la nature des eaux et fonteines, Paris, Martin Le Jeune, 1580.Google Scholar

43. Thevet, André, La Cosmographie universelle, Paris, 1575, t. I, livre I, ch. 2, f. 5 v°.Google Scholar

44. Montaigne, Essais, op. cit., p. 205.

45. A. Thevet, op. cit., 1575, t. I, f° 6 vc . C'est nous qui soulignons.

46. Ibid., à la suite.

47. A. Thevet, op. cit., t. I, f° â v°-r°. D'après la Vulgate: IsaïeXL, 12.

48. Id., t. II, livre XXI, ch. I, f° 906 v° (seconde pagination).

49. Sur le cas d'Empédocle, on se reportera aux pages suggestives de Gérard Defaux, Le Curieux, le glorieux et la sagesse du monde dans la première moitié du XVIe siècle, Lexington, Kentucky, French Forum, 1982, pp. 119-128. La Vitade Diogène Laërce est à la source de cette légende négative.

50. A. Thevet, op. cit., 1575, t. I, f° 174 v°-175 r°.

51. Id., t. I, f° 177r°-v°.

52. Id., f° 164r°-v°.

53. Id., f° 165 v°.

54. Id., f° 168 v° et 243 v°-244 r°. Sur cette épineuse question des baleines, Thevet reviendra plus tard à la charge dans la Cosmographie universelle, t. II, f° 1016 v°, et dans VHistoire de deux voyages (circa1586), Paris, BN, Ms fr. 15454, f° 150 v°.

55. Id., t. I, f° 354 v°.

56. François de Dainville, La géographie des humanistes, Paris, Beauchesne, 1940, ch. III, p. 84 ss.

57. Mercator, Gérard et Hondius, Josse, Gerardi Mercatoris Atlas, sive Cosmographicae Meditationes de fabrica mundi et fabricati figura. Iam tandem adfinem perductus […] a ludoco Hondio, Amsterodami, sumptibus C. Nicolai et J. Hondi, 1607, in-folio.Google Scholar

58. Richard Hakluyt, The Principal! Navigations, Volages and Discoveries […], 1589, f° *2 r°, épître à Sir Francis Walsingham Knight.

59. D'Avity, Pierre, Le Monde ou la Description générale de ses quatre parties, avec tous ses Empires, Royaumes, Estais et Republiques, Paris, Claude Sonnius, 1637, p. 2.Google Scholar Cette vaste compilation dont le titre primitif était Les Estats et Empires du Monde, connaît onze éditions de 1614 à 1635. Elle est augmentée, après la mort de son auteur, par Ranchin et Rocoles, et sert d'ouvrage de référence jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

60. Numa Broc, La Géographie de la Renaissance, op. cit., p. 95.