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La secte contre le prophétisme : les Multipliants de Montpellier (1719-1723)

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Daniel Vidal*
Affiliation:
C.N.R.S.-E.H.E.S.S.

Extract

La formation de la secte des Multipliants est communément datée de 1719, bien que les premiers documents la concernant ne débutent qu'en février-mars 1720. Mais le contenu même de ceux-ci (inspiration reçue sous forme rythmée et rimée : « En registre sera mise / une sy grande entreprise / pour en faire souvenir / à ceux quy sont avenir / aujourd'huy j'ay mis en écrit / les enfans dans mon parvis / … » indique que la secte possède déjà quelque expérience, ne serait-ce que par la théorie qui s'y énonce de l'écriture et du rangement.

Summary

Summary

The Multipliants were a sect that appeared in Montpellier at the turn of the 18th century. Because this was the same Calvinist territory that had witnessed the upsurge of prophétisme back in 1685, the Multipliants were for a long time regarded as the heirs to the inspirés of the Bas-Languedoc and the Cévennes. A careful analysis of the sect's archives, however, invalidâtes that assumption of continuity. From a description of certain sociological features of the sect, from a study of the spatial configuration of its places of worship, from an examination of the symbolic values assigned to objects, a distinctive social amalgam emerges. The Multipliants can in no way be reduced to a mere replica of the previous inspired movement. On the contrary, they constitute a tenacious attempt to put an end to prophetist preaching. One can therefore classify the sect, alongside the apparatus of the Reformation, as an institution dedicated to the reestablishment of order at any price in a religious terrain devastated by zealots.

Type
Le Champ Religieux : Nouvelles Approches
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1982

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References

Notes

1. Ces documents figurent aux Archives Départementales de l'Hérault (C 196/1 et 196/2). Toutes les citations sont extraites de ces deux dossiers, dont ne sont présentés ici que certains éléments. Pour une analyse d'ensemble de cette secte et des sources archivistiques la concernant, cf. D. Vidal, Le malheur et son prophète, la crise du champ calviniste en Languedoc à partir de 1685, travail prophétique et pratique de secte (Bibliothèque E.H.E.S.S., 1981), à paraître (Paris. Payot, 1982). Nous nous permettons d'y renvoyer le lecteur, ainsi qu'à « L'article de la mort », Sociologie du Travail, 3, 1977, et« Religion populaire ou critique populaire de la religion ? prédicants. prophètes et sectaires en Languedoc, 1685-1723 », Actes du colloque C.N.R.S. sur la religion populaire, 1978.

2. La bibliographie concernant de façon spécifique les Multipliants n'est pas de grande abondance. Citons les travaux de J. Cadier. « La secte montpelliérai ne des Multipliants », Bulletin de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 1971. 2, fasc. I. pp. 44-50 ; A. C. Germain, Les Multipliants, épisode de l'histoire de Montpellier, 1721-1723, Bordeaux, 1845 , Nouvelles recherches sur la secte des Multipliants d'après les manuscrits autographes encore inédits, Montpellier 1857 ; André Peyriat : « Les Multipliants », Encyclopédie des Cévennes - Almanach cévenol, 7, pp. 37-80, 1975 ; André Vigne, Jean Vesson et les Multipliants, Montpellier, 1934.

3. A. C. Germain, art. cité, 1845.

4. A. Peyriat, art. cité, 1975.

5. 13 mars 1721, première liste de noms ; 17 septembre, deuxième liste ; 21 mars 1722. rôle des fidèles -, 6 mai, liste de fidèles ; registre de baptêmes du 24 octobre 1722 au 16 janvier 1723 ; 19 et 24 janvier, autres listes de baptêmes.

6. … C'est ici l'heure que le Seigneur fait sa demande afin que vous aydiez a soutenir larche pour les œuvres de Jésus-Christ pour ayder aux vignerons qui y sont… Le Seigneur vous envoie ce petit billet pour vous faire souvenir des enfans de JC quy vous demendent que vous dispansiez de donner cent livres en bled ou en argent et vous mesme le porterez sil est de votre volonté à la maison de mademoiselle de Verchand à Montpellier parce quelle le doibt distribuer a ses enfans quy travaillent a larche mistique qu'il nomme ses vignerons aprenez que c'est par la voix de JC quy vous envoyé cecy c'est à vous aprendre la dessus vos mesures (22 septembre 1722).

7. Parmi les manifestations majeures de schismes ou de déviations ecclésiastiques, la secte des Multipliants fait figure d'abcès fondamental, qu'il convient à ce titre de dénoncer (Papiers Court, 601/1,617 R, etc., Bibl. Hist. Protestantisme Français). D'autres menaces se font jour, dans le même temps. Août 1719 : dissidence de Huc-Mazel (lettre de Court à Pictet, 607/1 ). 1720 : fanatisme en Vaunage (témoignage de François Roux, juin 1732. Court. 601/8). Décembre : mouvement de secte à Lunel (Court. 601/1). Août 1721 : début de l'affaire Boyer. natif de Lausanne, 22 ans, dit Saint-Georges, soldat dans la garnison de Lasalle. Fait « quelques exhortations » à Thoiras, Saint- Jean-du-Gard, etc. Reçu dans le corps des proposants, malgré « son air volage » et « ses sentiments erronnés », sa sécession ne cessera de hanter l'appareil religieux au cours des décennies suivantes (Court, 601/1, 601/3, 601/5, etc.). 1723 : Dortial, favorable aux « révélés», arrive en Vivarais (617 Gl). 1726 :rébellion de Faucher, Chapel (607/3). Schisme de Dortial (601/4). 1727 :les inspirés séduisent le peuple en Vivarais (607/3) et à Générac, Beauvoisin(601/4). Mars 1728 : prophétisme en Vivarais (601/4, A. D. Hérault C 198/1). Mai 1729: Boyer et Maroger, schismatiques. en Dauphiné(60l /6). Février 1732 : prophétisme àCazillac, près deGanges(A. D. Hérault C 202, A. N. TT 239, dossier 7). 1732-1733: développement du schisme de Boyer (Court. 601/7). 1735: fanatisme dans les églises (Court, 618). Juin 1736 : information sur Dufaget, alias Dupuy, « exalté » du Vivarais (601/10). 1737: «ravages» de Boyer dans les églises (601/11), qui forme des « compagnies infernales » et trouble les assemblées (1739-1740). 1743 : sécession des ministres en Vaunage (607/8). Cabale du « Triolet », animé par La Valette (David Vesson. fils de Jean Vesson), La Coste(Marc Pourtal) et PomaretOean Gai), proposants insurgés contre les pasteurs qui refusent de les recevoir comme ministres (Court, 601/7, 607/6). Octobre : affaire des Gonfleurs de la Vaunage (A.D.Hérault C 218, Court, 601/7). 1747 : différend entre Paul et Bétrine. risque de « destruction totale » (Court, 601/20). 1749 : graves dissensions entre pasteurs, menaces accrues d'éclatement institutionnel (Court, 601/22), etc.

8. Philippe Joutard, La légende des Camisards, Paris, Gallimard, 1977.

9. A. Kissel, Les inspirés des Cévennes, 1882. A. Dubois, Les prophètes cévenols, 1861. E. Hugues, Histoire de la restauration du protestantisme au XVIIIe siècle, 1872. F. Rauzier, Les prophètes cévenols, 1893. Pour A. C. Germain, op. cit., 1845, les sectaires sont « de vrais fanatiques, descendant en ligne droite des fanatiques des Cévennes ». Seul, dans cet hymne à la continuité. André Vigne fait entendre, à partir d'observations sociologiques et doctrinales, une voix discordante, op. cit., 1934.

10. Au synode du Dauphiné(23 août 1716). puis au synode du Bas-Languedoc (2 mars 1717), les restaurateurs de l'appareil calviniste sont explicites : « On doit écouter la parole de Dieu comme la seule règle de notre foi et en même temps réfuter toute prétendue révélation sur laquelle nous n'avons rien qui puisse soutenir notre foi. Et à cause des grands scandales qui sont arrivés de notre temps, les pasteurs sont obligés d'y veiller avec soin. » Le synode du 19 mars 1723 condamne « plusieurs profanes et libertins » qui veulent dans les assemblées faire office de lecteurs ou de chantres. Le 16 mai 1726, le synode fait obligation aux «pasteurs, proposants, anciens et toute personne réformée » de refuser « toutes les prétendues inspirations et révélations que plusieurs se sont vantées d'avoir eues dans ces derniers temps… Et parce que sous de faux prétextes d'être inspirées ou révélées plusieurs femmes ou filles ont voulu mettre la main à l'Écriture contre l'expresse défense de saint Paul qui ne veut point que les femmes enseignent dans l'Église, cet exercice divin et public ne doit point être souffert et l'expérience ayant appris qu'il est arrivé de grands scandales et des extravagances au sujet de ces prétendues révélations de l'un et l'autre sexe (il faut) y veiller avec soin » (Actes des synodes provinciaux du Bas-Languedoc depuis 1716, Bibl. Protestante, MS 455).

11. Notamment de Benedict Pictet, pasteur et professeur en théologie. Lettre sur ceux qui se croient inspirés, Genève, 1721, et de Samuel Turretin, Préservatif contre le Fanatisme, ou réfutation des prétendus inspirés des derniers siècles, Genève, 1723. Du premier, retenons cette excommunication : « En souffrant de tels inspirés, par là on donne lieu à divers Fanatiques de semer leurs erreurs, et des hérésies, et à divers séditieux de troubler l'État et l'Église. On donne lieu aux ennemis de la vérité de blâmer notre Religion » (p. 81). Du second, cette mise en garde : « Prendre la voix d'un homme pour celle de Dieu n'est pas une faute légère ; pendant qu'on se laisse conduire aveuglément au premier guide qui se présente, on court grand risque d'être peu à peu entraîné dans le chemin de la perdition. »

12. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à nos ouvrages. L'ablatif absolu, théorie du prophétisme : le discours camisard en Europe, 1706-1713, Paris, Anthropos, 1977 et Le malheur et son prophète, op. cit., ainsi qu'à « L'article de la mort », art. cit., et « La nuit blanche », Action poétique, 1977.

13. Les calculs brièvement rappelés ici ont été opérés à partir d'un dépouillement systématique des dossiers d'archives et des registres d'état civil du Bas-Languedoc. Sur 327 noms de sectaires figurant dans les documents d'archives, 150 ont pu être identifiés quant à leur localisation socioprofessionnelle. De la même manière, nous avons pu définir l'origine sociale de 93 8 prophètes, à partir des interrogatoires, témoignages et recherches détaillées sur les BMS des départements du Gard, de l'Hérault et de la Lozère.

14. Lucrèce Guigonne, ou Lucrèce la Vivaraise, figure éminente du prophétisme cévenol. Elle avait notamment « fanatisé » à Calvisson dans la dernière semaine d'août 1704. avec Marie Nicol. fille de David Nicol, tondeur de Sommières. Arrêtées le 24 août 1704, la première est enfermée à la Tour de Constance, puis conduite dans les prisons de Carcassonne où elle demeurera jusqu'en 1716 ; la seconde est conduite au couvent, d'où elle parviendra à s'enfuir (A. D. Hérault, C 186/1). L'une et l'autre connaîtront plus tard la tentation sectaire. Isabeau « la Vivaraise » également, déjà arrêtée dans le passé pour prophétisme, est emprisonnée à Carcassonne sous l'inculpation d'être une prédicante fanatique. Peut-être Jeanne Chabote. mentionnée dans la cérémonie sectaire du 4 janvier 1723 (C 196/1. f. 52) est-elle la prophétesse qui, en septembre 1701, tremblait et prophétisait à Saint- Sébastien-d'Aigrefeuille, âgée alors de 16 ans ? (A. D. Hérault, C 180, f. 460). Antoinette Fabresse fut, aussi bien, « fanatique », et comme telle, conduite à Carcassonne en 1706 (Bull. Soc. Histoire du Protestantisme, 1974, p. 224, et Bibl. Prot. Ms 1 011-11. Source : A. D. Pyrénées-Orientales, C 297). De même Ester Monteille, de Cournonsec, qui tâta de la même prison en 1705, et dont le frère. Guillaume, sectaire à son tour, avait été camisard en 1704. Quelques noms à peine dans la longue liste des Multipliants. Le prophétisme n'afflue vraiment pas dans la secte comme dans son recours naturel…

15. Cf. L'ablatif absolu, op. cit., et, pour une analyse de l'indifférentisme religieux dans le prophétisme et singulièrement chez la femme inspirée, cf. Le malheur et son prophète, quatrième partie.

16. A. D. Hérault, C 196/2, f. 20 ss. Cette lettre a été publiée par Germain (Les Multipliants, Bordeaux), et reprise par Paul Bordarier, « A propos du prédicant Jean Vesson pendu sur l'esplanade de Montpellier le 22 avril 1723 », Bulletin Soc. Histoire du Protestantisme, avril-juin 1974. t. CXX. pp. 297-304. Une photocopie du plan du premier étage figure également dans cet article.

17. Le plan est « fait par le Sr. Desfours, architecte le 12e mars 1723 » — document paraphé. Citons aussi quelques extraits d'un troisième document concernant l'espace de la Chambre :

« Chaire de bois de noyer de pièces de rapport, avec son escalier pour y monter, le tout bien fait et scellé dans le mur, l'appuy de ladc. chaire garny d'un parement de drap verd à frange, semé de fleurs de lys de papier doré, le plafon de mesme, et au milieu de la chaire un peu plus haut que le cordon d'en bas, est mal gravé 1722,

… troisième et plus petite chambre dans laquelle est un gros nombre de roseaux ornés chacun de rubans de toutes couleurs et de couronnes de Laurier.

… Au second et troisième étage, rien de remarquable sinon une espèce darbre de laurier, auquel pendent des petits pins, des pommes, des oignons, des noix, des gâteaux, de bouteilles d'Eau, d'Eau de vie et de Ratafia… » (C I962. ff. 130-131. Le f. 131 comporte un plan des trois pièces formant le premier étage de la maison d'Anne Robert).

18. Clôture de l'espace et clôture du corps se mouvant dans cet espace: double rupture consommée avec la pratique prophétique, où le désert, réseau de carrefours et lieu d'errances, requiert du corps sa dilapidation, sa chute et sa transe sans ordre. A l'autre bord de l'océan, les Shakers font groupement sectaire. Leur danse procédera « d'un phénomène convulsionnaire pour échouer finalement dans un hiératisme médiocre » (Henri Desroche, « Essor et déclin des Shakers », Le monde non-chrétien, 1953, pp. 117-159). Dans cet échouement, lire non pas le dernier avatar d'un prophétisme tentant vainement de durer au-delà du temps qui le fit nécessaire, mais la majoration d'une pratique contre-prophétique par excellence, la fixation d'un espace déstabilisé par la convulsion prophétique.

(Sur l'ordonnancement de la danse chez les Shakers, cf. Edward D. Andrews, The Gift to be Simple, New York, Dover Public, 1967 :

« One, two, three, step,

Foot straight at the turn,

One, two, three, step,

Equal Ienght, solid tap.

Take the shuffle, little back.

Keep the body straight, erect,

In every joint and bone… »

et Les Shakers, vie communautaire et design avant Marx et le Bauhaus, catalogue, CCI. Centre Georges Pompidou, 1976.)

19. C 196', f. 107, non daté, non signé, amputé.

20. 3.11.1722.

21. « Mémoire des choses plus principalles nécessaire a savoir qui se pasait dans la meson de madel. de Vergant pandan le temps que je y ai demure » (mémoire établi par « Besson »).

22. Ordre naturel, de la même façon, souligné par l'usage des chandeliers ou des robes : « … car cet isy les lumaires qui ce présente au esplandeurs pour éclairer la chambre du roy tout puissant qui vient visiter sont espouse pour lambreser de ces chastes embrasements […] il a semble les cet sandelier afin que les cet trompeté de levangile quil chante tous a la fois pour faire entandre les endormis qui sont au sain de JC […] ainsy la chambre de le poux et garnie de tous ces atours, les courtines blanches sont alantours du pavilon de gloire, que les robes blanchie au rans de lancan (encens) seront préparée pour tous ceux qui entreront dans les cieux » (21 janvier 1723). Lumières, chandeliers, trompettes, courtines, robes, ne sont pas ici disposés comme simplement des symboles dont on userait pour figurer la visite de Dieu, le réveil des mécréants, la nuit de noce mystique ou la délivrance des fidèles. Mais piégeant le texte dans leur fabrique, ces objets vont fonctionner comme équivalant à ce point aux éléments textuels qu'il suffira d'éclairer les chandelles pour que la lumière propagée soit réellement lumière de Dieu et de revêtir ces robes blanches pour entrer déjà dans la félicité de Dieu. Le sectaire dispense les objets et les objets dispensent du texte. Dans les deux sens : ils en parlent et en font l'économie.

23. « Deuxième inspiration ». Document daté du 30 novembre 1722.

24. Par exemple, lors de la cérémonie du 4 janvier 1723.

25. Il en va des vocables sectaires comme de la cancérisation du langage : étape ultime dans la restauration du sens et de sa valence idéologique : « L'autodéfense du langage, c'est le combat même de l'idéologie ; le délire néologique, le “ cancer “ du langage évoquent bien le processus de la négativité et de la mort, mais ils n'annoncent pas pour autant la fin des valeurs et de l'idéologie. Le “ cancer “ lui-même peut devenir le suprême “ noyau “ de cette autodéfense. l'idéologie renaissant du délire même du langage » (Henri-Pierre Jeudy, La mort du sens, Paris, Marne, 1973. p. 31).

26. « 3e don dicté par St Esprit » daté du 2 septembre 1722.

27. Daté du 11 novembre 1722.

28. Document daté du 20 janvier 1723, signé par «Jeannette Mazaurique, Suzon Loubière. Jacob et Jacob, Bonissel surnommé Benjamin ».

29. Jean Starobinski a défini excellemment le rapport entre le temps de la délivrance et le rappel insistant des obstacles pour y parvenir : « Pour annoncer le temps final où toutes choses (y compris le mal et les méchants) feront retour à Dieu, il faut insister d'autant plus, sur ce qui, dans l'instant présent, fait obstacle, empêche le retour, fomente la persistance du mal. Ce sont sans doute les théologies chargées du plus ardent espoir de joie finale qui ont le plus besoin d'un concept qui permette de faire patienter les hommes en leur expliquant par quel maléfice ils ne sont pas encore dans la béatitude promise… Pour donner une figure au résidu d'hostilité, il faudra inventer l'Anti- Christ ». Trois fureurs, Paris, Gallimard, 1974. p. 110.

30. Même dans les reproches les plus vifs adressés aux fidèles, l'absolution pour quelques-uns ne fait pas défaut : «… je luy ay souflé de mon esprit, il ne mon pas voulu obey, je les ay relevés il ce sont lésé tomber par leurs iniquité il ce sont lésé tomber par leurs chair il ne mon pas voulu obey a mon Esprit mes vous que je vous ay mis du nombre par le fondement de mes connoissances vous naves qua bien travaillé de plus fort au dedans de mon ouvrage, et vous vous treuveres dans mon Eritage. Et vous en feres part à ceux qui ne lespere pas, et après je vous ferai connoitre toutes les choses nouvelles » (. 196/1). Condamnation des iniques, aussitôt compensée par l'ordre de leur porter la parole rédemptrice. Condamnation des infidèles, aussitôt annulée par la certitude d'un salut assumé par l'intermédiaire du résidu. Tomber par la chair n'est ainsi pas, en définitive, entièrement irréparable.

31. A défaut d'ordre humain, le temps lui-même se charge de la besogne d'ordre : « Peuples, rangés-vous car sy vous ne vous ranges le temps vous réglera, car le temps fera ce que vous ne pourrez pas faire. »

32. Jacob Bonissel. Au cours de son interrogatoire du 11 mars 1723, il atteste « qu'il est de la religion de Jésus-Christ et de ses apostres, et puis a dit qu'il était de la religion catholique apostolique et non romaine et encore a dit qu'il était de la Religion pour la Vie. » Le 1 “ avril 1723, il se dit « de la Religion Catholique, apostolique et universelle… Interrogé si cette religion qu'il appelle C. A. et Universelle n'est pas la religion calviniste — a dit qu'il ne connaît point Calvin ».

33. Il s'agit de Jean Vesson (” de la Religion protestante », interrogatoire du 31 mars 1723), Jeanne Mazaurique (interrogatoire du 12.3.1723), Victoire Bourlette(18 avril 1723), Suzon Delort (18 avril 1723), Suzon Loubière (3 avril 1723), André Comte (” de la religion calviniste », 2 avril 1723), Philippe Comte (22 mars 1723), Pierre Figaret(2 avril 1723), Antoine Comte ( 14 avril 1723).

34. Ainsi de Pierre Crouzet (f. 482, 7 mars 1723), François Baumes (18 mars 1723), Pierre Cros (4 avril 1723), Maire Biayne (” de la religion catholique apostolique et romaine selon les édits de St Paul » ( 10 mars 1723), et Anne Gaussente, qui assure que « quand elle a dit dans ses interrogatoires qu'elle était de la RPR elle la dit sans réflexion et s'en rétracte, étant de la RCAR de laquelle elle fait proffession »(26 avril 1723), et« promet à l'advenir vivre dans la RCAR demandant pour cella d'être mise dans un couvent pour servante » (11 mars 1723).

35. A. D. Hérault, C 181, ff. 109, 730, 734, 742, 778, 802, etc., interrogatoires des 22, 31 décembre 1701, etc.

36. Sur l'intrusion de l'indifférentisme religieux comme terme logique de l'opération prophétique, cf. D. VIDAL, Le malheur et son prophète, op. cit.

37. Cette équivalence d'identification ne fut pas sans rendre perplexes ceux qui eurent à connaître les Multipliants et durent se prononcer sur leurs affiliations. « Ceux qui estaient dans cette maison s'estaient fait une relligion qui ne ressemble guerres plus à la prétendue réformée qu'à la catholique et qui tient autant du judaïsme que du calvinisme » (C 196/2. procès-verbal d'arrestation des Multipliants). « Nouvelle religion fanatique ». « nouveau fanatisme », « nouvelle secte », les qualificatifs se bousculent, qui trouvent quelque raison dans les détails sectaires : sacrificateurs royaux installés dans leurs chaires-pyramides, noms à prétention judaïsante pour baptême de repentance, mais aussi héritage revendiqué des pasteurs au désert, sermons chantés comme au temple, et, pour faire bonne mesure, latin en provenance d'une messe que l'on a suivie, etc. Il ne s'agit pas ici de nier que, par ses pénétrations multiples dans des doctrines hétérogènes, les sectaires posent problème. Mais, au-delà de cette distribution tous azimuts, de lire, par les prélèvements qui s'opèrent de schèmes institutionnels ou doctrinaux épars, la capacité de la secte à fabriquer en toute pertinence le seul lieu et la seule méthode par quoi elle puisse revendiquer sa visibilité religieuse. Là où le prophétisme éteint toute référence à un champ religieux déterminé, la secte, en s'installant à l'embranchement de rites ou de discours différents, se donne autant de raisons d'être reconnue en toute légitimité. L'entreprise sectaire porte à foisonnement les possibilités d'inscription, quand le prophétisme les portait à néant. Mais cette pluralité ne doit pas faire illusion, qui se résoud vite en revendication plus conforme aux normes, et reconduit le sectaire vers les registres du plus grand usage, calviniste ou romain.