Article contents
A la recherche d'une mémoire collective : les métallurgistes retraités de Givors
Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Extract
L'enquête sur la mémoire ouvrière à Givors a débuté largement par le fait du hasard, sans définition préalable d'un objet spécifique d'étude ni d'une méthode, sans références bibliographiques ni épistémologiques. Elle est sortie, tout naturellement, d'une approche tout à fait classique, au moins au niveau des sources et des thèmes de recherche : l'analyse sur la longue durée (fin XVIIIe-milieu du XXe siècle) des comportements collectifs et des structures sociales dans une petite ville bouleversée par ce qu'on a longtemps appelé la « révolution industrielle», puis, à deux autres reprises, dans les années 1890-1920 et après 1950-1960, par les incidences de l'adaptation technologique et du redéploiement économique. En somme, on reconnaît là le vieux projet globalisant de la tradition historiographique française, même s'il était centré sur quelques questions fondamentales et fortement repeint aux couleurs de la « new urban history » américaine des années 1960.
Summary
Givors is a small town, just south of Lyon, which grew during the first industrial révolution and is now experiencing an économie crisis. The primary aim of this survey of the memory of the metal-workers of Givors was simply to complément a quantitative approach to géographie and social mobility. The metal-workers' discourse is centred on their apprenticeship, a crucial period, as well as on a few other important épisodes, and proceeds in a séries of images prompted by mnemonic props (place-names, nicknames, events, etc.) which play on their sensitivity. The group's homogeneity appears more clearly in the values which émerge form work-life and which still need to be examined more closely. Above ail, it was the very act of the survey itself, which generated a snowball reaction, leadingfrom one person to another, which made it possible to distinguish over and above the specificity of personal memories, a common and a collective memory. If the former can be defined in terms of the frequency oftopics (for which it is difficult to assess the exact part played by the social and ideological frameworks), the later arisesfrom the very approach of the overlappping interviews through which the group émerges by telling its own story in several voices which are not necessarily in agreement.
- Type
- Archives Orales : Une Autre Histoire ?
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980
References
1. Cet article doit beaucoup à la recherche exemplaire de quatre de nos étudiants, Christian Velud, Patrick Maury et surtout Carmen Gan et Caroline Amblard ; il est juste que nos premiers remerciements aillent à eux. Les premiers résultats ont été présentés à un séminaire du Centre Pierre-Léon (novembre 1977) et à celui d'A. Burguière, J. Goy et J. Ozouf à l'Ehess (février 1978).
2. L'enquête sur Givors, commencée il y a trois ans déjà, s'inscrit à la fois dans le cadre d'une recherche comparative sur la formation des populations ouvrières de la seconde industrialisation (Action complémentaire coordonnée « Europe du Temps présent » de la Dgrst) et de l'ATP, « Observation continue du changement social et culturel » du CNRS. Sur l'état global d'avancement, cf. Y. Lequin, « Givors », rapport d'ATP, dans Archives de l'observation du changement social et culturel,1979, 2.
3. Une partie du séminaire de DEA du Centre Pierre-Léon est désormais consacrée à l'histoire orale qu'utilisent comme approche parmi d'autres, une série de mémoires de maîtrise, de thèses de troisième cycle (C. Auzias-Gélineau, sur les anarchistes lyonnais ; J. Milleret, sur les artisans chapeliers ; L. Fontaine, sur les colporteurs de l'Oisans ; D. Dehoux-Fanget, sur la main-d'oeuvre féminine dans l'industrie électro-ménagère) ou d'État (J.-L. Pinol, sur la population de Lyon entre les deux guerres). En outre, un programme de recueil d'ethnotextes parmi les populations industrielles est financé par le Conseil régional, dans le cadre d'une opération de « Conservation du patrimoine » en liaison avec l'équipe de linguistes dirigée par G. Tuaillon (Grenoble II) et J.-C. Bouvier (Université de Provence).
4. Pour le point sur les recherches, cf. Thompson, P., The voice of the past-oral history, Oxford, 1978 Google Scholar, et Niethammer, L., « Oral history in USA — Zur Entwicklung und Problematik diachroner Befragungen », Archlv fur Sozialgeschichte, XVIII, 1978, pp. 456–501.Google Scholar
5. Y. Lequin, art. cit., Archives de l'observation…, supra,n. 2.
6. La grille est reproduite et commentée par J. Goy, « Histoires de vie et ethnohistoire ; à propos des archives orales de la France contemporaine », dans B. Bernardi, C. Poni, A. Triulzi (sous la direction de), Antropologia e storia. fonti orali,Milan, 1978, pp. 168-169.
7. C. Gan, P. Maury et C. Velud, A la recherche d'une mémoire collective. Enquête sur les ouvriers retraités de la métallurgie à Givors,Ter, Lyon II, 1977 et C. Amblard, Recherches sur les retraités de la verrerie à Givors,Ter, Lyon II, 1978.
8. Thompson, P., The Edwardians. The remaking of British society, Londres, 1975, p. 17 ss.Google Scholar
9. En 1972, la main-d'oeuvre ouvrière de Fives-Lille se décomposait en: 100 P3, 150 P2, 100 PI, 79 0S2, 14 0S1 et 55 apprentis.
10. G. Levi, L. Passerini, L. Scaraffia, « Vita quotidiana in un quartiero operaio di Torino fra le due guerre : l'apporto délia storia orale », dans B. Bernardi…, ouvr. cit., p. 211.
11. Chamberlain, M., Fenwomen, Londres, 1975 Google Scholar, trad. frse, Paysannes des Marais,Paris, 1976, p. 14.
12. Lejeune, Ph., L'Autobiographie en France, Paris, 1971, p. 19 (c'est nous qui soulignons).Google Scholar
13. Passerini, L. (Sous la direction de), Storia orale. Vita quotidiana e cultura materiale délie classi subalterne, Turin, 1978 Google Scholar, p. x ss.
14. M. Vuilleumier, «Organisation et mémoire populaire», papier inédit, ronéotypé, Le Creusot, octobre 1977, p. 2 ss.
15. I. et D. Bertaux, « Mémoires autobiographiques et mémoire collective », papier inédit, ronéotypé, Le Creusot, octobre 1977, p. 3.
16. G. Thevenon, La politique culturelle de la municipalité de Givors, 1953-1978,Ter, Histoire, Lyon II, 1979, pp. 36-40, cite le maire évoquant une histoire qui est” … partie intégrante de nous-mêmes et survit en notre présent… » La municipalité occupe un archiviste qualifié à plein temps, M. Duhart, qui fut notre premier contact, et sans lequel l'enquête n'aurait pas pu démarrer ; à lui aussi, toute notre reconnaissance.
1. Sur une telle déviation, cf. P. Thompson, « Oral history and working-class history », dans B. Bernardi…, ouvr. cit., p. 41.
18. Cf. Jan Vansina, «Oral tradition, oral history: achievements and perspectives», dans B. Bernardi…, ouvr. cit., p. 65.
19. D. Millar et B.Jean, «Mémoire, histoire orale et conscience historique», dans N. Gagnon et J. Hamelin, L'histoire orale,Québec, 1978, p. 42 et P. Thompson, ouvr. cit., p. 102.
20. Cf. texte annexe n° 1.
21. Levi, G., Passerini, L.et coll., « Cultura operaia e vita quotidiana in borgo San Paolo », dans Torino tra le due guerre, Turin, 1978, p. 22 Google Scholar et sur l'Allemagne, les remarques d'A.M. TRÔGer, Oral history,VIII, 1979/1, p. 12.
22. Isabelle Bertaux-Wiame, « The life-history approach to the study of internai migration », Oral history,VII, 1979/1, p. 29.
23. G. Levi, L. Passerini, art. cit., dans Torino tra le due guerre…,pp. 28-31.
24. Sur le rôle des porteurs de tradition dans la structuration occulte des groupes, en un tout autre contexte, il est vrai, cf. H. Moniot, « Sources orales et connaissance des systèmes économiques et sociaux de l'Afrique précoloniale », dans B. Bernardi…, ouvr. cit., pp. 325-326, qui insiste aussi sur la relative liberté dans l'interprétation, donc sur leur pouvoir à construire ou modifier l'identité du groupe.
25. Sur le trafic des « mestieri girovaghi », dénoncé dès les années 1900 par L. Einaudi, cf. Z. Ciuffoletti, « Sfruttamento délia manopera infantile italiana in Francia alla fine del secolo XIX », dans Duroselle, J. B., Serra, E. (sous la direction de), L'emigrazione italiana in Francia prima del 1914, Milan, 1978, p. 251 ss.Google Scholar
26. D. et I. Bertaux, art. cit., cf. supra,n. 15, p. 6.
27. Nous pensons en particulier aux ouvriers de Sully-sur-Loire, interrogés par A. Prost et B. Montchicourt.
28. Ph. Lucas, dans « Les banquets de la mémoire », papier inédit, ronéotypé. Le Creusot, octobre 1977, p. 3 ss n'hésite pas à parler d'une « organisation de l'amnésie », d'une opération de détournement dans les pays de la « mort de la mine ».
29. P. Thompson, « Oral history and working-class history », dans B. Bernardi…, ouvr. cit., pp. 54-56.
30. Citée par Terence Ranger, « Personal réminiscence and the expérience of the people in East Central Africa », dans B. Bernardi…, ouvr. cit., p. 149 ; cf. aussi « Implications of oracy », Oral history,III, 1975/1.
31. H. Louis, dans une série d'« Entretiens avec des militants syndicaux de la région de Montceau-les-Mines » a mis en relief le grand rôle de la parole et des dons oratoires, en plein xxe siècle, dans la sélection et la promotion au vedettariat de certains responsables.
32. P. Thompson, ouvr. cit., p. 49 ; G. Levi, L. Passerini…, art. cit., dans Torino tra le due guerre…p. 20, et bien sûr, cf. l'argumentation centrale de Hoggart, R., The use of literacy, Londres, 1957 Google Scholar ; trad. frse, Paris, 1970 : La culture du pauvre.
- 15
- Cited by