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La politique du cadavre: Traitements funéraires et usages civiques des morts à la guerre en Grèce archaïque et classique

Published online by Cambridge University Press:  26 October 2020

Reine-Marie Bérard*
Affiliation:
CNRS/Aix-Marseille Université, Centre Camille Jullian [email protected]

Traitements funéraires et usages civiques des morts à la guerre en grèce archaïque et classique

En partant de l’importance que revêt la matérialité du cadavre dans les rites funéraires grecs antiques, cet article aborde les problèmes spécifiques posés par la récupération et le traitement funéraire des corps des soldats morts à la guerre. Il tient compte d’une triple spécificité de la mortalité militaire : l’abondance inhabituelle des cadavres à prendre en charge ; l’articulation entre la corporéité brute du cadavre et la forte charge symbolique qui lui est associée ; enfin, l’opposition entre le caractère privé de la mort et la dimension collective de sa gestion en temps de guerre. L’objectif est de montrer comment le traitement funéraire des tués à la guerre en vient à constituer, à partir de l’époque archaïque et de manière centrale à l’époque classique, un élément fondamental dans la négociation de formes d’affiliations souples à la communauté politique, en réponse à une double évolution des catégories juridiques et des techniques militaires advenue au ve siècle avant J.-C. Le contrôle du cadavre du soldat devient alors un puissant instrument de définition et de cohésion des poleis, non seulement sur le champ de bataille face à l’ennemi, mais aussi dans la cité pour faire face à des moments de tension exacerbée. À travers le problème technique que pose le traitement du cadavre des soldats, ce sont ainsi les représentations politiques de la mort dans la cité et pour la cité et les mécanismes du contrôle de la cité en guerre qui sont appréhendés.

The politics of the corpse: funerary treatments and civic uses of war dead in archaic and classical greece

The Politics of the Corpse: Funerary Treatments and Civic Uses of War Dead in Archaic and Classical Greece

Considering that the materiality of the corpse played a central role in the funerary rituals of the ancient Greek world, this article explores the problems raised by the retrieval and funerary treatment of those killed in battle. It takes into account three specificities of military casualties: the unusually high number of corpses to deal with; the articulation between the crude corporeity of the dead body and its highly charged symbolic value; and the opposition between the private event of death and its collective regulation in wartime. The aim is to show how the funerary treatment of military casualties became a crucial means of negotiating adaptable modes of affiliation to the political community from the Archaic period on, and especially in the Classical period, as a reaction to the double evolution of legal statuses and military techniques that took place during the fifth century BCE. Controlling the corpses of military casualties thus became a powerful way to delimit the poleis and maintain its cohesion, not only before the enemy on the battlefield but also within the city itself at moments of high tension. By analyzing the practical aspects of the funerary management of war-dead and focusing on the materiality of the dead body, we can thus retrace the political representations of death in the city and for the city, and the mechanisms of control used in the city at war.

Type
La mort en Grèce ancienne
Copyright
© Éditions de l’EHESS

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References

1 Iliade, XVI, v. 759-764, traduction personnelle à partir du texte établi sous la direction de Paul Mazon pour la Collection des universités de France (CUF), dite « Budé », Paris, Les Belles Lettres. Sauf indication contraire, les textes grecs et leurs traductions sont cités dans cette collection.

2 Ce terme désigne une sépulture ayant accueilli le dépôt simultané de plusieurs défunts. Il apparaît notamment chez Plutarque, De la malignité d’Hérodote, 42 ; Vie d’Alexandre, 9 ; Vie de Flamininus, 7 ; Moralia, 372E, 823E et 872E ; Strabon, Géographie, IX, 4, 2 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 14. Voir aussi Christoph W. Clairmont, Patrios Nomos: Public Burial in Athens during the Fifth and Fourth Centuries B.C.; The Archaeological, Epigraphic-Literary and Historical Evidence, vol. 2, Oxford, BAR Publishing, 1983, p. 368-372.

3 À propos de cette tombe, voir Anagnostis P. Agelarakis, Parian Polyandreia: The Late Geometric Funerary Legacy of Cremated Soldiers’ Bones on Socio-Political Affairs and Military Organizational Preparedness in Ancient Greece, Oxford, Archaeopress, 2017 (avec bibliographie) et Francis Croissant, « Batailles géométriques pariennes », in B. d’Agostino (dir.), Alba della città, alba delle immagini ?, Athènes, Scuola archeologica italiana di Atene, 2008, p. 31-62 pour l’iconographie.

4 Le cas le plus célèbre reste celui des défunts de la bataille de Teutobourg, documenté par les textes (Tacite, Annales, I, 62, 3) et par l’archéologie (Susanne Wilbers-Rost, « Ausgrabungen auf dem ‘Oberesch’ in Kalkriese von 1989 bis 2005. Ergebnisse und neue Arbeitsansätze interdisziplinärer Forschungen », in M. Reddé et S. von Schnurbein [dir.], Alésia et la bataille du Teutoburg. Un parallèle critique des sources, Ostfildern, J. Thorbecke, 2008, p. 209-226). Il n’est cependant pas isolé : Alison Cooley, « Commemorating the War Dead of the Roman World », in P. Low, G. Oliver et P. J. Rhodes (dir.), Cultures of Commemoration: War Memorials, Ancient and Modern, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 61-86.

5 Luc Capdevila et Danièle Voldman, Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre (xix e-xx e siècles), Paris, Payot, 2002, p. 65-66.

6 Euripide, Hécube, v. 27-35 ; Les Troyennes, v. 1081-1085. Voir aussi Sarah Iles Johnston, Restless Dead: Encounters Between the Living and the Dead in Ancient Greece, Berkeley, University of California Press, 1999.

7 Iliade, IX, v. 401-408.

8 Selon la trilogie fondamentale séparation-marge-agrégation décrite par Arnold Van Gennep, Les rites de passage. Étude systématique des rites de la porte et du seuil, de l’hospitalité, de l’adoption, de la grossesse et de l’accouchement, de la naissance, de l’enfance, de la puberté, de l’initiation, de l’ordination, du couronnement des fiançailles et du mariage, des funérailles, des saisons, etc., Paris, Dunod, 1909.

9 Andréas Helmis, « La privation de sépulture dans l’Antiquité grecque », in E. Cantarella (dir.), Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte (Salerno, 14-18. September 2005), Vienne, Böhlau, 2007, p. 259-268. Sur la privation de sépulture comme infraction à une loi supposée établie par les dieux : Sophocle, Antigone, v. 450-460 ; Euripide, Les Suppliantes, v. 524-527 ; mais aussi, chez les orateurs attiques : Isocrate, Plataïque, 55 ; Lysias, Contre Ératosthène, 96 ; Contre Agoratos, 45.

10 Les morts sans sépulture étaient en effet réputés pouvoir chercher à se venger par le biais des Érinyes. Plusieurs textes antiques évoquent ainsi la mutilation du cadavre d’un individu par son assassin dans le but de se prémunir d’une éventuelle vengeance du mort : Sophocle, Électre, v. 445 ; Eschyle, Les Choéphores, v. 438 ; plus tardivement, Apollonios de Rhodes, Argonautiques, IV, v. 477-479.

11 Je reprends dans l’intitulé de cette section, en le modifiant, le titre de l’article de Paulin Ismard, « Le simple corps de la cité », Annales HSS, 69-3, 2014, p. 723-751, afin de déplacer le regard de la polis comme institution à la cité en tant que communauté, dans laquelle les morts à la guerre ont un rôle fondamental à jouer.

12 Sur les doubles funérailles, ou « doubles obsèques », et leur rôle dans le processus d’intégration des morts à la société, voir Robert Hertz, Sociologie religieuse et folklore, Paris, PUF, 1907 ; A. Van Gennep, Les rites de passage, op. cit.

13 Je renvoie ici à la définition du politique comme tissage, développée notamment par Platon, Le Politique, 310E-311C et Aristophane, Lysistrata, v. 574-576, et analysée par Vincent Azoulay, « Repolitiser la cité grecque, trente ans après », Annales HSS, 69-3, 2014, p. 689-719.

14 Pour le monde grec, voir Pascal Payen, Les revers de la guerre en Grèce ancienne. Histoire et historiographie, Paris, Belin, 2012. Pour une approche décloisonnée de la violence de guerre, de la Préhistoire à l’époque contemporaine, voir David El Kenz (dir.), Le massacre, objet d’histoire, Paris, Gallimard, 2005 et Jean Guilaine et Jacques Sémelin (dir.), Violences de guerre, violences de masse. Une approche archéologique, Paris, La Découverte, 2016.

15 À l’exception du cadavre des héros : Jean-Pierre Vernant, « La belle mort et le cadavre outragé », in G. Gnoli et J.-P. Vernant (dir.), La mort, les morts dans les sociétés anciennes, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Éd. de la MSH, 1982, p. 45-76.

16 Dans la lignée des travaux de Thomas W. Laqueur, Le travail des morts. Une histoire culturelle des dépouilles mortelles, trad. par H. Borraz, Paris, Gallimard, [2015] 2018.

17 Sur l’histoire de cette entrée de la guerre dans le champ de la recherche archéologique et sur la naissance de l’archéologie médico-légale, voir Jacques Sémelin, « Introduction », in J. Guilaine et J. Sémelin (dir.), Violences de guerre, violences de masse, op. cit., p. 15-20 et Anne Lehoërff, Par les armes. Le jour où l’homme inventa la guerre, Paris, Belin, 2018, p. 68-73.

18 Les découvertes récentes et la relecture attentive des données anciennes contredisent ainsi Jean-Nicolas Corvisier, « Guerre et démographie en Grèce à la période classique », Pallas. Revue d’études antiques, 51, 1999, p. 57-79, ici p. 63-64, qui juge de peu d’utilité les « pauvres témoignages » (sic) des sources archéologiques pour appréhender les blessures infligées et reçues dans les guerres grecques.

19 Suivant en cela Paulin Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Paris, Éd. du Seuil, 2015, je revendique un « comparatisme différenciatif », un déplacement du regard qui permet un « dépaysement fécond à l’historien […] en projetant un éclairage inattendu sur ce qui lui semblait aller de soi » (p. 128).

20 Voir en particulier L. Capdevila et D. Voldman, Nos morts, op. cit., mais aussi Michel Signoli, « Les sépultures multiples à recrutement militaire : le regard de l’anthropologue », in J. Guilaine et J. Sémelin (dir.), Violences de guerre, violences de masse, op. cit., p. 93-102 ; Catherine Rigeade, « Approche archéo-anthropologique des inhumations militaires », Socio-anthropologie, 22, 2008, p. 93-105. De nombreux travaux ont également été publiés autour de l’archéologie de la Grande Guerre à l’occasion de son centenaire : voir par exemple Yves Desfossés, Alain Jacques et Gilles Prilaux, Archéologie de la Grande Guerre, Inrap-Éd. Ouest-France, [2008] 2016.

21 L’intertitre de cette section emprunte la devise des Personnel Retrieval and Processing Company, le corps d’armée américain spécialisé dans la récupération des cadavres de soldats, généralement traduite par « No man left behind » (« ne laisser aucun homme derrière »). Nous verrons ici qu’ils auraient mieux fait d’utiliser le grec plutôt qu’un latin grammaticalement approximatif.

22 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, VII, 75, 3.

23 Polyen, Stratagèmes, II, 1, 23.

24 Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13, 11.

25 Hérodote, Histoires, VIII, 25.

26 Peter Krentz, « Fighting by the Rules: The Invention of the Hoplite Agôn », Hesperia: The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, 71-1, 2002, p. 23-39 ; Nathan T. Arrington, Ashes, Images, and Memories: The Presence of the War Dead in Fifth-Century Athens, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 21-22.

27 L. Capdevila et D. Voldman, Nos morts, op. cit., p. 29-34.

28 Il serait intéressant, à ce propos, d’établir à quel moment exactement se posait la question de la récupération des morts, compte tenu de l’importance qu’elle revêtait dans la détermination de la poursuite ou de l’arrêt des combats : était-ce au bout d’une journée ? d’une semaine ? au moment où une armée ne se sentait plus en état de combattre ?

29 Plutarque, Vie de Lysandre, 29 ; Xénophon, Helléniques, III, 5, 22-24.

30 Plutarque, Vie de Thésée, 29, 4-5 ; Élien, Histoire variée, I, 12, 27.

31 Sur ces lois non écrites qui auraient visé à limiter les actes de barbarie et les morts inutiles dans les conflits armés, voir P. Krentz, « Fighting by the Rules », art. cit. et P. Payen, Les revers de la guerre en Grèce ancienne, op. cit., en particulier p. 98-101.

32 P. Krentz, « Fighting by the Rules », art. cit.

33 Xénophon, Helléniques, III, 5, 22-24.

34 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIII, 100-102.

35 Xénophon, Helléniques, I, 7, 4-11. Voir William K. Pritchett, The Greek State at War: Part IV, Berkeley, University of California Press, 1985, p. 204-206.

36 Sur les difficultés particulières liées à la récupération et à l’identification des corps des soldats morts dans les batailles navales, voir Barry Strauss, « Perspectives on the Death of Fifth-Century Athenian Seamen », in H. van Wees (dir.), War and Violence in Ancient Greece, Londres, Duckworth and the Classical Press of Wales, 2000, p. 261-283.

37 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, IV, 42-44 (§ 44 pour le décompte des morts) ; Plutarque, Vie de Nicias, 6.

38 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, IV, 32.

39 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, IV, 101. Cet épisode exceptionnel a peut-être inspiré Les Suppliantes d’Euripide, représentées pour la première fois en 423 ou 422. On y lit notamment les lamentations des femmes argiennes sur leurs fils auxquels les Thébains ont refusé la sépulture (v. 52-53).

40 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVI, 25, 2-3 ; Pausanias, Description de la Grèce, IX, 32, 9.

41 Xénophon, Anabase, III, 4, 5.

42 Voir l’indignation prêtée par Hérodote, Histoires, IX, 79 au Spartiate Pausanias, à qui l’on suggérait de malmener le corps du général perse Mardonios après la bataille de Platées.

43 Pausanias, Description de la Grèce, I, 32, 3-5.

44 Hérodote, Histoires, IX, 83.

45 La restitution en 2018 par Kim Jong-un des restes de soldats américains tombés pendant la guerre de Corée (dans le cadre du récent rapprochement entre la Corée du Nord et les États-Unis) prouve que la « diplomatie des ossements » demeure un ressort politique puissant du monde contemporain.

46 Karl Woelcke, « Beiträge zur Geschichte des Tropaions », Bonner Jahrbücher, 120, 1911, p. 127-235 ; Andreas Jozef Janssen, Het Antieke tropaion, Bruxelles, Paleis der Academien, 1957 ; W. K. Pritchett, The Greek State at War: Part II, Berkeley, University of California Press, 1974, p. 246-275 ; P. Krentz, « Fighting by the Rules », art. cit., ici p. 32 pour la date d’apparition de la pratique du trophée ; François Lissarrague, « Corps et armes : figures grecques du guerrier », in V. Dasen et J. Wilgaux (dir.), Langages et métaphores du corps dans le monde antique, Rennes, PUR, 2015, p. 15-27.

47 Sur les armes comme substitut du guerrier, voir Hélène Monsacré, Les larmes d’Achille. Héros, femme et souffrance chez Homère, Paris, Le Félin, [1984] 2010, p. 60-66.

48 Sur l’apparition des registres militaires à Athènes, probablement dans le cadre des réformes de Clisthène, voir Henri Van Effenterre, « Clisthène et les mesures de mobilisation », Revue des études grecques, 89, 1976, p. 1-17 ; B. Strauss, « Perspectives on the Death of Fifth-Century Athenian Seamen », art. cit.

49 Pamela Vaughn, « The Identification and Retrieval of the Hoplite Battle-Dead », in V. D. Hanson (dir.), Hoplites: The Classical Greek Battle Experience, Londres, Routledge, 1991, p. 38-62.

50 Voir la description du champ de bataille de Coronée à l’issue des combats donnée par Xénophon, Agésilas, II, 14.

51 Pour Sarpédon, Iliade, XVI, v. 661 ; pour Cléombrote, Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XV, 55, 5. Parfois, ce sont les vivants eux-mêmes qui manquent de mourir écrasés sous les cadavres, comme le Thébain Pélopidas, secouru de justesse par Épaminondas : Plutarque, Vie de Pélopidas, 45.

52 Xénophon, Anabase, VI, 4, 9.

53 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, IV, 101, 1.

54 Ménandre, Aspis, v. 69-72.

55 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, VIII, 27, 2 ; Polyen, I, 17. Voir W. K. Pritchett, The Greek State at War: Part IV, op. cit., p. 243-246.

56 L. Capdevila et D. Voldman, Nos morts, op. cit., p. 44.

57 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, III, 113.

58 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIII, 75 (traduction personnelle d’après l’édition anglaise de la Loeb Classical Library).

59 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIII, 75.

60 Il n’est pas anodin que ce soit à Syracuse, à l’époque deuxième grande démocratie du monde grec après Athènes, qu’un tel enjeu politique se noue autour de la question du rapatriement des morts dans la cité.

61 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIII, 75, 2 : τά; τῶν τετελευτηκóτων ὀστᾶ συνήθρoιζε (« il rassembla les ossements des morts »). Plus bas (XIII, 75, 5), Dioclès désigne ces ossements comme des « restes » (λείψανα), en recourant à un dérivé du verbe λείπω qui évoque ce qui a été laissé, abandonné, et peut aussi désigner la ruine – un choix lexical qui reflète bien le caractère fragmentaire et misérable des éléments ramassés par Hermocrate.

62 Diodore de Sicile, XIII, 62.

63 Sur les fouilles récentes liées aux batailles d’Himère, voir notamment Stefano Vassallo, « Le battaglie di Himera alla luce degli scavi nella necropoli occidentale e alle fortificazioni. I luoghi, i protagonisti », Sicilia Antiqua, 7, 2010, p. 17-38 ; id., « Guerre et mort à Himère : les tombes de soldats grecs tués dans les batailles de 480 et 409 avant notre ère », in J. Guilaine et J. Sémelin (dir.), Violences de guerre, violences de masse, op. cit., p. 51-60.

64 Voir la description donnée par S. Vassallo, « Guerre et mort à Himère », art. cit., ici p. 53-54. Une pointe de flèche était logée entre deux des vertèbres de l’individu inhumé dans la tombe W2219 ; le sujet de la tombe W336 avait été traversé par deux pointes de lance de trente centimètres de long, dont l’une avait pénétré dans le dos avec tant de violence qu’elle avait perforé l’abdomen pour sortir par l’avant. Dans la tombe W2764, la lance avait pénétré le corps du soldat entre la clavicule et l’humérus et déchiré entièrement le côté gauche de la poitrine – trahissant un coup porté d’en haut, peut-être par un cavalier à un fantassin ou par un soldat à pied à un homme à terre. Dans les tombes W3855 et W3834, deux défunts avaient eu le thorax transpercé du côté droit, soit celui qui n’était pas protégé par le bouclier. Une pointe de flèche était en outre fichée dans la face postérieure de la clavicule du premier d’entre eux, témoignant d’une attaque dans le dos.

65 Ibid., p. 56.

66 Pausanias, Description de la Grèce, III, 14, 1. En raison d’une contradiction dans le texte, l’estimation du temps écoulé varie de quatre à quarante ans : sur les discussions ayant eu cours à ce sujet, voir Annalisa Paradiso, « Herodotus’ List of the Three Hundred », in H. Cavanagh, W. Cavanagh et J. Roy (dir.), Honouring the Dead in the Peloponnese: Proceedings of the Conference Held in Sparta 23-25 April 2009, Nottingham, University of Nottingham, 2012, p. 521-535, ici p. 523-525.

67 Hérodote, Histoires, VIII, 228.

68 Pour une étude détaillée des processus de commémoration athéniens, dont ne sont abordés ici que certains aspects, voir notamment l’ensemble des travaux de Nicole Loraux et de Nathan T. Arrington.

69 Inscriptiones Graecae (ci-après IG) I3 1147, commentée par Nathan T. Arrington, « Inscribing Defeat: The Commemorative Dynamics of the Athenian Casualty Lists », Classical Antiquity, 30-2, 2011, p. 179-212, ici p. 189.

70 Nicole Loraux, « Mourir devant Troie, tomber pour Athènes. De la gloire du héros à l’idée de la cité », in G. Gnoli et J.-P. Vernant (dir.), La mort, les morts dans les sociétés anciennes, op. cit., p. 27-43, ici p. 28-29.

71 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 43.

72 Polly Low, « Remembering War in Fifth-Century Greece: Ideologies, Societies, and Commemoration Beyond Democratic Athens », World Archaeology, 35-1, 2003, p. 98-111.

73 Plutarque, Vie d’Agésilas, 40, 4 ; Xénophon, Helléniques, VI, 4, 13 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XV, 56, 1. Le passage d’Hérodote, Histoires, VI, 58, qui indique que le corps du roi mort à la guerre pouvait être remplacé par une effigie dans les cérémonies rendant les honneurs funèbres, renvoie probablement aux cas où le cadavre n’avait pu être récupéré : voir Nicolas Richer, « Aspects des funérailles à Sparte », Cahiers du Centre Gustave Glotz, 5-1, 1994, p. 51-96, ici p. 70-82 ; Mark Toher, « On the eidôlon of a Spartan King », Rheinisches Museum für Philologie, 142, 1999, p. 113-127. En accord avec Jean Ducat, « La femme de Sparte et la guerre », Pallas. Revue d’études antiques, 51-1, 1999, p. 159-171, je ne pense pas qu’il faille comprendre le fameux apophtegme lacédémonien « Avec ou dessus » rapporté par Plutarque (Apophtegmes laconiens, 241F) comme une preuve que les défunts étaient ramenés sur leurs boucliers jusqu’à Sparte. Outre le corps de leurs rois, les Spartiates se sont souciés, à titre exceptionnel, de rapatrier les ossements supposés d’un de leurs héros fondateurs, Oreste, dans le cadre d’un conflit entre Sparte et Tégée au milieu du vie siècle : Hérodote, Histoires, I, 67-68.

74 Au début de la guerre du Péloponnèse, les Platéens arguent ainsi de la présence sur leur sol de tombes de Lacédémoniens tombés en 479 pour essayer (en vain) de convaincre les Spartiates de leur venir en aide contre les Thébains : Thucydide, La guerre du Péloponnèse, III, 58-59.

75 Plutarque, Vie de Lycurgue, 27, 2-3.

76 Polly Low, « Commemorating the Spartan War Dead », in S. Hodkinson et A. Powell (dir.), Sparta and War, Swansea, Classical Press of Wales, 2006, p. 85-110.

77 Hérodote, Histoires, VII, 224 ; Pausanias, Description de la Grèce, III, 14, 1.

78 Des listes de soldats désignés par leurs nom et patronyme sont aussi connues à Samos, à Mégare, à Mantinée, à Thèbes, à Thasos et à Corinthe. Voir W. K. Pritchett, The Greek State at War: Part IV, op. cit., p. 140-141 ; Julien Fournier et Patrice Hamon, « Les orphelins de guerre de Thasos. Un nouveau fragment de la stèle des Braves (ca 360-350 av. J.-C.) », Bulletin de correspondance hellénique, 131-1, 2007, p. 309-381, ici p. 318.

79 Une seule exception est connue à ce jour : le monument d’Adamclissi, en Roumanie, probablement élevé par Domitien ou Trajan à la mémoire des morts des guerres daciques. Il s’agit cependant d’un cénotaphe ou d’un mémorial, et non d’une véritable tombe : Gabrielle Amiotti, « Il ‘monumento ai caduti’ di Adamklissi », in M. Sordi (dir.), « Dulce et decorum est pro patria mori » : La morte in combattimento nell’antichità, Milan, Vita e pensiero, 1990, p. 207-213. Les Romains ne semblent guère s’être souciés de commémorer les simples soldats morts au combat : d’après Tacite (Annales, I, 62, 3), Germanicus aurait même été réprimandé par Tibère pour avoir accordé une sépulture aux morts de la bataille de Teutobourg, six ans après la terrible défaite de Varus.

80 André Corvisier, « La mort du soldat depuis la fin du Moyen Âge », Revue historique, 254-1, 1975, p. 3-30, ici p. 24. Il est possible qu’il s’agisse là d’une allusion volontaire à la pratique grecque, les révolutionnaires ayant régulièrement convoqué l’Antiquité grecque afin d’exalter la mort pour la patrie : Claude Mossé, L’Antiquité dans la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1989.

81 On le doit notamment à l’impulsion de la Commonwealth War Grave Commission britannique pendant la Première Guerre mondiale, dont le projet de commémoration des noms proposé par le conservateur du British Museum et papyrologue Sir Frederic Kenyon faisait directement référence à la pratique grecque : voir Graham Oliver, « Naming the Dead, Writing the Individual: Classical Traditions and Commemorative Practices in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in P. Low, G. Oliver et P. J. Rhodes (dir.), Cultures of Commemoration, op. cit., p. 113. Sur l’avènement de l’ère du « nécronominalisme » triomphant : T. W. Laqueur, Le travail des morts, op. cit., p. 550 sq.

82 Hérodote, Histoires, IX, 85, 2. À propos du supposé « serment de Platées », voir Georges Daux, « Le serment de Platées », Revue archéologique, 17, 1941, p. 176-183 ; W. K. Pritchett, The Greek State at War: Part IV, op. cit., p. 116-117.

83 Pausanias, Description de la Grèce, IX, 40, 10.

84 Sur les deux tombes de Chéronée : John Ma, « Chaironeia 338: Topographies of Commemoration », Journal of Hellenic Studies, 128, 2008, p. 72-91.

85 Les panoplies des vaincus étant prélevées et rassemblées afin d’ériger un trophée, les armes que l’on découvre dans les tombes sont donc, en théorie, toujours celles des vainqueurs – qu’elles soient fichées dans les os des vaincus ou déposées au côté de leurs propriétaires.

86 L. Capdevila et D. Voldman, Nos morts, op. cit. ; C. Rigeade, « Approche archéo-anthropologique des inhumations militaires », art. cit.

87 Hérodote, Histoires, IX, 85, 2.

88 À propos des Spartiates, voir P. Low, « Commemorating the Spartan War Dead », art. cit. À propos des Macédoniens à Chéronée et sur le choix de lions en pierre comme marqueurs de plusieurs de ces tombes, voir J. Ma, « Chaironeia 338 », art. cit.

89 Concernant les origines et la datation de cette pratique, voir C. W. Clairmont, Patrios Nomos: Public Burial in Athens..., op. cit. ; Nathan T. Arrington, « Topographic Semantics: The Location of the Athenian Public Cemetery and Its Significance for the Nascent Democracy », Hesperia: The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, 79-4, 2010, p. 499-539, ici p. 503-510 ; N. T. Arrington, Ashes, Images, and Memories, op. cit., p. 39-49.

90 Sur le mythe de l’autochtonie athénienne, voir dernièrement Josine H. Blok, « Gentrifying Genealogy: On the Genesis of the Athenian Autochthony Myth », in U. Dill et C. Walde (dir.), Antike Mythen: Medien, Transformationen und Konstruktionen, Berlin, De Gruyter, 2009, p. 251-275. Le thème de l’autochtonie est récurrent dans les discours funèbres : Lysias, Oraison funèbre, 47 ; Platon, Ménexène, 237B ; Isocrate, Panégyrique, 24-25 ; Démosthène, Oraison funèbre, 4-5.

91 Anthony J. Podlecki, « Cimon, Skyros and ‘Theseus’ Bones », Journal of Hellenic Studies, 91, 1971, p. 141-143. La situation n’est pas sans rappeler le rapatriement des restes d’Oreste par les Spartiates, quoique ces derniers semblent avoir surtout redouté le pouvoir que les os de leur héros pouvaient conférer à l’ennemi.

92 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 34, 3 ; voir N. T. Arrington, Ashes, Images, and Memories, op. cit., p. 108.

93 Je renvoie aux travaux d’Antoine Prost, « Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 », Le mouvement social, 237, 2011, p. 135-151, pour la comparaison des pratiques présidant à la création des cimetières militaires après la Première Guerre mondiale. L’auteur souligne notamment une forte pression exercée, du côté britannique, pour obtenir la mise en place de monuments donnant une visibilité aux disparus, les war memorials. À l’inverse, si les cimetières militaires français et allemands incluaient des tombes pour les restes de soldats « inconnus » (les corps sans noms), ils n’avaient pas prévu de monument spécifique pour les noms sans corps. À partir de 1920, de nombreux pays européens ont fait le choix d’ériger comme monument central des commémorations une « tombe de soldat inconnu » permettant d’honorer à la fois la mémoire de tous les disparus et de tous les morts non identifiés. À Athènes, le monument érigé en 1932 sur la place Syntagma, au-dessus de la tombe d’un soldat inconnu, représentait un hoplite tombé, et portant des inscriptions citant l’oraison funèbre de Périclès.

94 Le 11 novembre 2019 a été inauguré à Paris un monument à la mémoire des soldats morts pour la France en opération extérieure (« opex ») dont l’esthétique n’est pas sans rappeler ce rituel athénien : le groupe sculptural, installé dans le parc André-Citroën, représente six soldats portant un cercueil invisible.

95 Luisa Prandi, « I caduti delle guerre persiane (Morti per la città o morti per la Grecia ?) », in « Dulce et decorum est pro patria mori », op. cit., p. 47-68, ici p. 63-65.

96 Hérodote, Histoires, IX, 85. Pour les débats concernant la restitution du texte et l’identification des ίρένας ou ίρέας, voir M. Toher, « On the eidôlon of a Spartan King », art. cit., ici p. 118-123.

97 P. Low, « Remembering War in Fifth-Century Greece », art. cit., ici p. 104 sq.

98 Ibid.

99 J. Fournier et P. Hamon, « Les orphelins de guerre de Thasos », art. cit., ici p. 336-339.

100 Si les alliés sont inclus dans ces listes, le système de répartition des défunts en dix cercueils (un par tribu) décrit par Thucydide (La guerre du Péloponnèse, II, 34) ne laisse aucune place aux défunts non athéniens dans les étapes précédentes du patrios nomos.

101 Polly Low, « Monuments to the War Dead in Classical Athens », in P. Low, G. Oliver et P. J. Rhodes (dir.), Cultures of Commemoration, op. cit., p. 13-39. Sur la réunion dans une même liste de libres et non-libres : Nicole Loraux, Les enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris, Maspero, 1981, p. 33-35 ; ead., « Mourir devant Troie, tomber pour Athènes », art. cit., ici p. 30-31 ; N. T. Arrington, « Inscribing Defeat », art. cit., ici p. 187. Pour l’insertion des esclaves dans l’armée athénienne : Peter Hunt, Slaves, Warfare, and Ideology in the Greek Historians, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

102 Xénophon, Helléniques, II, 4, 19 (je souligne). Le choix du verbe σκυλεύω insiste sur l’idée de de mettre à nu.

103 Sur l’ambiguïté de la nudité pour les Grecs, voir Florence Gherchanoc, « Nudités athlétiques et identités en Grèce ancienne », in F. Gherchanoc et V. Huet (dir.), S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Paris, Éd. de l’EHESS, 2008, p. 75-101. Xénophon, Agésilas, 1, 28 et Frontin, Stratagèmes, I, 11, 18 évoquent pour leur part des mises à nu d’ennemis vivants comme forme d’humiliation.

104 Dans l’Iliade, XXIV, v. 580-581, Achille prend soin de faire laver et rhabiller le cadavre d’Hector avant de le rendre à Priam. Le lien entre l’enveloppement du vêtement et celui de la tombe est également présent dans la scène finale d’Antigone, qui se pend dans son propre voile : Nicole Loraux, « La main d’Antigone », Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens, 1-2, 1986, p. 165-196, ici p. 193.

105 Le lien entre la parenté et le devoir de sépulture est évoqué au théâtre, non seulement chez Sophocle, Antigone, mais aussi chez Euripide, Médée, v. 1032 sq. ; Les Suppliantes, v. 168-175 et 524-563 ; Les Troyennes, v. 387-390 ; on le retrouve également chez les orateurs attiques : Démosthène, Contre Timocrate, 102 ; Contre Macartatos, 57 ; Isée, Sur la succession de Ménéclès, 25 ; Eschine, Contre Timarque, 13-14 ; Lysias, Contre Ératosthène, 96 ; Contre Agoratos, 45-46 ; ou encore chez Platon, Hippias Majeur, 291D-E.

106 Comme l’écrit Georges Bernanos à propos de la guerre d’Espagne (Les grands cimetières sous la lune, Paris, Plon, 1938, p. 162) : « Après une guerre civile, la vraie pacification commence toujours par les cimetières. »

107 V. Azoulay, « Repolitiser la cité grecque, trente ans après », art. cit., ici p. 708.

108 Sur les débats concernant l’extension exacte du Dèmosion sèma, voir N. T. Arrington, « Topographic Semantics », art. cit., ici p. 512-513.

109 Cette tombe, découverte en 1930, a livré les restes d’au moins treize individus, répartis en trois groupes ; un fragment de lance était encore fiché dans la poitrine de l’un d’entre eux, tandis que deux pointes de flèches ont été découvertes près de la jambe d’un autre : voir Franz Willemsen, « Zu den Lakedaimoniergräbern im Kerameikos », Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung, 92, 1977, p. 117-157 ; Holger Baitinger, « Die Waffen aus dem Lakedaimoniergrab im Kerameikos », Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung, 114, 1999, p. 117-126.

110 Xénophon, Helléniques, II, 4, 33.

111 Lysias, Oraison funèbre, 63 ; voir Andrew Wolpert, Remembering Defeat: Civil War and Civic Memory in Ancient Athens, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2003.

112 Voir Julia L. Shear, Polis and Revolution: Responding to Oligarchy in Classical Athens, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 299 : l’autrice souligne la volonté des Athéniens de commémorer ces événements comme une guerre extérieure, sans commenter toutefois, à aucun moment, l’anomalie exceptionnelle que représente l’inhumation d’ennemis d’Athènes dans le Dèmosion sèma.

113 Ronald S. Stroud, « Greek Inscriptions: Theozotides and the Athenian Orphans », Hesperia: The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, 40-3, 1971, p. 280-301 ; J. L. Shear, Polis and Revolution, op. cit., p. 234-236 ; Angelos P. Matthaiou, « The Théozotides Decree on the Sons of Those Murdered in the Oligarchy », in Tà ἐν τῆι στηληι γεγραμμένα: Six Greek Historical Inscriptions of the Fifth Century BC, Athènes, Hellēnikē Epigraphikē Hetaireia, 2011, p. 71-81.

114 Le Contre Théozotidès de Lysias témoigne d’une opposition au décret qui porte cependant moins sur la distinction établie entre démocrates et oligarques que sur le choix de Théozotidès d’accorder ces privilèges aux seuls enfants de citoyens : R. S. Stroud, « Greek Inscriptions », art. cit., ici p. 285. Ce plaidoyer fut prononcé soit en 410, soit en 403, dans la mesure où Théozotidès pourrait avoir proposé un second décret, de même nature, après la seconde révolution oligarchique : voir Vincent Azoulay, « Violente amnistie. La réconciliation athénienne de 403 av. J.-C. », Annales HSS, 74-2, 2019, p. 383-425, ici p. 404-405.

115 Dès le discours de Cléocritos, il est bien question de polemos et non de stasis : Xénophon, Helléniques, II, 4, 21-22.

116 N. Loraux, « La main d’Antigone », art. cit., ici p. 165. Parmi une bibliographie foisonnante, on peut renvoyer plus particulièrement aux travaux qui concentrent leur approche sur la question du traitement du corps et du droit à la sépulture, notamment ceux de Giovanni Cerri, « Ideologia funeraria nell’Antigone di Sofocle », in G. Gnoli et J.-P. Vernant (dir.), La mort, les morts dans les sociétés anciennes, op. cit., p. 121-131 ; Froma I. Zeitlin, « Thebes: Theater of Self and Society in Athenian Drama », in J. J. Winkler et F. I. Zeitlin (dir.), Nothing to Do with Dionysos? Athenian Drama in Its Social Context, Princeton, Princeton University Press, 1990, p. 130-167 ; Muriel Gilbert, Antigone et le devoir de sépulture, Genève, Labor et Fides, 2005 ; Judith Butler, Antigone. La parenté entre vie et mort, trad. par G. Le Gaufey, Paris, EPEL, [2000] 2013.

117 C’est d’ailleurs à Créon et Ismène, parents de Polynice, qu’Antigone reproche d’enfreindre ces lois. Voir Sophocle, Antigone, v. 510 sq., pour l’insistance sur les liens du sang dans cette affaire.

118 Sur le deuil dans le monde grec antique, voir les récents travaux de David Konstan, The Emotions of the Ancient Greeks: Studies in Aristotle and Classical Literature, Toronto, University of Toronto Press, 2006, p. 244-258 ; Douglas Cairns, « Weeping and Veiling: Grief, Display and Concealment in Ancient Greek Culture », in T. Fögen (dir.), Tears in the Graeco-Roman World, Berlin, De Gruyter, 2009, p. 37-58 ; Ángelos Chaniótis (dir.), Unveiling Emotions: Sources and Methods for the Study of Emotions in the Greek World, Stuttgart, F. Steiner, 2 vol., 2012-2014.

119 Eschyle, Les Perses, v. 999-1001. Suivant en cela Nicole Loraux, La voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 1999, nous considérons ici la tragédie comme un puissant révélateur du rapport intime au deuil dans le monde grec antique. En faisant appel au spectateur envisagé non pas comme individu politique, mais comme mortel, elle laisse le champ libre à la douleur sans fard, loin de l’arsenal des mesures et des discours civiques (tel l’épitaphios logos) qui visaient à en limiter les effets potentiellement néfastes pour la communauté. Le théâtre a ainsi permis de prendre en charge le deuil intime des familles de soldats pendant toute une partie du ve siècle, tandis que le deuil personnel leur était largement interdit par la cité.

120 N. Richer, « Aspects des funérailles à Sparte », art. cit., ici p. 71, n. 111.

121 Eschyle, Agamemnon, v. 429-445.

122 La traduction de Paul Mazon ne rend pas justice à cet hapax, formé par imitation , « changeur d’argent ».

123 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 34. J’insiste sur le fait que ce sont bien les os qui étaient exposés (), et non les coffres qui les contenaient.

124 IG I3 1147.

125 Citons, entre autres, Plutarque, Vie de Solon, 21, 7 ; Platon, Lois, XII, 959B-C.

126 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 44, 3. Les commentateurs ne se sont guère attardés sur ce surprenant appel à l’oubli ; tout au plus Arnold W. Gomme souligne-t-il, avec justesse, que peu de parents ayant perdu un fils au combat devaient être encore en âge d’en avoir un nouveau : Arnold W. Gomme, A Historical Commentary on Thucydides: The Ten Years’ War, Oxford, Clarendon Press, 1962.

127 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 44-45.

128 J. Fournier et P. Hamon, « Les orphelins de guerre de Thasos », art. cit., ici p. 318-319.

129 Plutarque, Vie d’Agésilas, 29, 5-6 ; voir également Xénophon, Helléniques, VI, 4, 16.

130 Sur le deuil comme séparation redoutable et redoutée pour la cohésion de la cité, voir Florence Gherchanoc, « Mise en scène et réglementations du deuil en Grèce ancienne », no spécial « Les femmes, le féminin et le politique après Nicole Loraux », Classics@, 7, 2011, https://chs.harvard.edu/CHS/article/display/3831.

131 Eschyle, Agamemnon, v. 445-451.

132 Sur la stèle de Dexiléos et sur d’autres monuments individuels réalisés en l’honneur de soldats athéniens à la fin du ve siècle et au début du ive siècle : Robin Osborne, « Democratic Ideology, the Events of War and the Iconography of Attic Funerary Sculpture », in D. Pritchard (dir.), War, Democracy and Culture in Classical Athens, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 245-265 ; P. Low, « Monuments to the War Dead in Classical Athens », art. cit. ; Vincent Azoulay, Les tyrannicides d’Athènes. Vie et mort de deux statues, Paris, Éd. du Seuil, 2014, p. 142-146 ; N. T. Arrington, Ashes, Images, and Memories, op. cit., p. 205-237.

133 Voir Vincent Azoulay, Les tyrannicides d’Athènes, op. cit., en particulier p. 127-129 ; John Ma, Statues and Cities: Honorific Portraits and Civic Identity in the Hellenistic World, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 5. Harmodios et Aristogiton, meurtriers du tyran Hipparque en 514 avant J.-C., furent les premiers hommes à se voir accorder l’honneur d’une statue sur l’Agora. Un premier groupe statuaire, œuvre du sculpteur Anténor, fut érigé peut-être dès la fin du vie siècle, mais emporté par les Perses durant le sac d’Athènes en 480 avant J.-C. Un deuxième groupe, réalisé par Kritios et Nésiotès, vint le remplacer en 477/476.