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Jennifer L. Palmer Intimate Bonds: Family and Slavery in the French Atlantic Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2016, 280 p.

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Jennifer L. Palmer Intimate Bonds: Family and Slavery in the French Atlantic Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2016, 280 p.

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

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Abstract

Type
Race et esclavage (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

À la suite de son travail de doctorat Footnote 1 , Jennifer L. Palmer développe ici, dans ce qui est son premier ouvrage publié, un panorama de plus grande ampleur qui, au carrefour des colonial et des gender studies , brasse et croise les concepts de race, d’esclavage, de liberté, de colonialisme, de famille, de genre, de patriarcat et de statut social. L’autrice entend démontrer que c’est à l’échelle des liens intimes, qui donnent à l’ouvrage son titre, que se joue la réalité de « l’empire colonial français », les textes législatifs et réglementaires n’ayant en définitive qu’un poids tout relatif. À travers ces liens intimes, au sein de la famille et de la maisonnée comme de la société ou de l’économie, les différents concepts dont débat le livre opèrent, se vivent, évoluent, se négocient, se figent ou se transforment, se corrèlent ou s’éloignent, mais aussi résistent, contreviennent, se jouent des décisions officielles, et ce, en fin de compte, indépendamment, souvent, des questions de couleur de peau – en traversant donc « les lignes raciales » (p. 3). Présentant l’étude des pratiques et des choix intimes comme une « méthodologie » en soi, J. L. Palmer mène ses investigations, se glisse, dans les vies et « les micro-histoires des familles et des individus » (p. 15).

Le propos se concentre sur deux aires géographiques, La Rochelle et Saint-Domingue, et prend notamment en exemple plusieurs « familles transatlantiques », autrement dit des familles rochelaises qui ont lié leur sort, en particulier économique, à celui de l’île surnommée « la perle des Antilles » et se retrouvent dès lors implantées sur les deux rives de l’océan Atlantique : les Fleuriau, Regnaud de Beaumont ou encore Belin, pour ne citer que celles-ci. L’autrice a fourni un volumineux travail pour nous procurer cette intéressante et méritoire synthèse et ce large panorama, qui allient des aspects déjà relativement bien connus à quelques angles d’étude et éclairages novateurs et originaux. L’étude est précise, voire minutieuse. On y relève en particulier le gros apport, mentionné par l’autrice, des connaissances et de l’expérience de Pierre H. Boulle.

Il faut toutefois rappeler qu’il est toujours périlleux de chercher à dégager une vision d’ensemble à partir de l’étude de quelques cas, dont la représentativité reste à établir. La démarche de l’autrice n’est rien moins que quantitative, à quelques exceptions près puisées chez d’autres auteurs. Il est vrai que le sujet et la documentation disponible contraignent quelque peu à demeurer sur un plan qualitatif. Outre la fragilité de la méthode consistant à mettre en avant un nombre limité de cas de familles et d’individus mieux documentés, le lecteur se retrouve parfois dans une « histoire par suppositions », où ce qui demeure malgré tout une hypothèse – notamment lorsqu’il s’agit de décrypter les ressorts psychologiques – se trouve souvent présenté comme une affirmation. Ce faisant, l’autrice, loin d’être dans la rupture, reprend parfois des discours convenus et traditionnels et n’apporte pas d’éléments nouveaux. Par ailleurs, la juxtaposition d’études de cas engendre un propos parfois décousu, partant dans différentes directions. Le texte délayé se fait répétitif, sans être exempt de quelques contradictions entre les chapitres.

Le lecteur peut également se montrer réticent face à une méthode d’analyse qui prête peut-être trop d’intentions, de réflexions et de calculs aux êtres. Émotions, sensibilité, spontanéité, attachement ou encore sentiments éprouvés par les individus considérés dans l’ouvrage manquent singulièrement à l’appel. L’historienne mène une réflexion rationnelle et cérébrale et ne voit dès lors, la plupart du temps, que stratégie, tactique et objectifs derrière les comportements humains.

Au fil des pages, on relèvera aussi certaines affirmations erronées, contestables ou manquant de nuances. Ainsi, il est inexact d’écrire que « la Couronne de France finit par abroger le principe de la liberté sur le sol du royaume et autorisa l’esclavage sur les rivages français » (p. 46). Ou encore que, faute d’enregistrement de la Déclaration royale de 1738 par le Parlement de Paris, « à La Rochelle, c’est l’Amirauté qui, à la place des tribunaux, eut à mettre en vigueur la Déclaration royale » (p. 57). On ne peut pas inférer l’existence à La Rochelle d’un « trafic informel d’esclaves » en s’appuyant sur le fait que certains personnages se chargent à diverses reprises, par subrogation (notamment d’un ou une propriétaire d’esclave), d’effectuer devant l’Amirauté la déclaration d’arrivée d’une personne de couleur (p. 55). En outre, lors du recensement de 1777 devant l’Amirauté de La Rochelle, le nombre de « gens de couleur » déclarés comme habitant dans la ville est de 58, et non de 80 (comme affirmé page 138), dès lors qu’on écarte notamment quelques noms liés à d’autres localités. Il convient par ailleurs de souligner que les individus arrivés directement d’Afrique comme esclaves, sans avoir vécu dans une colonie, sont majoritaires dans ce recensement, caractéristique de la population de couleur rochelaise que J. L. Palmer paraît parfois ignorer.

L’ouvrage s’appuie sur une abondante bibliographie, mais très largement anglo-saxonne. On relève des manques importants qui reflètent une mise à jour incomplète après le travail de doctorat, en particulier concernant les « gens de couleur » en France : le Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne Footnote 2 est ainsi ignoré. De même sont passées sous silence les diverses publications de l’auteur de la présente recension qui, à compter de 2010, ont porté sur les « noirs, mulâtres ou autres gens de couleur » à La Rochelle et, plus largement, en Aunis et Saintonge du xvii e  au début du xix e  siècle. L’ouvrage dirigé en 2012 par Mickaël Augeron et Olivier Caudron, La Rochelle, l’Aunis et la Saintonge face à l’esclavage Footnote 3 , est juste mentionné dans deux notes, avec une référence incomplète qui laisse à croire que l’autrice ne l’a pas lu. Du reste, le personnage du « nègre » Augustin, qu’elle étudie aux pages 173-178, a fait l’objet d’un article dans cet ouvrage collectif, sans que J. L. Palmer semble en avoir connaissance.

L’une des principales sources archivistiques exploitées par J. L. Palmer – dès son travail de doctorat – est le fonds d’archives privées de Marie Madeleine Royer, épouse Regnaud de Beaumont, conservé aux Archives départementales de la Charente-Maritime, fonds effectivement intéressant et abondant, mais dépourvu d’un classement interne chronologique et thématique, ce qui rend malaisée sa compréhension si l’on n’y prête suffisamment attention. Une étude récente Footnote 4 , qui a démêlé les fils du parcours de Jean Séverin Regnaud de Beaumont, époux de Marie Madeleine, à Saint-Domingue, fait ici ressortir quelques erreurs à son sujet : ce négociant rochelais pensait partir pour un court séjour à Saint-Domingue et ne s’est établi comme planteur (« habitant ») qu’au bout de vingt-cinq ans de présence dans cette île, il n’a jamais produit de sucre, etc.

De grossières erreurs de lecture archivistique et de compréhension apparaissent en note 17, page 208 : les esclaves qu’Allard Belin fait baptiser en 1719 et 1721, « Jean, nègre » et « Louis, maure », sont cités comme se dénommant « Jean Naicré » et « Louis Mauré ». De même, note 8 à la page 246, le patronyme d’André et Vincent Micheau, « du sexe mulastre », devient « Micheau du Sexe » ou, dans une autre note, « Micheau du Saxe » ; si l’expression « du sexe mulastre » apparaît effectivement curieuse, il faut la relier à la formulation maladroite de la déclaration apparemment autographe de ces deux orfèvres libres de sang-mêlé lors du recensement de 1763, lesquels signent bien « Micheau ».

Sur le plan formel, on relèvera l’aspect très mal commode du report des notes (nombreuses) en fin de volume et leur numérotation par chapitre. On regrettera également l’absence d’une bibliographie organisée, les références n’apparaissant qu’au fil des notes. La peinture reproduite en couverture n’a pas de rapport direct avec le sujet de l’ouvrage. Enfin, le texte souffre de coquilles relativement nombreuses, essentiellement sur les mots français et en particulier dans les notes. Ce manque de rigueur se traduit aussi par des incohérences : un même personnage s’appelle tantôt, note 15 page 208, « Bernard » ou « Berand » et, note 35 page 209, « Berard ». Si le patronyme donné à ses enfants illégitimes par Aimé-Benjamin Fleuriau est à juste titre lu « Mendroux » dans les documents d’archives, pourquoi l’autrice continue-t-elle de reprendre dans son texte la désignation « Mandron » qu’avait proposée Jacques de Cauna ?

Au-delà de ses aspects discutables et de ses imperfections, l’étude documentée procurée par J. L. Palmer a le mérite d’ouvrir des voies et de contribuer à défricher un champ de recherches stimulant et dans lequel beaucoup reste encore à investiguer, découvrir et comprendre.

References

1. Jennifer L. Palmer, « Atlantic Crossings: Race, Gender, and the Construction of Families in Eighteenth-Century La Rochelle », thèse de doctorat, University of Michigan, 2008.

2. Erick Noël (dir.), Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne , Paris, Droz, 3 vol., parus en 2011, 2013 et 2017.

3. Mickaël Augeron et Olivier Caudron (dir.), La Rochelle, l’Aunis et la Saintonge face à l’esclavage , Paris, Les Indes savantes, 2012.

4. Olivier Caudron, « Saint-Domingue comme un mirage ? Le parcours de vie transatlantique du négociant rochelais Jean Séverin Regnaud de Beaumont et de sa famille à travers leur correspondance (1743-1786) », V. Cousseau (dir.), dossier « Les correspondances des Antilles au xviii e  siècle, entre affaires familiales et affaires économiques », Tierce , 6, 2022, https://tierce.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=686.