Hostname: page-component-cd9895bd7-gvvz8 Total loading time: 0 Render date: 2024-12-23T11:36:50.410Z Has data issue: false hasContentIssue false

Éviter la souillure. Le processus de civilisation dans le Japon ancien

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Yoshie Akio*
Affiliation:
Université de Tôkyô

Extract

Des recherches intéressantes et nombreuses, à l'étranger comme au Japon, ont utilisé le concept de souillure pour analyser les particularités de la société japonaise. Pourtant, certaines disciplines traditionnelles comme les études d'ethno-folklore, la science des religions ou l'histoire du shinto, font peu de distinction entre les concepts, proches mais pourtant différents de souillure (kegare), faute (tsumi) ou calamité (wazawai), et elles ne portent guère d'attention à l'évolution historique même de ces concepts pas plus qu'à l'histoire des règles qui permettaient leur évitement. De fait, il s'agit trop souvent d'interprétations abstraites et souvent schématiques. Ces dernières années cependant, des discussions ont eu lieu relatives au rapport entre la souillure et le statut social mais la plupart des participants à ces débats empruntaient les résultats d'études folkloristes ou de travaux anthropologiques sans procéder à de nouvelles recherches. Récemment, des études ont été effectuées sur la souillure et les conduites d'évitement en tant que processus historique. Je voudrais ici expliciter les relations organiques qui existent entre le système de valeurs, les structures sociales et les conceptions du rejet de la souillure à chacune des étapes du développement historique et plus particulièrement entre le 8e et le 10e siècle, c'est-à-dire l'époque de Nara (710-784) et la première moitié de l'époque de Heian (794-1185).

Summary

Summary

Impurity and its rejection constitute one of the basic elements of the ideological and ritual universe of ancient Japan. They have often been studied from a purely anthropological point of view. Now, the strategies for avoiding impurity have a history as well. During the period in which new methods of social control were introduced into the archipelago from China, the imperial court of Japan developed rituals for avoiding impurity which functioned as instances in the process of legitimation of the monarchy and of the role of the aristocracy. By showing how the gods fought the impurities of the world and eliminated them, the myths also partake of this strategy. On the earth, the emperor and the court in turn lead a permanent battle to rid the universe of impurities. While doing this, the governing bodies are presented as representing “civilization” confronted by a still “barbaric” rural society. The ritual rejection of impurity and the social discrimination which such pratices imply can therefore be seen within the framework of a very structured mental universe, keystone to the ancient Japanese monarchy. The process by which such an ideology circulates from the period of the Codes until the rule of the Tokugawa shogun shapes social centrality and determines the social statutes from the capital to the provinces and well into the far corners of the empire.

Type
Domination Impériale et Constructions Culturelles
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1995

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1. Parmi les études d'ethno-folklore portant sur ces questions, citons Emiko, Namihira, Kegare no kôzô (La structure de la souillure), Seitosha, 1984 Google Scholar ; Ichirô, Hori, Nihonjin no shûkyô (La religion des Japonais), Tankôsha, 1970 Google Scholar, représente bien le point de vue des spécialistes de la science des religions. Pour les études portant sur l'histoire du shinto, voir Umeda Yoshihiko, « Amatsu tsumi to kunitsu tsumi. Tsumi to wazawai » (Maux célestes et terrestres. Fautes et calamités), dans Shintôgaku, n° 65,1970. Pour une présentation des études sur ces questions, cf. Naoya, Kondô, Harai to kegare no kôzô (La structure de la purification et de la souillure), Sôgensha, 1986.Google Scholar

2. Kyôhei, Oyama, « Chûsei no mibunsei tq kokka » (Le statut social et l'Etat au Moyen Age), dans Nihon chûsei nôsonshi no kenkyû (Etudes sur l'histoire des villages agraires dans le Japon médiéval), Iwanami, 1973.Google Scholar Voir également Yoshihiko, Amino, Muen, Kukai, Raku (Absence de lien, espace sans seigneur, lieu de libre échange. Liberté et paix dans le Japon médiéval), édition révisée et augmentée, Heibonsha, 1988 Google Scholar ; et Tetsuichi, aussi Niunoya, Kebiishi. Chûsei no kegare to kenryoku (Les forces de police au Moyen Age. La souillure et le pouvoir), Heibonsha, 1986.Google Scholar

3. Nishiyama Yoshihira, « Shie » (La souillure liée à la mort), dans Burakushi shiryô senshû (Choix de documents sur l'histoire de la discrimination), t. 1, Kodai chûsei hen (Antiquité et Moyen Age), Buraku mondai kenkyûjo shuppanbu, 1988. Voir aussi du même auteur, « Ochôtoshi to josei no kegare » (La capitale impériale et la souillure des femmes), dans Nihon josei seikatsushi, Genshi-kodai, t. 1 (Histoire de la vie quotidienne des femmes japonaises, la période archaïque et l'Antiquité), Tôkyô daigaku shuppankai, 1990. Voir par ailleurs Mitsuhashi Tadashi, « Engishiki kegare kitei to kegare ishiki » (La conscience de la souillure et les dispositions prises à son égard dans les règlements de l'ère Engi), dans Engishi kenkyû, n“2, 1989.

4. Cette prière ou norito se trouve dans l'Engishiki (Règlements de l'ère Engi) publié en 927, chap. 8, Jingi hachi norito (Les huit prières aux dieux célestes et terrestres). Le texte a été publié dans la série Shinto taikei, Engishiki, vol. 1, Shinto taikei hensankai, 1971. Cette prière apparaît certes dans un document daté du début du 10e siècle mais, par l'analyse de son contenu et du style, on peut penser qu'il s'agit de la forme originelle et conservée d'un texte qui remonte à la fin du 7e siècle ou au début du 8e siècle, au moment où naît le rite étatique de la Grande Purification.

5. La notice sur les Wa (Woren zhuan) a été éditée au Japon : Shintei. Gishi Wajinden. Gokanshi waden. Sosho Gokansho waden. Zuisho wakokuden (Notice relative aux Wa dans la monographie des Wei, notice relative aux Wa dans l'Histoire des Han postérieurs, notice relative au pays des Wa dans l'Histoire des Song, notice relative au pays des Wa dans l'histoire des Sui, nouvelle édition critique), Iwanami shoten, 1985.

6. Cf. les termes kegare, tsutni, wazawai dans Nihon kokugo daijiten (Grand dictionnaire de la langue japonaise), Shôgakkan, 1972-1976. Voir aussi le terme tsumi dans Orikuchi Shinobu, « Man'yôshû jiten » (Dictionnaire de l'anthologie poétique du Man'yôshû), Orikuchi Shinobu zenshû (OEuvres complètes d'Orikuchi Shinobu), vol. 6, Chûôkôronsha, 1975.

7. On trouve plusieurs références à ces pratiques dans Shoku Nihongi (Suite des annales du Japon), publié dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1962. On citera entre autres, la notice du 5e jour du 1er mois intercalaire de la 3e année de l'ère Keiun (706).

8. Ibid., 22’ jour du 9’ mois de l'an 1 de Hôki (770).

9. Ibid., 18e jour du mois de l'an 1 de Tempyô (729).

10. Ibid., par exemple, 30e jour du 8e mois de l'an 6 de Hôki (775).

11. Sir Frazer, James George, Taboo and the Péril of the Soûl, Londres, 1911.Google Scholar auteur, Du même, Spirits ofthe Corn and ofthe Wild, Londres, 1912.Google Scholar Cf. Douglas, aussi Mary, Purity and Danger, Londres, 1969.Google Scholar

12. « Jingi ryô », dans Ryô no shûge, Sansaijô, paragr. 12, dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1962.

13. Cf. le décret du ministère des Affaires suprêmes, Dajokan fu du 14e jour du 5cmois de l'an 20 de l'ère Enryaku (801) inséré dans le Ruijû sandai kyaku dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1962.

14. Cf. note 7.

15. « Kojiki. Norito », dans Nihon koten bungaku taikei (Collection de littérature classique japonaise), vol. 1, Iwanami shoten, 1958.

16. « Nihon shoki », 2 tomes, dans Nihon koten bungaku taikei (Collection de littérature classique japonaise), vol. 67 et 68, Iwanami shoten, 1958.

17. Cf. par exemple, Sôkichi, Tsuda, Nihon koten no kenkyû (Recherches sur les classiques japonais), 2 vols, Iwanami shoten, 1948-1950.Google Scholar Nobutsuna, Saigô, Kojiki no seikai (Le monde du Kojiki), Iwanami shoten, 1967.Google Scholar Takeshi, Matsumura, Kodai densho to kyûtei saishi (Les traditions anciennes et les célébrations de cour), Hanawa shobô, 1970.Google Scholar Seiji, Okada, Kodai ôken no saishi to shinwa (Les célébrations de la monarchie antique et les mythes), Nanawa shobô, 1970.Google Scholar

18. On considère d'ordinaire que les compilations de ces deux ouvrages commencèrent en 681. Selon sa préface, le Kojiki fut achevé en 712. Selon le Shoku Nihongi, le Nihon shoki fut achevé en 720.

19. Texte principal du paragraphe intitulé Gisei ryô Shunjisai denjô (Des fêtes de printemps à la campagne dans les règlements relatifs aux cérémonies), dans le Ryô no shûge (Commentaires sur le code), commentaires Koki Ichiiwaku du Taihôryô. Se référer aussi à Akio, Yoshiie, « Giseiryô shunjusaidenjô no ichi kôsatsu » (Considérations sur les commentaires du Giseiryô), dans Kodaishi ronsô (Débats sur l'histoire ancienne), vol. 2, Yoshikawa Kôbunkan, 1978.Google Scholar

20. « Fudoki », 2 tomes, dans Nihon koten bungaku taikei (Collection de littérature classique japonaise), Iwanami shoten, 1958.

21. Paragraphe 19 dans le Jingiryô shokokujô (Code relatif aux provinces et concernant les divinités célestes et terrestres), dans le Ryô no shûge (Commentaires sur le code).

22. Akio, Yoshie, Rekishi no akebono kara dentô shakai no seiritsu e (De l'aube de l'histoire à l'établissement de la société traditionnelle), Yamakawa shuppankai, 1986.Google Scholar

23. Cf. Okada Seiji, op. cit.

24. Addenda aux paragraphes 1 à 9 du Jingiryô (Code concernant les divinités célestes et terrestres), dans le Ryô no shûge (Commentaires sur le code).

25. Akio, Yoshie, « Nihon ni okeru shinbutsu shûgô keisei no shakaishiteki kôsatsu » (Réflexions sur l'histoire sociale de la formation du syncrétisme shintô-bouddhique), dans Chûgoku. Shakai to bunka, n” 7, 1992.Google Scholar

26. Yoshie Akio, Rekishi no akebono kara…, op. cit.

27. Nihon shoki, notice du 3e jour du 4e mois de la 12e année de règne de l'impératrice Suiko (604).

28. Yoshie Akio, « Nihon no chûsei shakai no seibatsu » (Les châtiments dans la société médiévale), dans Sôbun, n“254 et 255, 1985.

29. A propos des pertes de sang et de la grossesse, voir Nishiyama Yoshihira, « Ochô toshi.. », op. cit.

30. Il n'existe pas de source historique qui explique directement pourquoi les incendies naturels étaient considérés comme des souillures. Pourtant, les autres souillures étant liées à la physiologie humaine et animale, on peut penser que les incendies étaient considérés comme l'équivalent désagréable d'une perte de sang dans la nature.

31. Shoku Nihongi, notice du 22e jour du 9e mois de l'an 1 de Hôki (770), op. cit.

32. Ibid., notice du 23e jour du 12e mois de l'an 1 de Ten'ô (781).

33. Saikyûki, livre 7, notice sur la souillure, édité dans Kojitsu sensho (Textes relatifs à l'étiquette officielle), Meiji tosho shuppan, 1952. Ce texte précise que ce n'est qu'à partir de 864 qu'on s'est mis à considérer l'incendie naturel comme une souillure impliquant un interdit de trente jours, comme pour la mort d'un homme.

34. Nihon kiryaku, notice du 4e jour du 9e mois de l'an 7 de Tenchô, dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1965.

35. Les Règlements de l'ère Kônin (Kônin kyakushiki) sont une compilation datant de 820. Il s'agit d'un ensemble de règles législatives et administratives édictées par la cour entre 701 et 819.

36. Cf. Saikyûki, op. cit.

37. Jichûgunyô, livre 7 consacré aux souillures dans le palais, dans Zokuzoku gunsho ruijû, t. 7, Section juridique, Zoku gunsho ruiju kanseikai, 1969.

38. Ce type de dispositions existait déjà dans les Règlements de l'ère Kônin (dont nous ne possédons que des fragments). Sur ce point, cf. Nishiyama Yoshihira, op. cit.

39. De même la naissance de poulets (qui font partie des Six animaux domestiques) n'est plus considérée comme objet d'interdit sans doute parce qu'on la considérait comme une souillure légère, relevant du domaine quotidien.

40. Les règles relatives à la souillure se trouvent dans la notice sur les fêtes extraordinaires (rinjisai) du paragraphe 3 consacré aux rites dus aux dieux (j'ng’) du livre III de l'Engishiki (Règlements de l'ère Engi) dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1952.

41. Ibid.

42. Takashi, Yoshida, Ritsuryô kokka to kodai no shakai (L'Etat régi par les codes et la société de l'antiquité), Iwanami shoten, 1973.Google Scholar Voir aussi Yoshie Akio, Rekishi no akebono kara…, op. cit.

43. Cf. le décret du ministère des affaires suprêmes (dajôkan fu) du 16e jour du 4e mois de l'an 9 de Enryaku (790), Ruijû sandaikyaku, livre 19 publié dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1962.

44. Yoshimi, Toda, Nihon ryôshu sei seiritsushi no kenkyû (Recherches sur l'histoire de l'apparition du système seigneurial au Japon), Iwanami shoten, 1967.Google Scholar

45. Toda Yoshimi, ibid.

46. Ces trois exemples viennent respectivement, pour le premier, de Ise no kuni Kuwata gun Tato Jingûji garan engi shizaichô (Répertoire des documents et des trésors relatifs à l'histoire des origines du monastère Tato Jingûji du district de Kuwata, province d'Ise), à la date du 3L jour du 11e mois de l'an 7 d'Enryaku (788) ; ces documents font partie du fonds Murayama Ryûhei (Murayama Ryûhei shozô monjo) inséré dans le volume 20 de la collection Heian ibun. Le deuxième est extrait du Ruijû kokushi, livre 180 relatif au bouddhisme, notice du 16e jour du 3e mois de la 6e année de l'ère Tenchô (829) publié dans la collection Shintei zôho Kokushi taikei (Les histoires officielles du Japon), édition critique révisée, Yoshikawa Kôbunkan, 1965. Le troisième exemple est extrait du « Nihon ryôiki », livre 3, 24, dans la collection Nihon koten bungaku taikei (Collection de littérature classique japonaise), vol. 70, Iwanami shoten, 1967.

47. Pour plus de détails sur ce mouvement, se référer à Kawane Yoshiyasu, « Odoshisô to shinbutsu shûgô » (La conception de la « terre royale » et le syncrétisme shinto-bouddhique), dans Yoshiyasu, Kawane, Chûsei hôken shakai no shuto to nôson (Capitale et villages agricoles dans la société féodale médiévale), Tôkyô daigaku shuppankai, 1984.Google Scholar

48. Tasuku, Hayami, « Shinbutsu shûgô no tenkai » (Le développement du syncrétisme shintô-bouddhique), dans Tô Ajia sekai ni okeru Nihon kodaishi kôza (Contributions à l'histoire du Japon ancien dans le contexte de l'Asie orientale), vol. 8, Gakuseisha, 1986.Google Scholar

49. Cf. Yoshie Akio, « Nihon no chûsei shakai to seibatsu… », op. cit.

50. Yoshie Akio, Rekishi no akebono kara…, op. cit.

51. Sur la naissance et le développement du groupe social des guerriers, cf. Toda Yoshimi, « Kokuei gunsei no keisei katei » (Le processus de formation des milices armées provinciales), dans Shoki chûsei shakaishi no kenkyû (Recherches sur l'histoire de la société du premier Moyen Age), Tôkyô daigaku shuppankai, 1991.

52. Kuroda Toshio, « Chûsei shakai ron to hinin » (Les études sur la société médiévale et les hinin), dans Rekishigaku saisei (Le renouveau des études historiques), Azekura shobô, 1984. Voir aussi Miura Tamakazu, « Kinsei mikaizoku buraku seiristu ki no kihonmondai » (Le problème fondamental de la période de la naissance des ghettos de discriminés sous l'ancien régime), dans Rekishi Hyôron, n° 368, 1970.

53. Les fouilles archéologiques récentes montrent, notamment à Mitsuke sur le Tôkaidô ou au gouvernement provincial du Mutsu, qu'à la fin de l'époque de Heian, on se met à construire des cimetières communs qui, tout, en étant proches de la ville, n'en sont pas moins situés endehors d'elle. Cf. l'ouvrage collectif Chûsei no toshi to funbo (Les villes et les cimetières au Moyen Age), Nihon editaa sukuuru shuppanbu, 1988.

54. Akio, Yoshie, « Kokufu kara yadomachi he » (Des chefs-lieux administratifs provinciaux de la période ancienne aux villes d'étape), dans Rekishi to bunka, n” 16, 1988.Google Scholar

55. Cf. l'article de Tanaka Yuko dans cette livraison des Annales.