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Edward Fram, The Codification of Jewish Law on the Cusp of Modernity, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, 325 p.

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Edward Fram, The Codification of Jewish Law on the Cusp of Modernity, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, 325 p.

Published online by Cambridge University Press:  30 December 2024

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Abstract

Type
Mondes juifs médiévaux et modernes (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’ouvrage d’Edward Fram s’attache à expliquer le succès quasi immédiat de la codification de la loi juive rédigée par Joseph Karo et publiée à Venise en deux étapes, dans une version développée tout d’abord (Beit Yossef, 1550-1559), puis sous une forme abrégée (Shulhan Arukh, Table dressée, 1565-1566). Pour ce faire, il retrace la genèse de ce code, restitue ses aspérités et les nombreuses critiques et résistances qu’il a suscitées ; surtout, E. Fram compare les méthodes, le destin éditorial et la renommée du code de Karo avec les entreprises codificatrices contemporaines de Salomon Luria et de Moïse Isserles, deux autres décisionnaires majeurs du xvie siècle. Des trois projets de code, seul celui de Karo devient un succès abouti ; celui de Luria, malgré ses ambitions intellectuelles et méthodologiques, demeure sous forme manuscrite jusqu’au siècle suivant, et Isserles abandonne en chemin la rédaction de son propre code pour se concentrer sur un travail de codification « réactif », à savoir l’écriture de gloses destinées à compléter le code de Karo par l’insertion des usages et traditions halakhiques ashkénazes.

Ces trois importantes figures rabbiniques connaissent des destins fort distincts, en partie imbriqués, comme le sont leurs entreprises codificatrices. Joseph Karo (1488-1575), né à Tolède et encore enfant en 1492, incarne les mobilités juives liées aux expulsions ibériques : il séjourne longuement dans les Balkans à Andrinople avant de s’établir à Safed en Galilée vers 1536, où il est au nombre de ceux qui reçoivent l’ordination rabbinique, institution récemment rénovée. Salomon Luria (1510 ?-1573) a connu une vie marquée, comme pour tant d’autres lettrés et rabbins juifs modernes, par l’itinérance : né à Poznań, il s’établit successivement à Brest-Litovsk dans le grand-duché de Lituanie et à Lublin en Pologne. Moïse Isserles (1520 ?-1572), quant à lui, ne quitte sa ville natale de Cracovie que pour d’exceptionnels déplacements et doit son premier poste rabbinique à la notabilité économique de sa familleFootnote 1.

Une rapide cartographie permet de situer l’ouvrage d’E. Fram à trois échelles de la production historiographique : au sein tout d’abord des publications de son auteur qui poursuit ici la construction d’une œuvre engagée depuis plusieurs décennies, à la lisière entre halakha Footnote 2 et histoire, entre histoire intellectuelle de la halakha dans les livres et histoire socio-économique des Juifs modernes de l’aire ashkénaze. Cette œuvre est fondée sur deux lignes problématiques et heuristiques : éclairer l’interaction entre halakha et transformations sociales, économiques, culturelles d’une part, garder le texte et les sources au centre de la production de l’historien d’autre part. Son premier livre, Ideals Face Reality, portait sur la réactivité et les processus d’adaptation de la norme rabbinique confrontée aux nouvelles réalités économiques et sociales de la vie juive en Pologne aux xvie et xviie siècles (rôle des Juifs dans le système de l’arenda, instruments financiers, commerce de denrées interdites)Footnote 3. Dans My Dear Daughter, E. Fram offrait l’édition et l’analyse d’un guide halakhique écrit en yiddish, formulé pour un auditoire de femmes et qui portait sur le respect des commandements dévolus aux femmes et régissant principalement l’intimité conjugale et la sexualité. Enfin, du côté de la pratique du droit, E. Fram a édité et rédigé l’introduction du journal (hébreu et judéo-allemand) d’un juge du tribunal rabbinique de Francfort, qui restitue la teneur et les procédures relatives aux cas soumis devant le beit din (tribunal rabbinique) de cette villeFootnote 4.

La deuxième échelle de ce cadrage historiographique est le renouveau des études sur Karo et sur la halakha depuis une douzaine d’années. Une partie notable de cette production historiographique échappe au lectorat historien dans son ensemble, car les publications se font souvent en hébreu. L’un des mérites de ce livre est d’ouvrir une fenêtre sur cette historiographie en langue hébraïqueFootnote 5.

Plus généralement enfin, la publication de ce livre s’inscrit dans un courant historiographique aux facettes multiples que l’on pourrait qualifier de « tournant juridique » des études juives et qui renouvelle le regard sur les Juifs et le droit, ce dernier perçu à la fois comme droit dans les livres, droit en action et conscience du droit. Ce « tournant juridique » a ceci de remarquable qu’il est souvent le fait d’historiennes et d’historiens et non plus seulement de juristes, et qu’il se situe en dialogue avec des travaux d’histoire de la halakha, d’anthropologie du droit et d’histoire culturelle. Sans qu’il soit possible de dresser ici même l’esquisse des productions issues de ce « tournant juridique », on peut rappeler que l’impulsion a été donnée par les médiévistes et les « genizah studies », pour se développer ensuite autour de plusieurs pôles, à partir des problématiques de l’histoire des Juifs du Saint-Empire romain germanique, de l’Empire ottoman et de la Méditerranée. L’une des ambitions épistémologiques, qui impose la maîtrise de compétences ardues, est d’araser les barrières entre spécialistes des littératures rabbiniques et praticiens des sciences sociales et historiquesFootnote 6.

The Codification of Jewish Law repose sur trois grandes lignes de force : d’abord une contextualisation serrée indispensable à la compréhension des destinées éditoriales divergentes des trois entreprises resituées dans leurs environnements germano-polonais, ottoman, mais également italien puisque l’imprimé hébreu est avant tout, au xvie siècle, une histoire italienne marquée par les vicissitudes de la réforme catholique ; ensuite le récit de la genèse de ces entreprises codificatrices qui donnent à lire les formes de l’interaction entre lettrés en torah et les figures de la communication au sein d’un monde juif transformé par l’imprimerie, avec ses héros et ses laissés-pour-compte (Luria et Isserles infléchissent et transforment leur production halakhique à la suite de la publication de l’œuvre duelle de Karo entre 1550 et 1565) ; enfin l’analyse comparée et systématique des méthodes de codification des trois auteurs cités, construite pas à pas et nourrie d’un vivier de cas, démarche qui ouvre aux lectrices et lecteurs non férus de droit juif et de littérature rabbinique autant de fenêtres sur la loi juive en action et sur sa construction.

E. Fram revient en introduction sur les sources de la loi juive et insiste sur la spécificité de la figure du codificateur, dont la posture et les modes de justification se distinguent de ceux du commentateur ou du décisionnaire (responsa), et sur les entreprises antérieures de codification : le compendium halakhique d’Isaac al-Fasi (xie siècle) et le Mishné Torah de Moïse Maïmonide en offrent deux déclinaisons différentes, le premier proposant un digeste des lois tirées du Talmud selon l’ordre de ce dernier et le second un code organisant la loi sur un mode systématique, thématique et débarrassé de références dont l’ambition affichée est de rendre superflu le recours au Talmud et autres textes de la loi orale. La réception du Mishné Torah est limitée car celui-ci n’inclut pas les traditions ashkénazes médiévales (Rachi et ses disciples). Si le modèle maïmonidien est fondamental pour Karo, c’est à un autre code, le Tur (ou Arba’a Turim, Quatre Colonnes), qu’il reprend strictement la matrice et l’organisation quadripartite, d’usage « intuitif » par sa simplicité comme le souligne E. FramFootnote 7. Le Tur, rédigé dans la péninsule Ibérique au xive siècle par Jacob ben Asher, fait le lien entre les mondes ibérique et ashkénaze, car l’auteur intègre les traditions franco-rhénanes apportées depuis les terres germaniques par son pèreFootnote 8.

Pour comprendre l’entreprise de Karo et son succès, il faut souligner que le code du Shulhan Arukh de 1565-1566 est adossé à son grand œuvre, le Beit Yossef, publié entre 1550 et 1559 : alors que le Beit Yossef présente chaque loi avec ses sources et débats dans le Talmud chez les commentateurs et codificateurs médiévaux et modernes, le Shulhan Arukh en est une réduction, un digeste élagué des notes et sources, un manuel didactique destiné aux « jeunes étudiants » qui souhaitent apprendre la loi ou à ceux qui voudraient la réviser, selon les termes de Karo en introduction.

L’ouvrage d’E. Fram comprend cinq chapitres : le premier est consacré au contexte de rédaction et de publication du Shulhan Arukh ainsi qu’aux choix méthodologiques de codification définis par Karo ; les chapitres 2 et 3 sont centrés sur Luria, rapportant les raisons historiques de l’insuccès de son code ; le chapitre 4 présente l’évolution du projet codificateur de Isserles, qui abandonne son ambition d’un grand code pour se faire glossateur de Karo et de sa méthode ; dans le dernier chapitre, E. Fram choisit des exemples tirés des lois sur les interdits et pratiques alimentaires afin d’illustrer les différences de méthode entre les trois codificateurs pour parvenir à la formulation de la loi, et prendre la mesure de l’incidence de ces modalités sur leur créativité légale.

E. Fram arrime la production et la réception de ces œuvres halakhiques à trois phénomènes majeurs du xvie siècle : l’histoire de l’imprimerie hébraïque, les ondes de choc impulsées depuis la péninsule italienne par la politique pontificale de contrôle et de répression des livres hébreux et, enfin, la pertinence du format du code dans un monde juif et méditerranéen profondément recomposé et éclaté à la suite des vagues d’expulsions de la fin du xve et du début du xvie siècle. Avec cette étude, E. Fram écrit tout d’abord un chapitre important de l’histoire de l’imprimé hébreu, en montrant comment les stratégies éditoriales, ou leurs empêchements, dessinent les destinées de ces entreprises codificatrices : ainsi Karo choisit-il non seulement d’emprunter la structure du Tur, mais aussi de présenter son Beit Yossef comme un commentaire suivi de ce dernier, dès la première édition de 1550. E. Fram souligne que ce choix de mise en page et cette signalisation qui font apparaître le Beit Yossef comme un simple commentaire ont pour effet de relancer la renommée du Tur et d’asseoir celle de Karo. Cette publication « jointe » est un succès immédiat. À son tour, le succès de la publication du Beit Yossef puis de son digeste, le Shulhan Arukh, dont l’importance ne peut être ignorée, influence explicitement les choix de méthode et les desseins codificateurs de Isserles : ce dernier abandonne son ambition de rédiger un grand code pour se faire glossateur de Karo et porter au cœur du texte les traditions juridiques et les coutumes ashkénazes, et parfois aussi sa défiance envers celui qu’il glose. E. Fram suit pas à pas l’histoire de la mise en page – fondamentale, car elle fait le texte. Isserles publie en 1569 ses gloses sur une section du Shulhan Arukh relative aux lois de pureté rituelle sous forme de notes en marge du texte de Karo. Dès le début des années 1570, l’édition parue à Cracovie fait passer ces gloses des marges au centre du texte, les signalant par des parenthèses ou par le terme hébreu pour dire « gloses » ; elles en deviennent ainsi la partie intégrale et « créent » l’œuvre composite à quatre mains, désormais pertinente et recevable dans l’ensemble du monde juif ashkénaze et séfarade. Isserles lui-même décrit son œuvre comme une « nappe » (mappah) étendue sur la Table dressée de Karo. En faisant l’histoire de la page de ce code, E. Fram déconstruit l’évidence des habitudes du lecteur et restitue à l’histoire matérielle de l’imprimé et aux choix faits dans l’atelier de l’imprimeur toute leur importance.

Un autre élément fondamental pour comprendre le destin de ces codes peut être vu dans la politique de répression et de contrôle des livres hébreux en Italie qui se met en place sous les papes Paul III et Paul IV avec l’instauration de l’Inquisition romaine (1542), le brûlement du Talmud commencé à Rome et à Venise à l’automne 1553, la création de l’Index (1559) et la mise en place de la censure des livres hébreux. Ces actions répressives touchent l’ensemble du monde juif, car Juifs ashkénazes et Juifs en terre d’islam dépendent des presses italiennes : par leur structure largement thématique et étrangère à celle du Talmud, le Beit Yossef et le Shulhan Arukh échappent en bonne part à la politique pontificale d’interdiction du Talmud, offrant aux étudiants une alternative pour l’accès aux sources et leurs discussions. E. Fram souligne que le Shulhan Arukh est l’un des tout premiers livres hébreux parus avec l’approbation de la censure. À rebours, il en mesure l’influence sur l’œuvre de Luria, Yam shel Shelomo, dont la structure épouse l’ordre du Talmud et qui se retrouve – pour son infortune – en position d’être imprimée au moment même où se mettent en place condamnation et interdiction du Talmud.

Si l’accès au texte des œuvres halakhiques analysées par E. Fram demeure réservé aux lecteurs hébraïsants et formés à la littérature rabbiniqueFootnote 9, l’auteur permet au lectorat non spécialiste de saisir les principes fondateurs des méthodologies respectives élaborées par les trois codificateurs, illustrées de nombreux exemples. Pour chacun, il définit la place accordée aux règles et aux concepts partagés – décider la loi en accordant la prééminence à l’autorité la plus récente (hilkheta ke-batra’y), prendre en considération les dommages financiers potentiels, la place des coutumes, suivre la majorité des avis, etc. – tout en indiquant clairement ce qui distingue chacun des trois codificateurs dans l’usage et la mesure de ces catégories. E. Fram rapproche de façon inédite au fil de son analyse ces catégories et concepts des modalités codificatrices et jurisprudentielles retenues par les juristes en droits romain et islamique.

La méthode de codification de Karo pour décider de la loi au vu de la diversité des opinions, depuis le Talmud jusqu’à son temps, est de s’appuyer sur trois figures choisies, Alfasi, Maïmonide et Asher ben Yehiel, en appliquant la règle de la majorité. L’originalité n’est pas tant la règle de la majorité présente dès le Talmud, que le choix de limiter son « panthéon des autorités » (p. 55) aux trois auteurs précités. Cependant, pour idiosyncratique qu’elle soit, cette méthode n’est utilisée que pour une partie des lois énoncées par Karo, et d’autres principes guident également son travail, tels ceux de l’autorité reconnue aux auteurs les plus récents, du raisonnement ou de la tendance à opter pour la voie la plus stricte en cas de doute. E. Fram met en lumière les implications de ces choix méthodologiques, qui donnent la primauté aux autorités séfarades – d’autant plus que Maïmonide est à considérer comme un disciple éloigné d’Alfasi –, écartent les commentaires au profit des codes et réduisent largement le poids de Rachi et de l’école des tossafistes, prééminents dans la cartographie des autorités reconnues dans le monde ashkénaze.

Isserles, quant à lui, met en œuvre une méthodologie codificatrice fondée sur un arsenal de principes sensiblement différents de ceux retenus par Karo : critique à l’égard de la règle majoritaire telle que Karo l’utilise, il se montre soucieux d’intégrer les commentateurs décisionnaires classiques du monde ashkénaze (tossafistes ou plus récents, tel Israel Isserlein) ; il s’appuie bien plus que Karo sur le principe de l’autorité supérieure reconnue aux décisionnaires les plus récents, sur les coutumes (minhagim) ancrées en monde ashkénaze et sur l’opinion commune des décisionnaires, et retient la voix la plus stricte comme un « idéal de fonctionnement » (p. 235). Néanmoins, en cas de doute, ou de dommages financiers importants, la voie de la clémence peut être retenue.

Luria, s’il ne néglige ni les précédents, ni la tradition reçue des usages, ni la règle de la majorité, opte pour une solution entièrement différente, éloignée à la fois de la méthode Karo et de l’éventail des règles prisées par Isserles : il part systématiquement de la formulation talmudique et suit le fil des discussions développées par les commentateurs et décisionnaires, examinant le mérite des arguments avant de formuler sa conclusion. E. Fram souligne que la part de la créativité halakhique se trouve ainsi accrue par l’importance accordée au raisonnement du décisionnaire. Il ne cache pas son admiration pour la démarche intellectuelle critique de Luria : « Luria fut celui qui maintint l’idéal ashkénaze, en reconnaissant pleinement les exigences qu’il imposait au codificateur. C’était une voie ardue, mais elle offrait des possibilités de créativité que ne pouvaient pas connaître ceux qui étaient liés par des règles de prises de décision, car ils étaient dépendants de l’opinion des autres » (p. 277).

E. Fram multiplie les vignettes illustrant les chemins qui mènent chacun des codificateurs à la décision, comme dans l’exemple suivant : à propos de l’examen des poumons après abattage rituel, examen nécessaire pour déclarer un animal sain et apte à être consommé, il rapporte le cas d’une bête pour laquelle le lobe secondaire du poumon droit est soit manquant soit dédoublé. Les avis des commentateurs médiévaux sont partagés sur la question : Karo a connaissance de ce débat ashkénaze, rapporté par le Tur, mais ne s’aventure pas à le discuter, parvenant aisément à une conclusion par sa règle de la majorité au sein du « triumvirat judiciaire » (p. 55) des auteurs mentionnés plus haut ; Isserles suit l’avis du manuel de cashrout de Jacob Weil (xve siècle) qui atteste l’usage des Ashkénazes ; Luria reprend la discussion ab initio et se range à l’avis de Rachi, tout en reconnaissant la force de la coutume sur ce point.

Le paradoxe du succès du Shulhan Arukh, comme l’établit E. Fram, est qu’il a suscité de multiples commentaires et publications critiques qui, loin de l’affaiblir, ont renforcé sa canonisation en étant intégrés à la page imprimée. La conversation halakhique, bien loin de s’arrêter à celle menée par Luria et Isserles, se poursuit avec assiduité au cours des deux siècles suivants : la critique et la déférence donnent naissance à une série de commentaires d’auteurs désignés comme les « porteurs d’armes » (Nossei kelim), les défenseurs – et parfois détracteurs – du texte, qui amènent une seconde phase de canonisation du Shulhan Arukh Footnote 10. Dans la dernière phrase de son livre, « Le monde de la loi juive se déplaçait vers les marges du Shulhan Arukh », E. Fram résume la tension entre code et commentaire, l’une des dynamiques majeures de l’élaboration de la halakha, de l’Antiquité jusqu’aux temps modernes.

References

1. Dans le monde des études traditionnelles et de la littérature rabbinique, ces auteurs sont généralement désignés par leurs surnoms honorifiques : pour Karo, Maran, de l’araméen, « notre maître » ou Ha-Mekhaber, « l’Auteur » ; pour Luria et Isserles, par leurs acronymes hébreux respectifs, Maharshal et Rema.

2. Le terme hébreu halakha, souvent rendu de façon imprécise par l’expression « loi juive », se traduit mieux en français, me semble-t-il, par « norme rabbinique » : ce choix évite toute représentation de la loi juive comme un système figé, reflète les possibles évolutions et porte l’écho du sens littéral d’un substantif issu de la racine verbale hébraïque « aller » en même temps qu’une injonction à suivre la voie dans laquelle il faut aller (comme c’est le cas pour la Shariah en Islam) ; c’est la traduction que prescrivait en son temps le talmudiste Charles Touati (1925-2003) à ses étudiants de la section d’études religieuses de l’École pratique des hautes études.

3. Edward Fram, Ideals Face Reality: Jewish Law and Life in Poland, 1550-1655, Cincinnati, Hebrew Union College Press, 1997.

4. Id., My Dear Daughter: Rabbi Benjamin Slonik and the Education of Jewish Women in Sixteenth-Century Poland, trad. par E. Fram et A. Romer Segal, Cincinnati, Hebrew Union College Press, 2007 ; id., A Window on Their World: The Court Diaries of Rabbi Ḥayyim Gundersheim, Frankfurt am Main, 1773-1794, Cincinnati, Hebrew Union College Press, 2012. E. Fram est le maître d’œuvre d’une base de données d’accès libre sur les responsa de l’espace ashkénaze moderne : « Rabbinic Sources for the Study of Jewish History in Eastern Europe to the Mid-Seventeenth Century », bibliothèque de l’université Ben Gurion du Néguev, https://libguides.bgu.ac.il/guide_jewish_history/rabbinic_Sources [hébr.].

5. Parmi les productions et auteurs significatifs, citons : Roni Weinstein, Joseph Karo and Shaping of Modern Jewish Law: The Early Modern Ottoman and Global Settings, Londres, Anthem Press 2022, avec le compte rendu de cet ouvrage par Pierre Savy dans le présent numéro des Annales, p. XXX-XXX ; Tirza Y. Kelman, « ‘I Shall Create Halakhic Ruling… For That Is the Objective’: The Dimension of Halakhic Ruling in Joseph Karo’s Beit Yosef » [Hébr.], thèse de doctorat, Beer-Sheva, université Ben Gurion du Néguev, 2018 ; Maoz Kahana, « A Universe of Words: Rabbi Yosef Karo’s Self-Perception as a Halakhic Codifier » [Hébr.], Jewish Law Annual, 30, 2020, p. 79-127. Sur le lien entre kabbale et halakha, voir Julien Darmon, La loi du secret. La kabbale comme source de halakha chez R. Joseph Caro et les décisionnaires ultérieurs, Paris, Honoré Champion, 2017.

6. Verena Kasper-Marienberg et Edward Fram, « Jewish Law in Non-Jewish Courts: A Case from Eighteenth-Century Frankfurt at the Imperial Aulic Council of the Holy Roman Empire », Max Planck Institute for Legal History and Legal Theory Research Paper Series, 21, 2022, https://dx.doi.org/10.2139/ssrn.4245608 ; Karl Härter, « The Early Modern Holy Roman Empire of the German Nation (1495-1806): A Multi-Layered Legal System », in J. Duindam et al. (dir.), Law and Empire, vol. 3, Ideas, Practices, Actors, Leyde, Brill, 2013, p. 111-131 ; Jay R. Berkovitz, « Reconsidering Early Modern Jewry: Reflections on the Methodology of Legal History », Jewish History, 37, 2024, p. 209-257 ; id., Law’s Dominion: Jewish Community, Religion, and Family in Early Modern Metz, Leyde, Brill, 2020 ; Jessica M. Marglin, Across Legal Lines: Jews and Muslims in Modern Morocco, New Haven, Yale University Press, 2016 ; Tamara Morsel-Eisenberg, « Anxieties of Transmission: Rabbinic Responsa and Early Modern ‘Print Culture’ », Journal of the History of Ideas, 82-3, 2021, p. 377-404 ; Zev Eleff, Roberta Rosenthal Kwall et Chaim Saiman (dir.), The Oxford Handbook of Jewish Law, Oxford Academic, 23 janv. 2024, https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780197508305.001.0001. S’il concède aux historiens et historiennes une place limitée, ce dernier ouvrage est une somme historiographique à jour. Pour un exemple récent de l’apport des médiévistes, voir Pinchas Roth, In This Land: Jewish Life and Legal Culture in Late Medieval Provence, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 2021.

7. La première partie, « Orah Hayim », traite des lois relatives à la prière, au shabbat et aux fêtes ; la deuxième, « Yoreh Deah », des lois alimentaires, de la conversion, du deuil, de la menstruation ; la troisième, « Even Haezer », du mariage et du divorce ; et la quatrième, « Hoshen Mishpat », du droit civil et du tribunal rabbinique.

8. Sur le rapport des « codes » halakhiques aux textes antérieurs et leur diversité structurelle, voir Tirza Y. Kelman, « How Do the Codes Read Earlier Rabbinic Texts? », in Z. Eleff, R. Rosenthal Kwall et C. Saiman (dir.), The Oxford Handbook of Jewish Law, Oxford Academic, 23 janv. 2024, https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780197508305.013.5.

9. Il n’existe pas à ce jour de traduction complète du Shulhan Arukh. Une traduction partielle est disponible sur Sefaria : https://www.sefaria.org/texts/Halakhah/Shulchan%20Arukh.

10. Noam Samet, « How Did the Nos’ei Kelim (‘Arms-Bearers’) Read Shulhan Arukh? », in Z. Eleff, R. Rosenthal Kwall et C. Saiman (dir.), The Oxford Handbook of Jewish Law, Oxford Academic, 23 janv. 2024, https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780197508305.013.6.