Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
L'histoire est un roman vrai.
Paul VeyneLorsque l'abbé Mably, dans un ouvrage publié en 1783, parle de « ces historiens grossiers qui bonnement mettent au bas des pages, en guise de notes, ce qu'ils n'ont pas l'art d'enchâsser dans leur narration », il insiste, en admirateur de l'histoire classique, sur un double fait, occulté depuis presque deux siècles par les productions de l'histoire scientifique : l'histoire est un récit ; de son organisation dépend le sens donné aux événements. Aussi, s'interroger « sur les capacités démonstratives de l'histoire et, inséparablement, sur son écriture » réclame, croyons-nous, l'aide des modes d'analyse du récit car une part des méthodes de preuve se loge et se dissimule dans la trame narrative et les procédés de composition.
The article proposes to analyse the fictional aspects in history writing. Indeed, history doesn't borrow from fiction its compositional techniques only; the discursive strategy which consists in narrating a story is in fact part of historical knowledge as such. A study of Cambysis's biography in Herodotus (11,1-111,66) leads us to grant a very specific function to Book II dealing with Egypt—nearly always considered as some sort of useless overgrowth—and to the “secondary remarks” concerning the Greek world (111,38, 39-60). Setting the Egyptian civilization as a foil enables Herodotus to establish a parallel between expansionist ideas and folly and he includes the Greeks in a plot itself critical of helleno-centric ideology. Our methodological approach owes as much to Ricœur's hermeneutics, as to H. R. Jauss's esthetics of reception and to the various streaks of narratology (narrative syntax and “mise en abîme”), with a view to showing that, once replaced in its “Erwarthunghorizonte”, the form of the historical narrative makes full sense.
* Je tiens à remercier chaleureusement Nicole Loraux et Michel Nouhaud qui ont accepté de relire ce travail et m'ont dispensé leurs conseils.
1. Mably, Gabriel Bonnot De, De la manière d'écrire l'histoire, 1783 ; extraits : « L'historien, le romancier, le poète », Poétique, 49, 1982, p. 12.Google Scholar
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4. Mably, extraits cités, p. 11. Sur ce problème et le débat au xvme siècle entre historiens érudits amateurs d'antiquités et historiens philosophes, voir Momigliano, A., « La contribution de Gibbon à la méthode historique », Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, Paris, Gallimard, 1983, pp. 321–339.Google Scholar
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7. Certeau, M. De, « L'opération historique », Faire de l'histoire, t. I, Paris, Gallimard, 1974, p. 37 Google Scholar : « La place qu'on accorde à la technique verse l'histoire du côté de la littérature ou du côté de la science », et Jauss, H. R., Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p. 100 Google Scholar : « On pourrait décrire l'évolution de la narration historique depuis l'Antiquité comme un processus alternatif de rapprochement et d'éloignement de la forme littéraire ».
8. P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 38.
9. P. Ricoeur, Temps et récit III, p. 271.
10. Adam, J.-M., Le texte narratif, Paris, Nathan, 1985, p. 6 Google Scholar, ainsi que P. Ricoeur, op. cit., p. 270.
11. J.-M. Adam, op. cit., p. 13.
12. Les règles du récit dégagées par la narratologie ne sont pas universelles, mais appartiennent sûrement en propre à l'aire indo-européenne. Pour les différences avec l'aire amérindienne, par exemple, voir J.-M. Adam, op. cit., pp. 67-68 et Vernant, J.-P., « Le tyran boîteux : d'Œdipe à Périandre », dans Vernant, J.-P. et Vidal-naquet, P., Mythe et tragédie Deux, Paris, La Découverte, 1986, p. 46.Google Scholar Dans le même esprit, voir P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 63.
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14. L'historien du ve siècle grec éprouve ces remarques à chaque instant, lui pour qui l'événement des guerres médiques coïncide presque exclusivement avec le récit des Histoires d'Hérodote, ou qui, pour suivre la guerre du Péloponnèse est prisonnier de la vision unitaire que lui confère la narration thucydidéenne et qui ne fut sûrement pas celle des contemporains.
15. J.-M. Adam, Le texte narratif, p. 3.
16. Loraux, N., L'invention d'Athènes. Histoire de l'oraison funèbre dans la « cité classique », Paris-La Haye, Mouton éditeur, 1981, p. 11.Google Scholar
17. P. Ricoeur, « L'histoire comme récit », La narrativité, pp. 20-21.
18. P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 23, ainsi que Genette, G., Figures III, Paris, Éditions du Seuil, 1972, pp. 78 Google Scholar, 122-138.
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23. Sur la biographie archaïque, voir F. Lasserre, « L'historiographie grecque à l'époque archaïque », Quaderni di Storia, IV, 1976, pp. 119, 127-133 ; A. Momigliano, Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, pp. 104-119, notamment pp. 108-109 ; F. Hartog, op. cit., p. 14 ; C. Darbo-peschanski, op. cit., pp. 78-79.
24. Sur les rapports d'Hérodote avec la science ionienne et avec Hécatée, voir Ch. Froidefond, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d'Homère à Aristote, Aix-en- Provence, Ophrys, 1971, pp. 121-129, ainsi que Ph.-E. Legrand, Notice, Livre III, pp. 21-25 et F. Lasserre, article cité, pp. 115-118.
25. Le concept d'horizon d'attente forgé par H. R. Jauss révèle ici toute sa fécondité car il permet de concilier la notion classique de sources, qui garde sa pertinence pour la littérature antique « dont l'imitation est un des ressorts », et l'idée plus récente d'intertextualité.
26. H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, pp. 245, 251. Sur tous ces problèmes, nous ne pouvons ici qu'exposer trop brièvement à tout le moins une méthode, sinon les résultats d'une recherche en cours.
27. Sur cette notion et son utilisation dans le domaine historique, nous nous référons à G. Duby, « Histoire sociale et idéologie des sociétés », Faire de l'histoire, t. I, pp. 205-212, et aux précisions de N. Loraux, L'invention d'Athènes, pp. 335-338.
28. Eschyle, Les Perses, v. 73-75, 102-107, 161-164, 550-554, 922-930…
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30. Ch. Froidefond, Le mirage égyptien, p. 206.
31. Ph.-E. Legrand, Notice, Livre III, pp. 12, 16-18.
32. Cagnazzi, S., « Notizia di 28 logoi di Erodoto », Annali délia Facoltà di Lettere et Filosofia, Université de Bari, XVI, 1973, p. 93 Google Scholar, découpe ce récit en cinq unités et en exclut les derniers sur la fin de Cambyse. Les critères retenus ne sont pas décisifs et morcellent la cohérence de la biographie, au moins assurée par la présence de Cambyse.
33. Sur les difficultés à user du terme de lôgos pour désigner des ensembles formels, voir Immerwahr, H. R., Form and Thought in Herodotus, Cleveland, Press of Western University, 1966, p. 14.Google Scholar
34. Propp, V., Morphologie du conte, Paris, Éditions du Seuil, 1970 Google Scholar et Lévi-Strauss, Cl., « La structure et la forme. Réflexions sur un ouvrage de Vladimir Propp », Anthropologie structurale Deux, Paris, Pion, 1973, pp. 139–173.Google Scholar
35. Brémond, Cl., « La logique des possibles narratifs », Communications, 8, 1966, rééd. 1981, pp. 66–82 Google Scholar, Logique du récit, Paris, Éditions du Seuil, 1973 ; Greimas, A. J., Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966 Google Scholar, nouvelle édition, Paris, PUF, 1986 ; Larivaille, P., « L'analyse (morpho)logique du récit », Poétique, 19, 1974, pp. 368–386.Google Scholar
36. P. Larivaille, article cité, p. 387 pour le schéma, qui distingue : un état initial ; une transformation correspondant à un bouleversement de cet état d'équilibre ; l'action centrale et ses nombreuses péripéties ; une force équilibrante, souvent en rapport de symétrie avec la deuxième étape et qui ramène le héros dans son univers ; un état final, nouveau moment d'équilibre. L'auteur précise, p. 385 : « l'acte de raconter — la prise en charge d'un segment existentiel qu'opère le récit — est un acte déformant, qui sélectionne, occulte, distend plus ou moins sa “ matière ” (…) ; [il est] avant tout (ré)organisation par la parole ou l'écriture, à l'aide de techniques variables, en fonction de mobiles — conscients ou non — variables ». Voir également A. Rigney, « Du récit historique », p. 270.
37. P. Ricoeur, « Récit fictif, récit historique », La narrativité, p. 251. Voir également, dans le même recueil, la discussion de l'apport de Propp, pp. 29-33, du schéma actantiel de Greimas, pp. 33-36 et du traitement achronique des fonctions, pp. 36-38 ; analyses remises sur le métier dans Temps et récit II. La configuration du temps dans le récit de fiction, Paris, Éditions du Seuil, 1984, pp. 55-91.
38. Sur tous ces points et l'apport inestimable des travaux de P. Ricoeur, nous ne pouvons ici qu'être trop rapide. Un de ses grands mérites, à nos yeux, est non de récuser en bloc tel ou tel apport théorique, mais de l'approfondir et de l'infléchir au sein d'un vaste projet ; voir par exemple la discussion de Logique du récit de Cl. Brémond dans « Récit fictif, récit historique », pp. 251-271.
39. J.-M. Adam, Le texte narratif, p. 79.
40. Sur cette impossibilité, voir l'analyse de P. Ricoeur, « Le récit de fiction », La narrativité, p. 45.
41. P. Ricoeur, « Récit fictif, récit historique », p. 264.
42. Sur les débats suscités par la place et l'étendue du livre II, la prétendue « barbarophilie » d'Hérodote et son voyage en Egypte, voir le bilan de Ch. Froidefond, Le mirage égyptien, pp. 115-118.
43. Sur les formes multiples que prend la mise en abîme, voir Dàllenbach, L., Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abîme, Paris, Éditions du Seuil, 1978 et l'analyse de III, 39–60.Google Scholar
44. Hérodote, II, 104 : « Manifestement, en effet, les Colchidiens sont de race égyptienne (phainontai mèn gar éontes hoi Kolchoi Aigyptioi) ».
45. Précisons que ce récit est tout entier organisé autour de ces deux chapitres en une composition annulaire qui se superpose au schéma quinaire.
46. L'autre exemple le plus visible dans les Histoires, mais non le seul, est le lôgos scythe (IV, 2-82) à l'intérieur du récit de la campagne de Darius (IV, 1-144).
47. F. Hartoo, « Les Grecs égyptologues », Annales ESC, 1986, 5, pp. 955-956, et C. Darbo-peschanski, Le discours du particulier, pp. 110-111. L'enquête mériterait d'être affinée sur ce problème du comparatisme ; les points de comparaison avec les Grecs sont deux fois plus nombreux qu'avec tous les autres peuples réunis : voir, par exemple, pour les Grecs, II, 4,7, 10, 13, 15,29,41,43,49,79,80,91,92,97, 109, 123, 145, 148, 177…, et pour les Barbares, II, 11, 12, 20, 26, 30, 33-34, 79, 104, 105…
48. Voir, entre autres passages, Hérodote, II, 4 (sur l'usage de noms pour les dieux) ; II, 15 (” je pense que [les Égyptiens] existèrent de tout temps, depuis les origines de la race des hommes ») ; II, 28 (Hérodote conclut ainsi son exposé sur les crues du Nil : « Qu'il en soit de ces choses comme il en est et en a été de tout temps ») ; II, 123 (sur l'immortalité de l'âme), ainsi que l'épaisseur temporelle qui ressort de la succession régulière des rois dans la seconde partie du livre (II, 99-182), notamment dans l'allusion à 330 rois (II, 100).
49. Sur la stylisation de la nature dans le livre II et ses rapports avec la géographie et la science ioniennes, voir Ch. Froidefond, Le mirage égyptien, pp. 125-127.
50. Hérodote, II, 2, 49-53, 54-57, 58, 82, 91.
51. Voir les remarques de H. R. Immerwahr, Form and Thought in Herodotus, p. 98, et de F. Hartog, « Les Grecs égyptologues », p. 954.
52. Hérodote, II, 16 ; IV, 36-45. Sur l'Egypte terre « dans l'entre-deux de l'Asie et de la Libye », voir les belles analyses de F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, p. 36.
53. Hérodote, II, 97 : « Quand le Nil a inondé le pays, les villes seules apparaissent au-dessus de l'eau, faisant à peu près le même effet que les îles dans la mer Egée ; le reste de l'Egypte devient une mer, les villes seules émergent (ta mèn gar alla tes Aigypton pélagos ginetai, hai de polies mounai hypèréchousi) », mais aussi II, 92, 108, 138, 140, 156… Il faudrait analyser également le jeu des métaphores car il nous ramène vers une autre forme d'insularité : le nomadisme scythe ; or avec Darius et les Scythes, nous ne sommes pas non plus très loin des Grecs.
54. Sur ce dernier point, voir Ch. Froidefond, Le mirage égyptien, p. 129.
55. Sur l'inversion, dont il faudrait étudier aussi la composante anthropologique, voir Ch. Froidefond, op. cit., pp. 129-133 et F. Hartog, « Les Grecs égyptologues », p. 955.
56. Sur cette longueur inhabituelle et son rapport avec la notion de « merveille (thôma) », voir Hérodote, II, 35 et F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, p. 226.
57. Les exemples de ces glissements sur un mot abondent : II, 48-49, 85-86, 92-93, 94-95… Sur la métonymie, voir J.-M. Adam, Le texte narratif, p. 120.
58. Ph.-E. Legrand, Notice, livre II, p. 42.
59. Sur les liens entre thôma, digression et inversion, voir F. Hartog, op. cit., p. 246.
60. Ce qui accentue l'autonomie fictionnelle de la biographie.
61. Hérodote, I, 201-216 ; IV, 1-144 ; VI, 43-140 ; VII-VIII-IX. En l'état actuel de nos recherches, nous pouvons avancer, au moins à titre d'hypothèse, qu'Hérodote parle aussi pour la thalassocratie athénienne et les menées impérialistes de la cité contre les insulaires. Postuler l'unité de l'oeuvre, c'est aussi compter sur « un effet de lecture globale, reliant ce qui est épars, lisant simultanément le successif ou circulairement le linéaire » ; voir Rousset, J., « Les réalités formelles de l'oeuvre », Les chemins actuels de la critique, Paris, UGE, 1968, p. 95.Google Scholar
62. P. Larivaille, « L'analyse (morpho)logique du récit », p. 379.
63. Sur cette question, que nous aborderons dans une approche ethnologique de l'hellénocentrisme, voir Groten, F. J., « Herodotus'Use of Variant Versions », Phoenix, 17, 1963, pp. 79–87.CrossRefGoogle Scholar
64. Hérodote, III, 7-8 : « Les Arabes respectent leurs engagements autant que ceux des hommes qui les respectent le plus ».
65. Adam, J.-M., Le récit, Paris, PUF, 1986, p . 105 Google Scholar, parle à ce propos d'« ouverture dialogique du récit ».
66. Hérodote, III, 11 : « On amena ensuite les enfants l'un après l'autre, et on les égorgea audessus du cratère ; quand tous les enfants à tour de rôle eurent été égorgés, on versa dans le cratère du vin et de l'eau ; tous les auxiliaires burent du sang ». Voir les analogies avec I, 74 ; IV, 64, 70, et Ph.-E. Legrand, livre III, p. 44, n. 3.
67. La première phrase de la troisième étape montre bien que Cambyse en restera toujours au niveau superficiel de ses actes, sans se rendre compte que ses actions folles sont en décalage avec son dessein conscient : « De Memphis, Cambyse se rendit à la ville de Sais, dans l'intention de faire ce qu'il fit en réalité (bouloménospoièsai ta de kai époièsé) » (III, 16).
68. Hérodote, III, 20-24. Le fait qu'Hérodote fasse de ces Éthiopiens une approche mythique, non ethnographique, montre la valeur particulière de ce bref épisode. Voir Lonis, R., « Les trois approches de l'Éthiopien par l'opinion gréco-romaine », Ktèma, 6, 1981, pp. 76–77.Google Scholar
69. Hérodote, III, 21. Le roi des Éthiopiens Longue-vie fait partie de cette série de rois barbares, habitant les marges du monde, qui donnent toujours une leçon de sagesse aux conquérants. Hérodote a déjà présenté Tomyris, reine des Massagètes, contre Cyrus (I, 206) et développera davantage encore le rôle du scythe Idanthyrse contre Darius (IV, 120, 126, 127).
70. L'enclenchement du processus des épreuves qualifiante et principale est rigoureusement parallèle : là il veut outrager la momie d'Amasis (III, 16), ici il s'en prend au dieu Apis (III, 27-29). Un même échec sanctionne ces deux tentatives ; la momie résiste : « le corps, étant momifié, résistait (anteiché) et ne se laissait pas entamer » (III, 16) ; Apis, lui, est seulement blessé : « voulant frapper Apis au ventre, il le blessa à la cuisse » (111, 29).
71. Hérodote insiste sur la répétition et l'énumération : « Cambyse fut pris de folie (…). D'abord (Kaiprôta mèn)… » (III, 30). « En second lieu (Deutéra dé)… » (III, 31).
72. Les analogies entre les impiétés commises aux chapitres 16, 27-29 et 37 soulignent encore la cohérence de la folie qui inspire les actions de Cambyse, d'un point de vue narratif.
73. H. R. Immerwahr, Form and Thought in Herodotus, pp. 21-22 et 99-101, fait se terminer en III, 38 le logos de Cambyse, et rattache les chapitres 61-66, par-delà la parenthèse grecque de III, 39-60, à un récit qu'il intitule « la révolte des mages » et qui expliquerait l'accession de Darius au pouvoir. Mais, à l'endroit où il coupe le récit, la destinée du héros Cambyse n'est pas achevée et c'est sa mort qui clôt le lôgos, avant que Darius ne prenne sa place dans le récit.
74. Sur le problème du faux héros dans la syntaxe narrative, voir J.-M. Adam, Le texte narratif, pp. 85, 92.
75. Hérodote, III, 64 : « Alors, entendant le nom de Smerdis, Cambyse fut frappé par la vérité de ces paroles et par celle du songe, lui qui avait cru voir dans son sommeil quelqu'un lui annoncer que Smerdis, assis sur le trône royal, touchait le ciel de sa tête ».
76. Ph.-E. Legrand, livre III, p. 84, n. 3.
77. Hérodote, III, 66 : « Les Perses, lorsqu'ils virent le Roi sangloter, déchirèrent tout ce qu'ils avaient sur eux de vêtements et se livrèrent à des gémissements infinis ».
78. Les découpages du texte effectués par Ph.-E. Legrand, Notice, livre III, pp. 11-18 ou par A. Barguet, Paris, Éditions de la Pléiade, pp. 46-47, sont un obstacle à une compréhension de la logique narrative ou même à une simple lecture du texte comme récit. Ils introduisent la juxtaposition, l'accumulation là où elles ne sont pas.
79. P.Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 67, et P. Ricoeur, Temps et récit I, Paris, Éditions du Seuil, 1983, p. 11.
80. A. Momigliano, Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, pp. 108-109.
81. Un détail, relevé par H. R. Immerwahr, Form and Thought in Herodotus, p. 168, est révélateur : au lieu de produire un successeur, un fils, Cambyse fait périr les enfants. L'épisode le plus net est le meurtre, en III, 35, du jeune fils de Préxaspe (pour d'autres références, voir ibid., p. 168, n. 3). Voir également C. Darbo-peschanski, Le discours du particulier, pp. 176-177. Périandre manifeste les mêmes intentions dans la parenthèse grecque (III, 51-53).
82. H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, p. 51.
83. Nous sommes assez proches des analyses de H. R. Immerwahr, op. cit., pp. 325-326, et de sa notion de « necessary limit in history ». Mais il exclut les Grecs et singulièrement Athènes (p. 326) de cet « ordre caché » qui sous-tendrait l'oeuvre. Par là, il réintroduit la distinction entre Grecs et Barbares sous une forme trop manichéenne (voir ibid., pp. 44-45).
84. Laurot, B., « Idéaux grecs et barbarie chez Hérodote », Ktèma, 6, 1981, p. 41 Google Scholar et F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, pp. 337, 342-343, notamment n. 5 : « si le Cambyse d'Hérodote est fou, il n'est pas du tout prouvé que le “ Cambyse historique ” ait été fou ».
85. Hérodote, II, 175 notamment et Plutarque, De Herodoti Malignitate, 12. Chez les modernes, voir F. J. Groten, « Herodotus’ Use of Variant Versions », p. 80 ; Ch. Froidefond, Le mirage égyptien, pp. 206-207, C. Darbo-peschanski, Le discours du particulier, pp. 95-96, 110…
86. Sur le point précis d'une dialectique de la question et de la réponse, nous suivons la démarche deH. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, pp. 62, 113, 247, et la présentation de J. Starobinski dans sa préface, p. 17.
87. Nous tenterons de montrer, dans un travail en cours, qu'il en est de même pour Cyrus avec les Massagètes, pour Darius avec les Scythes et les Grecs, pour Xerxès avec les Athéniens, puis pour les Athéniens avec les insulaires de l'empire. Ce paradigme est un de ceux qui assurent en profondeur la cohésion de l'oeuvre.
88. J.-M. Adam, Le texte narratif, pp. 151 et 167.
89. Pour le terme d'empire, nous adoptons la définition de Finley, M. I., « L'empire athénien : un bilan », Économie et société en Grèce ancienne, Paris, 1984, p. 60.Google Scholar
90. Ibid., p. 172 : « On ne parlera (…) ici d'« impérialisme » que dans la mesure où la cité dominante tend à outrepasser les termes du contrat ayant originellement défini les relations entre hégémôn et symmachoi ».
91. Hérodote, III, 37 : « Il se livra à beaucoup de semblables actes de folie (toiauta polla (…) exémainéto) », « il rit beaucoup (polla (…) katégélasé) » de la statue d'Héphaistos. A comparer avec III, 38 : « Cambyse fut en proie à une violente folie (émané mégalos) ; car, sans cela, il n'aurait pas entrepris de tourner en ridicule (katagélan) des choses saintes et sacrées ».
92. Comparer II, 1 et III, 1 avec III, 39 : « Tandis que Cambyse marchait contre l'Egypte (strateuoménou)… ». La traduction devrait s'efforcer de rendre cette reprise de termes.
93. Notamment par les reprises avec alternance de « tous les hommes » (pasi anthrôpoisi, pantès anthrôpoi) et de « chacun » (hékastoi répété).
94. Hérodote, 11,22,26,34,53,91, 103, 110… ; IV, 7, 50…, ainsi que F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, pp. 35-36, 82, n. 2, pp. 96-97, 103.
95. Ibid., pp. 55-59 et Ph.-E. Legrand, Notice, livre IV, pp. 29-31.
96. C. Darbo-peschanski, Le discours du particulier, p. 173, et les remarques de Roussel, D., Les historiens grecs, Paris, PUF, 1973, pp. 50–51.Google Scholar
97. L. Dàllenbach, Le récit spéculaire, respectivement pp. 77-99, 100-122, 123-138.
98. Ibid., p. 123.
99. L. Dàllenbach, op. cit., p. 83, appelle ce type de mise en abîme « rétro-prospective » : elle « réfléchit l'histoire en découvrant les événements antérieurs et les événements postérieurs à son point d'ancrage dans le récit ».
100. Ibid., p. 82.
101. Le génitif absolu du début du chapitre 39, qui assure la transition entre les événements perses et les événements grecs, rend bien cette contemporanéité. Voir L. Dàllenbach, op. cit., p. 78 : « la réplique fictionnelle convertit le temps en espace, transforme la successivité en contemporanéité et, par là même, accroît notre pouvoir de com-prendre ».
102. F. Hartog, se situe dans une problématique de la mise en abîme lorsqu'il précise très justement dans Le miroir d'Hérodote, p. 330 : « le roi et le tyran vont de pair. Ils sont en effet l'un pour l'autre en position de miroir : le tyran est le miroir du roi, tout comme le roi est le miroir du tyran (…). A la croisée de ces deux images se construit la représentation du pouvoir despotique ».
103. Hérodote, III, 39 ou III, 35.
104. Dans le récit de l'anneau de Polycrate (III, 40-43), Amasis qui a eu affaire également à Cambyse et qui, par ses propos, occupe structuralement la même fonction que le roi des Éthiopiens, se détache de Polycrate lorsqu'il comprend, à la suite de cette histoire, que le destin refuse la sagesse au tyran (III, 43).
105. C. Darbo-peschanski, Le discours du particulier, pp. 48-49, qui insiste sur la complexité des phénomènes. Les chapitres III, 48-49, par exemple, rappellent les folies de Cambyse en III, 30-37.
106. Polycrate, lui, tue l'un de ses deux frères et chasse le plus jeune (III, 39). Sur le motif des deux fils ou des deux frères dans la structure du conte, voir V. Propp, Morphologie du conte, pp. 36, 42, J.-M.Adam, Le récit, pp. 63-64, et à propos de l'histoire de Lycophron, J.-P. Vernant, « Le tyran boîteux : d'OEdipe à Périandre », Mythe et tragédie Deux, p. 64. Chez Hérodote, voir le récit très important des démêlés de Xerxès et de son frère Masistès (IX, 107-113) qui emprunte aussi la structure du conte.
107. Notre interprétation de ce difficile passage va dans le même sens que celle de C. Darbopeschanski, Le discours du particulier, pp. 48-49, pour qui « le schéma offense-réparation articule des faits disparates » et « (mêle des) conflits en un écheveau inextricable ». Voir également J.-P. Vernant, article cité, pp. 72-76.
108. Ph.-E. Legrand, Notice, livre III, pp. 12-13, note bien que cette « progression dramatique » répond à « un souci littéraire ».
109. Le discours de surface d'Hérodote ménage cette interprétation qui répond à l'horizon d'attente de ses contemporains, lecteurs et auditeurs athéniens surtout, imprégnés de l'idéologie qui se met en place après les guerres médiques. Voir N. Loraux, L'invention d'Athènes, pp. 133- 173.
110. P. Ricoeur, Temps et récit III, p. 304.
111. Les analyses décisives sur ce problème des effets du texte des Histoires sont celles de F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, p. 324.
112. H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, p. 94.
113. Il faudrait ici faire une place aux fines analyses de C. Darbo-peschanski sur la polyphonie narrative. Voir Le discours du particulier, pp. 113-126.
114. P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, pp. 16-17, 85-87, 192-194.
115. H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, p. 43 ; Cl. Calame, Le récit en Grèce ancienne, p. 79. Sur l'idée que le genre humain est un, voir H. R. Immerwahr, Form and Thought in Herodotus, p. 5 et Baslez, M.-F., L'étranger dans la Grèce antique, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 182.Google Scholar
116. Et de l'impérialisme de la thalassocratie athénienne, à titre d'hypothèse, pour l'ensemble des Histoires.
117. Que de pistes fécondes pour qui entreprendrait une étude des structures narratives dans Le chevalier, la femme et le prêtre, ou dans Guillaume le Maréchal de G. Duby.
118. H. R. Jauss, op. cit., pp. 75-76.
119. P. Larivaille, « L'analyse (morpho)logique du récit », p. 385.
120. Hartog, F., article « Hérodote », Dictionnaire des Sciences Historiques, sous la direction d'Burguière, A., Paris, PUF, 1986, p. 329.Google Scholar
121. P. Ricoeur, « Récit fictif, récit historique », La narrativité, p. 252 : « Un certain échange entre poétique du récit et théorie de l'histoire devient possible dans la mesure où (…) la critique littéraire aperçoit la généralité formelle du raconter, par-delà ses incarnations dans les modes fictifs du récit ».
122. N. Loraux, compte rendu du livre de Hartog, F., « Le miroir d'Hérodote », Annales ESC, 1982, 3, p. 495 Google Scholar et P. Ricoeur, Préfaces, 1, 1987, p. 100 : « il y a toujours un résidu de lecture susceptible d'être repris dans une autre lecture ».
123. P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, pp. 78-79. N'est-ce pas ce que fait, pour une part, Hérodote avec son habituel procédé de rapporter les multiples versions d'un même fait ?