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Des dieux qui comptent

Approches quantitatives des hiérarchies divines

Published online by Cambridge University Press:  02 April 2025

Corinne Bonnet
Affiliation:
Scuola Normale Superiore di Pisa [email protected]
Julie Bernini
Affiliation:
Université de Lille [email protected]
Thomas Galoppin
Affiliation:
Université Toulouse — Jean Jaurès [email protected]
Sylvain Lebreton
Affiliation:
Université Toulouse — Jean Jaurès [email protected]
Giuseppina Marano
Affiliation:
Scuola Normale Superiore di Pisa [email protected]
Enrique Nieto Izquierdo
Affiliation:
Center for Hellenic Studies, Washington [email protected]
Alaya Palamidis
Affiliation:
Université Toulouse — Jean Jaurès [email protected]
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Les religions antiques, en particulier polythéistes, constituent des systèmes particulièrement complexes, une pluralité de dieux renfermant chacun une pluralité d’aspects. La prise en compte des multiples noms de ces divinités offre un aperçu des modes de représentation et d’organisation des systèmes de dieux. C’est à l’étude de ces matériaux onomastiques que s’est attelé le projet « Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency » (MAP, 2017-2023), concentré sur les mondes grecs et ouest-sémitiques. Le principal résultat de ce projet est la base de données MAP qui répertorie les noms divins mentionnés dans plusieurs milliers de sources, en particulier épigraphiques. Devant une telle masse de données, comment articuler leur étude quantitative et qualitative ? Comment hiérarchiser les informations et les divinités ? L’objectif de cet article est donc double : d’un point de vue méthodologique, il s’agit de mettre en évidence l’utilité mais aussi les limites et les biais de la base de données MAP dès lors qu’on s’attache à comprendre la structuration des panthéons. D’un point de vue thématique, il s’agit d’analyser la manière dont les données recueillies donnent à voir, à diverses échelles, des réseaux au sein desquels les dieux se positionnent les uns par rapport aux autres et de possibles hiérarchies sous-jacentes. Quatre cas d’étude servent à explorer cette question : Artémis Ephesia à Éphèse ; Zeus Panamaros et Hécate à Stratonicée ; une comparaison entre la place d’Athéna et d’Asclépios dans leur sanctuaire respectif de Lindos et d’Épidaure ; et l’examen des titres soulignant le rang d’une divinité au Proche-Orient et en Égypte.

Ancient religions, and polytheistic religions in particular, constitute complex systems in which a plurality of gods each contain a plurality of aspects. The analysis of the multiple names used for these deities offers insights into how such systems of gods are represented and organized. The study of this onomastic data was at the heart of the project “Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency” (MAP, 2017-2023), which focused on the Greek and West-Semitic worlds. Its main outcome is the MAP database, which records the divine names mentioned in several thousand sources, particularly epigraphic. Can such a vast amount of data be studied in ways that are at once quantitative and qualitative? How to establish a hierarchy of information and deities? The aim of this article is twofold. From a methodological point of view, it seeks to highlight the benefits, but also the limitations and biases, of the MAP database when it comes to understanding the structure of pantheons. From a thematic perspective, it analyses how the information gathered in the database reveals, at various scales, the relational networks in which the gods position themselves and points to possible underlying hierarchies. Four case studies are used to explore this question: Artemis Ephesia in Ephesos, Zeus Panamaros and Hekate in Stratonikeia, a comparison between the place of Athena and Asklepios in their respective sanctuaries in Lindos and Epidauros, and a study of the epithets that emphasize a deity’s rank in the Near East and Egypt.

Type
Compter les dieux
Copyright
© Éditions de l’EHESS

La notion de pluralité se trouve au cœur des polythéismes en tant que systèmes religieux complexesFootnote 1. Or, penser l’articulation de cette pluralité avec les notions de cohérence, voire d’unité, penser un multiple complexeFootnote 2, penser un monde divin animé par des interactions plurielles en constante reconfiguration constitue un exercice intellectuel particulièrement difficile. En 2011, Hendrik S. Versnel, dans sa vaste analyse portant sur les « complications du polythéisme », dues à la « multitude déroutante [des] dieux » de la Grèce ancienne, part de la tension entre « ordre » et « chaos »Footnote 3. Son étude débouche cependant sur une vision plus fluide des logiques qui sont à l’œuvre dans les systèmes de puissances divines : les Grecs ont adopté sur les dieux plusieurs points de vue et ont activé l’un ou l’autre en fonction des contextesFootnote 4. Le défi majeur consiste donc à articuler contextes et systèmes, micro- et macro-analyses. Seul un jeu d’échelles spatiales et temporelles, maniant des ensembles de données à géométrie variable, est susceptible de faire progresser notre connaissance des dynamiques et des pragmatiques qui animent les religions de la Méditerranée ancienne. Le recours aux dieux relève en effet fondamentalement d’une praxis qui se déploie à travers une multitude de stratégies de communication. Pour en pénétrer les ressorts, les spécialistes choisissent souvent de travailler sur une déclinaison locale ou régionale des panthéonsFootnote 5, sur la vision d’un auteurFootnote 6, sur telle ou telle fonctionFootnote 7, ou sur un segment du système, à savoir une divinité ou un groupe de divinitésFootnote 8. Adopter un point de vue global, synchronique ou diachronique, tout comme développer une approche multiscalaire représente un défi considérable en raison de la masse de données à maîtriser. Méthode fondamentale de l’histoire des religions, comparer deux ou plusieurs aires géoculturelles est ardu, quand bien même on admet l’importance des dynamiques proprement méditerranéennes et interculturellesFootnote 9. Aussi se retrouve-t-on face à des apories et à un défi méthodologique qu’il semble urgent de relever.

Les polythéismes à l’ère numérique

Les méthodologies que l’on rattache aux Humanités numériques ont précisément cette ambition de mettre à disposition des chercheurs et chercheuses en sciences sociales des jeux de données massifs et des outils aptes à les exploiter. Encore faut-il identifier un vaste gisement de données susceptibles d’éclairer le fonctionnement des religions antiques, en particulier des polythéismes en tant qu’ensembles fluides et doublement pluriels (de nombreux dieux, chacun renfermant une pluralité d’aspects). Sur ce plan, H. S. Versnel n’hésite pas à affirmer que « les noms et les épithètes divins nous mènent au cœur du systèmeFootnote 10 ». De fait, les appellations des dieux représentent un matériau quantitativement considérable, que l’on peut chiffrer en dizaines de milliers d’occurrences épigraphiques, numismatiques, papyrologiques et issues de la tradition manuscrite. Sous-exploitées jusqu’à il y a peu, ces données sont adaptées à une analyse à la fois quantitative et qualitative. Quantitative parce que l’on peut mettre les noms en série, les compter, les trier, les mettre en réseau, les cartographier ; qualitative dans la mesure où chaque nom divin est issu et témoigne de contextes, choix, représentations, appropriations, connexions, etc. Les données onomastiques trouvent dès lors pleinement leur place dans deux débats qui traversent actuellement l’historiographie des religions. Depuis le projet « Lived Ancient Religion », conduit à Erfurt en Allemagne sous la direction de Jörg Rüpke, entre 2012 et 2017Footnote 11, l’individu, les expériences, les pratiques, les stratégies ont été placés sur le devant de la scène, en écho notamment au « sensorial turn » dans les domaines anthropologique et historiqueFootnote 12. Une orientation analogue nourrit diverses recherches s’adossant aux modèles cognitivistesFootnote 13 qui, sans perdre de vue les contextes sociaux, font la part belle aux ressorts personnels, voire à la notion discutable de belief (« croyance »). Dans le sillage des travaux de Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne en particulier, un autre courant de recherche, essentiellement francophone (et encore étiqueté par les collègues anglophones comme « structuraliste »), reste attaché à la nécessité d’ancrer la pensée plurielle du polythéisme dans des dynamiques historiques, sociales et politiques, et de penser les catégories qui organisent le divin au plus près des documentations anciennes, dans une perspective anthropologique, donc emic.

S’emparer des milliers de noms attribués aux dieux dans une très grande variété de textes donne dès lors accès tant aux pratiques et expériences individuelles – puisque des choix sont posés dans l’immense répertoire onomastique, en lien avec des intentions – qu’aux usages, règles et normes qui les oriententFootnote 14. Entre singularité et régularité, les manières de désigner les dieux sont donc bien au cœur de la pensée plurielle du polythéisme et favorisent, en particulier à travers le matériau épigraphique, une approche « par le bas », là où les œuvres littéraires, émanant d’une élite cultivée, fournissent un tableau moins sensible aux réalités du terrain. Les noms, courants ou exceptionnels, dans leur impressionnante diversité, génèrent non pas du chaos, mais de la richesse, de la diversité, de la pertinenceFootnote 15 dans la mesure où ils constituent une ressource au service des multiples modes de communication entre les êtres humains et les dieux (propitiation, remerciement, acclamation, supplication, divination, etc.), bref tout le champ de ce qu’on appelle le culte. La portée des noms divins actualise, globalement et localement, deux dimensions qui, loin de s’opposer, s’articulent, à travers des stratégies combinant recherche d’efficacité (obtenir des dieux ce qu’on sollicite) et volonté de distinction (afficher un statut, une origine, une fonction, une expertise, etc.)Footnote 16. L’agentivité humaine en matière d’onomastique divine doit donc être comprise comme la capacité des humains à forger, mobiliser, adapter des énoncés pertinents et efficaces, susceptibles de plaire aux dieux, afin d’enclencher le cercle vertueux des bienfaits et de la reconnaissance qu’ils suscitent (charis)Footnote 17. Convoquer les dieux en les nommant, c’est donc aussi activer l’agentivité qu’on leur impute, en dessinant, par telle ou telle dénomination, les contours de leur puissance.

Dès lors, pour cerner le fonctionnement des noms divins à l’échelle micro et macroFootnote 18, pour en analyser la portée en action, pour comprendre en outre les façons dont les noms forment un système, une collecte systématique des données onomastiques divines s’est imposée comme un passage obligé, en commençant par l’immense réservoir de sources épigraphiques. L’enregistrement et le traitement de ces données ont constitué un objectif majeur du projet ERC « Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency » (MAP), porté par l’université Toulouse-Jean Jaurès d’octobre 2017 à juin 2023 et consacré aux systèmes religieux grecs et ouest-sémitiques du début du ier millénaire av. n. è. à la fin du ive siècle de n. è.Footnote 19. La quantité de matériel récolté à ce jour – près de 25 000 séquences onomastiquesFootnote 20 désignant une ou plusieurs puissancesFootnote 21 divines enregistrées dans la base de données MAP, consultable en libre accès – permet dès lors de s’interroger sur les modes d’organisation des « systèmes de dieux »Footnote 22 à plusieurs échelles, en tentant d’affiner l’articulation entre pluralité et unité, entre approches quantitative et qualitative des données. Le présent article vise à montrer, à partir de cas précis, le gain découlant de cet outil, mais aussi à en reconnaître les limites et les biais. Comment comprendre le fait qu’une divinité donnée dispose d’un vaste répertoire de dénominations ou, à l’inverse, que son profil onomastique soit très normé ? Un tel constat peut-il varier selon qu’on adopte une focale locale ou globale ? Faut-il voir dans ces variations des indices de hiérarchisation des dieuxFootnote 23 ? De quelles manières la variété des combinaisons onomastiques est-elle gérée par les individus ou les collectivités ? Quels sont les critères synchroniques et diachroniques permettant d’en rendre compte ? Dans quelles échelles spatiales les dieux s’inscrivent-ils à travers leurs noms, du niveau local, celui de la cité au sens largeFootnote 24, aux circulations interculturelles en Méditerranée et au-delà ? Dans quelle mesure et comment les noms divins tracent-ils des lignes de partage et/ou de collaboration, des réseaux généalogiques ou fonctionnels entre les dieux ?

Pour tenter d’apporter des réponses à ces questions, disposer d’une quantité imposante de données est très avantageux, pourvu qu’on ait pris soin de les structurer et de les caractériser finement. C’est dans ce sens qu’a été conçue la DB MAP, afin qu’il soit possible de questionner les données, de les trier, de les classifier et de les interpréter pour défricher de nouveaux territoires de recherche, et en particulier de comparer des « ensembles » divins proches mais différents, comme peuvent l’être les mondes grecs et sémitiques traitésFootnote 25. Or, déployer une heuristique et une herméneutique bien ciblées par rapport aux objectifs que l’on se fixe impose un long cheminement qui nécessite des retours réflexifs réguliers ; dans cette perspective, le présent article vise à la fois à exposer le potentiel scientifique de la DB MAP, en expliquant ses principes et ses procédures de consultation, son périmètre et les biais qui l’affectent. Dans chacune des sous-parties thématiques qui suivent, nous avons eu recours à des méthodes quantitatives élémentaires, parfois de simples comptages, notre objectif n’étant pas d’innover dans ce domaine, mais d’exploiter de manière rigoureuse et pertinente un matériau massif (données et métadonnées) susceptible, par son volume et sa variété, d’apporter des éclairages inédits sur des systèmes d’une grande complexité.

L’orientation de cette contribution collective est donc double : sur le plan thématique, à travers quatre enquêtes ponctuelles, nous montrons comment les dénominations divines contribuent à l’organisation d’ensembles de dieux et donnent à voir, à diverses échelles, des réseaux au sein desquels les dieux se positionnent les uns par rapport aux autres ; sur le plan méthodologique, il s’agit d’expliciter les avantages et inconvénients d’une démarche quantitative/statistique des données onomastiques contenues dans la DB MAP, tout en donnant à voir la variété des approches et des questionnements possibles. Cette étude souhaite s’inscrire dans le sillage du dossier publié par les Annales en 2018 sur les « Nouvelles cuisines de l’histoire quantitative », dont l’introduction soulignait qu’une démarche quantitative « a pour bénéfice immédiat un examen particulièrement qualitatif et approfondi des sourcesFootnote 26 ». De même, dans leur ouvrage sur les Méthodes quantitatives pour l’historien, Claire Lemercier et Claire Zalc rappellent que « les résultats chiffrés permettent aussi de nuancer des évidences acquises, de poser de nouvelles questions et, à partir de l’identification de grands types de parcours, de revenir à des analyses plus individuellesFootnote 27 ».

Les quatre études de cas proposées ci-dessous, précédées de quelques remarques méthodologiques, envisagent, sous différents angles, la question des systèmes de dieux et de possibles hiérarchies sous-jacentes. En d’autres termes, il s’agit de déterminer s’il y a « des dieux qui comptent ». Ces dossiers ont été choisis, parmi tant d’autres possibles, de manière à couvrir un espace assez vaste en Méditerranée – la Grèce continentale et insulaire, l’Asie Mineure, le Proche-Orient et l’Égypte – et les deux aires, sémitique et grecque, abordées dans le projet MAP. Ils offrent aussi une variété de perspectives – une divinité en lien avec son bassin sociologique, avec une ou plusieurs autres divinités, située dans un espace cultuel donné, envisagée à travers le temps, appréhendée par le biais d’une typologie d’appellations – avec constamment le souci de comparer les données pour mieux en évaluer la portée ; dans les quatre études de cas, l’articulation entre le quantitatif (les données) et le qualitatif (leur contextualisation et interprétation) est privilégiée. Dans une première étude, Julie Bernini part des données issues de la cité d’Éphèse, où le culte d’Artémis Ephesia revêtait une importance majeure. Comment une approche quantitative des agents sociaux impliqués dans ce culte permet-elle d’éclairer les modes d’appropriation de la déesse et sa position éminente au sein du panthéon local ? Alaya Palamidis, dans une deuxième étude, se focalise sur la cité de Stratonicée, en Carie, dans laquelle l’élément onomastique « Zeus » apparaît plus de 200 fois. La divinité tutélaire d’une cité est-elle nécessairement celle qui possède le plus grand nombre d’attestations ? Comment articuler, dans ce cas précis, quantité et qualité ? L’étude comparée de deux grands sanctuaires, celui d’Asclépios à Épidaure et celui d’Athéna à Lindos, menée par Enrique Nieto Izquierdo et Sylvain Lebreton, introduit une variante essentielle dans l’analyse des systèmes de dieux, à savoir la diachronie ; les deux chercheurs montrent par ailleurs que le poids d’une divinité doit aussi être mesuré à l’aune de son entourage. Enfin, Corinne Bonnet, Thomas Galoppin et Giuseppina Marano s’intéressent à une catégorie particulière de dénominations divines, les « titres », qui servent à souligner le rang d’une divinité. Leur usage au Proche-Orient et en Égypte diffère fortement de ce que l’on observe en Grèce. Chacune de ces études de cas mériterait de plus amples développements, mais, pour atteindre notre objectif – suggérer des pistes d’analyse quantitative au départ de la DB MAP et attirer l’attention sur les précautions nécessaires dans l’interprétation des résultats de requêtes – et répondre à la question « Comment et/ou combien les dieux comptent-ils ? », il nous a semblé important de multiplier les exemples de « procédures expérimentales »Footnote 28.

Une approche globale et quantitative : avantages, limites et biais

La DB MAP est un artefact conçu pour répondre à une double problématique exprimée dans le sous-titre du projet, à savoir « Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency » (« Les épithètes cultuelles en tant qu’interfaces entre les systèmes religieux et l’agentivité humaine »). Ce projet vise à collecter, dans les inscriptions et les sources numismatiquesFootnote 29, les attributs onomastiques (par exemple, les épithètes lato sensu) servant à caractériser les dieux pour mieux comprendre, sur la base de leur cartographie, les logiques de structuration, d’organisation et d’agencement des mondes divins grecs et sémitiquesFootnote 30, entre 1000 av. n. è. et 400 de n. è. L’orientation du projet a déterminé le choix d’enregistrer dans la base de données toutes les « séquences onomastiques » divines sauf celles qui contiennent uniquement un ou plusieurs théonymes seulsFootnote 31 : c’est, en effet, la caractérisation des dieux qui permet de saisir leur fonction, ancrage, statut, position hiérarchique, parenté, entourage, etc., bref de les situer dans un vaste ensemble relationnel que l’on nomme communément « panthéon ». En faisant le choix de laisser de côté les dénominations ne contenant qu’un théonyme, nous excluons de fait une part non négligeable de la documentation ; quelques tests sur des corpus précis permettent de l’évaluer à environ 50 % des inscriptions du côté grec, bien moins du côté sémitique où il est très rare qu’une divinité soit nommée « nue »Footnote 32. Dans son état actuel (9 juin 2024), la DB MAP contient plus de 20 500 sources (inscriptions et légendes monétaires) renfermant plus de 24 900 attestations (ou séquences onomastiques divines), formées au moyen de plus de 4 400 éléments différents (c’est-à-dire les « briques » qui composent les séquences onomastiques et qui peuvent être des adjectifs, des substantifs, des verbes, voire des syntagmes plus complexes). Pour le volet sémitique de l’enquête, l’enregistrement est complet, tandis que, pour le volet grec, il l’est pour environ 2/3 de la documentationFootnote 33, sachant que le travail se poursuit jusqu’à ce que l’exhaustivité soit atteinte (en 2025, selon toute vraisemblance).

L’exploitation des données contenues dans la DB MAP peut porter sur les trois tables principales – sources, attestations, élémentsFootnote 34 – qui fondent son architecture ainsi que sur leurs caractéristiques respectives, comme la typologie des sources et de leur support, les agents liés aux attestations ou encore la localisation des éléments. Les sources – documents inscrits, donc datables, localisables et caractérisables par le biais de typologies – permettent notamment une approche spatiale fine, puisque sont enregistrés leurs lieux de découverte et/ou d’origineFootnote 35, selon cinq échelles, de la région au site. De même, les sources, datées au moyen d’un terminus post quem et d’un terminus ante quem, donnent accès au séquençage chronologique, permettant d’inscrire les données quantitatives dans la diachronie, en lien avec les contextes historiques et leurs évolutions. On peut aussi effectuer des tris selon la matérialité ou la typologie des sources. En partant des attestations, il est possible d’opérer des sélections en fonction de la typologie des agents – par exemple, selon leur agentivité (destinataire, bénéficiaire, opérateur rituel, etc.) –, donc d’explorer la dimension sociale des pratiques religieuses ou d’interroger les contextes (affranchissement, diplomatie, charge publique, etc.) dans lesquels une divinité est désignée de telle ou telle manière. Cinq interfaces de recherche permettent de fait d’extraire les données selon une multitude de critères. Pour toute recherche, le nombre de sources et d’attestations peut différer puisqu’une source est susceptible de contenir plusieurs attestations ; en outre, un même élément onomastique peut être utilisé plusieurs fois dans une même attestation, comme dans la formule dédicatoire « à la Dame à Tanit Visage-de-Baal et au Seigneur à Baal Hammon », attestée plus de 4 500 fois au tophet de Carthage, qui a recours deux fois à l’élément bʿl (« Baal »). Par ailleurs, les attestations des sources bilingues, qui sont reliées entre elles dans la DB MAP, sortent ensemble dans une requête reposant sur le critère langue, ce qui implique une vigilance dans les comptages. Ainsi, une recherche sur les attestations en langue phénicienne dont les sources ont comme lieu d’origine ou de découverte la sous-région « Syrie », au sein de la grande région « Proche-Orient », donne 103 résultats, dont 6 attestations en grec issues de bilingues, qui doivent être retirées du comptage.

Un autre élément d’appréciation des données quantitatives est la typologie des sources. Certaines catégories de textes sont plus ou moins riches en attributs onomastiques divins : ces derniers sont ainsi absents de la quasi-totalité des épitaphesFootnote 36, qui constituent pourtant le contingent le plus nombreux d’inscriptions, toutes régions et époques confondues. À l’autre extrémité du spectre, les dédicaces forment le principal gisement en noms de dieux, puisque la mention du destinataire divin est l’une des composantes clefs de l’économie de l’échange votif. Suivent les normes rituelles, des textes souvent plus longs, mais bien moins nombreux que les dédicaces. La présence divine dans les décrets est, quant à elle, très variable, selon leur objet et lieu d’expositionFootnote 37, de même que pour les inscriptions honorifiques, en fonction de la mention ou non de prêtrises. Cette disparité typologique est structurante et globalement valable pour l’ensemble du monde méditerranéen de l’époque archaïque à l’époque impériale, avec des différences de degré, plus que de nature, selon les régions et les périodes.

Même pour les dédicaces, pourtant si coutumières dans leur structure, des difficultés qui ont des conséquences sur les données quantitatives peuvent surgir. Dans le monde grec, comme dans le monde sémitique, le formulaire des dédicaces aux dieux est relativement homogène. Il combine le nom du ou des dédicant(s), celui du destinataire divin, éventuellement un verbe de dédicace, l’objet de la dédicace et le bénéficiaire. Chacun de ces éléments peut être explicite ou implicite, y compris le nom du destinataire divin. Parfois une ambiguïté dans la formulation rend l’interprétation malaisée. Ainsi de la dédicace I.Lindos 53 (325-302 av. n. è. ou peu après), sur une base de statue à Lindos, dans l’île de Rhodes :

Πεισιφῶν Πεισιστράτου     Peisiphôn (fils) de Peisistratos

ἰαρατεύσας Ἀθαναίαι Λινδίαι.     qui a exercé la prêtrise pour Athéna Lindia

On peut comprendre que l’agent, Peisiphôn, à l’issue de sa charge de prêtre, a fait la dédicace à Athéna Lindia. Toutefois, si, à Rhodes comme ailleurs, la mention d’une divinité desservie par un prêtre est le plus souvent indiquée au génitif (« prêtre de » telle divinité), on trouve également, comme ici, le datif, surtout après le verbe hierateuô Footnote 38. Dans cette optique, l’inscription de Peisiphôn indiquerait d’abord qu’il sort de sa charge de prêtre « pour » Athéna Lindia. On peut donc envisager l’agentivité de Peisiphôn respectivement comme celle d’un destinateur d’une dédicace adressée à la déesse ou comme celle d’un prêtre au service de la déesse. En l’occurrence, il est les deux : le contexte spatial de l’inscription – le sanctuaire d’Athéna – ôte tout doute à ce sujet et le datif semble avoir ici une double valeur. Dans une démarche quantitative, il faudrait soit tenir compte de cette double agentivité, soit, si l’on s’en tient à l’explicite, écarter ce cas des offrandes à la déesse puisque le verbe de dédicace n’apparaît pas sur la pierre.

Ainsi, aussi rigoureuse que puisse être la définition des catégories typologiques ou sémantiques adoptées dans les listes de données de la DB MAP, en phase de saisie, il arrive que l’on peine à rendre compte de toute la variété et complexité des informations remontant des sources, y compris lorsque le texte est très formulaire, voire stéréotypé. Une base de données, parce qu’elle implique des principes cohérents de saisie privilégiant le plus souvent l’explicite à l’implicite, s’accorde mal à la nécessité de naviguer entre l’esprit et la lettre. Il en va de même pour la catégorisation des éléments onomastiques (comme « Athéna » et « Lindia ») qui, en dehors de leur utilisation en contexte, sont associés à de larges champs sémantiques (3 maximum) – 41 champs ayant été définis, tels que « Toponyme » et « Espace », « Animal », « Guerre », « Politique », « Protection/Bienfaisance »Footnote 39. Face à des termes ou syntagmes volontiers polysémiques, le choix de ces catégories relève d’une appréciation personnelle effectuée par chaque contributeur à la DB MAPFootnote 40.

Comme on le voit avec le cas de Peisiphôn à Lindos, les agents humains sont un axe majeur et parfois compliqué de l’enquête, et leur traitement quantitatif à partir de la DB MAP constitue un enjeu particulier. Pour déterminer le nombre total d’agents dans un espace donné (un sanctuaire, une cité, une région, etc.) et produire des statistiques sur leur statut, genre, activité ou origine géographique, il faut prendre en compte trois éléments de complexité. D’une part, une attestation peut impliquer plusieurs agents – par exemple, une dédicace émane d’un agent destinateur au profit d’un agent bénéficiaire. D’autre part, un agent peut avoir plusieurs agentivités – par exemple, il énonce une prière pour son propre bénéfice, étant donc à la fois agent destinateur et agent bénéficiaire. Enfin, on regroupe dans la DB MAP les agents exerçant la même agentivité – une offrande réalisée par un homme et son épouse au bénéfice de leurs fils et fille comptera deux agents : un agent destinateur masculin et féminin (mari et femme), et un agent bénéficiaire masculin et féminin (fils et fille). Ce regroupement par agentivitéFootnote 41 fait que, statistiquement, le nombre d’agents ne correspond pas au nombre d’entités impliquéesFootnote 42.

Il faut en outre garder à l’esprit que les pourcentages de sources et d’attestations sont, pour plusieurs raisons, des approximations. D’abord, le contenu des corpus épigraphiques dépend de la couverture archéologique des fouilles et les trouvailles dépendent à leur tour de l’état de conservation d’un site. De nombreux textes sont fragmentaires, de sorte que leur inclusion ou exclusion de la DB MAP peut être tributaire de l’économie de l’édition, qui propose un traitement plus ou moins extensif des restitutions des lacunes, sans parler des cas délicats des pierres errantes, des décrets en plusieurs exemplaires, des montages de documents d’époques variées, autant de cas particuliers qui questionnent la définition même de l’unité d’une source. L’attribution d’un identifiant unique à un document ne va pas non plus de soi. Aussi n’est-il pas rare que plusieurs inscriptions, chacune associée à une statue différente, figurent sur un même monument, par exemple une exèdre vouée à honorer un groupe familial : selon la priorité accordée aux unités textuelles et aux liens qu’elles peuvent entretenir, à leur chronologie (qui peut s’étendre sur plusieurs générations) ou au support commun, de telles inscriptions pourront figurer sous un (I.Lindos 465 = S#12765 e.g.) ou plusieurs (I.Lindos 384 = S#11381, #11690 et #11692) numéros. Inversement, des fragments initialement édités séparément ont pu être raccordés par des éditeurs ultérieurs parce qu’ils faisaient partie d’un même documentFootnote 43. De plus, pour éviter que l’approche quantitative ne se fasse au détriment du qualitatif, la DB MAP a recours à un indicateur à trois niveaux de la qualité de lecture pour chaque attestationFootnote 44 : lecture assurée Footnote 45, probable Footnote 46 ou incertaine Footnote 47. Il est donc possible, au moment de lancer des requêtes, de sélectionner uniquement les attestations dont la lecture est assurée (ou assurée et probable), de manière à adosser les comptages à un socle documentaire solide.

Il convient par conséquent de bien prendre en main la base de données, comme tout outil numérique, afin d’en maîtriser le fonctionnement, les atouts et les limites. Ces préliminaires étant posés, nous allons maintenant présenter quelques traitements quantitatifs et leurs potentialités pour l’histoire des religions.

Artémis Ephesia au prisme de l’agentivité humaine

Artémis Ephesia compte parmi les divinités les plus connues du monde grec. Pausanias se fait encore l’écho de sa célébrité au milieu du iie siècle de n. è. (IV, 31, 7-8). Une fois complète, la DB MAP permettra de cartographier et d’étudier la dispersion et les usages de ce nom à travers toute la Méditerranée. Dans son état actuel, elle permet de préciser la place de la déesse dans sa cité à travers les configurations divines dans lesquelles elle apparaît et les agents sociaux qui s’approprient son nom.

Une recherche dans la DB MAP permet d’identifier 233 sources épigraphiques localisées dans le territoire d’Éphèse (la ville, l’Artemision et plusieurs katoikiai) de l’époque archaïque à l’époque impériale, soit, dans ce cas, du vie siècle av. n. è. au ive et même ve siècle de n. è.Footnote 48. Plus des deux tiers datent de l’époque impériale, plus particulièrement du Haut-EmpireFootnote 49. Éphèse était alors l’un des principaux ports de commerce de l’Empire romain, ce qui implique que 5,7 % des sources soient bilingues latin-grec, quand l’écrasante majorité (93,56 %) est rédigée en grec. Aux 233 sources correspondent 296 attestations. Leur analyse statistique permet d’établir la fréquence d’utilisation des principaux théonymes.

Tableau 1. – Fréquence des principaux théonymes (≥ 4) utilisés dans les attestations éphésiennes

Note : Un élément peut apparaître plusieurs fois dans une attestation. Dans le cas d’Éphèse, la situation ne se présente que pour Déméter. L’élément Déméter apparaît deux fois dans les séquences onomastiques qui associent la mère et la fille, Korè étant le plus souvent nommée d’après sa mère (une fois seulement d’après son époux). Ainsi, l’expression « Korè fille de Déméter » est utilisée 7 fois dans des attestations où l’élément Déméter est aussi utilisé seul pour désigner la déesse, sur le modèle : « Déméter et Korè fille de Déméter ». Déméter est donc désignée par son nom 14 fois, alors que l’élément est utilisé 21 fois.

Comme on pouvait s’y attendre, la prééminence d’Artémis est évidente, d’autant plus si l’on ajoute les attestations de l’élément latin Diana ; on atteint alors un total de 170 attestations, soit 58 % de l’ensemble, auquel on peut ajouter les périphrases désignant Artémis sans utiliser le théonyme, qui sont au nombre de 10Footnote 50, soit un total de 180 séquences onomastiques, 60,81 % du total des attestations éphésiennes. Ces séquences onomastiques désignent le plus souvent une seule puissance divine (267 attestations sur 296). Seules 30 séquences jouent sur l’assemblage des noms de plusieurs divinités ; la séquence la plus longue comprend 7 puissances divines. Quand plusieurs divinités sont mobilisées dans une seule attestation, elles partagent souvent un lieu de culte (par exemple, les divinités du prytanée). Il peut aussi s’agir de séquences décrivant un type iconographique (par exemple, « Nikè et toutes les divinités », utilisée à trois reprises).

Artémis est rarement présente dans ce type de séquence. Elle partage une attestation avec Zeus Olympien dans le cadre de l’association de la déesse avec l’empereur Hadrien identifié au dieu. La seule autre puissance divine en compagnie de laquelle elle est évoquée est Hestia. Les deux attestations sont des prières adressées aux déesses par des prytanes (A#18740 ; A#19128). Elles sont nommées Hestia Boulaia et Artémis Ephesia dans l’une, « déesse de la sage cité et la meilleure, [celle] d’Androclès, Hestia toujours vierge » et « le plus grand nom parmi les dieux, Artémis » dans l’autre.

Les variations dans les appellations de la déesse et sa mise en scène dans le paysage épigraphique éphésien dessinent un profil que l’on peut confronter, par l’approche statistique, à celui qui résulte de l’étude du matériel découvert dans le sanctuaire. Lene O. Johannessen a récemment consacré une étude à ce matérielFootnote 51 : de la même manière que le projet MAP étudie les noms comme des éléments constitutifs d’une divinité, elle analyse les objets offerts comme les traces de la « construction » d’Artémis Ephesia par la société locale. L’analyse statistique des offrandes des époques archaïque et classique (donc plus anciennes que les attestations épigraphiques) permet ainsi de dessiner les contours d’une déesse accompagnant la transition des femmes de l’enfance à l’âge adulte, maîtresse de la sexualité féminine – un portrait différent de l’image véhiculée par les interprétations iconographiques de la célèbre statue de culte et par les romans éphésiens de l’époque impériale (notamment les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse)Footnote 52.

Si l’on revient aux appellations, la cité a livré 157 attestations contenant l’élément « Artémis », soit environ 53,04 % des 296 attestations issues des sources localisées à Éphèse. 90,38 % des lectures de ces attestations sont considérées comme de bonne qualité (91 de qualité 1 ; 51 de qualité 2 ; 15 de qualité 3). L’analyse statistique peut suivre plusieurs directions : non seulement cerner les éléments constituant l’attestation, mais aussi le contexte de l’emploi de la séquence onomastique (occasions, agents, etc.). Le tableau ci-dessous recense les éléments les plus fréquemment associés au théonyme Artémis (E#9), seuls ceux qui sont utilisés au moins 3 fois étant indiqués. Les catégories invariantes renseignées sont celles attribuées à chaque élément dans la DB MAP.

Tableau 2 – Les éléments les plus utilisés (≥ 3) dans les attestations de l’élément #9 a Éphèzse

Avec le théonyme Artémis, ces éléments appartiennent majoritairement aux catégories « Toponyme », « Titre » et « Louange », « Perception » et « Signe divin », « Protection/Bienfaisance », « Construction/Fondation », « Politique », « Relationnel » et « Parenté ». Ils indiquent une déesse fortement liée à la cité en tant qu’espace vécu et communauté politique. L’absence des catégories « Animal », « Alimentation », « Génération/Croissance » ou « Genre », plus proches du profil établi par L. O. Johannessen à partir de l’analyse des offrandes du sanctuaire aux époques archaïque et classique, est frappante.

Les données enregistrées dans la base permettent également d’analyser la position de chacun de ces éléments par rapport à l’élément #9 (Artémis).

Figure 1 – Position des éléments onomastiques par rapport à l’élément Artémis

Deux tendances se dessinent. La plupart des éléments situés avant le théonyme sont des titres ou relèvent de la louangeFootnote 53 : « déesse, dame, sainte, manifeste, grande (thea, kuria, hagia, epiphanês, megalê) ». Ils magnifient la déesse et amplifient sa puissance, de façon somme toute assez semblable aux titres attributs laudatifs utilisés en Égypte et au Proche-Orient. L’adresse à la déesse (élément su, « toi ») est aussi systématiquement placée avant le théonyme. Cette position met en scène une relation particulière entre l’énonciateur et la divinité. Les éléments le plus souvent positionnés après le théonyme servent à la caractériser : elle est la déesse d’Éphèse (Ephesia), celle qui sauve (sôteira) et qui écoute (epêkoos).

Ces considérations permettent de dessiner le profil général de la déesse à partir du réseau de ses attributs onomastiques ; elles ne sauraient se passer d’une analyse du contexte dans lequel chaque élément est employé. La DB MAP permet de préciser si l’emploi d’un élément est généralisé ou propre à un type de situation, plus ou moins restreinte géographiquement et chronologiquement. À l’exception de l’élément Ephesia, largement diffusé dans la ville et dans divers types de sources, la plupart des autres éléments sont liés à des contextes particuliers. Pour ne citer qu’un exemple, l’élément lampadêphoros, « Qui porte une torche », est associé à l’élément Artemis à 5 reprises dans une même source, à savoir celle qui relate une fondation due à l’initiative de C. Vibius Salutaris en 104 de n. è. (S#14381 qui compte 19 attestations, dont 16 avec le théonyme Artémis). L’élément est toujours utilisé pour décrire les statues d’Artémis offertes par le donateur et destinées à être placées dans le théâtre de la cité lors des réunions de l’Assemblée du peuple. Ce type iconographique est aussi celui de la déesse qui porte la lumière, la phôsphoros, et de celle qui sauve, la sôteira, un élément qui a, par ailleurs, 3 occurrences en relation avec Artémis à Éphèse. La conjonction de l’épithète lampadêphoros, du type iconographique et de l’emplacement des statues sert ici à capter la capacité de protection de la déesse au bénéfice de la communauté civique siégeant à l’Assemblée, qui se combine ici à sa propension à guider l’institution au sein de laquelle les citoyens délibèrent vers les meilleures décisions (euboulia), comme le suggère son association à Hestia Boulaia. Cet aller-retour entre l’analyse quantitative (identifier la fréquence des éléments) et l’analyse qualitative (préciser l’emploi des éléments pour comprendre leur sens dans un contexte précis) est exactement l’approche qu’encourage la DB MAP.

Par ailleurs, les séquences onomastiques étant les productions de sociétés particulières, la base de données peut être utilisée pour produire des statistiques sur l’agentivité humaine à l’œuvre dans les noms divins. Sur les 157 attestations de l’élément onomastique Artemis, 134 ont au moins un agent (85,35 %). Ces 134 attestations impliquent 182 agents différentsFootnote 54, dont 97,8 % sont des humains (seuls 4 agents sont des divinités : 2 fois Artémis et 2 fois Apollon). L’analyse quantitative des types d’agentivité révèle une spécificité du corpus éphésien : la part importante (30,77 %) d’agents « associés ». Cette typologie renvoie en fait à deux cas de figure différents : celui d’un individu ou d’une institution destinataire de l’adresse rituelle avec la divinité nommée dans l’inscription – par exemple, une dédicace à Artémis et à l’empereur – ou celui d’un agent, généralement un roi ou un empereur, qui s’identifie à la divinité en englobant son nom dans sa titulature (comme Hadrien Zeus Olympien). À Éphèse, le premier cas est de loin le plus fréquent et le seul attesté pour Artémis.

Tableau 3. – Fréquence de chaque type d’agentivité dans les attestations avec Artémis (élément #9)

Lorsque la déesse est associée à un agent, elle est presque toujours qualifiée d’Ephesia (51 des 56 attestations). Lorsque ce n’est pas le cas, elle est qualifiée par un ou plusieurs éléments dont la plupart appartiennent au registre de la louange : elle est 2 fois « très sainte » (τῆς̣ ἁγιωτάτης Ἀρτέμιδος, A#18249, 18255), 1 fois « très manifeste » (τῆς̣ ἐπιφανεστάτης θεᾶς Ἀρτέμιδος, A#18066), 1 fois « très grande déesse et très manifeste » (τῆς τε ἐπιφανεστάτης καὶ μεγίστης θεᾶς Ἀρτέμιδος, A#18068). Ces éléments sont toujours employés au superlatif pour appuyer l’éloge, non seulement de la déesse, mais aussi de l’agent qui lui est associé.

Ces agents associés sont nettement moins présents dans les attestations désignant d’autres divinités qu’Artémis. Seules 26 attestations avec agents associés ne comportent pas le théonyme Artémis, mais la moitié d’entre elles contient l’élément latin Diana. Toutes sont des traductions d’attestations grecques comportant l’élément Artemis dans des inscriptions bilingues ; il s’agit donc bien de la même divinité. Sur les 13 attestations restantes, 8 sont des associations entre l’empereur Hadrien et Zeus Olympien, une association qui n’est pas propre à Éphèse, puisqu’elle fait partie de la titulature de l’empereur. Si on les soustrait, il ne reste que 5 cas d’agents associés à des divinités d’Éphèse autres qu’ArtémisFootnote 55. Dans 4 cas, il s’agit d’un empereur associé aux divinités du prytanée, à Athéna et Aphrodite ; dans 1 cas, c’est la patrie qui est associée aux divinités du prytanée. Les 56 attestations associant un agent à Artémis représentent donc plus des 9/10 du total des agents associés à des divinités éphésiennes. L’analyse quantitative du genre de ces agents montre qu’aucun n’était exclusivement féminin.

Tableau 4. – Le genre des agents dans les attestations contenant l’élément #9 Artémis

Les 3 cas dans lesquels les agents associés sont à la fois masculin(s) et féminin(s) concernent des empereurs avec leur mère. La colonne ND (non disponible) du tableau 4 recense les agents dont le genre n’est pas connu ou pour lesquels cette information n’est pas pertinente, par exemple la cité. Dans 67,86 % des cas, le nom de la déesse est donc associé à un nom masculin, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où, toutes agentivités confondues, les agents sont majoritairement masculins (64,28 %). Seuls les opérateurs rituels sont plus souvent féminins que masculins. Les 10 opérateurs rituels féminins recensés sont des prêtresses de la déesse, nommées quand elles-mêmes ou un de leurs proches sont honorés. Elles sont dites prêtresses « de la très sainte Artémis » (5 fois), « de la dame Artémis » (3 fois) ou « d’Artémis Éphésienne » (1 fois, dans un village du territoire d’Éphèse).

Ainsi, quand le nom de la déesse n’est pas utilisé pour désigner un agent du culte, il côtoie majoritairement des noms d’hommes, qu’ils soient associés, énonciateurs ou destinateurs (si l’on soustrait la catégorie des opérateurs rituels de la déesse, la proportion des hommes est encore plus forte : 67,26 % des agents au lieu de 64,28 %). De plus, les prêtresses sont les seules et rares femmes aussi visibles que les hommes dans le paysage épigraphique de la cité. Cette charge leur donnait une capacité juridique dont ne disposaient pas les autres femmes. En somme, les prêtresses d’Artémis jouaient d’une certaine manière un rôle politique à Éphèse et étaient actives dans un domaine foncièrement masculinFootnote 56.

Le tableau ci-dessous présente les activités recensées pour les trois types d’agentivité les plus fréquents : agents associés, agents destinateurs et agents énonciateurs (ensemble, ils rassemblent 85,71 % des 182 agents). Ils agissent principalement dans les domaines « Pouvoir/Politique » et « Culte ». Ces domaines d’activité rappellent les catégories des éléments utilisés pour caractériser la déesse. De nouveau, les domaines correspondant au profil établi par L. O. Johannessen pour les époques archaïque et classique (comme « Corps et sexualité ») ou au profil présenté par les sources littéraires contemporaines des inscriptions, ou encore suggéré par l’iconographie de la statue de culte (« Chasse ») sont étonnamment absents.

Tableau 5 – Les activités des agents associés, destinateurs et énonciateurs

98,2 % des agents associés ressortent du domaine « Pouvoir/Politique » (seul ou avec un autre domaine). Sur les 53 agents associés relevant strictement du domaine « Pouvoir/Politique », 48 sont des membres de la maison impérialeFootnote 57. Une part importante des énonciateurs sont actifs dans le domaine « Culte » ; ce sont majoritairement des néopes (19 néopes, 1 bouleute et néope, 2 prytanes éponymes)Footnote 58 qui s’adressent à la déesse à l’issue de leur charge. Cette occasion est enregistrée dans la DB MAP dans la catégorie « Vie collective/Charge publique ». La pratique de l’action de grâce est fréquente à Éphèse, mais elle n’est ni propre aux néopes ni limitée à Artémis (41 attestations relèvent d’actions de grâce, soit 13,85 % des 296 attestations et, parmi elles, 39 sont effectuées dans le contexte de l’exercice d’une charge publique). Si les dédicaces de fin de charge sont connues dès l’époque classique, la pratique du remerciement adressé aux divinités est propre à l’époque impériale. Elle prend la forme d’acclamations qui diffèrent des adresses fonctionnelles. Ces séquences onomastiques ne servent pas tant à mobiliser une compétence de la divinité qu’à célébrer sa puissance, comme en témoignent les éléments onomastiques choisis. Dans la majorité des cas, le théonyme Artémis est associé aux éléments su et kuria, qui sont les indices d’une appropriation vigoureuse et d’un lien particulier entre le néope et la déesse : Artémis est souveraine dans le sanctuaire supervisé par le néope et abritant les inscriptions.

Alors que l’analyse quantitative du matériel archéologique découvert dans l’Artemision d’Éphèse dessine le portrait d’une divinité protectrice de la croissance et de la sexualité féminines, celle des noms de la déesse révèle un tout autre profil. Les noms forgés par les différents acteurs de la vie politique éphésienne célèbrent sa puissance et la déclinent suivant leurs besoins. La DB MAP permet donc, en un lieu donné et pour un culte précis, de cerner le profil des agents attestés dans les différentes séquences onomastiques et d’en apprécier l’évolution dans la longue durée. On parvient ainsi à comprendre le rapport des Éphésiens à la déesse à travers des stratégies de dénomination ; on peut dès lors articuler plus finement la dimension individuelle et collective, la « religion vécue » et l’horizon civique. Enfin, la mise en résonance du matériau onomastique avec le matériau archéologique, en particulier iconographique, invite à envisager la coexistence de plusieurs langages véhiculant des représentations différenciées du divin, ce qui ajoute un élément de complexité pour appréhender la pluralité des systèmes de dieux.

Zeus et Hécate à Stratonicée : non numerantur sed ponderantur

La divinité tutélaire d’une cité est-elle pour autant toujours, comme c’est le cas pour l’Artémis Éphésienne, celle qui compte le plus grand nombre d’attestations dans la DB MAP ? Le riche corpus épigraphique de Stratonicée de Carie, datant principalement de l’époque impériale, offre un cas d’étude intéressant pour réfléchir à cette question. Ici, au lieu de partir d’une divinité et de son répertoire onomastique, on examine d’abord un lieu pour déchiffrer le réseau de divinités qu’il abrite, en particulier le micro-réseau des divinités tutélaires.

Dans les inscriptions de la cité de Stratonicée, l’élément Zeus qualifié apparaît 216 fois au sein de 203 attestations de la DB MAPFootnote 59. Parmi les différents éléments associés à Zeus, on trouve un toponyme, dans la séquence Zeus Panamaros, qui renvoie au sanctuaire extra-urbain de PanamaraFootnote 60. La séquence onomastique « Zeus Panamaros/Panêmeros »Footnote 61 apparaît dans 130 attestations et le dieu est simplement appelé « Panamaros » ou « le dieu Panamaros » dans 12 attestations supplémentaires. À Panamara, il est également « le dieu ancestral » dans 3 attestations (ὁ πάτριος θεός, A#8101, 8112, 8113) ou encore « Zeus à Panamara » ([τοῦ Διὸς τοῦ ἐν Παναμ]άροις, A#7361), « Zeus Céleste » (Οὐράνιε Ζεῦ, A#8114) dans une inscription métrique, et peut-être « le dieu royal » ([τὸν ἀνακ]τόριον θεόν, A#8106)Footnote 62. Dans l’attestation #9321, il est le « dieu très manifeste/le plus manifeste » (ἐπιφανεστάτοις θεοῖς) aux côtés d’Hécate. Au total, Zeus Panamaros, sous un nom ou un autre, apparaît dans 149 attestations de la DB MAPFootnote 63.

La deuxième divinité la plus représentée à Stratonicée dans la base de données est Hécate, qui possède un sanctuaire extra-urbain à LaginaFootnote 64, avec 51 attestations. Elle apparaît également dans l’attestation #9321, déjà mentionnée, où elle et Zeus Panamaros/Panêmeros sont qualifiés de « dieux très manifestes » (ἐπιφανεστάτοις θεοῖς), et c’est peut-être elle qui est désignée sous le nom de Sôteira (« la Salvatrice ») dans l’attestation #8946, de lecture difficileFootnote 65. L’ordre de grandeur ne change pas si l’on exclut les attestations de lecture incertaine, soit 10 attestations sur 149 pour Zeus et 5 attestations sur 53 pour Hécate. Viennent ensuite Héra, mentionnée 42 fois (toutes qualités de lecture confondues), la plupart du temps aux côtés du Zeus de Panamara, et Artémis avec 15 attestations seulement. Ces chiffres suggèrent une primauté incontestable de Zeus Panamaros, mentionné trois fois plus fréquemment qu’Hécate dans la DB MAP.

Pourtant, l’inscription I.Stratonikeia 1101 (S#7200), provenant du centre urbain et datée du iie siècle de n. è., attribue à Zeus Panamaros/Panêmeros et à Hécate un rôle équivalent dans la protection de la cité. Elle mentionne « les très grands dieux qui sont à la tête de [la cité], Zeus Panêmeros et Hécate » (τῶν προεστώτων αὐτῆς μεγίστων θεῶν [Διὸς Π]ανημε[ρίου καὶ Ἑ]κάτης) ; tous deux ont, par le passé, sauvé la cité de nombreux dangers. Dans leurs sanctuaires, déclarés inviolables par le Sénat romain, ils doivent recevoir des honneurs égaux de la part de la citéFootnote 66. Dans cette inscription, Zeus Panêmeros et Hécate sont qualifiés ensemble de « très grands » (l. 2 : μεγίστων) et de « très manifestes » (l. 6 : ἐπιφανεστάτοις). Ces deux adjectifs s’appliquent régulièrement à l’un ou à l’autre dans les inscriptions de Stratonicée, le plus souvent au superlatif, pour souligner qu’il s’agit des deux divinités qui défendent la cité.

La déesse est « très grande » et/ou « (très) manifeste » dans 35 attestations (dont les attestations #9318 et #9321, où ces adjectifs s’appliquent aussi à Zeus). Zeus Panamaros/Panêmeros, quant à lui, est « très grand » et/ou « très manifeste » dans 17 attestations seulement (dont les 2 qu’il partage avec Hécate)Footnote 67 – soit deux fois moins qu’Hécate, même s’il apparaît trois fois plus souvent qu’elle dans la DB MAP (tabl. 6). Hécate est qualifiée par l’un et/ou l’autre de ces adjectifs dans environ deux tiers des attestations de la base de données qui la concernent, tandis que c’est le cas d’environ 10 % seulement des attestations de Zeus Panamaros/Panêmeros. En outre, s’il n’est pas étonnant qu’elle soit « (très) grande » et/ou « très manifeste » plus souvent que Zeus à Lagina (21 fois pour Hécate contre 7 pour Zeus Panamaros/Panêmeros), c’est encore elle qui est le plus souvent qualifiée par l’un et/ou l’autre de ces adjectifs dans le sanctuaire de Zeus à Panamara (11 attestations pour Hécate, dont 1 probable et 0 incertaine, contre 7 pour Zeus, dont 1 incertaine)Footnote 68. Ces données chiffrées suggèrent que la déesse occupe une place au moins aussi importante que le dieu dans le « panthéon » de Stratonicée.

Tableau 6 – Nombre d’attestations où Zeus Panamaros/Panêmeros et Hécate sont qualifiés de très grands et/ou très manifestes à Stratonicée

Partant, comment expliquer la place numériquement prépondérante de Zeus Panamaros/Panêmeros dans la DB MAP ? Un premier élément à prendre en compte est que les attestations composées d’un théonyme seul n’y sont pas enregistrées. Or, Hécate est mentionnée par son théonyme seul dans 54 attestations non retenues dans la base de donnéesFootnote 69, contre 51 attestations à plusieurs éléments enregistrées. Par contraste, à Panamara, Zeus n’est mentionné par son théonyme seul que dans 18 attestationsFootnote 70, comparées aux 142 attestations où l’élément Panamaros/Panêmeros apparaît : le dieu n’est donc mentionné sans attribut onomastique que dans 10 % des cas contre plus de 50 % pour Hécate. Cette différence peut être due au fait que la cité de Stratonicée reconnaissait une seule Hécate, celle du sanctuaire de Lagina, tandis que de multiples Zeus y étaient honorés et que, de façon générale, Zeus est rarement mentionné sans épithète dans le monde grecFootnote 71.

Par ailleurs, dans les inscriptions, Zeus comme Hécate peuvent être simplement appelés « le dieu » (ὁ θεός) ou « la déesse » (ἡ θεά/θεός). C’est le cas dans 95 attestations non retenues dans la DB MAP pour Zeus et 35 pour HécateFootnote 72. Au total, en prenant en compte les séquences onomastiques enregistrées dans la base de données ainsi que leurs désignations par un théonyme seul ou par le mot « dieu », Zeus et Hécate apparaissent respectivement dans 262 et 142 attestations (tabl. 7). Le rapport de 1 à 3 entre les attestations des deux divinités obtenu à partir des attestations de la DB MAP se réduit ainsi à un rapport de 1 à 2 environ lorsque l’on prend en compte toutes les sources désignant les deux divinités.

Tableau 7 – Nombre d’attestations de Zeus Panamaros/Panêmeros et d’Hécate à Stratonicée

Un deuxième élément à prendre en compte pour étudier la place relative des deux divinités dans la cité est le nombre élevé d’inscriptions trouvées dans le sanctuaire extra-urbain de Zeus à Panamara. Dans les trois volumes des inscriptions de Stratonicée, environ 430 inscriptions proviennent de ce sanctuaire, qui n’a pourtant pas fait l’objet de fouilles. Par contraste, le sanctuaire d’Hécate à Lagina, qui a été fouillé, a livré moins de 265 inscriptions publiées. Cette différence pourrait être partiellement due aux aléas de la conservation des textes. En effet, le sanctuaire de Lagina est situé à proximité immédiate du village moderne de Turgut, tandis que les ruines du sanctuaire de Panamara sont difficiles d’accès : les supports des inscriptions du sanctuaire d’Hécate ont ainsi bien plus de chance d’avoir été extraits de leur contexte originel pour être remployés que ceux du sanctuaire de Zeus.

Les deux lieux de culte ont aussi livré des sources de type différent, outre les commémorations de prêtrises qui sont communes. Parmi les 264 inscriptions de Lagina, 141 sont des listes de prêtrises, gravées sur les murs du temple ; ces documents sont sans équivalent à Panamara, où les ruines du temple n’ont pas été identifiées avec certitude. Inversement, les dédicaces sont très nombreuses à Panamara, où l’on compte notamment une centaine d’inscriptions dans lesquelles de jeunes garçons et plus rarement des adultes dédient leur chevelure au dieuFootnote 73, tandis qu’elles sont beaucoup plus rares à Lagina : parmi les sources enregistrées dans la DB MAP, on compte 84 dédicaces à Panamara et 8 seulement à Lagina. Faut-il supposer la perte des dédicaces de Lagina ou plutôt une différence d’habitus épigraphique ?

Quoi qu’il en soit, le nom des divinités apparaît plus fréquemment dans certains types de sources que dans d’autres. Omniprésent dans les dédicaces, il n’est guère mentionné dans les listes de prêtrises. Dans le sanctuaire de Lagina, ces dernières représentent plus de la moitié des inscriptions, tandis que les dédicaces y sont presque absentes. Ces différences expliquent pourquoi Zeus Panamaros/Panêmeros apparaît plus souvent dans les inscriptions de Panamara qu’Hécate dans les inscriptions de Lagina. En effet, dans les 430 inscriptions de Panamara, le dieu, quelle que soit sa dénomination (Zeus Panamaros, Zeus, « le dieu », etc.), est mentionné dans 227 attestations, soit un rapport de 53 attestations pour 100 inscriptions. Hécate, quant à elle, n’apparaît que dans 77 attestations sur les 264 inscriptions de Lagina, soit 29 attestations pour 100 inscriptions. La masse et la nature des inscriptions des deux sanctuaires suffisent-elles à expliquer la sous-représentation d’Hécate ?

Pour mieux évaluer la place respective de Zeus et d’Hécate dans la cité, étudions les mentions des deux divinités en dehors de leur sanctuaire propre (tabl. 8). Zeus Panamaros/Panêmeros figure dans 13 attestations du sanctuaire d’Hécate à Lagina, dont 12 inscriptions commémorativesFootnote 74, dans lesquelles des membres de l’élite exposent leurs charges, notamment des prêtrises, comme celle d’Hécate et de Zeus Panamaros/Panêmeros. Puisque les individus exerçant la prêtrise de Zeus Panamaros/Panêmeros assument aussi fréquemment celle d’Hécate et inversement, il n’est pas étonnant de trouver des mentions de Zeus Panamaros/Panêmeros à Lagina dans ce type d’inscriptions. Quant à Hécate, elle est mentionnée à Panamara dans 42 inscriptions honorifiques ou commémoratives concernant des membres du personnel du culte de la déesse ou des actes d’évergétisme. Elle est aussi la destinataire de 4 ou 5 dédicaces, aux côtés de Zeus Panamaros/Panêmeros et Héra ou, dans un cas, d’autres divinitésFootnote 75. La présence plus importante d’Hécate à Panamara que de Zeus Panamaros/Panêmeros à Lagina pourrait s’expliquer par le nombre supérieur d’inscriptions provenant du sanctuaire de Panamara.

Dans le centre urbain de Stratonicée, Hécate est mentionnée dans 17 attestations, toutes dénominations confondues. Plusieurs de ces attestations appartiennent à l’inscription I.Stratonikeia 1101, déjà mentionnée, qui rappelle que la déesse et Zeus Panamaros/Panêmeros ont sauvé la cité à de nombreuses reprises et qui, pour cette raison, prescrit un accroissement des honneurs à leur rendre. Hécate est également mentionnée dans des inscriptions commémoratives ou honorifiques, ainsi que dans 4 dédicaces, 1 fois comme unique destinataire, 1 fois associée à Zeus Panamaros, 1 fois avec Zeus (sans épithète) et Némésis. Enfin, un bâtiment de dimensions importantes était dédié à Hécate et un empereur, comme l’indique l’inscription de son architraveFootnote 76.

Quant à Zeus Panamaros/Panêmeros, il apparaît dans 25 attestations dans le centre urbain de StratonicéeFootnote 77, soit légèrement plus qu’Hécate. Comme pour la déesse, il s’agit dans plusieurs cas de mentions de prêtrises ou d’actes d’évergétisme pendant sa fête. Une différence importante est la présence d’un oracle du dieu, attesté par une ou deux réponses oraculairesFootnote 78. Zeus est notamment interrogé sur une possible attaque de barbaroi ; en plus de protéger la cité par des manifestations spontanées, comme Hécate, il peut ainsi être consulté par Stratonicée en cas de danger.

Par ailleurs, Zeus Panamaros/Panêmeros reçoit un plus grand nombre de dédicaces qu’Hécate dans le centre urbain. Il est le seul destinataire de 4 à 6 dédicaces, dont l’une concerne une fontaineFootnote 79. Il apparaît également aux côtés d’Hécate dans 1 dédicaceFootnote 80, d’Héra 2 autres foisFootnote 81 et d’une divinité dont le nom n’est pas préservé dans 1 inscriptionFootnote 82. 2 inscriptions, où le nom du dieu apparaît au génitif, sont peut-être des bornes de son sanctuaire plutôt que des autelsFootnote 83. Au total, Zeus Panamaros/Panêmeros apparaît deux ou trois fois plus souvent qu’Hécate dans le centre urbain, une proportion équivalente à celle que l’on retrouve au niveau de la cité tout entière. Cependant, au vu du faible échantillon, il faut se demander si cette différence est statistiquement significative. 4 des dédicaces à Zeus Panamaros/Panêmeros sont si fragmentaires que le type de support ne peut être déterminéFootnote 84, et la préservation d’un nombre plus important de dédicaces à Zeus qu’à Hécate pourrait être due aux aléas de leur conservation.

Tableau 8 – Nombre d’attestations de Zeus Panamaros/Panêmeros et d’Hécate hors de leur sanctuaire

L’ordre dans lequel les deux divinités sont mentionnées lorsqu’elles apparaissent ensemble dans une même attestation constitue-t-il un indice de leur statut respectifFootnote 85 ? Il n’est pas surprenant que, dans le sanctuaire de Zeus à Panamara, le dieu soit mentionné avant Hécate dans 5 attestations – des dédicaces et des inscriptions commémorant des offrandes ou prêtrisesFootnote 86. Dans une sixième attestation, Hécate est mentionnée avant ZeusFootnote 87, mais il n’est pas inconcevable que ce choix reflète l’ordre chronologique des prêtrises exercées par la personne commémoréeFootnote 88. Une comparaison avec le sanctuaire de Lagina n’est pas possible puisque Hécate et Zeus Panamaros/Panêmeros n’y sont jamais mentionnés dans une même attestation. En revanche, c’est le cas dans 2 inscriptions du centre urbain. L’inscription I.Stratonikeia 1101 mentionne ainsi « les très grands dieux qui sont à la tête de (ou qui protègent) [la cité], Zeus Panêmeros et Hécate »Footnote 89, tandis que l’autre inscription est une dédicace à Zeus Panamaros et HécateFootnote 90. Dans les deux cas, Zeus précède Hécate. Si l’on peut en tirer des conclusions générales malgré la faiblesse de l’échantillon, cela ne nous autorise pas à conclure à une hiérarchie stricte entre les deux divinités. Au contraire, l’inscription I.Stratonikeia 1101 suggère une importance égale pour les deux divinités, mais l’une des divinités doit nécessairement être citée avant l’autre dans le texte. Le fait qu’il s’agisse de Zeus relève plutôt d’une tendance panhellénique à faire apparaître Zeus en premier lorsqu’il est mentionné avec d’autres puissances divinesFootnote 91.

Qu’en est-il de l’ordre des prêtrises ? Alfred Laumonier, dans son étude des cultes cariens, suggérait que la prêtrise d’Hécate était la plus importante puisqu’elle venait en général après celle de Zeus Panamaros/Panêmeros et couronnait ainsi une sorte de cursus honorum des élites stratonicéennes ; selon l’auteur, il serait beaucoup plus rare de trouver le cas inverseFootnote 92. Cette affirmation demanderait à être vérifiée par une nouvelle étude prosopographique complète des prêtres et prêtresses de Lagina et PanamaraFootnote 93. Toutefois, l’Asie Mineure ne semble pas avoir connu d’équivalent du cursus honorum romainFootnote 94. De plus, l’exemple de Lindos invite à la prudence : en effet, après 220 av. n. è. environ, la prêtrise d’Artémis Kékoia y intervient après celle d’Athéna Lindia et de Zeus Polieus, la prêtrise éponyme, qui est incontestablement la plus importanteFootnote 95. À Stratonicée, l’ordre des prêtrises ne permet donc pas de tirer de conclusions sur la hiérarchie entre Zeus Panamaros et Hécate.

Il en va de même des monnaies de la cité contemporaines de la majorité des sources épigraphiques, soit les monnaies frappées à partir de la deuxième moitié du ier siècle av. n. è. Les didrachmes du type A du groupe 4Footnote 96 placent Hécate à l’avers et Zeus Panamaros à cheval au revers pour le type 1, et seulement Zeus Panamaros au revers pour le type 2. Quant aux drachmes du type A, ils figurent uniquement Hécate à l’avers. Les types B et C, ainsi que le groupe 5 daté du règne d’Antonin le Pieux, figurent Zeus Panamaros sur les didrachmes, au revers, et Hécate sur les drachmes, à l’avers. Faut-il considérer que la divinité la plus importante est celle qui figure à l’avers des monnaies, auquel cas il s’agirait d’Hécate à l’époque impériale ? Ou celle qui figure sur les plus grandes dénominations, même si elle est représentée sur le revers, comme Zeus Panamaros ? On le voit : aucune hiérarchie stricte ne se dégage des monnaiesFootnote 97.

En définitive, en dehors du nombre bien plus important d’attestations de Zeus Panamaros/Panêmeros que d’Hécate dans la DB MAP, les indices suggérant un statut plus éminent du dieu au sein de la cité sont maigres : il s’agit principalement du nombre légèrement plus important d’inscriptions dans le centre urbain et du fait que, dans 2 inscriptions de la ville, il est nommé avant la déesse. Au contraire, le fait qu’Hécate soit appelée « (très) grande » et « très manifeste » plus souvent que Zeus Panamaros/Panêmeros suggère que le nombre d’attestations dans lesquelles elle apparaît ne reflète pas son importance dans la cité. Comme ailleursFootnote 98, il faut probablement considérer que Zeus et Hécate sont au même titre des divinités tutélaires, mais de façon différenteFootnote 99.

Cette étude de cas centrée sur une cité montre qu’une approche quantitative des données ne peut faire l’économie d’une analyse qualitative et que la question des hiérarchies divines n’est pas affaire de simples comptages. On a vu aussi que, pour répondre à certaines questions, les données contenues dans la DB MAP doivent être intégrées avec celles qui ne s’y trouvent pas (les noms divins « nus », sans caractérisation). En comparant les données éphésiennes et stratonicéennes, on observe ainsi que la notion de divinité tutélaire, souvent présentée de manière « définitive » par les sources littéraires, fait l’objet de négociations impliquant une pluralité de lieux et d’agents. Reste enfin à noter combien la faible densité des données pèse sur certaines lectures ; cette incertitude ne doit cependant pas dissuader de s’adonner à la cuisine quantitative, fût-elle minimaliste.

Athéna à Lindos et Asclépios à Épidaure : deux poids lourds ?

Dans notre exploration des dieux qui pèsent, envisager les divinités propriétaires de grands sanctuaires semble a priori une piste prometteuse que nous avons déjà explorée à travers Artémis et son sanctuaire éphésien. On envisagera ici deux autres cas significatifs nécessitant la mise en œuvre d’une méthodologie appropriée pour éviter la reductio ad unum d’une scène foncièrement polythéiste. Nombreux sont les lieux de culte riches en inscriptions votives, donc en séquences onomastiques divines, qui permettent d’accéder à un « paysage religieux », inscrivant la pluralité des dieux attestés dans un espace où ils peuvent interagirFootnote 100. La double étude de cas qui suit portera sur deux d’entre eux : l’acropole de Lindos, consacrée à Athéna, déesse tutélaire de la cité lindienne devenue communauté de l’entité politique rhodienne unifiée à partir de 408 av. n. è. ; l’Asclépieion d’Épidaure, en Argolide, centre d’un important culte guérisseur dont le large rayonnement était perceptible à travers l’attraction de pèlerins venus de l’ensemble du monde grec. On comparera les données issues de ces deux sanctuaires, en prêtant attention au poids des divinités titulaires par rapport aux autres dieux et déesses qui habitent ces lieux. Athéna et Asclépios n’étaient en effet pas les seuls à recevoir un culte sur l’acropole lindienne ou dans l’Asclépieion d’Épidaure. En revanche, leurs poids onomastiques relatifs sont assez différents ; mesure prise de cet écart, on se demandera si les chiffres autorisent à distinguer dans les sociétés divines des deux sanctuaires deux types de morphologie polythéiste ou, tout du moins, s’il est possible d’expliquer un tel écart.

L’importance de la moisson épigraphique issue des fouilles de l’acropole de Lindos par Karl Frederik Kinch (1902-1914) invite à une étude quantitative des données, notamment des attributs onomastiques divins. Sur un total de 710 inscriptions publiées en 1941 par Christian Blinkenberg dans le volume II des Fouilles de Lindos (I.Lindos)Footnote 101, provenant presque toutes de l’acropole, 335 contiennent au moins une séquence onomastique divine et ont ainsi été enregistrées dans la DB MAP, soit 47,2 % du total du corpus. À ces documents, il faut ajouter une vingtaine d’inscriptions découvertes sur l’acropole avant les fouilles de K. F. Kinch mais non systématiquement reprises dans les I.Lindos et une autre vingtaine publiées depuis, ce qui porte le total à 382 sources. La présence du sanctuaire d’Athéna sur l’acropole lindienne explique l’orientation typologique de la documentation : les dédicaces y sont nombreuses et l’identité de leurs destinataires divins a nourri une abondante récolte dans la DB MAP. Ainsi, à Lindos – nonobstant les réserves formulées plus haut sur l’identification comme destinataire d’une divinité dont le nom apparaît au datif – on a enregistré un total de 579 attestations, dont 399 sont tirées de dédicaces (68,9 %). 300 d’entre elles sont destinées à Athéna, seule ou en compagnie d’autres divinités, soit 75,2 % du total des dédicaces. Ce pourcentage montre qu’Athéna est bien la divinité principale sur l’acropole, même si elle n’y est pas seule, comme le montre l’attestation #15977, une dédicace pour « Athéna Lindia [et] tous les dieux ». En dehors des dédicaces stricto sensu, les autels désignés comme propriétés de Zeus Sôtêr (Sauveur) et Praxidika Epêkoos (Faiseuse-de-Justice Qui-écoute) indiquent que ces deux divinités recevaient elles aussi un culte sur l’acropole lindienneFootnote 102. En revanche, de nombreuses inscriptions de l’acropole listent des prêtres desservant des cultes relevant de la communauté lindienne mais localisés dans d’autres sanctuaires (par exemple, Artémis Kekoia).

Quant aux épithètes, Athéna est principalement Lindia (378 sur un total de 399 dédicaces, soit 94,7 %), attribut qui est le plus caractéristique, suivi de loin par Polias (« De l’acropole », mais aussi « De la cité », au sens géographique autant que politique ; 7 attestations). Un constat chronologique peut d’ores et déjà être formulé : l’essentiel des données retenues est postérieur au ve siècle av. n. è. Athéna, notamment, ne se voit fréquemment attribuer son épithète Lindia qu’à partir du ive siècle, exception faite d’une (ou deux ?) dédicace(s) sur vase, datable(s) de la fin du vie ou du ve siècleFootnote 103. Il pourrait y avoir là un effet du synœcisme rhodien de 408 av. n. è., par lequel les trois cités de l’île, Ialysos, Camiros et Lindos, jusqu’alors indépendantes, ont fusionné en une seule et même entité politique dont le centre urbain a été installé dans la nouvelle ville de Rhodes, à l’extrémité nord-est de l’île. Les trois anciennes cités, désormais « communautés », ont conservé certaines prérogatives au sein du nouvel État rhodien, notamment en matière religieuseFootnote 104. La présence d’une Athéna Polias à Camiros, à Ialysos et dans la ville de Rhodes a participé de ce processus d’intégration, vis-à-vis duquel le maintien de l’épithète Lindia pour la déesse de Lindos – à bien des égards la Polias localeFootnote 105 – peut être lu comme un contrepoids à cette dynamique centripète ou, si l’on préfère, l’expression d’un rapport de force favorable à la communauté lindienne et son sanctuaire, ancien et réputé.

Quand Athéna est accompagnée d’une ou plusieurs autres divinités, elle est le plus souvent en binôme avec Zeus. Le couple fille-père, Athéna Lindia et Zeus Polieus, apparaît dans 160 attestations à deux puissances divines, ce qui représente 27,6 % du total des attestations du sanctuaire, auxquelles il faut ajouter les cas où ils sont inclus dans des listes divines plus longues (trois puissances divines ou plus)Footnote 106. Cela semble peu à première vue, mais si l’on prend comme point de départ de la comparaison le nombre d’attestations comportant des binômes à Lindos, 182 au total, la présence simultanée de Zeus et d’Athéna représente 89,2 % de tous les binômes lindiens. Le nombre est encore plus important quand on regarde de près les exceptions. Ainsi, dans le cas particulier de Lindos, il y a de « faux binômes », c’est-à-dire deux divinités qui apparaissent ensemble, non pour recevoir un culte commun mais parce qu’elles désignent deux prêtrises distinctes cumulées par un même agent, donc listées l’une après l’autre : c’est le cas d’une prêtresse d’Athéna Lindia et d’Artémis Pergaia (De Pergè) dont les enfants ont dédié la statue « aux dieux » vers 9 av. n. è. (A#14566). La prêtrise « de Lindos et des autres héros » (A#17340 et #17396, par exemple) constitue un cas intermédiaire : la séquence onomastique divine ne désigne pas un binôme stricto sensu, mais elle se rapporte bien à une seule et même prêtrise. Ces cas exclusFootnote 107, le binôme Athéna Lindia et Zeus Polieus semble donc régner sans partage sur l’acropole de Lindos ; même en limitant l’enquête aux seuls récipiendaires de dédicaces, au datif, c’est-à-dire en excluant les séquences onomastiques se référant à des prêtrises, au génitif, le binôme divin représente 68 des 75 attestations concernées, soit plus de 9 attestations sur 10Footnote 108. Ces considérations nous permettent d’isoler deux cas où Athéna Lindia est associée à une autre divinité que Zeus, cas qui, compte tenu du faciès statistique des données lindiennes, paraissent d’autant plus significatifs : une dédicace à Athéna Lindia et à Héraclès (A#14557), et une autre à Athéna Lindia et Hermès Hagemôn (Guide) (A#16596). Dans les deux cas, Athéna Lindia est associée à une divinité dont le choix procède de circonstances propres à l’agent destinateur, qui n’est pas rhodien. En effet, la dédicace pour Athéna et Héraclès émane d’un citoyen d’Arados, bienfaiteur de la cité, et de sa sœur, une Sidonienne, qui ont consacré la statue de leur mère, également citoyenne de Sidon. La mention d’Athéna Lindia semble d’abord servir à situer géographiquement la dédicace dans le sanctuaire de cette déesse, alors que celle d’Héraclès relève d’un culte que les dédicants auraient pu emmener depuis la PhénicieFootnote 109. Il en va peut-être de même d’Hermès Hagemôn, mobilisé par un Massaliote, qu’on l’envisage comme le protecteur d’une mobilité possiblement maritime et/ou commercialeFootnote 110, ou qu’on le rapproche d’un contexte plutôt militaire. Hermès Hagemonios (quasi-synonyme d’Hagemôn) recevait en effet un culte de la part de stratèges rhodiens en sortie de chargeFootnote 111. Dans ce cas, le Massaliote se serait tourné vers un dieu local, peut-être à l’occasion d’un service dans l’armée rhodienne. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de constater que, dans ces deux exemples, une autre divinité désignée par des dédicants étrangers s’est substituée à Zeus Polieus en tant que compagnon de la divinité tutélaire de la cité, Athéna Lindia.

En revenant aux épithètes d’Athéna, on a vu plus haut qu’Athéna Lindia faisait presque l’unanimité des dédicaces (94,7 %). De fait, à l’examen des exceptions, on constate qu’elles font référence de manière indirecte à la même Athéna. Ainsi, Athéna Polias, qui n’existe qu’en tant que compagne de Zeus Polieus Footnote 112, désigne aussi l’Athéna qui régit l’acropole de Lindos, autrement dit Lindia. De même, dans la Chronique de Lindos, une Athéna Patrôa (Ancestrale) est mentionnée en lien avec les habitants de Géla, colonie commune aux Rhodiens et aux Crétois, de sorte qu’il s’agirait d’une manière prêtée aux Géléens de faire référence à Athéna Lindia en tant que déesse de leurs ancêtres rhodiens (A#9630)Footnote 113.

Si l’on passe à présent au cas de l’Asclépieion d’Épidaure et de sa divinité tutélaire, Asclépios, on constate qu’il est assez différent de celui d’Athéna à Lindos. Sans surprise, la divinité qui reçoit le plus d’offrandes sur les 226 adressées à une seule puissance est Asclépios, destinataire de 35 offrandes au totalFootnote 114. En revanche, si l’on se limite aux offrandes à une seule puissance accompagnée d’une qualification (et donc enregistrées dans la DB MAP), Asclépios ne représente que 9,3 % du total (17 attestations sur 184).

Figure 2 – Proportion d’offrandes pour Asclépios seul (avec ou sans épithètes) à l’Asclépieion d’Épidaure par rapport au nombre total d’offrandes à une seule puissance divine

Ce trait relève d’une tendance généralisée en Grèce, à savoir qu’Asclépios n’est guère accompagné d’épithète(s) avant l’époque romaineFootnote 115. En effet, dans son état actuel, la DB MAP totalise 3 445 offrandes adressées à une seule puissance divine en langue grecque (toutes régions confondues), dont seulement 51 à Asclépios seul, soit à peine 1,5 %. Sur ces 51 cas, seuls 4 sont avec certitude antérieurs à l’époque romaine, dont 2 figurent dans des inscriptions métriques, l’une étant épidaurienne (ἄναξ Ἀσκληπιέ ; A#13336). Les seuls cas en prose sont de fait des cas limites : la référence à un Asclépios en Isthmôi « à l’Isthme » dans l’un des calendriers sacrificiels de Cos du iie siècle av. n. è. (A#19386) n’est probablement pas un attribut onomastique stricto sensu, mais une indication qui situe le lieu du sacrificeFootnote 116 ; la dédicace à Asclépios en Epidaurôi « à Épidaure » en Carie à l’époque hellénistique ne fait rien d’autre que situer la divinité dans son sanctuaire le plus célèbre (A#10843). Par conséquent, Asclépios seul en tant que destinataire d’offrandes est un dieu sans épithète aux époques classique et hellénistique, ce qui fait que, même s’il est la divinité principale du sanctuaire d’Épidaure dès ces époques, cela ne se reflète pas dans la DB MAP. On a là une sorte d’angle mort.

Si l’on revient aux statistiques globales sur le sanctuaire d’Épidaure, concernant les divinités avec ou sans épithète, Asclépios est certes le mieux représenté, mais les inscriptions votives le concernant ne représentent que 15,5 % du total des 226 dédicaces à une seule puissance divine. Il est suivi de près par Zeus (31 dédicaces, 13,7 %), Artémis (29, 12,8 %) et Apollon (23, 10,2 %). Ces quatre divinités totalisent à elles seules 52,2 % du total des offrandes faites à une seule puissance divine, suivies de loin par Athéna, qui ne « pèse » que 6,2 % dans cette catégorie.

Figure 3. – Répartition des dédicaces entre les divinités attestées dans l’Asclépieion d’Épidaure

De ces statistiques on déduit non seulement qu’Asclépios n’était pas seul dans son sanctuaire, mais que les autres divinités, envisagées individuellement, sont numériquement presque aussi importantes que lui. C’est encore plus évident quand on constate que les dédicaces à une seule puissance divine autre qu’Asclépios ou sa famille (son père Apollon, son épouse Épionè, ses enfants Hygie, Télesphoros et Linos) représentent 157 attestations, soit 69,5 %, ou 54,9 % du total des offrandes (tant à une qu’à plusieurs puissances). L’importance des divinités qui accompagnent Asclépios et sa famille dans le sanctuaire est perceptible dans quelques inscriptions de date relativement haute : ainsi, dans le règlement sacré de la fin du ve siècle av. n. è., on prévoit de faire un sacrifice pour ceux et celles qui partagent le temple avec Asclépios (Ὁμονάοις, Ὁμονάαις ; A#10585) ; dans le décret de proxénie et d’asylie pour les habitants d’Astypalée, colonie présumée des Épidauriens, daté du ive siècle av. n. è., il leur est permis de sacrifier « aux dieux qui se trouvent à Épidaure » (A#13252).

Le constat se modifie si l’enquête statistique se concentre sur les binômes ou groupes de plus de deux puissances divines. Dans ce cadre, sur un total de 60 dédicaces (20,9 % du total), 45 sont consacrées à Asclépios et/ou un ou plusieurs membre(s) de sa famille directe ; 42 attestations mentionnent ainsi Asclépios, dont 30 le binôme père-fils Apollon, souvent Maleatas (De Maléa), et Asclépios.

Figure 4. – Répartition des dédicaces aux binômes ou groupes de divinités

Une approche quantitative montre donc que le sanctuaire est construit non pas tant autour d’Asclépios seul qu’autour du binôme Apollon-Asclépios, ce qui est en accord avec le fait que le sanctuaire d’Apollon Maleatas sur le proche mont Kyon précède celui d’Asclépios. Ce bilan fait aussi écho à l’intitulé de la première stèle contenant les récits de guérisons miraculeuses du sanctuaire (les iamata), où l’on peut lire « Iamata d’Apollon et d’Asclépios », en dépit du fait qu’Apollon n’est pas mentionné dans ces récits de guérisonFootnote 117.

La recherche peut être poussée plus loin si l’on répartit les données issues du sanctuaire entre l’époque romaine et les périodes antérieures. En effet, le sanctuaire d’Asclépios avait failli disparaître vers la fin de l’époque hellénistique, peut-être abandonné pendant quelque temps, avant de connaître une seconde vie à l’époque romaine, avec un programme de (re)construction accompagné d’un changement d’orientation du culte. Celui-ci fait désormais référence non seulement au culte local remontant au ive siècle av. n. è., mais aussi au sanctuaire d’Asclépios à Pergame, qui était le plus important à l’époqueFootnote 118. Aussi le caractère guérisseur du sanctuaire des époques classique et hellénistique se reflète-t-il dans les séquences onomastiques, avec des théonymes et des épithètes en relation avec la santé (par exemple des mentions d’Asclépios ou de sa fille Hygie [« Santé »], des épithètes comme Alexiponos « Qui écarte la douleur »), qui sont présents dans 71,9 % des attestations, alors qu’à l’époque romaine on ne les trouve plus que dans 28,9 % des attestations. Même si le binôme Apollon-Asclépios continue d’exercer le rôle de divinités tutélaires à l’époque romaine, les statistiques donnent à voir un changement de code : ce n’est plus tant le caractère guérisseur des divinités qui est mis en avant dans les dédicaces – même s’il reste important – que la dimension sociale des pratiques cultuelles privées, transmises au sein des élites épidauriennes qui exerçaient les charges publiques dans le sanctuaire (prêtres, purphoroi, etc.)Footnote 119.

En somme, la comparaison des données statistiques concernant les modalités onomastiques des offrandes adressées aux dieux sur l’acropole de Lindos et à l’Asclépieion d’Épidaure met en relief deux profils différents de sanctuaires. Au sein du premier, Athéna est fortement dominante : même si Zeus Polieus lui est souvent associé (dans une configuration assez proche de celle que l’on trouve à Athènes, où le père est en soutien de la position tutélaire de la filleFootnote 120), elle tient incontestablement le premier rôle, bien que d’autres divinités reçoivent aussi des offrandes sur la roche lindienne. À Épidaure, Asclépios partage l’espace cultuel avec son père Apollon, son épouse et ses enfants, et d’autres dieux/déesses homonaoi/homonaai. L’exclusivité et la pluralité relatives que les statistiques donnent à voir trouvent leur prolongement dans l’économie respective des grands (et célèbres) documents qui promeuvent la puissance des deux divinités : la Chronique de Lindos, dans le récit des offrandes en lien avec les épiphanies, est essentiellement composée à la gloire de la déesse, alors que les Iamata d’Épidaure sont attribués à Apollon et Asclépios, dans cet ordre.

Bien que ces tableaux soient instructifs, ils nécessitent un examen exhaustif et contextualisé de chaque séquence onomastique divine, seul moyen de pleinement apprécier l’équilibre des puissances au sein des sanctuaires. De plus, rappelons que certaines questions ne peuvent être résolues uniquement avec les données de la DB MAP ; elles requièrent l’intégration d’informations externes. Ainsi, le fait qu’Asclépios soit souvent mentionné sans épithète oblige à considérer également des données non incluses dans la base, afin d’évaluer correctement le « poids » de cette divinité dans son sanctuaire d’Épidaure – un biais moins sensible à Lindos, où Athéna est quasi systématiquement qualifiée de Lindia (du moins à partir du ive siècle av. n. è.).

Des dieux titrés : une exploration interculturelle

Parmi les indices permettant d’apprécier combien et comment un dieu « compte » figurent certains éléments onomastiques utilisés pour louer ou exalter une divinité en rehaussant sa puissance ; on les a déjà rencontrés à Éphèse et Stratonicée. Pour Robert Parker, ces praise epithets marquent la distance ontologique entre agents humains et interlocuteurs divins, tout en favorisant la captatio benevolentiae qui est au cœur du culteFootnote 121. Même si la portée sémantique d’un titre comme « Seigneur » peut sembler banale, il est indicatif d’une stratégie de communication et peut contribuer à structurer un panthéon. En examinant son usage au Levant, en Thrace et en Égypte, Nicole Belayche a montré que kurios exprime la « souveraineté » d’un dieu dans son sanctuaire ou sur un territoire plutôt qu’une prééminence hiérarchique ; despotês, en revanche, surtout dans les inscriptions métriques, peut traduire une relation privilégiée de l’interlocuteur humain avec le dieu et une orientation hiérarchiqueFootnote 122.

Dans la DB MAP, parmi la quarantaine de catégories servant à cerner la portée sémantique des éléments onomastiques figurent « Louange » (pour des éléments comme « grand », « renommé », « glorieux ») et « Titre » (pour des éléments comme « roi », « souverain », « Maître » et même « dieu »). Au sein des plus de 4 400 éléments actuellement enregistrés dans la DB MAP, plus de 70 sont reliés à la catégorie « Titre(s) » et plus de 200 à celle de « Louange », un nombre non négligeable d’éléments étant rattachés aux deux. Or, si l’on tire parti de l’échelle globale à laquelle la DB MAP donne accès et que l’on compare l’utilisation de ces deux éléments dans les sphères sémitique et grecque, on s’aperçoit qu’ils sont bien plus fréquents du côté sémitique : parmi les 24 900 attestations que contient actuellement la DB MAP, dont environ 7 000 en sémitique et environ 17 900 en grec, on en dénombre près de 12 360 contenant un ou plusieurs éléments catégorisés comme « Louange » et/ou « Titre ». Mais, parmi les 17 900 attestations grecques, seules 5 890 environ ont recours à un élément « Titre »/« Louange », soit un peu moins d’1/3, tandis que, parmi les 7 000 attestations sémitiques, un peu moins de 6 500 (dont 4 500 environ provenant du tophet de Carthage) en contiennent un ou plusieurs, soit 9/10.

Figure 5 – Fréquence du recours aux éléments « Louange » / « Titre » dans les attestations selon la langue

En partant de cette disparité macroscopique, scrutons deux régions marquées par le multilinguisme et le multiculturalisme, à savoir le Proche-Orient et l’Égypte des époques hellénistique et romaine, pour repérer de possibles interférences dans la manière de caractériser, et peut-être de hiérarchiser, les puissances divines au moyen de titres. Sélectionnons d’abord 23 titres, en grec (11) et en sémitique (12)Footnote 123, relevant de la sphère du pouvoir, de la protection ou de la tutelle, en laissant de côté 22 titres plus génériques (« dieu », « excellent », « très sacré », « admirable », « très haut », « très grand », etc.). Ces 23 titres correspondent à des usages différents. Ainsi l’élément bʿl (« seigneur », « maître ») sert-il surtout à former des syntagmes théonymiques du type « seigneur de » + toponyme ou domaine (Baal de Sidon, Baalat de Byblos, Baal des Cieux)Footnote 124, tandis que l’élément ʾdn, signifiant aussi « seigneur », qualifie généralement un théonyme, qu’il précède ou suit (« pour le seigneur pour Baal Hammon »).

Tableau 9 – Titres grecs et sémitiques du Proche-Orient retenus pour l’étude statistique

Au Proche-Orient, on dénombre 350 attestations sur un total de 1 698 (813 grecques, 885 sémitiques) contenant un ou plusieurs des 23 titres retenus. Un usage différencié entre grec et sémitique apparaît à nouveau clairement : on dispose de 99 attestations en grec, soit 12 % du total des attestations grecques du Proche-Orient et 28 % des 350 attestations retenues, et de 251 en sémitique, soit 28 % du total et 71 % des attestations pertinentes. Parmi les 23 éléments-titres, en sémitique, bʿl (« seigneur », « maître ») et mrʾ/mrʾh (« seigneur ») sont les plus fréquents, avec respectivement 94 et 54 attestations, soit 37 % et 21 % de l’ensemble des attestations sémitiques comprenant des titres. En grec, c’est l’élément kurios (« seigneur ») qui détient la primauté, avec 81 attestations sur 99 (soit 8/10), suivi par despotês (« maître »), avec 8 attestations sur 80, soit 1/10.

La comparaison entre les deux blocs linguistiques fait en outre ressortir un paradoxe : la variété d’éléments-titres en sémitique est sensiblement moindre qu’en grec, en dépit du nombre plus élevé de séquences onomastiques les incluant. Ainsi, aux 12 éléments sémitiques retenus correspondent 2/3 des attestations, alors qu’en grec, 11 éléments ne concentrent qu’à peine plus d’1/4 des attestations. Dans cette répartition, on soulignera cependant des effets de corpus, notamment pour bl (« Bel », « seigneur ») attesté à 30 reprises, dont 20 à Doura-Europos et Palmyre.

Figure 6 – Comparaison entre le nombre d’attestations et d’éléments en grec et en sémitique par rapport au nombre total d’attestations et d’éléments étudiés

Pour mieux appréhender le rôle et la portée des titres dans les séquences onomastiques, on peut se tourner vers d’autres paramètres, comme le nombre d’éléments et de puissances divines composant les séquences onomastiques concernéesFootnote 125.

Figures 7 et 8 – Répartition des attestations du Proche-Orient selon le nombre d’éléments et de puissances divines par séquence onomastique divine

Les figures 7 et 8 montrent que les attestations à une seule puissance divine dominent très largement, et que les attestations contenant deux éléments seulement (théonyme + titre) représentent 15 % des cas pour le grec et 20 % pour le sémitique. En matière de position dans la séquence, la plupart des titres se situent en position 1 et 2 : ils donnent ainsi le ton de l’interaction avec la ou les puissances divinesFootnote 126. La moyenne pondérée des positions au sein des séquences onomastiques de l’élément bl est de 1,31, bʽl, 1,68, mrn, 1,29 ; ʼdn, 1,33 ; en précédant le théonyme, ces éléments soulignent un rang ou signalent une relation particulière de l’agent avec la divinité, d’autant plus quand le titre est assorti d’un suffixe possessif (« mon/notre seigneur »). En grec, kurios est à 1,89 et despotês à 2,63, ce qui indique qu’ils qualifient différemment la divinité concernée, parfois en la précédant, mais le plus souvent en la suivant dans l’énoncé.

Ces données statistiques risquent de gommer des spécificités régionales qu’il faut pourtant prendre en compte. Ainsi, au Proche-Orient, le Ḥaurān est le plus riche en titres, suivi par le Liban et les grands corpus civiques (Palmyre, Hatra, Sidon, Doura-Europos), alors que dans les régions où est utilisée la langue hébraïque et où le monothéisme domine, les titres sont rares, attestés uniquement sur le mont Gerizim et deux fois à Kuntillet ʽAjrud. Une approche sérielle présente aussi l’avantage de faire émerger, à côté de traits récurrents, quelques singularités, comme l’élément grec δώμινος, calque du latin dominus, forgé pour caractériser Mercure, Merkourios, sur un linteau daté de 172/173 de n. è., dans le village de Nebi Ham, sur le territoire d’Héliopolis-Baalbek, dans l’Anti-Liban. Le dieu est seigneur « du village de Chamon » (κώμης Χαμωνος), un titre qui lui est conféré par la communauté villageoise. Il signale une appropriation locale du Mercure héliopolitain qui s’accommode d’un langage très métissé, le toponyme étant clairement sémitique.

Parmi les éléments de la catégorie « Titres », le substantif theos, thea mérite un examen spécifique. C’est, toutes catégories confondues, l’élément onomastique le plus fréquemment mentionné dans la DB MAP, avec 3 892 attestations sur un total de 24 900, soit près de 15,6 % du total des attestations grecques. Il n’a cependant pas toujours valeur de titre, comme quand il apparaît dans l’expression « et tous les autres dieux » qui vient clôturer une séquence onomastique. Ses correspondants en langue sémitique (ʼl et variantes) apparaissent, en revanche, plus rarement – dans un peu plus de 540 attestations, soit à peine 7,7 % du total des attestations sémitiquesFootnote 127. Si l’on se concentre sur le Proche-Orient de langue grecque, au sein d’un corpus de 813 attestations, 266  ont recours à l’élément theos, soit 32 %, un pourcentage assez élevé, que l’on peut rapprocher des 37 % d’attestations contenant theos en Égypte et comparer avec les 25 % en Crète et 17 % en Attique. Cette relative surreprésentation de l’élément theos au Proche-Orient et en Égypte fait-elle écho à des usages locaux, propres aux langues sémitiques, dans lesquels les titres sont, nous l’avons vu, bien plus fréquents qu’en grec ?

Theos n’apparaît pas systématiquement en position 1, à la façon de ʼl ou ʼdn qui précèdent généralement le théonyme, mais cette position représente néanmoins plus de 60 % des cas au Proche-Orient, alors qu’en Grèce ou en Égypte elle oscille entre 40 % et 26 %. Les agents qui s’adressent aux dieux en grec au Proche-Orient pratiquaient sans doute oralement le phénicien ou l’araméen, de sorte que le substrat local a pu déterminer ce particularisme qui se traduit par une surreprésentation de theos comme titre, en position initiale. De fait, parmi les 885 attestations sémitiques provenant du Proche-Orient, plus de 360 contiennent l’élément ʼl et ses variantes, surtout en position 1, ce qui représente 39 % qu’on rapprochera des 32 % de theos dans la même régionFootnote 128. Le recours fréquent à l’élément theos au Proche-Orient hellénisé semble donc correspondre au souhait de trouver une formulation grecque proche de celles des langues ancestrales des agents. Les éléments kurios ou despotês pouvaient être mobilisés pour remplir la même mission, mais ils le sont moins fréquemment (kurios dans 81 attestations, despotês dans 8).

Si le Proche-Orient offre un cadre intéressant pour cerner l’usage des titres en contexte multiculturel, l’Égypte constitue un autre observatoire stimulant. On y croise notamment un syntagme composé de l’élément theos et de l’adjectif megas, « grand », pour former un titre récurrent magnifiant la puissance divine, à l’instar de l’épithète égyptienne nṯr ‘ȝ, « dieu grand » (vieux copte ⲛⲉⲧⲱ). Les divinités megaloi/ai ou megistoi/ai sont de fait particulièrement nombreuses dans l’épigraphie grecque d’Égypte. L’interface de recherche « Formules » de la DB MAP permet de sélectionner les attestations comprenant ce syntagme composé de deux éléments (megas et theos) liés par l’opérateur # (« qualification »), selon deux positions possibles : megas # theos et theos # megas Footnote 129. Cette requête fait émerger 280 attestations sur 1 318 attestations épigraphiques grecques provenant de la région « Égypte-Nubie », soit 21 % du total. Dans le corpus de Philae (149 attestations), par exemple, Isis est 9 fois thea megalê/megistê et 5 fois megalê/megistê thea Footnote 130. Le syntagme existe également au pluriel et peut aller jusqu’à caractériser six divinités en même tempsFootnote 131, même si 207 attestations (soit 74 % du total) ne désignent qu’une seule puissance divine ou bien un collectif sans singularisation de ses membresFootnote 132. Ce chiffre indique une tendance à ne magnifier qu’une seule divinité à la fois, bien qu’il ne s’agisse pas là d’une norme.

Des effets de dossier attirent aussi l’attention : le dieu Mandoulis totalise ainsi 33 attestations qui, dans leur quasi-totalité, proviennent de son sanctuaire de Talmis (Kalabchah). Cette exaltation a toutes les chances de reproduire un modèle formulaire, puisque les dieux sont désignés dans des titulatures de prêtres. L’inscription I.Philae 19 (S#431), gravée sur un obélisque, reproduit une lettre adressée aux souverains lagides par les prêtres « de Celle qui est dans l’Abaton et à Philae, Isis Déesse Très grande » (τῆς ἐν τῶι Ἀβάτωι καὶ ἐν Φίλαις Ἴσιδος θεᾶς μεγίστης). Dans ce cas, les toponymes localisent le culte, et le syntagme thea megistê désigne le rang, la dignité de la divinité et de son culte, à l’instar d’un titre. Dans le corpus de Philae, qui contient un nombre important de proscynèmes, on ne trouve que 14 textes désignant Isis comme « déesse (très) grande ». Elle est la seule « déesse (très) grande », à une exception près où le syntagme au pluriel s’applique au kurios Osiris et à son épouseFootnote 133. Ce cas mis à part, différentes séquences incluent le syntagme thea megalê ou megistê, combiné avec le toponyme en Philais, « à Philae » (voire en Abatôi, « dans l’Abaton ») ou Sôteira/Pansôteira (« Celle qui sauve »/« Celle qui sauve absolument »). La déesse n’est jamais appelée thea megalê ou megistê sans son nom, Isis, et le syntagme est plus fréquemment placé avant ce nom, comme c’est l’usage aussi pour le titre kurios. 4 textes associent megalê/megistê thea et kuria et, par 3 fois, kuria est en position 2, entre le syntagme et le théonyme, le quatrième cas encadrant le nom Isis entre kuria avant et thea megistê aprèsFootnote 134.

Pour faire la part entre l’aspect protocolaire propre à l’énoncé d’une titulature et un usage rhétorique qui choisit d’exalter la divinité pour lui plaire, il faut donc prêter attention aux usages locaux et aux circonstances. Dans un sanctuaire partagé par deux divinités principales, Aménothès et Asclépios, à Deir el-Bahari, un corpus de 325 inscriptions, que complètent quelques ostraca et autres documents, honore les deux divinités guérisseuses – Aménothès, plus fréquent, apparaît sans épithète 19 fois, quand Asclépios est nommé 9 fois sans autre élémentFootnote 135. Il s’agit majoritairement de proscynèmes qui révèlent une grande variété de formulaires par lesquels les visiteurs du sanctuaire expriment leur dévotion pendant plusieurs siècles. Sur l’ensemble des documents, 13 seulement emploient le syntagme theos megas, 10 fois au superlatif. La répartition de cet attribut onomastique dessine une hiérarchie relative au sein du culte. Aménothès est le plus souvent appelé « dieu (très) grand » ; dans 2 cas, ce sont Aménothès et Asclépios qui sont ensemble désignés comme « dieux très grands », alors qu’Asclépios ne reçoit cette appellation seul qu’1 foisFootnote 136. On trouve 3 attestations des deux divinités avec des sunnaoi theoi megistoi, des « dieux qui partagent le sanctuaire, très grands »Footnote 137. Dans une attestation tardive, un groupe de métallurgistes sacrifie un âne au « grand dieu » (tou megalou theou) qui n’est pas autrement nomméFootnote 138. Aménothès est donc plus fréquemment magnifié, mais Asclépios peut l’être en même temps que lui et, lorsqu’il est seul megistos, il précède même Aménothès. Des choix ponctuels, circonstanciels, peuvent donc renverser la hiérarchie et incitent à relativiser le poids des chiffres, en naviguant entre plusieurs échelles de réalité.

Pour appréhender une hiérarchie, le dénombrement des « dieux grands » peut être comparé à l’usage de kurios. Le kurios Amenothês est attesté 21 fois, à quoi il convient d’ajouter 1 kurios theos Amenothês, 1 kurios theos megistos Amenothês, 2 kurios Amenothês theos et 2 kurios Amenothês theos megistos. Asclépios n’est kurios theos que 3 fois, et les deux guérisseurs ne sont kurioi ensemble qu’1 fois. Aménothès est 4 fois « seigneur » en même temps qu’il est « (très) grand », et kurios apparaît toujours en position 1, tandis que theos et megas conservent une relative adaptabilité dans la structure des séquences. Quelques cas viennent encore confirmer l’impression générale selon laquelle c’est bien Aménothès qui est le seigneur principal du lieu : un kurios Petemenophis Footnote 139 est nommé dans une séquence où Aménothès est « dieu très grand »Footnote 140 et, de la même manière, lorsque Asclépios est kurios, Aménothès peut être « dieu très grand » et ainsi ne rien perdre de son rangFootnote 141. C’est donc bien kurios qui indique le seigneur principal du lieu et, lorsque le titre est conféré à un autre, l’attribut theos megas permet de rétablir la hiérarchie et joue alors, lui aussi, un rôle protocolaire.

Le recours à des titres pour honorer les divinités constitue ainsi bien un indice de leur rang, mais au Proche-Orient comme en Égypte, leur emploi varie en fonction des langues et des usages socio-culturels, des divinités et des sanctuaires, sans oublier la typologie des sources concernées. Ce n’est dès lors qu’en multipliant les points de vue sur les données quantitatives et en jouant sur les échelles pour tenir compte des traditions de dénominations locales et des hiérarchies internes aux espaces de culte que l’on peut parvenir à une évaluation fine de cet outil de hiérarchisation des panthéons que sont les titres.

À travers l’examen des titulatures divines, en jouant sur les échelles spatiales, de l’ensemble des territoires couverts par la DB MAP au sanctuaire singulier, en passant par des ensembles régionaux et en considérant les pratiques cultuelles dans leur dimension sociale, nous avons observé comment les outils onomastiques sont mobilisés avec justesse et souplesse pour exprimer, au sein de la société des dieux, un statut et un rang qui n’ont rien d’absolu ni de fixe. Ceux-ci se négocient dans la dimension relationnelle et sociale propre aux pratiques religieuses et aux usages culturels qui les encadrent. La comparaison contrastive entre langues et cultures différentes a permis de faire émerger des spécificités qui renvoient aux cadres socio-politiques dans lesquels sont pensées les relations hommes-dieux. Les résultats obtenus s’appuient à la fois sur des données quantitatives, certaines à large spectre, d’autres plus ponctuelles et limitées, et sur des analyses qualitatives touchant aux micro-contextes dans lesquels les multiples variantes prennent tout leur sens, rarement sous le signe de l’univocité.

Appréhender les religions antiques au prisme de la notion de « système complexe » a permis de mettre l’accent non seulement sur le grand nombre de composants en interaction, mais aussi sur le caractère profondément relationnel du système. Au sein de celui-ci, les micro-corrélations entre composants sont indissociables de macro-dynamiques que seule une masse importante de sources permet de détecter et de rendre intelligibles. Face à un courant historiographique qui a longtemps envisagé la multitude des dieux comme une « complication », voire une source de confusion (écho lointain des polémiques chrétiennes contre le « paganisme »), et en réaction à une autre tendance qui, s’appuyant sur les sciences cognitives, met l’accent sur la singularité de l’expérience personnelle de la dimension surhumaine, le chemin ici emprunté est celui d’une approche éminemment historique qui mobilise tous les éléments du contexte (le support matériel, la datation, la spatialisation, les agents, les occasions) pour évaluer à la fois les régularités et les singularités dans les façons d’interagir avec les dieux à travers l’acte de nommer. La « religion » est ainsi appréhendée comme une pratique sociale, politique au sens large, exercée par des individus ou des groupes situés, culturellement déterminés, mais détenteurs, dans le même temps, d’une capacité à innover, à se distinguer. Dans cette perspective, les noms, parce qu’ils jouent un rôle stratégique dans la communication entre les dieux et les hommes, constituent une voie d’accès privilégiée aux représentations qui sont mises en jeu, en branle, en action dans ces échanges. Collectés systématiquement, associés à un large éventail de métadonnées qui les inscrivent dans un environnement, mis en série, triés selon une multitude de critères, comptés et pesés à travers une analyse minutieuse, ils révèlent un langage, avec un vocabulaire et une syntaxe, des règles et des exceptions, des catégories et des logiques classificatoires en constante négociationFootnote 142. Les séquences onomastiques divines se prêtent donc à des procédures expérimentales et exploratoires, à des jeux d’échelles spatio-temporelles combinant les niveaux d’analyse micro et macro, apportant ainsi des éclairages inédits sur les systèmes de dieux, leur structuration, leur hiérarchisation et leur évolution.

Disposer d’une masse de données, comme celle que contient la DB MAP, autorise dès lors à tenir les deux bouts : celui d’une approche quantitative, globale ou circonscrite, et celui d’une analyse qualitative, elle aussi modulable, au plus près des contextes. Loin de s’opposer, ces deux options demandent à être combinées pour cerner les tensions qui habitent et animent le système ; comme le préconise l’adage cité ci-dessus, non numerantur sed ponderantur : on ne peut se contenter de compter, il faut aussi évaluer. Sans invalider le moins du monde la portée des recherches limitées à une région ou à un dieu, que les méthodes traditionnelles autorisent et qui restent extrêmement fructueuses, les protocoles de recherche rendus possibles par un outil tel que la DB MAP – y compris les analyses de réseau que nous n’avons pas envisagées dans cet article – viennent utilement les compléter, les stimuler, en fournissant notamment une multitude d’horizons de comparaison contrastive. Les avancées scientifiques qui en résultent touchent essentiellement aux deux axes mis en avant dans le projet MAP : d’une part, celui de la représentation et de l’organisation du divin, dans la mesure où les noms décrivent les dieux en contexte et en relation (fonction, apparence, mode d’action, ancrage, liens familiaux, etc.) ; d’autre part, celui de l’agentivité humaine, puisque les noms sont forgés et mobilisés par les acteurs du culte, qui les utilisent comme un levier.

La puissance exploratoire de la DB MAP est donc considérable, mais elle appelle parallèlement une grande lucidité sur les limites et les biais de son exploitation. Les points de vigilance ont été soulignés et illustrés à travers quatre études de cas qui donnent à voir, en même temps, le potentiel de l’outil et sa capacité à interroger le « poids » des dieux en réseaux. Car parler des polythéismes comme systèmes complexes de dieux, en mettant l’accent sur les dynamiques d’interaction qui relient ses composants, invite à se poser la question des hiérarchies. Les sources anciennes la soulèvent lorsqu’elles indiquent, par exemple, qu’un dieu est l’objet d’honneurs plus grands que les autres ou quand elles le qualifient au moyen d’un superlatif, faisant de lui ou d’elle « le plus grand/la plus grande »Footnote 143. Nous avons donc tenté de « compter » les dieux, au moyen de comptages et de statistiques simples opérés sur les données et métadonnées onomastiques contenues dans la DB MAP, afin d’évaluer leur poids, donc leur importance au sein d’un système. En nous posant la question « comment évaluer la position hiérarchique d’une divinité ? », nous avons choisi de varier les focales, dans le but de montrer comment notre outil se prête à un éventail d’explorations complémentaires. À Éphèse, nous avons ciblé le profil des agents humains pour comprendre qui contribue à construire l’Artémis locale comme la divinité tutélaire et avec quelles fonctions exprimées à travers ses appellations. Dans le cas de Stratonicée, nous avons exploré la singularité qui consiste à placer deux divinités au sommet du panthéon local, en attirant l’attention sur les biais inhérents aux sources qui requièrent impérativement de pondérer l’approche quantitative par une démarche qualitative. La comparaison entre la position d’Athéna et d’Asclépios dans leurs sanctuaires respectifs de Lindos et d’Épidaure, à l’aune du paysage onomastique des lieux de culte et de leur environnement, a permis de faire émerger des stratégies différenciées de mise en réseau et d’attirer l’attention sur les conséquences des données chronologiques. Enfin, si attribuer un titre à une divinité constitue une stratégie de distinction assez élémentaire et largement répandue, elle n’est pas uniformément distribuée dans l’espace, ce qui suggère une certaine imbrication entre les représentations des hiérarchies humaines et divines.

Dans chacune de ces études de cas, la contextualisation s’est avérée déterminante pour apprécier qualitativement les données quantitatives. On a aussi vu que des ajustements s’imposent pour exploiter les réponses automatisées que fournit la base de données et prendre en compte les effets de dossier. En dépit de leur caractère circonscrit, dans le temps et dans l’espace, malgré la densité parfois limitée des données disponibles et les incertitudes qui pèsent sur elles, ces diverses approches combinées complexifient la vision des panthéons grecs et sémitiques et en accroissent l’intelligibilité. En d’autres termes, la DB MAP permet une approche complexe qui présente l’avantage « de ne pas associer la complexité à l’objet, mais au regard d’un observateur sur cet objet, outre sa capacité de compréhensionFootnote 144 ». Les données disponibles, avec leur empan spatio-temporel et multiculturel particulièrement large, favorisent donc d’innombrables sondages guidés par un vaste éventail de problématiques. L’effort d’interprétation, qui va du micro au macro, du singulier au régulier, du local au global, de l’intra à l’extra-culturel, s’en trouve stimulé et démultiplié. En définitive, les dieux comptent toujours, puisque la capacité d’action qu’on leur impute constitue leur raison d’être. Ils occupent diverses positions, éminentes ou pas, variables selon le temps et l’espace, au sein de systèmes relationnels étendus. Ceux-ci sont à la fois semblables et différents, diffractés en une multitude de micro-systèmes, que nous appelons « panthéons », tout en se rattachant à un horizon culturel plus ample (monde grec, monde sémitique) constitué d’entités divines largement partagées. Les stratégies complexes et fluctuantes qui contribuent à configurer ces ensembles impliquent de nombreux paramètres que les séquences onomastiques viennent éclairer d’un jour nouveau.

Footnotes

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Le projet dont cet article résulte – « Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface Between Religious Systems and Human Agency » (MAP), no 741182, 2017-2023 – a été financé par le Conseil européen de la recherche (ERC-European Research Council) dans le cadre du programme Recherche et innovation Horizon 2020. Nous remercions vivement les évaluateurs anonymes, la rédaction de la revue pour le formidable travail d’édition ainsi que Mahmoud Ben Hammouda qui nous a accompagnés pour les statistiques et a réalisé la figure 1.

References

1. Sur la notion de « système complexe », voir Éric Bertin et al., « Les complexités : point de vue d’un institut des systèmes complexes », Hermès. La Revue, 60-2, 2011, p. 145-150. On peut définir un système complexe comme un système contenant un grand nombre de composants en interaction, dont le comportement d’ensemble ne peut pas être simplement déduit à partir du comportement de chacun de ses composants. Au sein d’un système complexe, la dynamique d’interaction entre des entités micro est susceptible de créer une unité à un autre niveau d’observation macro. Éric Bertin et al. notent en particulier « l’existence de corrélations spatiales ou temporelles à portée beaucoup plus longue que l’échelle des interactions directes entre les individus » (p. 146).

2. Voir Frédérique Ildefonse, Le multiple dans l’âme. Sur l’intériorité comme problème, Paris, Vrin, 2022.

3. Hendrik S. Versnel, Coping With the Gods: Wayward Readings in Greek Theology, Leyde, Brill, 2011, p. 23-149.

4. Ibid., p. 143.

5. Par exemple, Maria Mili, Religion and Society in Ancient Thessaly, Oxford, Oxford University Press, 2015, ou, tout récemment Robert Parker, Religion in Roman Phrygia: From Polytheism to Christianity, Oakland, University of California Press, 2023.

6. Dernièrement, Vinciane Pirenne-Delforge, Le polythéisme grec à l’épreuve d’Hérodote, Paris, Collège de France/Les Belles Lettres, 2020 ; auparavant, ead., Retour à la source. Pausanias et la religion grecque, Liège, CIERGA, 2008. Ou encore Mary R. Lefkowitz, Euripides and the Gods, Oxford, Oxford University Press, 2016.

7. Alexandra Sofroniew, Household Gods: Private Devotion in Ancient Greece and Rome, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 2015 ; Theodora Suk Fong Jim, Saviour Gods and Soteria in Ancient Greece, Oxford, Oxford University Press, 2022.

8. Vinciane Pirenne-Delforge et Gabriella Pironti, L’Héra de Zeus. Ennemie intime, épouse définitive, Paris, Les Belles Lettres, 2016 ; Antje Kuhle, Hermes und die Bürger. Der Hermeskult in den griechischen Poleis, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2020 ; Hélène Aurigny et Cécile Durvye (dir.), Artémis près d’Apollon. Culte et représentation d’Artémis à Délos, Delphes, Claros et Didymes, Liège, CIERGA/Presses universitaires de Liège, 2021.

9. On pourra se référer en particulier à Peregrine Horden et Nicholas Purcell, The Corrupting Sea: A Study of Mediterranean History, Oxford/Malden, Blackwell, 2000. L’ouvrage permet de saisir à la fois les particularismes territoriaux et les multiples interfaces qui favorisent les transferts culturels au sens large, touchant aux personnes, aux objets, aux récits, aux savoirs et savoir-faire, y compris en ce qui concerne les cultes et les dieux.

10. H. S. Versnel, Coping With the Gods, op. cit., p. 143.

11. Voir notamment Janico Albrecht et al., « Religion in the Making: The Lived Ancient Religion Approach », Religion, 48-4, 2018, https://doi.org/10.1080/0048721X.2018.1450305.

12. Voir Arjang Omrani, « Sensing Anthropology: A Critical Review of the Sensorial Turn in Anthropology » Mediterranean Journal of Social & Behavioral Research, 7-3, 2023, p. 127-133.

13. Esther Eidinow, Armin W. Geertz et John North (dir.), Cognitive Approaches to Ancient Religious Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 2022.

14. Thomas Galoppin et Corinne Bonnet (dir.), Divine Names on the Spot: Towards a Dynamic Approach of Divine Denominations in Greek and Semitic Contexts, Louvain/Paris/Bristol, Peeters, 2021.

15. La notion de « justesse » des noms (orthotês) est au cœur du Cratyle de Platon, qui porte précisément le titre « Sur la justesse des noms » et envisage le langage, en particulier les noms, divins et autres, comme une convention arbitraire ou comme un ensemble de signes justes par nature.

16. Fabio Porzia et Corinne Bonnet (dir.), Divine Names on the Spot II: Exploring the Potentials of Names Through Images and Narratives, Louvain/Paris/Bristol, Peeters, 2023.

17. Thomas Galoppin et Sylvain Lebreton (dir.), Divine Names on the Spot III: Naming and Agency in Ancient Greek and West Semitic Texts, à paraître.

18. Sur ce jeu d’échelles, voir Thomas Galoppin et al. (dir.), Naming and Mapping the Gods in the Ancient Mediterranean: Spaces, Mobilities, Imaginaries, Berlin/Boston, De Gruyter, 2022. On y défend l’idée que les agencements contextuels de noms divins constituent autant de portraits, instantanés et néanmoins structurels, dialoguant les uns avec les autres.

19. Corinne Bonnet (dir.), ERC « Mapping Ancient Polytheisms 741182 (MAP) », Toulouse 2017-2023 : https://base-map-polytheisms.huma-num.fr, https://doi.org/10.34847/nkl.1e19sne6 (ci-après DB MAP). Sauf mention contraire, les données chiffrées fournies dans cette étude correspondent à l’état de la DB MAP au 3 janvier 2024.

20. On entend par là l’association de deux éléments onomastiques au minimum désignant une ou plusieurs divinités dans une source épigraphique. La DB MAP enregistre parfois des séquences onomastiques divines contenant un seul élément si celui-ci est un adjectif, comme Hypsistos (« Très-haut »).

21. Une puissance divine peut être une divinité, mais aussi une collectivité, comme les Moires, les daimones, les « dieux souterrains », l’« assemblée des dieux », les « autres dieux », etc. Dans la DB MAP, une collectivité compte pour une seule puissance divine.

22. Selon l’expression de Marcel Detienne dans « Expérimenter dans le champ des polythéismes », Kernos, 10, 1997, p. 57-72, en particulier p. 58. Le socle des expérimentations y était défini en ces termes : « […] pour définir une puissance divine, il faut entreprendre le relevé de l’ensemble des positions occupées par cette divinité dans le système polythéiste en sa totalité ; qu’ensuite il convient de partir des groupements habituels et des associations cultuelles ou mythiques entre deux ou plusieurs puissances divines pour explorer la nature de leurs relations respectives […] ». L’on y comprend qu’une approche systématique des données est méthodologiquement nécessaire.

23. Sujet abordé lors d’un récent colloque organisé par Francesca Prescendi et Françoise Van Haeperen sur la thématique des « petits dieux ». Les actes ont été publiés dans Francesca Prescendi et Françoise Van Haeperen (dir.), Petits dieux des Romains et leurs voisins. Enquête comparatiste sur les hiérarchies divines dans les cultures romaines, italiques et grecques, Turnhout, Brepols, 2024.

24. Nous évitons délibérément la notion piège de « polis religion », qui est devenue une sorte de bouc émissaire : voir Julia Kindt, « Polis Religion – A Critical Appreciation », Kernos, 22, 2009, p. 9-34, et, de façon plus nuancée, Robert Parker, « Religion in the Polis or Polis Religion? », Praktika tês Akademias Athenôn, 93 B’, 2018, p. 20-39. Voir, récemment, Hans Beck et Julia Kindt (dir.), The Local Horizon of Ancient Greek Religion, Cambridge, Cambridge University Press, 2023. Sur la notion de divinité « poliade » ou tutélaire, voir Stéphanie Paul, « ‘Pallas étend ses mains sur notre cité’. Réflexion sur le paysage épiclétique autour de l’Athéna ‘poliade’ », Pallas, 100, 2016, p. 119-138 ; François Quantin, « La notion de ‘divinité poliade’ à l’épreuve d’une étude de cas. Artémis et Apollon à Apollonia d’Illyrie », in S. Agusta-Boularot, S. Huber et W. Van Andringa (dir.), Quand naissent les dieux. Fondation des sanctuaires antiques : motivations, agents, lieux, Rome, École française de Rome, 2017, p. 113-133.

25. On notera que la DB MAP contient un nombre non négligeable d’inscriptions bilingues, voire trilingues (plus de 200 à l’heure actuelle), contenant du grec et une langue sémitique, mais aussi du latin, de l’égyptien, etc.

26. Karine Karila-Cohen et al., « Nouvelles cuisines de l’histoire quantitative », Annales HSS, 73-4, 2018, p. 773-783, ici p. 776. Les autrices relèvent notamment (p. 774) : « […] les approches quantitatives ne doivent pas être cantonnées aux représentations auxquelles on les associe habituellement, en particulier à l’histoire économique, aux sources ‘sérielles’, à l’histoire contemporaine ou aux auteurs masculins ».

27. Claire Lemercier et Claire Zalc, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2008, p. 17-18.

28. Marcel Detienne, « Expérimenter dans le champ des polythéismes », Kernos, 10, 1997, p. 57-72, en particulier p. 67.

29. La durée limitée du projet MAP a nécessité de laisser de côté les sources littéraires qui réclament une approche critique en partie différente.

30. Sous le label « sémitique », on regroupe l’araméen et ses variantes (ancien, moyen, impérial, tardif), l’hébreu, le phénicien, le nabatéen.

31. Voir Corinne Bonnet et al., « ‘Les dénominations des dieux nous offrent comme autant d’images dessinées’ (Julien, Lettres 89b, 291 b). Repenser le binôme théonyme-épithète », Studi e materiali di storia delle religioni, 84-2, 2018, p. 567-591.

32. Sur la nudité des dieux, entendue comme l’absence de caractérisation, voir Corinne Bonnet, « ‘Nus’ ou ‘vêtus’ ? Les dieux avec ou sans épithètes », Pallas, 126, 2024, p. 15-41.

33. Pour un état détaillé de l’enregistrement : https://base-map-polytheisms.huma-num.fr/dashboard. Quelques régions de Grèce doivent être complétées, tout comme la mer Noire et l’Asie Mineure, ce qui garantirait l’exhaustivité.

34. Pour plus de détails sur la structure de la DB MAP – des sources, pour l’heure essentiellement des inscriptions, contenant une ou plusieurs séquences onomastiques divines, formée(s), sauf exception, de deux éléments onomastiques ou plus, soit Sources > Attestations > Éléments –, voir Sylvain Lebreton et Corinne Bonnet, « Mettre les polythéismes en formules ? À propos de la base de données Mapping Ancient Polytheisms », Kernos, 32, 2019, p. 267-296. L’article est disponible sur HAL, où il est accompagné des guidelines de saisie et de consultation de la DB MAP : https://hal.science/hal-02555965. Pour une présentation synthétique de la DB MAP, voir l’Annexe 1. Dans le présent article, les renvois à la base de données sont faits sous le format S#identifiant pour les sources, A#identifiant pour les attestations qu’elles contiennent, E#identifiant pour les éléments qui les composent.

35. Qui peuvent évidemment être identiques.

36. On y croise évidemment des dieux qualifiés de chthonioi et variantes. Dans les IG II² (inscriptions athéniennes postérieures à 403/402 av. n. è., tous types confondus, publiées entre 1913 et 1940), sur plus de 13 000 inscriptions au total, environ 8 000 sont funéraires (les publications postérieures n’ont pas modifié la donne). Les rares exceptions sont des épitaphes métriques (épigrammes funéraires), des malédictions visant à protéger la tombe des tentatives de violation ou d’aliénation et quelques mentions de prêtrises détenues par les défunts.

37. Sur la notion d’epiphanestatos topos où certains textes sont publiés, voir Julie Bernini, « La topographie des décrets de Priène », A. Chabod et P. Cournarie (dir.), no spécial « Visibilité, lisibilité, efficacité : les inscriptions monumentales en Grèce et à Rome », Cahiers des études anciennes, 59, 2022, http://journals.openedition.org/etudesanciennes/2028.

38. Pour le cas de Lindos, où cette construction syntaxique est plus ancienne que celle du génitif, voir Nathan Badoud, Le temps de Rhodes. Une chronologie des inscriptions de la cité fondée sur l’étude de ses institutions, Munich, C. H. Beck, 2015, p. 44-45, qui cite notamment I.Lindos 117.

39. Pour la liste complète, voir les Guides disponibles dans les « Ressources » du « Tableau de bord » (Dashboard) de la DB MAP (Guide des usagers, Guide des interfaces de recherche, Guide d’enregistrement des données, en français et en anglais), https://base-map-polytheisms.huma-num.fr/dashboard.

40. Les utilisateurs de la DB MAP ont la possibilité de faire remonter leurs avis, critiques et propositions par le biais d’un formulaire de contact : https://base-map-polytheisms.huma-num.fr/contact.

41. Auquel on déroge si les agents ont une localisation différente, pour ne pas perdre de l’information ; on peut évidemment les regrouper manuellement dans un tableau visant une étude statistique.

42. Le fait qu’un même agent (individu, groupe d’individus, collectivité) peut cumuler plusieurs agentivités ou genres ou statuts fait que le total des agents peut être supérieur à 100 %. Voir infra, l’étude des agents d’Éphèse pour le traitement de ces questions.

43. C’est pour cette raison que nous avons choisi d’effectuer les comptages sur le nombre d’attestations plutôt que le nombre de sources, sachant que le résultat diffère peu puisque la plupart des sources ne contiennent qu’une seule attestation, avec des exceptions comme Lindos.

44. Indice attribué par la personne qui enregistre les données avec une marge d’appréciation inévitable.

45. Quand la séquence onomastique est lisible et complète ou que la restitution des lettres manquantes ne fait pas débat.

46. Quand la séquence onomastique est incomplète et que la restitution des lettres manquantes n’est pas certaine mais probable, tout particulièrement quand, parmi plusieurs alternatives envisageables, il est possible d’en déterminer une comme étant la plus vraisemblable.

47. Quand la séquence onomastique est incomplète et rendue par l’éditeur avec des restitutions signalées comme incertaines, ou lisibles, mais dont l’authenticité est contestée.

48. 15 % des sources ne sont pas datées. Sur l’échantillon daté (197 sources), environ un tiers l’est de manière très précise (niveau 1), la moitié de manière satisfaisante (niveaux 2 et 3), et près de 20 % de manière imprécise (niveaux 4 et 5).

49. Cette situation s’explique en grande partie par le déplacement de la ville et par l’intense activité de construction de l’époque impériale. Le site des époques archaïque et classique n’a pas été découvert (il s’étendait probablement près de l’Artemision, à l’emplacement de la ville moderne de Selçuk) et les niveaux hellénistiques sont méconnus (l’agora civique hellénistique n’a ainsi pas été localisée).

50. Ces périphrases reprennent les éléments les plus fréquemment associés à la déesse ; elle est par exemple « la dame divine qui sauve » ([τ]ῷ θεῷ καὶ τῇ κυρίᾳ Σωτεί|[ρα]ι ; A#18912) ; 6 de ces attestations appartiennent à des sources dans lesquelles un autre passage la désigne par son théonyme ; les 4 autres appartiennent à des sources dans lesquelles le théonyme n’est pas utilisé. Les premières sont des sources émanant d’étrangers (empereurs et bienfaiteurs), les secondes, de citoyens à destination d’autres citoyens. Dans ce cas, préciser le théonyme de « la déesse éphésienne » ou de « la dame qui sauve » est superflu.

51. Lene Os Johannessen, Constituting Artemis: The Social and Cultural Significance of Votive Offerings in the Cults of Artemis at Brauron, Ephesos and Sparta, Athènes, Norwegian Institute at Athens, 2021.

52. Voir Lynn R. LiDonnici, « The Images of Artemis Ephesia and Greco-Roman Worship: A Reconsideration », Harvard Theological Review, 85-4, 1992, p. 389-415 ; Christine Thomas, « At Home in the City of Artemis: Religion in Ephesos in the Literary Imagination of the Roman Period », in H. Koester (dir.), Ephesos Metropolis of Asia: An Interdisciplinary Approach to Its Archaeology, Religion, and Culture, Cambridge/Londres, Harvard Divinity Press, 1995, p. 81-117.

53. Sur cette catégorie d’éléments, voir le dernier cas d’étude traité infra, p. 762-770.

54. En rappelant qu’on peut avoir deux agents différents pour une même attestation, par exemple un homme (destinateur) qui fait une dédicace pour ses enfants (bénéficiaires).

55. Leur nombre augmenterait probablement si les théonymes seuls étaient pris en compte (voir par exemple l’association entre Héraclès et un empereur dans I.Ephesos 1084).

56. Sur ces prêtresses, voir François Kirbihler, « Les prêtresses d’Artémis à Éphèse (ier siècle av. J.-C.-iiie siècle apr. J.-C.) ou comment faire du neuf en prétendant restaurer un état ancien ? », S. Lalanne (dir.), no spécial « Femmes grecques de l’Orient romain », DHA - Supplément, 18, 2019, p. 21-79.

57. Sur l’association entre la déesse et les empereurs, voir Nicole Belayche, « ‘Toutes derrière et elle devant’. Les figures impériales dans le ‘panthéon’ d’Éphèse », L. Locatelli et al. (dir.), no spécial « Constructions identitaires en Asie Mineure (viiie siècle avant J.-C.-iiie siècle après J.-C.) », Collection de l’Institut des sciences et techniques de l’Antiquité, 1 522, 2021, p. 271-297.

58. Un néope est un magistrat chargé principalement de la gestion financière, de l’entretien et de la protection d’un temple, voire de sa construction ou réfection. Un bouleute est un membre de la Boulè, donc du Conseil de la cité, organe majeur de la vie politique. Dans ces inscriptions, le prytane est l’éponyme de la cité : c’est un citoyen à qui revient le privilège de donner son nom à l’année et de veiller sur le Prytanée, bâtiment consacré à Hestia dans lequel brûle le foyer qui garantit la pérennité de la communauté. À Éphèse, il se situe à côté du Bouleuterion, centre de la gestion des affaires civiques où se réunissait le Conseil. Sur le prytane éponyme à Éphèse, voir Julie Bernini, « Plaise au peuple ». Pratiques et lieux de la décision démocratique en Ionie et en Carie hellénistiques, Bordeaux, Ausonius, 2023, p. 179-180.

59. En excluant la source #7138, dont l’origine stratonicéenne n’est pas certaine, ainsi que les attestations #7880 et #8130 qui mentionnent « la fille de Zeus » et « le messager de Zeus ». L’ensemble des données qui ont permis les calculs sur la place de Zeus Panamaros et Hécate à Stratonicée est disponible en ligne : https://nakala.fr/collection/10.34847/nkl.daaa4we0. Pour la liste des attestations de la DB MAP mentionnant Zeus à Stratonicée, voir https://doi.org/10.34847/nkl.3f901erk.

60. Sur ce sanctuaire, voir Christina G. Williamson, Urban Rituals in Sacred Landscapes in Hellenistic Asia Minor, Leyde, Brill, 2021, p. 331-410.

61. Panamaros et Panêmeros sont enregistrés comme deux éléments onomastiques différents : E#761 et #2461.

62. Sans compter le « Zeus Carien » qui est mentionné dans les plus anciennes attestations de Panamara, mais dont le lien avec Zeus Panamaros n’est pas certain : s’agit-il d’un Zeus différent, comme le propose Nicole Belayche, ou de la même divinité honorée sous un autre nom, selon l’hypothèse de Hans Oppermann ? Voir Nicole Belayche, « ‘Un dieu est né…’ à Stratonicée de Carie (I Stratonikeia 10) », in C. Batsch et M. Vârtejanu-Joubert (dir.), Manières de penser dans l’Antiquité méditerranéenne et orientale, Leyde, Brill, 2009, p. 193-212 ; Hans Oppermann, Zeus Panamaros, Giessen, A. Töpelmann, 1924, p. 85.

63. Voir la liste des attestations à cette adresse : https://doi.org/10.34847/nkl.c89bm1c3. On compte par ailleurs trois attestations où il est désigné par son théonyme seul : voir infra, p. 749 et n.10.

64. Sur le sanctuaire de Lagina, voir C. G. Williamson, Urban Rituals…, op. cit., p. 241-330.

65. Voir la liste des attestations à cette adresse : https://doi.org/10.34847/nkl.1660pk99.

66. Sur cette inscription, voir Julie Bernini et Joy Rivault, « Le bouleutèrion de Stratonicée, réflexions sur les fonctions de l’édifice à l’époque impériale », Revue des études anciennes, 122-1, 2020, p. 137-164.

67. Voir les attestations pour Zeus Panamaros et Hécate à cette adresse : https://doi.org/10.34847/nkl.15a3g4o6.

68. Dans le centre urbain, le nombre de mentions est égal (A#9313, 9318, 9321, 10599).

69. Voir la liste des attestations à cette adresse : https://doi.org/10.34847/nkl.29c35t52.

70. Voir la liste des attestations à cette adresse : https://doi.org/10.34847/nkl.d81161g6. Parmi ces 18 attestations, 3 sont enregistrées dans la base de données, car le dieu se trouve aux côtés d’autres divinités associées à un ou plusieurs attributs onomastiques (A#8371, 8684, 8687).

71. Comme le souligne, par exemple, Sylvain Lebreton dans le cas de l’Attique (Zeus d’Athènes. Polythéisme et paysages onomastiques, Liège, Presses iniversitaires de Liège, 2025, p. 29-34). Sur les raisons qui expliquent que des divinités soient tantôt nommées avec le théonyme seul, tantôt avec d’autres attributs onomastiques, voir C. Bonnet, « ‘Nus’ ou ‘vêtus’ ? », art. cit.

72. Voir la liste des attestations en ligne : https://doi.org/10.34847/nkl.d0eeshju (Zeus Panamaros) et https://doi.org/10.34847/nkl.18fb89as (Hécate).

73. I.Stratonikeia 401-500. Sur ces dédicaces de cheveux, voir Maria Girone, « Une particolare offerta di chiome », Epigraphica Anatolica, 35, 2003, p. 21-42.

74. La restitution du nom du dieu dans la 13e attestation, une dédicace, est douteuse (A#10408).

75. A#8518, 8744, 8938, 8999 ; A#8946 (lecture incertaine).

76. I.Stratonikeia 1315 (Hécate seule) ; S#7355 (avec Zeus Panamaros) ; I.Stratonikeia 1005 (avec Zeus et Némésis) ; S#7357 (avec un empereur).

77. En comptant l’attestation #10600 qui nomme le « fils de Kronos » ([Κρ]ονίωνι) et une attestation qui mentionne « les dieux les plus hauts, Héra et Zeus » (A#9312), soit deux inscriptions provenant du bouleutérion où Zeus Panamaros/Panêmeros recevait un culte, de sorte que c’est probablement lui qui est désigné ainsi.

78. S#7336 ; S#8254.

79. S#7356, 7836 (fontaine), 8256, 8258 ; S#8260 (probable) ; S#8257 (incertaine).

80. S#7355.

81. S#7797 ; A#9312.

82. S#7832. Il s’agit peut-être d’Héra ou d’Hécate.

83. S#7354 ; S#8255 (provenance incertaine).

84. S#7356, 7832, 8258, 8260.

85. Voir Nicole Belayche, « The Carian Stratonicea’s Exception: Two Equal Megistoi Theoi as Divine Patrons in the Roman Period », in A. Palamidis et C. Bonnet (dir.), What’s in a Divine Name? Religious Systems and Human Agency in the Ancient Mediterranean, Berlin, De Gruyter, 2024, p. 435-461, ici p. 439-440.

86. S#6579, 6752, 6898 ; A#8838, A#8957.

87. A#8371.

88. N. Belayche, « The Carian Stratonicea’s Exception », art. cit., p. 440.

89. A#9318, citée supra.

90. S#7355.

91. Corinne Bonnet et Alaya Palamidis, « Les dieux des petits riens. Réflexions comparatives sur les hiérarchies divines dans les mondes grecs et sémitiques », in F. Prescendi et F. Van Haeperen (dir.), Petits dieux des Romains et leurs voisins. Enquête comparatiste sur les hiérarchies divines dans les cultures romaines, italiques et grecques, Turnhout, Brepols, 2024, p. 309-330, ici p. 325-328.

92. Alfred Laumonier, Les cultes indigènes en Carie, Paris, De Boccard, 1958, p. 367.

93. Voir N. Belayche, « The Carian Stratonicea’s Exception », art. cit., p. 435-461.

94. François Kirbihler, « Un cursus honorum à Éphèse ? Quelques réflexions sur la succession des magistratures de la cité à l’époque romaine », in P. Goukowsky et C. Feyel (dir.), Folia Graeca; in honorem Édouard Will. Historica, Nancy, A.D.R.A., 2012, p. 67-107.

95. N. Badoud, Le temps de Rhodes, op. cit., p. 46-47 ; sur Athéna Lindia et Zeus Polieus, voir infra, p. 754-757.

96. Selon le classement d’Andrew R. Meadows, « Stratonikeia in Caria: The Hellenistic City and Its Coinage », The Numismatic Chronicle, 162, 2002, p. 79-134.

97. N. Belayche, « The Carian Stratonicea’s Exception », art. cit., p. 435-461.

98. Corinne Bonnet et Vinciane Pirenne-Delforge, « Les dieux et la cité : représentations des divinités tutélaires entre Grèce et Phénicie », in N. Zenzen et al. (dir.), Aneignung und Abgrenzung. Wechselnde Perspektive auf die Antithese von « Ost » und « West » in der griechischen Antike, Heidelberg, Verlag Antike, 2013, p. 201-228 ; Stéphanie Paul, Cultes et sanctuaires de l’île de Cos, Liège, Centre international d’étude de la religion grecque antique/Presses universitaires de Liège, 2013, p. 309-313 ; François Quantin, « Divine Configurations and ‘Pantheons’: Some Assemblages of Theoi in North-Western Greece », in A. Palamidis et C. Bonnet (dir.), What’s in a Divine Name?, op. cit., p. 413-433, ici p. 423-431.

99. N. Belayche, « The Carian Stratonicea’s Exception », art. cit., p. 435-461.

100. Sur cette notion, voir John Scheid et François de Polignac, « Qu’est-ce qu’un ‘paysage religieux’ ? Représentations cultuelles de l’espace dans les sociétés anciennes », Revue de l’histoire des religions, 227-4, 2010, p. 427-434.

101. Christian Blinkenberg, Lindos. Fouilles et recherches, 1902-1914, vol. 2, Fouilles de l’acropole. Inscriptions, Berlin, De Gruyter, 1941.

102. S#13061 et S#4447.

103. S#15050 et peut-être S#15051 ; voir également S#15057 (ve ou ive siècle), adressée à Athéna Poliouchos (probable forme-souche de Polias).

104. N. Badoud, Le temps de Rhodes, op. cit., passim, avec références antérieures.

105. Sur les Athéna Poliades de Rhodes – Lindia comprise –, voir S. Paul, « ‘Pallas étend ses mains sur notre cité’», art. cit.

106. A#17063 (un prêtre d’Athéna Lindia et de Zeus Polieus, et d’Artémis Kekoia et d’Hélios en ville, i.e. à Rhodes), par exemple.

107. De même que les binômes lindiens provenant d’autres sanctuaires que l’acropole (A#14326 ou A#16585, par exemple).

108. Voir les remarques introductives (supra, p. 734-735), précisément tirées du cas lindien, à propos des exceptions à la règle dédicace-datif, prêtrise-génitif.

109. Sur l’importance d’Héraclès et son association avec Melqart en Phénicie, voir Corinne Bonnet, Les enfants de Cadmos. Le paysage religieux de la Phénicie hellénistique, Paris, De Boccard, 2015, passim.

110. Jeanne et Louis Robert (« Bulletin Épigraphique », Revue des études grecques, 55-261/263, 1942, p. 321-365, ici no 115 p. 348-351) tenaient le dédicant pour un commerçant. Ajoutons que son patronyme, Ποσείδερμος, condensé de Poséidon et d’Hermès, pourrait trahir une tradition familiale portée sur la navigation, ce dont l’onomastique garderait la marque.

111. S#8642.

112. Dans la Chronique de Lindos : A#9562, #9563, #9580, #9582, #9589, par exemple.

113. Carolyn Higbie, The Lindian Chronicle and the Greek Creation of Their Past, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 106.

114. Ce comptage a été réalisé à partir du dépouillement des corpus des inscriptions de l’Asclépieion d’Épidaure, IG IV² 1 et Peek, I.Epidauros Asklepieion.

115. Clarisse Prêtre, « The Onomastic Attributes of Greek Healing Deities », in A. Palamidis et C. Bonnet (dir.), What’s in a Divine Name?, op. cit., p. 205-235. La DB MAP ne contient que les attestations d’Asclépios avec attribut(s) onomastique(s), mais la collecte des données dans les corpus épigraphiques permet aisément de compter les attestations laissées de côté, donc sans attribut.

116. Voir S. Paul, Cultes et sanctuaires…, op. cit., p. 225.

117. IG IV2 1, 121, l. 2 : [ἰά]ματα τοῦ Ἀπόλλωνος καὶ τοῦ Ἀσκλαπιοῦ.

118. Milena Melfi, I santuari di Asclepio in Grecia, vol. 1, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2007, p. 82-86 et 146.

119. Enrique Nieto Izquierdo, « Déplacements, onomastique et lieux sacrés en Grèce ancienne : le sanctuaire d’Asclépios à Épidaure », comm. au colloque international « Déplacements, migrations et contacts culturels en Méditerranée orientale dans le miroir de l’anthroponymie », dir. par R. Oreshko, F. Réveilhac et M. Egetmyer, Paris, 30-31 mai 2022, actes à paraître.

120. Sur le cas athénien, voir Sylvain Lebreton, « Zeus Polieus à Athènes : les Bouphonies et au-delà », Kernos, 28, 2015, p. 85‑110. Pour une mise en perspective des cas d’Athènes, Cos et Rhodes, voir S. Paul, « ‘Pallas étend ses mains sur notre cité’ », art. cit.

121. Robert Parker, Greek Gods Abroad: Names, Natures, and Transformations, Oakland, University of California Press, 2017, chap. 5.

122. Nicole Belayche, « Kyrios and Despotes: Addresses to Deities and Religious Experiences », in V. Gasparini et al. (dir.), Lived Religion in the Ancient Mediterranean World: Approaching Religious Transformations from Archaeology, History and Classics, Berlin, De Gruyter, 2020, p. 87-115.

123. On notera cependant que certains titres grecs sont des transcriptions du sémitique, l’inverse ne se vérifiant pas.

124. Giuseppe Garbati et Fabio Porzia, « In Search of God Baal in Phoenician and Cypriot Epigraphy (First Millennium BCE) », in A. Palamidis et C. Bonnet (dir.), What’s in a Divine Name?, op. cit., p. 365-390.

125. On a exclu de cette requête les tablettes de malédictions (ou defixiones), car elles peuvent contenir un nombre très élevé d’éléments.

126. Voir aussi supra sur Éphèse, p. 741.

127. À Carthage, dans les 4 500 inscriptions du tophet, le terme ʼl n’apparaît pratiquement jamais.

128. L’élément sémitique « dieu » apparaît aussi en position 2, en tant que prédicat, comme dans « Allat la déesse » ou « Shamash le dieu ». Dans une inscription phénicienne du Pirée, le syntagme Baal + toponyme est désigné comme « dieu », en position 1 : ʾlm bʿl ṣdn, « le dieu Baal de Sidon » (A#39).

129. On a ôté les quelques textes issus de corpus dits « magiques ».

130. André Bernand, Les inscriptions grecques de Philae, Paris, Éd. du CNRS, 2 vol., 1969 (I.Philae).

131. A#350.

132. Le syntagme lui-même n’est pas toujours un attribut onomastique égyptien (on trouve les « Dieux Grands de Samothrace » : A#1291).

133. A#699.

134. A#631.

135. Adam Łajtar, Deir el-Bahari in the Hellenistic and Roman Periods: A Study of an Egyptian Temple Based on Greek Sources, Varsovie, Institute of Archaeology/Fundacja im. Rafała Taubenschlaga, 2006 (I.Deir el-Bahari).

136. A#3213.

137. A#3096, A#3097, A#3141.

138. A#3136, 324 de n. è.

139. Il s’agit d’un autre dieu, « mineur », dont le nom dérive précisément d’Aménophis, i.e. Aménothès, ce qui explicite la hiérarchie structurelle entre les deux.

140. A#3119.

141. A#3208.

142. Pour Jean Aitchison (Language Change: Progress or Decay?, Cambridge, Cambridge University Press, [1981] 2012), le renouvellement linguistique n’est pas un événement ; c’est un processus permanent. Voir également Quentin Feltgen, Benjamin Fagard et Jean-Pierre Nadal, « Représentation du langage et modèles d’évolution linguistique : la grammaticalisation comme perspective », Revue TAL, 55-3, 2015, p. 47-71.

143. Stella Georgoudi, « Qu’est-ce qu’une ‘Grande’ (Megalê) divinité en Grèce ancienne ? », Archimède. Archéologie et histoire ancienne, 8, 2021, p. 17-31.

144. C’est ce que préconisent É. Bertin et al., « Les complexités », art. cit., p. 145-150.

Figure 0

Tableau 1. – Fréquence des principaux théonymes (≥ 4) utilisés dans les attestations éphésiennes

Figure 1

Tableau 2 – Les éléments les plus utilisés (≥ 3) dans les attestations de l’élément #9 a Éphèzse

Figure 2

Figure 1 – Position des éléments onomastiques par rapport à l’élément Artémis

Figure 3

Tableau 3. – Fréquence de chaque type d’agentivité dans les attestations avec Artémis (élément #9)

Figure 4

Tableau 4. – Le genre des agents dans les attestations contenant l’élément #9 Artémis

Figure 5

Tableau 5 – Les activités des agents associés, destinateurs et énonciateurs

Figure 6

Tableau 6 – Nombre d’attestations où Zeus Panamaros/Panêmeros et Hécate sont qualifiés de très grands et/ou très manifestes à Stratonicée

Figure 7

Tableau 7 – Nombre d’attestations de Zeus Panamaros/Panêmeros et d’Hécate à Stratonicée

Figure 8

Tableau 8 – Nombre d’attestations de Zeus Panamaros/Panêmeros et d’Hécate hors de leur sanctuaire

Figure 9

Figure 2 – Proportion d’offrandes pour Asclépios seul (avec ou sans épithètes) à l’Asclépieion d’Épidaure par rapport au nombre total d’offrandes à une seule puissance divine

Figure 10

Figure 3. – Répartition des dédicaces entre les divinités attestées dans l’Asclépieion d’Épidaure

Figure 11

Figure 4. – Répartition des dédicaces aux binômes ou groupes de divinités

Figure 12

Figure 5 – Fréquence du recours aux éléments « Louange » / « Titre » dans les attestations selon la langue

Figure 13

Tableau 9 – Titres grecs et sémitiques du Proche-Orient retenus pour l’étude statistique

Figure 14

Figure 6 – Comparaison entre le nombre d’attestations et d’éléments en grec et en sémitique par rapport au nombre total d’attestations et d’éléments étudiés

Figure 15

Figures 7 et 8 – Répartition des attestations du Proche-Orient selon le nombre d’éléments et de puissances divines par séquence onomastique divine