Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
Comme Dans Tant D'autres Régions D'Europe la Sicile comptait, vers le milieu du XVIIIe siècle, une grande quantité de paysans sans travail, réduits à une condition désespérée, mendiant à travers l'île au rythme des saisons et des hasards des récoltes, à l'occasion s'adonnant au vol, au brigandage, ou gagnant la capitale — Palerme — à la recherche, pour vivre, de quelques libéralités du gouvernement ou de riches particuliers
A Palerme, la disette de blé de 1772, qu'accompagna une grave pénurie de légumes et autres produits alimentaires, accentua encore l'habituel spectacle. Durant ces mois, écrit Bianchini, « les pauvres accouraient de partout à Palerme et étaient entretenus aux frais de la commune ». Les voyageurs, en visite dans l'île, ne pouvaient pas n'être pas frappés par « cette troupe de populace qui, après avoir épuisé les campagnes, bouillonnait dans la ville ».
page 265 note 1. Sous Louis XV, on estimait à 28 ou 30 000 les mendiants de Paris (DUCLOS, Mémoires secrets sur le règne de Louis XV, Paris, 1864, t. II, p. 193). — « Dans les anales où la récolte est médiocre et le prix du pain élevé, comme en 1725, les ouvriers se révoltent… A Caen, à Lisieux, à Rouen, émeutes et pillages. Et l'armée des mendiants s'accroît. On les enferme dans des hôpitaux, suivant la coutume ; mais n'ayant pas de quoi les nourrir, les administrateurs les relâchent ; et la maréchaussée, pitoyable à ces malheureux, refuse de les arrêter, si bien que le roi doit recruter des archers en Suisse » (Philippe SAGNAC, La formation de la Société française moderne, JParis, 1945, t. II, p. 72). Cette situation du premier tiers du XVIIIe siècle a beaucoup d'analogies avec celle qui règne en Sicile. — Pour l'extension des disettes en Europe au XVIIIe siècle, voir : KAWAN, Esodi e carestie in Europa, dans Atti dell'Academia dei Lineei (1932), p. 290-291, 293, 345. — Voir, pour le XVIe siècle, les pages suggestives de F. Braudei,, Philippe II et la Méditerranée, éd. italienne, Turin, 1953, t. II, p. 873-878.
page 265 note 2. Ludovico Bianchini, Storia économico-civile di Sicilia, Palerme, 1841, 2 vol., t. II, p. 11.
page 265 note 3. Lettres sur la Sicile, p. 5-6. — Cf. J. H. Bartels, Briefe ùber Kalabrien und Sicilien, Gôttingen, 1789-1792, vol. II I , p. 579-580.
page 265 note 4. Pitre, G., La vita a Palermo cento e più anni fa, Florence, 1944, t. I, p. 21 et suiv.Google Scholar
page 266 note 1. Santacolomba, Carlo, L'educazione délia gioventù civile, Palerme, Rapetti, 1775, p. 371–373.Google Scholar
page 266 note 2. Carlo Santacolomba, op. cit.
page 266 note 3. Villabianca, Diario, éd. Di Marzo, t. XI, p. 205-306. Disettes et révoltes jalonnent l'histoire du Royaume de Naples aux siècles précédents. Pour la Sicile au XVIIe siècle, voir : Guida, Carlo. Le insurrezioni délia famé a Trapani nel secolo XVII, Trapani, 1940.Google Scholar
page 266 note 4. Giarrizzo, D., Prospetto di saggi economici e politici sulla pubblica félicita délia Sicïlia, Palerme, 1788, p. 23.Google Scholar
page 266 note 5. Caracciolo, D., Riflessioni sull'economia e Vestrazione dei frumenti délia Sicilia faite in occasione délia carestia del 1784-1785, Palerme, 1785, Ed. Custodi, Economisti italiani, t. XL, Milan, 1805, p. 247.Google Scholar
page 267 note 1. Loncao, E., Il lavoro e le classi rurali in Sicilia, Palerme, 1900, p. 77 et 87Google Scholar ; du même, Le origini del latifondo in Sicilia, Palerme, 1899. Il convient de souligner, comme le fait précisément Loncao, qu'il s'agissait de la création juridique des manoeuvres, c'est-à-dire d'une condition négative destinée à « libérer I » pratiquement le travailleur agricole même de la possibilité de trouver un travail saisonnier ou une occupation sporadique. En fait, l'acte juridique sanctionnait un état de choses établi à la suite des rapports nouveaux introduits dans les relations entre propriétaires et cultivateurs (entre autres, par l'intermédiaire du fermier qui afferme en grand et sousafferme à son gré) : transformation des petits fermiers en journaliers salariés, plus généralement et plus simplement passage de ces cultivateurs et ouvriers agricoles à la catégorie de « pauvres sans feu ni lieu », pour reprendre la formule de Marx ﹛Le Capital, livre I).
page 267 note 2. G. Verdirame, Le istituzioni sociali e politiche di alcuni municipi délia Sicilia orientale nel ‘500, ‘600 e ‘700, dans Archivio Storico per la Sicilia Orientale (1904).
page 267 note 3. Pragm. Regni Siciliae, Titre 70, pragm. 5, t. 61.
page 267 note 4. E. LONCAO, Il lavoro e le classi rurali in Sicilia, p. 45-17.
page 268 note 1. G. Vebdibame, Disciplina del lavoro agricole) in alcuni municipi délia Sicilia nel'50O, ‘600 e ‘700, dans Archivio Storico per la Sicilia Orientale (1918), p. 170 et suiv.
page 268 note 2. G. Verdirame, art. cité, p. 172. — E. LONCAO, Il lavoro e le classi rurali in Sicilia, p. 45 et suiv. — G. RICCA Salerno, La questione agraria in Sicilia, dans Nuova Antologia, 15 févr. 1895.
page 269 note 1. Le fait de ne pas avoir tenu compte de cette phase caractéristique de la vie sociale des campagnes siciliennes, explique la contradiction entre l'affirmation de Pontieri, E. (Il tramonto del baronaggio siciliano, Florence, 1943, p. 68 Google Scholar) qui voit les fermes passer des fermiers aux journaliers vivant « du maigre produit de leur travail », et l'observation de Romeo, R. (Il Risorgimento in Sicilia, Bari, 1950, p. 29 Google Scholar) disant que « le nombre de ceux qui passèrent de l'état de petits fermiers à celui de journaliers ne devait pas être très important ». Romeo, considérant l'augmentation des sous-fermiers dans la période suivante, d'après les Mémoires de P. Balsamo (confirmée par Palmieri, N., Saggio sulle cause e rimedi dette angustie attuali [1826] dans Opère, Palerme, 1883, p. 139 Google Scholar), y voit pour les campagnes siciliennes un signe de développement différent dans les rapports entre propriétaires et cultivateurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle. En réalité, ces sous-fermiers de troisième main sont ces paysans grâce à qui, à la fin du XVIII6 siècle et dans les premières décades du xixe , « la terre était misérablement égratignée par de méchantes charrues que tiraient des mules boiteuses, voire des ânes » ; « misérables, écrivait Palmieri (op. cit., p. 139), ils cessèrent d'être utiles comme ouvriers et devinrent dangereux comme agriculteurs » ; ces sous-fermiers étaient en fait recrutés parmi la troupe de miséreux campagnards qui s'était formée précédemment, ou du moins parmi les groupes qui avaient à peine réussi à échapper à la mendicité en conservant une mule boiteuse ou un âne ; de toute façon, ils en provenaient d'une manière ou d'une autre. La misère dans laquelle de larges couches étaient tombées, ou la crainte d'y tomber, poussait ces cultivateurs à se soumettre à un travail pénible sous des conditions abusives par lesquelles, disait Palmieri, le cultivateur vivait en fait continuellement en dette avec son patron, qui lui fournissait les « secours », ou obligé de le voler. Mais dans les conditions d'appauvrissement général, c'était une ressource différente, et préférable à la pure misère et à la mendicité.
page 269 note 2. Parmi les maux du siècle que Gaetano Filangieri énumère dans sa Scienza délia Legislazione (1788) ne manque pas la constatation, se référant évidemment à Naples, que « de nombreux êtres qui pourraient cultiver la terre et multiplier le chiffre de ses productions, fuient persécutés par la misère dans les villes pour y mendier un pain qu'ils pourraient eux-mêmes fournir aux autres ou pour vendre leur oisiveté à un riche plus oiseux qu'eux » (Scienza délia Legislazione, éd. Villari, Florence, 1864, t. I, p. 248).
page 270 note 1. Di Blasi, G. E., Storia di Sicilia, Palerme, 1864, t. III, p. 430.Google Scholar — PITRE, op. cit., t. II, p. 270-272.
page 270 note 2. D. Giarrizzo, loc. cit. Le passage de l'ouvrier agricole à l'état de serviteur de maison, revêt à la même époque un relief et un caractère particuliers en Russie, où, sous Catherine II, le service d'une maison seigneuriale occupait environ 300 personnes ; la moitié de la population paysanne était réduite à cette forme de servage domestique. Sur cette catégorie spéciale de dvorovie, voir : Grekov, B. D., KrestHane na Rusi, Moscou, 1946 Google Scholar ; — V. TAPIE, La question paysanne en Russie aux XVIIe et XVIIIe siècles (Communication au Xe Congrès international des Sciences historiques, t. VII, p. 291-292).
page 270 note 3. Villabianca, Diario, t. XI, à cette date.
page 270 note 4. L. Bianchini, op. cit., t. II , p. 224. Voir une comparaison utile pour la période de disette de 1763 : A. De Crescenzio, La carestia del 1763 nel Regno di Napoli, dans Archivio Storico Salernitano, t. III (1935), p. 23-31, qui indique, d'après la relation d'un notaire de San Gregorio Magno, les prix des denrées durant la disette.
page 271 note 1. L. Bianchini, op. cit., t. II, p. 226.
page 271 note 2. Kulischer, I. M., Storia economica del Medioevo e dell'Età moderna, trad. ital., Florence, 1955, t . II , p. 394.Google Scholar
page 271 note 3. Archivio D I STATO, Palerme, Real Segreteria, busta 3080, 4 août 1785.
page 271 note 4. Archivio DI STATO, Naples, Giunta di Sicilia, f° 648, 8 sept. 1785. La disette de 1785, sous le règne du vice-roi Caracciolo, fut également partiellement causée par les manoeuvres de spéculation sur l'exportation du commerce du blé, puisque le président du royaume, Sanseverino, concéda en l'absence du vice-roi la liberté d'exportation. A ce sujet, voir : Brancato, F., Il Caracciolo e suo tentativo di riforme in Sicilia, Palerme, 1946, p. 198–208 Google Scholar, et, du même, Il commercio dei grani nel'700 in Sicilia, dans Archivio Storico Sicilianio, 1947, p. 25.
page 271 note 5. Memoria, ossia Relazione délia Carestia dei grani accaduta nel Regno di Sicilia Vanno 1763-1764 (Bibl. comm. de Palerme, ms. Q.q.h. 177). C'est la relation inédite d'un député à l'Ospedale Grande, l'érudit Gabriello Lancellotto Castello, prince de Torremuzza. Voir : Scina, D., Prospetto délia storia letteraria di Sicilia nel Secolo XVIII, Palerme, 1827, t. II I , p. 234.Google Scholar
page 272 note 1. Ibidem, f° 2 v°.
page 272 note 2. Ibidem, f° 4 v°.
page 272 note 3. G. E. DI BLASI, Storia di Sicilia, cit., p. 430.
page 272 note 4. Il y avait 1 200 pauvres logés à la Kalsa et plus de 500 à l'hospice des pauvres (G. E. DI BLASI, op. cit., p. 431).
page 272 note 5. Memoria, ossia Relazione délia Carestia…, p. 25. — Sur la fondation de 1’ « albergo dei Poveri » : Gulino, G., La Sicilia e Carlo di Borbone, Palerme, 1940, p . 36–37.Google Scholar
page 273 note 1. Memoria, ossia Relazione délia Carestia…, f° 18.
page 273 note 2. Dettaglio délia penuria del 1764 per la città di Messina (Bibl. comm. de Palerme, Q.q.E. 48 n° 6). Memoria ossia Relazione délia Carestia…, f° 23.
page 273 note 3. Memoria, ossia Relazione délia Carestia…, f° 25. Le spectacle de la mort causée par la faim en périodes de disette est devenu presque conventionnel par sa répétition : « pour subvenir à leurs jours, les pauvres se nourrissaient en beaucoup d'endroits d'herbe, de feuilles, de viande et de sang d'animaux » (Bibl. comm. de Palerme, ms. sur la disette de 1784-1785, Q.q.d. 106, f° 143-144). Il est décrit par des poètes ; ainsi Meli écrivait-il lors de la disette de 1793 : « L'erbi cehiu vili e inutili — H radici nocivi — eu l'animali spartinu — l'omini appena vivi. » E t à Palerme même il voyait : « Mmezzu li strati pubblici — lu passaggeru abbucca — eu facci smunta e pallida — eu poca d'erba in bucca » (G. MEI.I, Poésie, Ode à S. E. Francesco d'Aquino, principe di Caraminico). — Au sujet de la mortalité durant la disette de 1793, voir : D'ANGELO, Giornale (manuscrit ; Bibl. comm. de Palerme, p. 45-46), et pour la disette de 1785, voir : Brancato, op. cit., p. 198-208).
page 273 note 4. Memoria, ossia Relazione délia Carestia…, f° 25 ; Villabianca, Diario, op. cit.
page 273 note 5. G. E. DI BLASI, Storia di Sicilia, t. III, p. 433.
page 273 note 6. D. E. DI BLASI, op. cit., p. 483. Lors de la pénurie qui éclata dans plusieurs pays en 1770, 150 000 personnes moururent en Saxe, 180 000 en Bohême, selon les renseignements donnés par KAWAN, art. cit., p. 293-345.
page 274 note 1. Memoria, ossia Relazione délia Carestia…, f° 26-27.
page 274 note 2. Idem, f° 26.
page 274 note 3. Villabianca, Diario, t. XI.
page 274 note 4. Memoria, ossia Relazione délia Carestia, f° 27.
page 274 note 5. Idem, f° 13.
page 275 note 1. Idem, f° 13-14.
page 275 note 2. Idem, f° 14.
page 275 note 3. Idem, f° 14.
page 275 note 4. Cf. Léon CAHEN, « Le pacte de famine et les spéculations sur les blés », Revue Historique (1926) ; — « Le prétendu Pacte de famine », Revue Historique (1935). Il est bien connu d'ailleurs que des princes, tels ceux de Toscane, spéculaient au XVIIIe siècle sur l'exportation du blé. Voir : A. Anzillotti, « Le riforme in Toscana nel seeolo XVIII », Annali délie Université Toscane (1924-1925) ; — L. DAL PANE, La questione del commercio dei grani nel 1700 in Italia, Milan, 1932. A part les ducs de Toscane, les papes et le roi de Suède s'adonnaient pour leur propre compte au commerce des céréales (Kulischek, op. cit., t. II, p. 394).
page 276 note 1. Villabianca, Diario, t. XI, p. 309.
page 276 note 2. G. E. di Blasi, Storia di Sicilia, p. 435 : « La prospérité de la Sicile ayant provoqué l'accroissement de l'argent, spécialement dans les familles nobles et opulentes, fit naître dans le royaume le vice du jeu. Il n'existait pas de société dans la capitale, ainsi que dans les autres villes du royaume, où la principale occupation ne fût de passer son temps à jouer et principalement aux jeux dits de hasard où l'on perdait beaucoup d'argent et où se ruinaient les familles. »
page 276 note 3. Le reflet le plus remarquable de la question du « paupérisme » dans les courants réformateurs italiens du XVIIIe siècle se trouve dans l'ouvrage de G. B. Vasco consacré à ce sujet : Mémoire sur les causes de la mendicité et sur les moyens de la supprimer, écrit en 1778 et publié en français pour un concours à Valence dans le Dauphiné en 1789. Pour le reflet sur les courants intellectuels siciliens, voir notre article « Riformatori Siciliani (1770-1773)», Società, t. III (1947), p. 328-352.