Hostname: page-component-5c6d5d7d68-lvtdw Total loading time: 0 Render date: 2024-08-25T08:40:52.891Z Has data issue: false hasContentIssue false

Contrepoint : la question tsigane dans les camps allemands

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Extract

L'incorporation des Tsiganes au génocide perpétré par les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale à rencontre des Juifs d'Europe a été progressivement admise comme un fait d'évidence sans que les fondements historiques en soient établis avec clarté. Ce n'est pourtant faire nulle injure aux victimes que de rechercher la spécificité du traitement qui leur fut imposé afin de tenter de rendre à chacun la « part maudite » qui lui fut réservée « làbas ». Mon objectif n'est donc pas de délimiter le territoire de l'extermination pour savoir comment il convient d'inclure les Tsiganes mais de donner à voir quelques-unes, volontairement entremêlées, de ces « parts maudites ».

Summary

Summary

It is not possible, in the present state of research, to draw up a full picture of the fate of Gypsies in occupied Europe, especially in France. In this paper, the author compares testimonies from mostly French deportees with that of Gypsies, and places such testimonies in the context of known SS administrative routines. She concludes that Gypsies, as they were labeled on the basis of genealogical information, never had a clear status in the extermination System, and that the SS re-labeled individuals according to criteria proper to each camp. Thus, Gypsies gave the SS the opportunity of experimenting with genetic criteria, a project which did not fully mature before the German defeat.

Type
La Politique Antijuive
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1. Depuis les travaux pionniers de Myriam Novitch et l'ouvrage fondamental de Donald Kenrick et Grattan Puxon, Destins gitans, des origines à la « Solution finale », trad. franc., Paris, 1974, 191 p., les travaux se sont développés surtout en Allemagne. L'ouvrage de Hohmann, Joachim Stephan, Geschichte der Zigeunerverfolgung in Deutschland, Francfort sur le Main, Reihe Campus, 1988, 248 p.Google Scholar est à ce jour le plus complet. On peut consulter la contribution du même auteur : « Le génocide des Tziganes » dans La politique nazie d'extermination, sous la direction de François Bédarida, Paris, 1989, 333 p., pp. 263-277. On peut consulter aussi Bogumila Michalewicz, “ L'holocauste des Tsiganes en Pologne ”, dans Tsiganes : identité, évolution, sous la direction de Patrick Williams, Paris, 1989, 534 p., pp. 129-139 et Michael Zimmermann, Verfolgt, vertrieben, vernichtet. Die nationalsozialistische Vernichtungspolitik gegen Sinti und Roma, Essen, 1989. Enfin, en décembre 1991, le Musée d'Auschwitz a consacré une table ronde à cette question.

2. On remarquera l'absence de références d'ensemble à la situation des Tsiganes en France. Il n'existe aucun ouvrage global hormis celui de Bernadac, Christian, L'Holocauste oublié, Le massacre des Tsiganes, Paris, 1979, 414 p.Google Scholar, sur l'internement en France pendant la guerre des personnes titulaires du carnet anthropométrique imposé aux nomades depuis la loi sur le stationnement de 1912. Cette catégorie assez floue, définie par l'absence de domicile stable et par l'exercice d'un métier itinérant, comprenait les forains et les familles tsiganes. En grande partie, ces familles étaient établies en France depuis l'Ancien Régime ou à tout le moins les années 1860-1895. L'émancipation des liens de subordination personnelle en Europe centrale et orientale avaient alors entraîné de nouveaux flux migratoires.

La circulaire aux préfets du 10 avril 1940 imposa à tous les titulaires des carnets une contrainte de résidence, prélude à l'internement dans les camps aménagés pour les étrangers. Opéré par la gendarmerie sur ordre des préfets, l'internement a été massif car plus d'une douzaine de camps comprenait des Tsiganes. Les conditions de vie étaient très dures. Les familles y sont demeurées pour la plus grande partie d'entre elles pendant toute la durée de la guerre, croupissant dans les conditions misérables décrites par ailleurs ( Anne Grynberg, cf., Les Camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, 1991, 400 p.Google Scholar). Mais certaines familles ont été déportées en Allemagne. Selon quels critères ? On ne le sait pas. L'hypothèse la plus plausible, mais qu'il faudrait vérifier, serait que les Allemands auraient prélevé, outre les résistants, les réfractaires au STO et des otages soupçonnés d'avoir aidé des résistants, les personnes dont les noms de famille figuraient dans le Zigeuner-Buch (voir infra note 10). Ainsi s'expliquerait la présence, outre les Tsiganes allemands et autrichiens et les Roms raflés en Pologne et dans le protectorat de Bohème-Moravie, de manouches mosellans et alsaciens et de familles bohémiennes venues de toute la France dans les camps. Sur ce point, la comparaison avec les Pays-Bas et la Belgique serait éclairante : voir Léo Lucassen, “ En men noemde hen zigeuners ”, De geschiedenis van Kaldarasch, Ursari, Lowara en Sinti in Nederland : 1750-1944, Amsterdam, 1990, et José Gottovitch, “ Quelques données relatives à l'extermination des Tsiganes de Belgique ”, Cahiers d'Histoire de la Seconde guerre mondiale, Bruxelles, déc. 1976, pp. 161-180. Pour la France, voir l'étude de Sigot, Jacques, Un camp pour les Tsiganes… et les autres, Montreuil-Bellay, 1940-1945, Paris, 1983, 321 p.Google Scholar

3. Hambourg, 1979, 331 p.

4. Le sort des Tsiganes a étroitement dépendu des relations entre le RSHA et le docteur Robert Ritter, chef du service de recherche en eugénisme et, à partir de 1941, en biologie criminelle du « Bureau de la Santé du Reich ». Robert Ritter et Eva Justin, son assistante, fournirent les fiches généalogiques des 30 000 Tsiganes résidant en Allemagne. Himmler entreprit, après une première phase de « délogement », l'internement des Tsiganes selon la nomenclature complexe proposée par Ritter en décembre 1942, puis à partir du 12e décret d'application de la « loi de citoyenneté », il enleva aux Tsiganes leur statut et ordonna une politique de liquidation dans les camps. Fin janvier 1943, l'Office Central de Sécurité du Reich a reçu l'ordre d'assimiler les Tsiganes métis au traitement de juifs. A Auschwitz, les Tsiganes ne furent pas sélectionnés à la rampe.

5. « The Gypsies in Eastern Europe », Nationalities papers, 1991, XIX, 3, 395 p. ; Henry R. Huttenbach, « The Romani Pofajmos: The Nazi génocide of Europe's Gypsies », pp. 373- 394.

6. Hilbero, Raul, La Destruction des Juifs d'Europe, Paris, trad. franc., 1988, 1 095 p.Google Scholar

7. Block, Martin, Zigeuner - Ihr Leben und ihre Seele, dargestellt auf Grund eigener Reisen und Forschungen, Leipzig, 1936 Google Scholar ; Moeurs et coutumes des Tziganes, trad. franc, de Jacques Marty, Paris, Payot, 1936.

8. L'étude de la permanence familiale des Tsiganes a été renouvelée par les études ethnologiques, en particulier : Piasere, Leonardo, Mare Roma : catégories humaines et structure sociale. Une contribution à l'ethnologie tsigane, Paris, 1985 Google Scholar, Études et documents balkaniques et méditerranéens, 21A p., et Williams, Patrick, Mariage tsigane, une cérémonie de fiançailles chez les Roms de Paris, Paris, 1984, 480 p.Google Scholar

9. Les préalables à la législation nazie anti-tsigane sont exposés dans Henriette Asséo, « La spécificité de l'extermination des Tziganes », Révision de l'histoire, Totalitarismes, crimes st génocides nazis, sous la direction de Heinz Wissmann et Y. Thanassekos, Paris, 1990, pp. 131-143 et le modèle bavarois dans Eva Straub, « Gipsy policy and persécution in Bavaria from 1885 to 1945 », communication dactyl., Leyde, sept. 1990.

10. Zigeuner-Buch. Herausgegeben zum amtlichen Gebrauche im Auftrage des K.B. Staatsministeriums des Innern vom Sicherheitsbureau der K. Polizeidirektion Munchen, Munich, 1905, 344 p. ; avant-propos d'Alfred Dillmann, haut fonctionnaire de la Direction royale de la police.

11. Mûller-Hill, Benno, Science nazie, science de mort, l'extermination des Juifs, des Tziganes et des malades mentaux de 1933 à 1945, Paris, trad. franc., 1989, 246 p.Google Scholar ; Lifton, Robert Jay, Les médecins nazis, Le meurtre médical et la psychologie du génocide, Paris, trad. franc., 1989, 610 p.Google Scholar Le glissement de l'académisme médical, anthropologique et juridique à l'expertise eugéniste et donc le rôle de la science et du droit dans l'application de la politique raciale est une voie de recherche particulièrement fructueuse. Voir les travaux de Pollak, Michael, « Aux origines de la politique raciale nazie : le rôle de la science et du droit », Bulletin de l'IHTP , 1987, n° 27, pp. 3146 Google Scholar ; « Une politique scientifique : le concours de l'anthropologie, de la biologie et du droit », dans La Politique nazie d'extermination, op. cit., pp. 75-99 et sous la direction de Proctor, P., Frei, Norbert, Medizin und Gesundheit in der NS-Zeit, numéro hors série de Vierteljahrshefte fiir Zeitgeschichte, Munich, Oldenburg, 1991.Google Scholar Voir en particulier l'analyse du « programme d'Auschwitz » appliqué par le docteur Mengele, élève du professeur von Verschuer.

12. Wieviorka, Annette, Déportation et génocide, entre la mémoire et l'oubli, Paris, 1992, 506 p.Google Scholar

13. Lewinska, Pelagia, Vingt mois à Auschwitz, Paris, 1966, 2” éd., 195 p., p. 9.Google Scholar

14. Cherchant à faire comprendre ce qu'est une baraque, elle retrouve la métaphore suivante : « Le tout fait l'impression d'un camp de Bohémiens à moitié sauvages ».

15. Ibid., pp. 40 et 42.

16. Charles Richet, Jacqueline et Olivier Richet, Trois bagnes, 1945, 211 p., p. 146.

17. La section II de Birkenau contenait un Zigeunerlager où furent immatriculés 20 996 hommes. Les familles n'étaient pas séparées. On prélevait dans le camp des hommes et des femmes pour d'autres camps. Les Tsiganes du camp de Theresienstadt en Tchécoslovaquie avaient été transférés le 8 septembre 1943. La liquidation eut lieu dans la nuit du 1er au 2 août 1944. Environ 3 300 personnes, adultes et enfants furent gazés.

18. Robert Lifton, Les médecins nazis, op. cit., pp. 217-218.

19. Pouzet, Richard, Dora, propos d'un bagnard à ses enfants, Paris, 1946, 222 p., p. 124.Google Scholar

20. Le Zohar, Paris, Verdier, 1984, t. 2, pp. 16-18, introduction de Charles Mopsik. Une analyse plus simple permet de repérer la méfiance des Politiques à l'égard des Droits communs d'autant que le camp de Dora était contrôlé par les Droits communs. Un Tsigane allemand, depuis longtemps interné, pouvait passer dans la « zone grise » et devenir Vorarbeiter, ainsi à Mauthausen.

21. Récit d'un Manouche déporté pendant la guerre recueilli par Georges Calvet en langue manouche et traduit, Études Tsiganes, 1978, 3, pp. 1-7, p. 4 ; Williams, Patrick, NOUS, on n'en parle pas, les relations entre les vivants et les morts chez les Manouches, Paris, MSH, « Ethnologie de la France », 13, 1993.Google Scholar

22. Max, Frédéric, « Le sort des Tsiganes dans les prisons et les camps de concentration de l'Allemagne hitlérienne », Journal ofthe Gypsy Lore Society , 3e série, vol. XV, 1946, pp. 2433.Google Scholar

23. Témoignage de Jacqueline Richet, op. cit., pp. 115-116; mais aussi parmi beaucoup d'autres ceux de Wanda Carliez, Déportée 50440, récit, 1945, 215 p., p. 8 ; Béatrix de Toulouse-Lautrec, J'ai eu vingt ans à Ravensbriick…, 1948, rééd. 1991, 309 p., p. 216 et 219 ; de Suzanne Busson, Dans les griffes nazies…, 1946, 172 p., p 146 ; Will, Elisabeth, « Ravensbriick et ses commandos », De l'Université aux Camps de Concentration, Témoignages Strasbourgeois, Paris, 1947, 549 p., pp 347382 Google Scholar et Violette Maurice, NN, 1946, rééd. 1991, 87 p., p. 66 sur le block 16 à Mauthausen.

24. Le témoin tsigane qui raconte sa vie ne se pense jamais en border Une , mais bel et bien au centre d'un dispositif relationnel qui s'organise en cercles concentriques. Il y a d'abord lui et sa famille, l'ensemble des êtres qui comptent, avec une forte charge émotionnelle. On tient comme à sa vie, aux enfants, à la femme, au père et à la mère, aux frères et soeurs ; même si l'on s'est querellé, même si on les a quelque peu abandonnés. Plus loin, il y a un autre cercle, celui des autres Tsiganes. Les autres Tsiganes sont nettement identifiés par des noms, des localisations, des statuts, des professions mais ils ne sont pas forcément des frères (prala). Ils peuvent être bons ou mauvais. Il n'y a pas de solidarité de groupes par principe. Les allusions au sort commun du peuple rom sont abstraites et mécaniques. Le témoin noue des relations sociales avec les autres Tsiganes, pas des relations de clans. Plus loin encore le cercle des gadge. Les non-tsiganes sont rarement individualisés ; ils forment une nébuleuse d'êtres flous que tour à tour on redoute et l'on sollicite.

25. Tillion, Germaine, Ravensbriick, Les Cahiers du Rhône , déc. 1946, 20 (65), pp. 3537.Google Scholar

26. Buber-Neumann, Margarete, Prisonnière de Staline et d'Hitler, 2, Déportée à Ravensbriick, trad. franc., Paris, 1988, pp. 127144 Google Scholar.

27. Horvath ou Horwath, la transcription varie selon les textes. Il y avait à Dachau, dès l'été 1938, une cinquantaine de Joseph Horvath, car les hommes du clan Horvath affectionnaient ce prénom.

28. Hoess, Rudolf Franz Ferdinand, Le Commandant d'Auschwitz parle, Paris, trad. franc., 1959, 255 p., pp. 141-146.Google Scholar

29. Rudolf Hoess, op. cit., pp. 158-159.

30. Steinmetz, Selma, Oesterreichs Zigeuner im NS-Staat, Francfort, Zurich, Vienne, 1966.Google Scholar

31. Arnold, Hermann, Vaganten, Komoedianten, Fieranten und Briganten, Stuttgart, 1958, 118 p.Google Scholar

32. Le rôle du docteur Ottmar von Verschuer est exposé dans les ouvrages de Benno Muller-Hill.

33. Dans le cas français, les effets du glissements de la craniologie selon Broca à l'étude des groupes sanguins ont été très différents : Schneider, William, Quality and Quantity. The Quest for Biological Régénération in Twentieth-Century France, Cambridge, 1990, 392 p.CrossRefGoogle Scholar

34. Steinert, Marlis, Hitler, Paris, 1991, 710 p., p. 488.Google Scholar

35. Hans Mommsen, « Hitler, les dirigeants nazis et la mise en oeuvre du génocide », La Politique nazie d'extermination, op. cit., pp. 134-155.

36. Ottmar von Verschuer reçut après-guerre un certificat persil du doyen de la Faculté de Médecine de Francfort et il réintégra ses fonctions. Les poursuites contre le docteur Ritter, menées dans les années 1950, furent arrêtées. Le docteur Arnold demeura une autorité en matière de tsiganologie.

37. Lakatos, Menyhert, Couleur de fumée, une épopée tzigane, Paris, trad. franc., 1986, 376 p., p. 369.Google Scholar