Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
La banlieue est, au sens étymologique du terme, la zone péri-urbaine qui subit la loi de la ville. Dans la pratique, cette relation de dépendance signifie que la banlieue, pour une large part, vit par et pour la ville ; que l'excroissance qu'elle constitue ne saurait prétendre à l'égalité juridique ou politique avec sa matrice originelle ; que l'espace urbain, souvent douteux, toujours hétérogène, qu'elle recouvre se définit par référence à la ville. Telle est bien, semble-t-il, la situation de la banlieue de Paris vers la fin du xixe siècle, à la veille d'une période où une série de mutations vont conjuguer leurs effets pour bouleverser ses rapports avec la capitale. Dans quelle mesure, à la fin de l'entre-deuxguerres, un espace urbain cohérent et homogène s'est-il constitué entre Paris et sa banlieue ? En quoi cette dernière, telle que peut la définir sommairement à l'époque l'appartenance au département de la Seine, forme-t-elle alors, non plus une excroissance contingente, mais un espace nouveau, qui prend place au sein d'une nouvelle agglomération dotée d'une puissante personnalité ?
At the end of the 19th century, the urban landscape of the departement of the Seine is more or less established, though one cannot yet speak of agglomeration, in the full meaning of the term, to the extent that there was little circulation and the urban space seemed markedly heterogeneous. The suburb becomes conscious of its subjection to the capital. The irritation is reciprocal. The very rapid industrial evolution due to the war and the decade which followed, the prodigious demographic growth of the suburb which was its corollary, and the establishment of an effective network of public transportation, came to disturb the previous relationships: during the thirties the daily commuting reached a size of nearly six times that of the beginning of the century. As a solidarity of interests developed among the communes of the agglomeration, as the department was lead to take on a responsability of equal financial disbursement and of administrative coordination for the numerous intercommunity services, so the agglomeration is thus on its way to a certain homogeneity and a new urban space is in the process of being constituted.
1. Atlas de Paris et de la région parisienne (établi sous la direction de J. Beaujeu-Garnier et J. Bastie), Berger-Levrault, 1967, 2 vols ; Atlas communal du département de la Seine, par O. T. Lefèvre, 1854 ; Atlas du département de la Seine, 1894-1900, Service des Ponts-et- Chaussées ; voir aussi la thèse de Bastie, Jean, La croissance de la banlieue parisienne, Paris, P.U.F., 1964,Google Scholar ainsi que notre thèse Une banlieue ouvrière, Saint-Denis (1890-1939). Problèmes d'implantation du socialisme et du communisme, Service de reproduction des thèses, Université de Lille-III, 1982 (essentiellement ici le chapitre i).
2. Michel Phlipponneau, La vie rurale de la banlieue parisienne, thèse, 1956, pp. 151 et 399 ; Saint-Denis, monographie publiée sous les auspices du Conseil général de la Seine dans la série État des communes à la fin du XIXe siècle ; et Archives communales de Saint-Denis.
3. Le mouvement des migrations journalières est malheureusement très mal connu pour la période antérieure à 1931. Après les recensements généraux de la population de 1931 et 1936, le démographe Henri Bunle, synthétisant pour la première fois les données professionnelles des questionnaires et des feuilles de ménage, publia à deux reprises une étude globale du phénomène avec des tableaux annexes d'une précision fort précieuse. Cf. Henri Bunxe, « Migrations alternantes dans la région parisienne », Bulletin de la S.CF., t. XXI, fasc. rv, juillet-septembre 1932, pp. 585-612 ; et « L'agglomération parisienne et ses migrations alternantes en 1936 », ibid., t. XXVIII, fasc. i, octobre-décembre 1938, pp. 95-156. Ces deux études sont d'autant plus précieuses que tous les documents de base — pour les recensements de 1931 et 1936, comme pour ceux qui les ont précédés — ont été mis au pilon ou ont disparu. Le chiffre de 90 OOO'-actifs originaires de banlieue venant travailler à Paris en 1901 est indiqué dans le premier article, p. 587 ; il s'applique aux originaires de Seine-banlieue, mais aussi à ceux de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne, mais ces derniers ne doivent pas dépasser quelques centaines.
4. Albert Thomas, préface à Sellier, Henri, Les banlieues urbaines et la réorganisation administrative du département de la Seine, Paris, 1920, p. 8.Google Scholar
5. Journal de Saint-Denis, 24 novembre 1889, 4 janvier 1891, ttpassim. Le Journal de Saint- Denis, bi-hebdomadaire à l'époque, couvre tout l'arrondissement de Saint-Denis, soit la moitié de la Seine-banlieue.
6. Ibid., 11 septembre 1892 et passim.
7. Ibid., 7 décembre 1890.
8. Ibid., 7 mai 1891. Sur tout ceci, voir notre thèse Une banlieue ouvrière, chap. n.
9. Le Réveil de Saint-Denis, 21 septembre et 13 octobre 1907 ; Journal de Saint-Denis, 17 octobre 1907.
10. Archives nationales, F 22 530, « Enquêtes sur les établissements susceptibles de travailler ou travaillant déjà pour la défense nationale », dossier « Tableaux », chemise « Département de la Seine, banlieue » ; F 7 13.366, dossier « Usines, Seine, année 1915 » ; F 7 13.367, dossier « Région parisienne, agitation dans les usines de guerre, 1918 ». Archives de la Préfecture de Police de Paris, B/a 1406 et 1407 (dossiers de grèves). Sur ce développement, voir aussi Une banlieue ouvrière…, p. 646 ss .
11. Carte industrielle de la région parisienne, 1927, éditée par la Société de documentation industrielle ; Carte du département de la Seine au 1/20 000 indiquant la répartition des habitations, industries, cultures, espaces libres, d'après une enquête faite en 1921 (Bibliothèque historique de la Ville de Paris).
12. Chiffres calculés à partir des tableaux de l'Annuaire statistique de la Ville de Paris, vol. « 1935-1936-1937 », pp. 490-497. Nous ne tenons compte ici, dans nos comparaisons avec le niveau de la population de 1901 ou 1911, ni de l'excédent des décès civils en 1914-1918, ni des pertes de guerre : le total en a été évalué à 232 000 pour l'ensemble Seine et Seine-et-Oise.
13. Sur ce point, voir A. Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, t. 3, chap. rv, « Le logement », par Anita Hirsch.
14. I.N.S.E.E., Recensement général de la population de mai 1954. Résultats statistiques. Population, ménages, logements, maisons. Département de la Seine, Paris, P.U.F., 1961, 162 p. Un biais, négligeable semble-t-il, est évidemment introduit par la proportion d'immeubles qui ont été détruits. Par ailleurs nous défalquons des totaux les immeubles répertoriés comme « d'âge indéterminé » (7,7 % de l'ensemble en Seine-banlieue par exemple).
15. Un des critères commodes d'évaluation de la richesse respective des communes nous semble résider dans une série de tableaux fiscaux : — Ceux des « Répartements » : il s'agit des tableaux présentant « les éléments de répartition du principal fictif afférent à la contribution personnelle-mobilière », et notamment le « montant des valeurs locatives des locaux affectés à l'habitation personnelle des imposables ». La contribution personnelle-mobilière étant alors un impôt de répartition, d'âpres discussions s'engageaient entre les communes et les répartiteurs pour la fixation de l'impôt, et on peut penser que le montant des valeurs locatives est apprécié d'une façon correcte et surtout uniforme (on dispose de cette source pour 1921 et 1922 : Archives de Paris, D1 P2 n° 16). — Pour la fin de l'entre-deux-guerres, les statistiques fiscales (” État dégressif, par tête d'habitant, des valeurs locatives des locaux affectés à l'habitation personnelle des imposables ») ne semblent pas avoir été publiées, mais nous en avons retrouvé des copies dactylographiées aux Archives communales de Saint-Denis (carton « F. Finances communales 1933-1938). Ces sources situent, respectivement en 1920 et 1938, Levallois-Perret au 41e et au 37e rang des communes de la Seine-banlieue, Aubervilliers au 77e et au 54e rang.
16. S.CF., Résultats statistiques du recensement général de la population, 1926, t. 4 ; malheureusement seules sont prises en compte, dans la « situation des habitants par rapport à leur logement », les villes de plus de 20 000 habitants — et on ne dispose pas de moyenne pour la Seine-banlieue.
17. Préfecture de la Seine, Recueil de Statistique de la Ville de Paris et du Département de la Seine (Statistique des logements dans les communes du Département de la Seine), Imprimerie nationale, 1918, 120 p.
18. Chiffres calculés à partir de ceux que donne J. Bastié dans sa thèse, op. cit., p. 232 ss.
19. Archives de la R.A.T.P., « S.T.C.R.P. Rapports [annuels] du Conseil d'administration ».
20. H. Bunle, articles de la S.G.F. cités supra : pp. 103-104 pour celui de 1938 ; pp. 588-589 pour celui de 1932.
21. Ibid., article de 1932, p. 604. Malheureusement H. Bunle ne donne aucune idée de la répartition des secteurs de banlieue ainsi distingués.
22. Informations glanées dans A.N., F 7 13.618, dossier « Union des syndicats (Seine, 1920) » ; A.P.P., B/a 1646, dossier « 1er août 1929. Manifestation communiste », chemise « Usines » ; A. Demangeon, Paris, la Ville et sa banlieue, 1937, p. 58 ; Groupe des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, Bibliothèque de la Chambre de Commerce de Paris, vols 1924, 1925, 1929-1930, 1935, 1936.
23. Cité par la Préfet de la Seine Achille Villey, Mémoires du Préfet de la Seine au Conseil général, 1935, Mémoire du 3 décembre 1935, « Projet d'aménagement de la région parisienne », p. 2.
24. Maurice Félix, Le régime administratif du département de la Seine et de la Ville de Paris, 1946, 3e édition, t. I, pp. 89-90.
25. Mémoires du Préfet de la Seine au Conseil général, 1924, mémoire du 14 novembre 1924. Sur tout ceci, voir notre Une banlieue ouvrière…, chap. xxi, et notre Un demi-siècle d'action municipale à Saint-Denis-la-rouge, Éd. Cujas, 1981, chap. rv.
26. M. Félix, op. cit., 1.1, p. 96.