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Comment naissent les grands crus : Bordeaux, Porto, Cognac (Seconde partie)*

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

Henri Enjalbert*
Affiliation:
Bordeaux, Faculté des Lettres

Extract

Rien cependant ne faisait encore prévoir, au début du XVIIIe siècle, que la viticulture française s'orienterait, la première, vers les produits de qualité. La crise des exportations avait surtout frappé les vins de Bordeaux. Pour reconquérir leurs anciens marchés les Bordelais devaient offrir à leur clientèle, lorsque la paix fut revenue en 1710, soit des produits vinicoles, vins et eaux-de-vie, à très bon marché, soit des produits de meilleure qualité que ceux de leurs concurrents espagnols et portugais. Ils ne pouvaient lutter avec ces derniers sur le terrain des prix, les droits de douane anglais étant plus élevés pour eux que pour les Ibériques. Ils se tournèrent donc, contraints et forcés, vers les produits de qualité et créèrent en un demi-siècle les « grands vins rouges de Bordeaux ».

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1953

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Footnotes

*

La première partie de l'article de M. Enjalbert a été publiée dans le numéro précédent, juill.-sept. 1953, n° 3, p. 315 à 328.

References

page 457 note 1. La paix ne fut signée qu'en 1713, mais la trêve de 1710 équivaut, au point de rue du, commerce, à un traité de paix.

page 458 note 1. Par réaction contre le claret, les Anglais veulent au début du XVIIIe siècle des vins très noirs. A Porto, pour leur donner satisfaction, on n'hésite pas à colorer les vins trop clairs avec le jus des baies de sureau. Buveurs de vin clair et léger au milieu du XVIIe siècle, les Anglais sont .devenus au XVIIIe siècle des amateurs de vins mutés très colorés.

page 459 note 1. Enjalbert, H., La Circulation, le Commerce et les Villes dans la vallée de la Charente. Études locales, Angoulême, 1938 Google Scholar. « Les eaux-de-vie, dit-il, ont eu un grand débit pendant la dernière guerre aux armées de Flandre et d'Allemagne. » Désormais l'habitude est prise de voir les cantinières avec leur tonnelet d'eau-de-vie accompagner les troupes en marche. Dans les cantonnements, les buvetiers offrent aussi du « brandevin » aux soldats, si bien que l'usage se répand dans les villes de boire de l'eau-de-vie. Fort habilement, les fournisseurs des armées, craignant de voir se réduire leur clientèle après la paix de Ryswiek (1697), se font réserver le monopole de la fourniture des eaux-de-vie à Paris où un édit de 1699 interdit, en faveur des «brandevins », l'entrée de la ville aux eaux-de-vie de cidre ou de mélasse. De nombreux marchands débitent de l'eau-de-vie à petites mesures dans les rues de la capitale, au début du XVIIIe; siècle (Savary, Dictionnaire du commerce, 1750, art. « Eau-de-vie»). Ils les font venir surtout du Val de Loire et des pays charentais, mais on en importe aussi de la Guyenne et du Languedoc.

page 459 note 2. Exception faite de la Suède, ruinée par les guerres de Charles XII, qui réserve le marché national aux eaux-de-vie de grain fabriquées sur place.

page 460 note 1. Savary, OUVT. cité, art. « Vins ».

page 460 note 2. Un traité de commerce fut alors signé par Vérgennes.

page 461 note 1. Le système des « joualles » est sans doute très ancien en Aquitaine, mais il ne se développe vraiment qu'au xvme siècle, en liaison avec la généralisation du brûlage qui utilise les vins médiocres. Il y a, de ce fait, dégradation du vignoble (vins paysans) au moment où les châteaux s'orientent vers la qualité (grands vins).

page 461 note 2. Manuscrits, C. I. ,6.

page 462 note 1. Voici le sujet proposé pour 1756 par l'Académie de Bordeaux : « Quelle est la meilleure manière de faire les vins, de les clarifier et de les conserver? Est le moyen de les clarifier sans oeufs équivalant à celui des oeufs ou meilleur? » Bibl. de la ville de Bordeaux, Manuscrits de l'Académie.

page 462 note 2. Beaurein, , Variétés bordelaises, Bordeaux, 1776, p. 233.Google Scholar

page 463 note 1. An milieu du ivm1 siècle, la plupart des vins du Médoc sont encore livrés à bas prix comme ceux dé Bourg et de Blaye, mais déjà les vins de château trouvent acquéreur à très haut prix parce que ce sont des « grands vins » récoltés, préparés et conservés selon les nouvelles techniques de la viticulture et de la vinification. Tandis que les vins blancs du Sauternais, destinés aux Hollandais, se vendent en 1739 de 120 à 150 livres le tonneau et tout au plus 250 à 300 livres, les « grands vins » rouges du Médoc et de Bordeaux se vendent 800 à 1 000 livres le tonneau, parfois même 1 500 livres pour les plus fameux qui partent en Angleterre. Déjà en 1725, le Parlement de Bordeaux, dans les « très humbles remontrances » qu'il adresse au roi, nous fait connaître l'existence et les prix de ces « grands vins ». Il y en a, dit-il, que les Anglais appellent«grands vins » et qu'ils achètent sous ce nom à un prix excessif. Archives municipales de Bordeaux : Manuscrits. Remontrances du Parlement de Bordeaux, C. I., 6.

page 463 note 2. Cité par Th. Malvezin, ouvr. cité, t. III, p. 274.

page 463 note 3. En 1725, il n'y a encore, comme le constate le Parlement de Bordeaux, que très peu de producteurs de « grands vins » : « douze ou quinze particuliers qui ne font pas la deux centième partie des vins qui se chargent ou se convertissent en eau-de-vie ». Mais leur nombre s'accroît au cours du XVIIIe siècle et surtout la hiérarchie s'étoffe. Au-dessous des très grands vins, qui atteignent en 1770 le prix extraordinaire de 1 800 livres le tonneau, nous trouvons toute une. gamme de grands vins a 1 200, à 1000,800 et 600 livres. Les deux plus grands crus sont alors ceux du Haut-Brion et de Margaux (1 800 livres) ; des premiers crus de Pessac .(graves de Bordeaux) et du Haut-Médoc (Cantenac, Saint-Lambert, Saiht-Seurin de Cadourne) sont vendus de 800 à 1 200 livres ; les seconds crus à Soussay et Labarde valent 600 livres ; quantité d'autres atteignent 400 livres, alors que les vins courants (seconds crus de palu) valent 150 à 200 livres et que les vins à distiller atteignent tout juste 10a livres le tonneau.

page 463 note 4. Jouannet, F., Statistique du département de la Gironde, 2 vol., 1837-1842. Vol. II, p, 233.Google Scholar

page 464 note 1. C'est l'époque des Fêtes galantes de Wateau et du Turcaret de Lesage ; c'est aussi l'époque où se construisent les plus célèbres « hôtels parisiens ».

page 464 note 2. L'eau-de-vie n'est pas beaucoup plus chère qu'un vin bourgeois : 65 à 100 livres la barrique, tandis qu'un vin rouge ordinaire vaut de 30 à 50 livres la barrique. Les vins paysans, les petits crus, les vins qui seront distillés s'ils ne trouvent pas preneur, ne valent souvent que 10 à 20 livres la barrique. A condition que les frais de transport ne grèvent pas trop son prix de revient, les ouvriers et artisans des faubourgs peuvent boire couramment, au XVIIIe siècle, du vin et de l'eau-de-vie.

page 465 note 1. Dictionnaire du commerce : Art. Vins. Comparer les éditions de 1750 et de 1765.

page 465 note 2. Th. Malvezin, ouvr. cité, discute cette tradition au nom de la vraisemblance. Son amourpropre bordelais ne peut admettre que les vins de Bordeaux ne soient pas connus et appréciés depuis des siècles à Paris (t. III, p. 279)..

page 465 note 3. Le goût des Hollandais, qui faisait la fortune de ces vins blancs, ne s'imposa que plus tard, lorsque les châteaux du Sauternais eurent adopté les meilleures techniques viticoles du Médoc.

page 467 note 1. Les viticulteurs de l'Alto-Douro (Lavradores do Douro) reprochent à la Feitoria d'avoir multiplié les coupages et augmenté l'addition d'eau-de-vie pour accroître ses exportations tout en abaissant le prix d'achat des vins forts du Douro. La Feitoria leur réplique qu'il se fait beaucoup de mélanges dans les quintas (« fermes ») et que les viticulteurs livrent souvent des vins de qualité inférieure colorés à la baie de sureau. Textes dans le tome V des Anaïs de l'Institut du Vin de Porto, 1944, p. 74 et suiv. La Feitoria, après avoir provoqué la faillite du Biscayen Pancorvo, demeurait seule maîtresse du marché et détenait un monopole de fait pour l'importation des vins de Porto en Angleterre.

page 468 note 1. On le fit chaque fois (1772-1777) en remontant le fleuve, c'est-à-direen allant vers des pays aux sols plus maigres, au climat plus chaud et plus sec, où le rendement est plus faible, mais la qualité meilleure.

page 468 note 1. Savary, Dictionnaire du commerce, 1750-1765, art. « Eau-de-vie ».

page 469 note 1. Savary, Dictionnaire du commerce, 1750-1765, art. « Eau-de-vie ».

page 470 note 1. Ravaz, ouvr. cité, p. 253. On a calculé que de 1718 à 1736 les provinces charentaises avaient exporté 489 931 barriques d'eau-de-vie vers les pays du Nord, soit en moyenne 27 000 barriques par an. Les Hollandais pour leur compte en ont retenu plus de la moitié, soit 267 525 barriques, les villes hanséatiques 86 501, l'Angleterre 119 376.

page 470 note 2. Comparer avec le chiffre des exportations de Porto à la même époque : 45 393 pipes, soit 90 000 barriques environ.

page 470 note 3. Il est très caractéristique, presque symbolique, de voir apparaître l'une des plus puissantes firmes de Cognac, la maison Martell, juste au début de la grande époque des exportations de la Champagne en 1715. Pons et Jarnac apparaissent déjà comme des satellites de Cognac ; en 1723 est fondée a Jarnacla maison Ranson et Delamain, en 1763 la maison Hine. Mais c'est à Cognac que se multiplient les grandes firmes (Hennessy en 1765, puis Robin, Dupuy, O'Tard avant la fin du XVIIIe siècle).

page 470 note 4. Leslivres de comptes des premiers Hennessy que l'on peut voir en visitant les installations actuelles de la firme sont à ce sujet pleins d'intérêt pour l'historien. Chez Martell, la maison du fondateur et son premier magasin, construits au début du XVIIIe siècle, ont été pieusement conservés par ses successeurs, ainsi que de très riches archives.

page 470 note 5. En 1778, Munier note que le « Balzac » est partout remplacé par la t Folle Blanche », afin d'avoir, dit-il, de meilleures eaux-de-vie ( Munisr, , Essai d'une méthode…, Paris, 1779, p. 223 Google Scholar).

page 471 note 1. Domecq, d'origine française, avait voulu jouer en Espagne les Martell et les Hennessy ; son Cofiac prétendait au début rivaliser avec celui de la Charente ; il s'orienta ensuite vers une autre formule très différente et qui n'est pas sans mérites.

page 471 note 2. Le vignoble charentais ne fut dépasse par celui du Midi languedocien qu'à la fin du second Empire.

page 472 note 1. Ces réserves étaient énormes. En 1876, à la veille de la crise, la surproduction était en vue. On a calculé que de 1861 à 1880 il avait été distillé dans les deux Charentes plus de 12 millions d'hl. d'eau-de-vie. Il ne s'en était exporté que 6 millions. La consommation intérieure avait pu absorber 3 millions d'hl., mais en 1860 les réserves étaient estimées à 2 ou 3 millions d'hl. Il devait donc y avoir en 1878-1880 de 5 à 6 millions d'hl. en cours de vieillissement. Ce stock suffit à soutenir le commerce du cognac de qualité jusqu'à la reconstruction du vignoble.

page 473 note 1. La continuité delà production viticoleenBordelais, depuis l'époque gallo-romaine (IVe siècle) jusqu'au XIIe siècle, n'est pas encore parfaitement démontrée.