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Clémence Revest, Romam veni. Humanisme etpapauté à la fin du Grand Schisme,Ceyzérieu, ChampVallon, 2021, 424 p.

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Clémence Revest, Romam veni. Humanisme etpapauté à la fin du Grand Schisme,Ceyzérieu, ChampVallon, 2021, 424 p.

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

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Abstract

Type
Histoire religieuse (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’objet du livre de Clémence Revest est l’histoire d’une coïncidence historique d’environ quatorze années entre l’issue mouvementée d’une crise sans précédent de la papauté et l’émergence d’une culture savante alternative, née de la progressive institutionnalisation d’un groupe de lettrés, aux formations, aux références, aux carrières et aux pratiques intellectuelles renouvelées par l’attrait des studia humanitatis. C’est donc comme une « histoire commune entre humanisme et papauté » (p. 12) qu’il faut aborder ce livre, dont la contribution historiographique entend se situer aussi bien du côté d’une approche résolument historienne et sociale de l’humanisme que de l’histoire de la curie et du gouvernement pontifical dans les dernières années du Grand Schisme.

Le titre de l’ouvrage, Romam veni, « Je vins à Rome », tiré des premiers mots de la lettre que Leonardo Bruni adressa à Innocent VII (1404-1406) au début de sa carrière curiale et qui inaugurera plus tard son propre recueil épistolaire, oriente le regard vers l’une des principales idoles du mouvement humaniste. Mais que le lecteur ne se laisse pas tromper : l’originalité du livre de C. Revest consiste précisément à dépasser une approche de l’essor humaniste à l’aune des seuls grands hommes – dont le mouvement lui-même s’est très rapidement efforcé de se doter, comme le souligne le premier chapitre – et de leurs principales œuvres. Il entend même donner vie à la multitude des individus et des pratiques savantes qui, selon des modalités très différentes, firent prendre corps au mouvement. Ce nuancier d’acteurs, mis en évidence par C. Revest au sein de ce qu’elle a choisi de désigner comme une « constellation socioculturelle en progression » (p. 75), privilégie 81 personnages, suivis de près tout au long de l’ouvrage et qui font l’objet d’un abrégé biographique en fin de volume. Ce nuancier s’organise selon des critères relevant tout autant de la théorie que de la réalité ou, enfin, de la mise en scène symbolique, et est composé par l’historienne grâce à la lecture croisée de deux typologies de sources rarement interrogées conjointement de façon aussi systématique et sérielle. Il s’agit, d’une part, des productions textuelles construisant plusieurs références communes, comme le réveil de l’Antiquité ou des événements récents érigés en mythes de fondation (le séjour de Manuel Chrysoloras, la découverte de manuscrits à Saint-Gall, etc.), ainsi que certains genres – nouveaux ou renouvelés – pratiqués par les humanistes au service de la curie, comme les lettres et recueils de correspondance, les panégyriques, les préfaces et discours, la poésie de circonstance et quelques œuvres autobiographiques extraordinaires, tel le Libellus penarum de Benedetto da Piglio (1415). Il s’agit, d’autre part, des documents administratifs produits par ou à propos des carrières des curialistes, dont l’analyse jusque dans leurs moindres détails permet de reconstruire non seulement le parcours des lettrés et un certain nombre de ses étapes décisives (le passage par le collège des scripteurs apostoliques, l’accès à l’office de secrétaire pontifical, etc.), mais aussi « d’évaluer globalement le poids de leur présence et de leur activité dans l’administration pontificale » (p. 187). À ce titre, l’enquête menée sur les mentions hors teneur – noms du scripteur ou du compositeur de l’acte, de celui qui l’a commandé, marques signalant les étapes de sa validation et de son enregistrement – comme moyen d’apprécier le travail de la chancellerie est emblématique.

En dépit du Romam veni de Bruni qui se détache en lettres presque d’or sur la couverture, le livre de C. Revest évite – et contribue en partie à déconstruire – l’illusion d’une résidence naturelle de l’humanisme dans la ville de Rome. Si attraction des cerveaux il y a, notamment en des moments précis de désagrégation d’autres cours, c’est d’abord vers la curie – ou plutôt les curies, même si les humanistes font pour la plupart le choix de l’obédience du pape élu au concile de Pise –, entendue comme un groupe de prélats – le livre effleure à plusieurs reprises, sans l’approfondir, le rôle essentiel des cardinaux et de leurs familles – ou comme un appareil de gouvernement en plein tumulte. À la fois pourvoyeur d’offices – principalement au sein des organes de production diplomatique, comme la chancellerie ou le secrétariat, « vivier socio-professionnel de l’humanisme » (p. 194-209) –, de missions – des prestigieuses légations à d’autres bien plus obscures –, de bénéfices ou de privilèges, c’est-à-dire d’opportunités de carrières et de sources de rétributions et plus rarement de richesses durables (comme pour Antonio Loschi à Vicence), ce milieu curial en crise peut également être cause de ruptures, de revers, voire de coups d’arrêt dans les carrières. Même les stratégies les plus complexes ne parviennent pas toujours à déjouer ces risques, à l’exception, peut-être, de la combinaison entre statut clérical et cumul bénéficial qui fournit un bouclier assez efficace pour faire carrière en temps de crise. Reste que, en dehors de quelques brefs moments d’euphorie – comme le concours poétique de la fin de l’été 1406 –, la ville de Rome en elle-même ne conquiert que très progressivement, et au-delà des bornes chronologiques de ce livre, une fonction de capitale du pouvoir pontifical restauré et de patrie des studia humanitatis, excluant au passage le popolo et la commune de Rome et leur culture propre, dont Dario Internullo a récemment montré toute la féconditéFootnote 1.

Le Romam veni emprunté à Bruni dans le titre est enfin un écho, voire un hommage, à l’invention d’un modèle rhétorique, « écrire à la manière de Cicéron », dont ce livre a l’immense prix de rendre compte d’au moins deux points de vue complémentaires : stylistique et technique d’abord, mais aussi social et politique. C. Revest propose de ce fait une voie de sortie à l’aporie des débats sur la nature du cicéronianisme, tout en en révisant radicalement la chronologie et les acteurs, dès lors qu’elle désigne la curie de la fin du Grand Schisme comme l’un des laboratoires du « tournant cicéronien ». Le défi, latent dans l’ensemble du livre, que relève définitivement la troisième et dernière partie, est triple. En premier lieu, éclairer le rôle des humanistes employés à la curie dans la production de ce « stéréotype de communication massivement diffusé et valorisé », en mesure d’« influer durablement sur les conceptions et les pratiques socio-institutionnelles » (p. 243), notamment la restauration de la papauté romaine à partir du motif de la renaissance de l’âge glorieux des Anciens. En deuxième lieu, en décrire minutieusement la physionomie, grâce à l’analyse détaillée du style et des procédés argumentatifs d’un corpus rhétorique sélectionné (voir la liste dressée en annexe) ainsi que de ses écarts vis-à-vis des formes usuelles de discours ou d’épistolographie papale. En troisième et dernier lieu, explorer comment ces compétences rhétoriques ont pu servir la réforme de la papauté romaine grâce à la mise à disposition d’un arsenal de légitimation politique, mais aussi ont pu se transformer – bien au-delà du cadre curial et de la résolution du Grand Schisme – en un ascenseur social pour les hommes de savoir.

Nul besoin d’insister sur l’ampleur des débats historiographiques rencontrés au fil des 350 pages de texte de ce volume et dont seuls certains ont été rappelés ici. Loin de s’en désintéresser ou de les éluder, l’autrice s’y frotte et y guide son lecteur avec tact et mesure ainsi qu’avec un sens de la formule et une efficacité démonstrative qui font de ce livre à la fois une contribution très pointue à divers domaines historiques en plein renouvellement – l’analyse, partie de l’ars dictaminis, des rhétoriques du pouvoir ; la diplomatique pontificale ; la définition d’un humanisme de cour ; les relations complexes entre culture humaniste et cadres traditionnels de production du savoir, entre culture humaniste et réforme de l’institution ecclésiale, etc. – et une synthèse très accessible sur l’histoire du gouvernement pontifical à la fin du Grand Schisme comme, sans doute davantage encore, de l’humanisme italien au début du xve siècle. On regrette d’autant plus l’absence en fin d’ouvrage d’une liste récapitulative des titres cités et discutés dans les notes, dont la police met déjà à rude épreuve les lecteurs et lectrices.

Ce livre magistral ne manquera pas de susciter des discussions et des compléments d’enquêteFootnote 2 : l’élégance optimiste de son style ainsi que la rigueur rassurante de ses démonstrations ne peuvent en effet cacher la hardiesse de sa thèse de fond. Faire de la curie des années 1404-1417 « un tremplin, un laboratoire et une épreuve du réel pour l’humanisme naissant » (p. 13) ou affirmer que la curie romano-pisane joue un rôle déterminant dans la naissance de l’humanisme comme un véritable mouvement culturel n’est pas sans jeter le trouble dans la narration – déjà très débattue – de l’histoire de l’humanisme. Un des apports de ce livre est de montrer – en s’y exerçant très concrètement sur une masse documentaire véritablement impressionnante – que cette narration ne peut se nourrir d’une approche exclusivement philologique et philosophico-politique « hors-sol », et qu’elle doit au contraire combiner cette première approche tant à l’éclairage des conditions sociales et institutionnelles de possibilité de l’essor de l’humanisme qu’à la prise en compte de la forte dimension mémorielle d’un mouvement qui produisit, très tôt, son propre récit des origines et son propre portrait de groupe.

References

1 Dario Internullo, Ai margini dei giganti. La vita intellettuale dei romani nel Trecento (1305-1367), Rome, Viella, 2016.

2 Clémence Revest elle-même s’y est déjà attelée, notamment dans le volume qu’elle a dirigé, Discours académiques. L’éloquence solennelle à l’université entre scolastique et humanisme, Paris, Classiques Garnier, 2020.