Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Le Bustân al-Azhâr fî Manâqib Zimzim al-Akhyâr wa Ma'dan al-Anwâr Sidi Ahmad b. Yûsuf al-Râchidî al-Nasab wa'l-Dâr de Muhammad b. Muh. al-Sabbâgh al-Qal'î est sans doute la Vie de saint la plus célèbre au Maghreb. Ses copies manuscrites se comptent par dizaine dans les bibliothèques publiques et privées. Nous-même avons eu accès à quatre copies différentes. En Algérie, sa popularité est telle qu'il est la seule Vie de saint à avoir eu droit au privilège de l'édition imprimée en 1927. Cette édition du Bustân est, toutefois, si rare que seules quelques bibliothèques privées en possèdent des exemplaires. La Bibliothèque Nationale d'Alger, par exemple, qui possède deux copies manuscrites du Bustân ne dispose pas de cette édition.
Though coming under several genres, the manêqib are above all distinguished in the Maghreb as the literary expression of one of the most fruitful forms of its religious life : the worship of the saints. In that respect they are hagiographic.
As literary fictions seeking to extol exemplary behavior, they are naturally assigned to produce models to be imitated. Their narrative schemas are almost entirely mobilized and oriented, at least on a superficial level, so as to realize this canonic objective. Historians and anthropologists of symbolico-religious practices cannot neglect their structuration without condemning themselves to not understanding that a hagiographic discourse is first and foremost meaningful because of its narrative effects. Edification is not, however, the only social use made of them; there are others as well. One of them — no doubt the most important — consists in regulating the stakes of filiation that involve both the lineage of the saint, his companions and disciples, and the community, all of whom are interested in one way or another in harnessing his good fortune. That is what makes these manêqib from the Maghreb regulating discourses, i. e. in the last analysis, they are a way of routinizing the Saint's charisma.
* Je remercie Lucette Valensi d'avoir bien voulu discuter avec moi une première version de ce texte.
1. Nous avons complété la lecture du Bustân par celle de deux hagiographies inédites du saint : Ribh al-Tijâra wa Mughnim al-Sa'âda fî ma yata'alaqu bi-Ahkam al-Ziyyâra de ‘Alî al-Haj Mûsa al-Jazâ'Irî aimablement communiqué par M. B. Benarbia qui l'a acquis en achetant une partie du fonds Bodin et l'Anonyme de la Bibliothèque Nationale de Paris consigné sous le n° 6748.
2. Je profite de l'occasion pour remercier le Cheikh al-Mahdî al-Bu'abdalli et Si B. Al-Mahmûdi pour la compréhension qu'ils manifestent pour mon travail et pour m'avoir communiqué leurs copies du Bustân.
3. Excellente édition établie par Muhmmad B. ‘Abd-Allah al Hâchimî à partir de quatre copies différentes dont la plus ancienne, celle de Figuig, rédigée en 1095/1684 a servi de référence.
4. Berque, J., L'intérieur du Maghreb, XVe-XIXe siècles, Paris, Gallimard, 1978, p. 102 Google Scholar.
5. Op. cit., p. 103.
6. C'est le cas des Dictons satiriques attribués à Sidi Ah'med Ben Yousof, de René Basset (1890), et de Notes et questions sur Sidi Ahmed-ben-youssef, de Marcel Bodin (1925).
7. Les références au Bustân sont indiquées dans le texte, entre parenthèses, après les citations.
8. Sur cet « imam du soufisme », voir Sakhkhâwî, al-Daw'al-Lâmi', Vip. 183, et Muhammad Makhlûf, Shajarat al-Nûr al-Zâkiya, p. 278.
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10. Ribh al-Tijâra, f. 84.
11. Aujourd'hui encore les gens de Qal'a appellent ce saint « Le Docteur des Houara », or cette expression se retrouve sous la plume de Sabbâgh dans Bustân.
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13. Dictons satiriques…, op. cit., p. 25.
14. Ribh al-Tijâra, f. 103.
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17. Sur cette question précise, voir notamment Goldziher, I., Étude sur la tradition islamique, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1952, 355 pGoogle Scholar.
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20. Voir notamment Ibn al-Qâdi, Duwhat al-Nâchir, trad. A. Griaule, Archives marocaines, XIX, pp. 214-215 ; Hafnâwî, Ta'rîf al-Khalaf bî-Rijal al-Salaf, Alger, Fontana, 1909, II, pp. 103-105.
21. Cf. Greimas, A. J., Du sens. Essais sémiotiques, Paris, Éditions du Seuil, 1970 Google Scholar ; Greimas, A. J. et Courtes, J., Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979 Google Scholar ; Calame, C. et Geninase, C., « Le discours folklorique et mythique », dans Sémiotique. L'École de Paris, Paris, Hachette, 1982, pp. 65–102 Google Scholar.
22. Cf. Hâjjî Khalîfa, Kashf al-Dhunûn, Istanbul, 1942, II, p. 1 832 ; E. Lévi-Provencal, art. Manakib, E.I 1 ; III, pp. 241-242, vol. V, p. 227 de l'édition anglaise ; H.-R. Idris, Note préliminaire : des manâqib d'Abû Ishâq al-Jabanyânî, Paris, P.U.F., Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines d'Alger, 1959, 355 p.
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25. Sur cette question, voir l'excellent ouvrage de Dupront, A., Du sacré, Paris, Gallimard, 1987, 541 p.Google Scholar
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27. Ici ma démarche s'inscrit davantage dans la voie tracée par Bergson dans les Deux sources de la morale et de la religion (1945) et par M. de Certeau dans la Fable mystique (1982) que dans celle de G. Durand (Structures anthropologiques de l'imaginaire, 1969).
28. Au sens où l'entend Freud dans L'interprétation du rêve (1900), c'est-à-dire comme « formation (psychologique) dans laquelle le désir est imaginairement présenté comme réalisé », Laplanche, J. et Pontalis, J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Éditions de Minuit, 1978, I, p. 219 Google Scholar.
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30. Bustân, f., repris dans Ribh al-Tijâra, f. 116.
31. Dawhat al-Nâshir, op. cit., p. 214.
32. L'intérieur du Maghreb, op. cit., p. 83.
33. Mir'ât al-Mahâsin, cité dans Ta'rîf al-Khalaf, op. cit., p. 104. Sur ce premier mufti Malékite d'Alger à l'époque d'Alger, voir Dawhat al-Nâshir, p. 287 ss.
34. On trouvera dans l'Anonyme de la B.N. de Paris de nombreux exemples allant dans le même sens, f. 30 ss.
35. Ribh al-Tijâra, f. 120.
36. Idem., ibid.
37. Le saint défend le dhikr dans une épître intitulée Risâla fî al-Raqs wa'l-Tasfîq wa'l-Dhikrfî l-Aswâq, manuscrit de la Bibliothèque générale de Rabat, nc 2792. Longue dissertation dans l'Anonyme de la B.N. de Paris, n° 6748, f. 32-33. C'est une responsa à des ‘ulama.
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40. Bustân, f. Ribh al-Tijâra, f. 112.
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42. Sur cet aspect des mouvements chiliastiques en Occident, cf. Cohn, N., Les fanatiques de l'apocalypse, Paris, Payot, 1983, 378 pGoogle Scholar.
43. Wansharîsî, op. cit., II, p. 455.
44. Kitâb al-Muhâdarât, op. cit., p. 114. Cf. aussi Berque, J., Al-Yousi, problèmes de la culture marocaine au XVIIe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1958, 144 p.Google Scholar
45. Ajwîba, manuscrit aimablement communiqué par M. Mahmûdî, f. 35-36 et 41-42.
46. Idem.J. 44.
47. Sur ces groupes, voir A. Mouuéras, « Une tribu zénète antimusulmane au Maroc (les Zkara) », Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran, XXIII, 1903, XXVI, 1906 ; Gognalon, « Une fraction des Ghenanema dans la banlieue de Fez », idem, 1906, pp. 354-359 et 466 ss ; P. Albert, « La Zaouia de Kerzaiz », idem, XXVI, 1906 ; Dermenghen, E., Le culte des saints dans l'Islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1954, p. 237 ssGoogle Scholar ; Bal-hachîmi b.bakkâra, Kitâb Mujmu'al-Hasab wa'l'Nasab, Tlemcen, 1961, p. 206 ss.
48. Kitâb Majmu'al-Hasab wa'l-Nasab, op. cit., p. 205.
49. Dawhat al-Nâshir, p. 214.
50. Idem, p. 215.
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52. Mir'ât al-Mahâsin, citée dans Hafnâwî, Ta'rîf al-Khalaf, II, p. 104.
53. Je reprends ici à Ong, Walter J. la notion de « heavy character » qu'il développe dans Orality and Literacy, Londres-New York, Methuen, 1982, p. 70 ssCrossRefGoogle Scholar.
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56. Ribh al-Tijâra, f. 84.
57. Idem, f. 87.