Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
Sur la guerre de 1939, sur les événements qui se sont déroulés de 1940 à 1944, chaque jour des publications nouvelles paraissent. Oeuvres d'historiens patentés, certaines se donnent dès maintenant comme historiques. D'autres tiennent de l'apologie : elles sont le fait des personnages importants ou qui se croient tels. Beaucoup, enfin, prennent forme de journal intime : oeuvres d'écrivains, souvent, ou d'hommes cultivés qui tiennent à apporter les dépositions sur des événements qui les ont profondément touchés dans leur sensibilité propre, leurs croyances intellectuelles et leurs sentiments nationaux. Ces livres attendent leur John Norton Cru. Nous ne saurions les étudier, ni même les signaler tous : ces sortes de dénombrements bibliographiques ne sont point dans la ligne des Annales. Mais, à propos de deux ou trois d'entre eux, montrer en quoi de pareils témoignages peuvent et doivent être retenus par l'Histoire, alors même que leurs auteurs (et surtout peut-être quand leurs auteurs) seront sans doute étonnés, les premiers, que la vieille Clio s'intéresse à eux : ceci, nous devons le faire.
page 51 note 1. On sait que .T. N. Cru, dans un livre intitulé Témoins, a procédé à l'examen critique des livres de Souvenirs de 1914.
page 51 note 2. Lkon-E. Halkin, A l'ombre de la mort. Préface de François Mauriac. Tournai, Paris, Caslerman (Cahiers de la Itevuo Nouvelle), 1947, in-16, 186 p.
page 52 note 1. Geéhenno, Jean. Journal des Années Noires (1940-1944). Paris, Gallimard, 1947, in-16 366 Google Scholar p. Léon Werth, Déposition. Journal, 1 940-1944. Paris, Editions Bernard Grasset, 1946, in-8°, 564 p.
page 52 note 2. « Mais quels sont les vrais signes, bien certains, de la vie ? Par certaine dextérité on obtient de l'animation, une sorte de chaleur. Parfois le galvanisme semble dépasser la vie même par ses bonds, ses efforts, des contrastes heurtés, des surprises, de petits miracles. La vraie vie a un signe tout différent, sa continuité… » Etc.
page 56 note 1. Comme Léon-E. Halkin. Mais il est à noter que le non du citoyen belge semble beaucoup moins fondé en raisons proprement politiques que le non du citoyen français. C'est beaucoup plus, semble-t-il, un non moral et culturel qu'un non national et démocratique.
page 57 note 1. Ici, je chicanerais un peu. Une idée, mais incarnée. J'aime trop Michelel pour sous-estimer l'importance de la révolution qu'il fit lorsqu'il mit sous l'histoire de Franco « cette forte bonne base, la terre ». Et du coup ramena sur la terre- les idées aériennes du XVIIIe siècle.
page 59 note 1. EL encore, p. 18 : « La pire des défaites pour les Français serait d'avoir honte do la France. » Ou bien. P. II : « Ne pouvoir garder l'honneur que contre la loi, difficile entreprise. »
page 60 note 1. J'oublie de dire que Valéry n'eût point lu ces textes, même s'il’ en avait connu l'existence. Pourquoi ? Léon Werth répond admirablement à la question dans Déposition (voir plus loin). « Valéry, note-t-il à propos des Regards sur le Monde Actuel, rejette, pour composer son tableau, tous les traits, toutes les indications qui ne sont point de l'ordre d'un discours académique. Non point par lâcheté, mais par une habitude de l'esprit qui est de n'utiliser que les concepts cristallisés, arrivés à leur état de perfection… » Toute cette histoire économique, toute cette viei des masses : trivialité, impureté. Le pur cristal…
page 60 note 2. « Propos d'initiation : Vivre l'histoire » (Mélanges d'Histoire Sociale, 1943, III, p. 5-19). « Face au Vent, manifeste des Annales nouvelles » (Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, t. 1, 1946, p. 1).
page 61 note 1. Évidemment, si Guéhenno, quand il dit l'Histoire, pense à ce qu'il écrit (p. 185) d'une Sorbonne « où l'abus de l'histoire, de la petite histoire, a détruit le sens critique et le goût », nous n'avons plus rien à dire. Qu'à approuver de que nous avons dit cent fois de notre côté.
page 61 note 2. Et c'est encore à cette abominable histoire des concours — des cours pour les concours, appris par coeur — qu'il faut attribuer sans aucun doute quelques vues sur le moyen âge qui demanderaient à être revisées. Par exemple, quand Guéhenno nous dit, parlant de Montaigne, qu'il commence dans ses Essais l'exploration de l'homme, si longtemps interdite par la cérémonie toute-puissante, la religion, les pouvoirs, etc.. -— La cérémonie toute-puissante ni la religion n'interdisaient guère, combien de siècles avant Montaigne, à Abélard et à son Héloïse, d'explorer de façon surprenante leur humanité. Nous oublions toujours ces texteslà. Nous croyons toujours, comme Élie de Beaumont, à la théorie des soulèvements.
page 61 note 3. Voyons ici la différence de point de vue du « littéraire » en quête de l'individuel et du qualitatif — et de l'historien en quête du collectif et du quantitatif. Je dis : « Mon Problème de l'Incroyance » — et Guéhenno, j'imagine dit : « Le Rabelais de Lucien Febvre. »
page 62 note 1. Gt. Guéhenno, Journal, 29 octobre 1940, p. 5o : « L'Europe est pleine aujourd'hui d'esprits sales… »
page 62 note 2. Marc Bloch ne l'avait point oublié. Voir cette lettre du 13 février 1943 que j'ai publiée dans le premier de nos Cahiers d'Hommages à Marc Bloch (Annales, 1945, p. 28) parce qu'elle.constituait de mon Problème de l'Incroyance un comple rendu critique vigoureux, que je signale en passant à Guéhenno.
page 63 note 1. Cité par Poux dans son édition critique de Volupté, p. XI-Xll. Du même au mémo endroit, cette formule : «Je suis assez profondément sceptique pour ne pas craindre par moments de paraître chrétien. »
page 65 note 1. Cahiers d'Aujourd'hui, I, 1912, .p. 130.
page 65 note 2. Sur Pucheu, of. p. 448, 450, 454. Sur Déal, la méditation de la page 467, 9 avril 1944 : « Qu'espère-t-il ? Espère-t-il quelque chose ? Glissera-t-il sur une pente qu'il, ne peut plus remonter ? Peut-être, n'ayant pris à l'Université qu'une culture formaliste, une mécanique agilité dé l'esprit, joue-t-il avec les idées comme un enfant joue aux osselets ? Beaucoup d'hommes que l'on dit cultivés aboutissent à l'ignominie pour avoir manié leurs idées comme des caisses dont ils ignorent le contenu. » Etc.
page 66 note 1. Il ajoute : « Je préfère Michelet aimant la France comme une personne Aux raisons que nous avons d'aimer un être s'ajoute celle-ci qu'il est fragile et unique. Un être natt. Aucun ne fut tout à fait semblable à lui. Aucun jamais ne lui sera tout à fait semblable » (ibid., p. 463).
page 66 note 2. Werth, si insoucieux des contingences et des prudences, n'a garde d'escamoter le haut personnage de Charles de Gaulle. Et ses notations comme toujours sont originales. Et lucides. Depuis les (premières, septembre 1940 (p. 16) : Qu'espère le général ? Est-il prisonnier de sa résistance, de son premier refus ? d'une attitude enfin qu'il a décidée, mais qui commanderait, en dépit des événements, toutes ses décisions ? » — jusqu'à la dernière (p. 563, 36 août 1944), qui clôt le livre : « De Gaulle descend, à pied, l'avenue des Champs-Elysées… Quand il paraît, tous les cris, toutes les rumeurs s'assemblent en une vague unique, à peine oscillante, qui emplit tout l'espace entre ciel et terre. » Mais en passant par bien d'autres, dont celle-ci (16 mai 1941, p. 143) : « Général de Gaulle, l'Angleterre gagne, vous débarquez en France… Nous ne vous demandons rien, qu'un peu de génie. »
page 67 note 1. Admirables matériaux vécus, dans Déposition, pour suivre dans son évolution te sentiment du peuple sur Pétain. Cette construction par lui, au début, d'un maréchal semblable au maréchal qu'il souhaite, d'un bon tyran désintéressé. Ses laides paroles, le peuple les annule. Les actes odieux de ses ministres, il les refoule (p. 100, janvier 1940) : « Le gouvernement, me dit Laurent en même temps qu'il charge une brouette de fumier, le gouvernement est (peut-être bien d'accord avec de Gaulle ? Il cherche à rouler l'Allemagne… » Et sur un geste de protestation : « Pas Laval, bien sûr, mais les autres. » Sur ce report des hontes sur Laval, innombrables textes et propos (p. ex., p. 77).
page 67 note 2. Les journaux sont pleins de l'indignation qu'a suscitée en France le bombardement de Marseille par les avions anglais (novembre 1940, p. 67). Oui, mais : « Un paysan fume son champ. A peine avions-nous échangé quelques mots sur le temps et sur 1e vent : — Les avions de Marseille, me dit-il, c'étaient des avions italiens, maquillés en avions anglais, on le dit en ville et ça ne m'étonne pas. Le bourg invente ses vérités. Il les inscrit en marge des communiqués. »
page 67 note 3. Sur la niaiserie, cf. passim : les jeunes gens invités à ramasser des marrons d'Inde, octobre 1940, ou : la régénération de la France par les recettes de tante Annette. Technique agricole : défense de tuer les cochons à moins de cent kilos. Mais défense de donner des pommes de terre aux cochons. « On les engraissera à l'eàu claire, disent les paysans. » Ou bien, novembre 1940, p. 63 : «Vichy, négligeant aujourd'hui nos âmes régénérées, se penche sur nos ventres et nous conseille de ramasser des glands… »
page 68 note 1. Qui no fut possible que parce que Werth n'était pas dans le pays en étranger, ni même en nouveau venu. Il y était chez lui depuis des années. Sans quoi il n'eût rien connu-de tant de nuances subtiles. Etl il n'eût point pu (a l'usage, entre autres, de Gabriel Le Bras) nous initier aux subtiles nuances des enterrements au bourg : « Aux enterrements, me dit Laurent, tantôt j'entre à l'église, tantôt je vais au café pendant la messe. Ça dépend de bien des choses. C'est selon qui je rencontre. Avec celui-là je vais au café, avec cet autre non. Mais ça dépend surtout du mort. Si de son vivant il allait à la messe, j'entre à l'église. S'il n'allait pas à l'église, je vait au café… » Les paysans sont des « simples », comme ehaoun sait. Des «frères farouches», comme disait cet autre, et sans, délicatesse…
Notez que je connais Laurent, personnellement. Moins bien que Werth. Je l'ai rencontré à dies enterrements, et il ne m'a point fait ces confidences… Cf. aussi, p. 11M, un autre texte remarquable sur les enterrements de -pompiers au village. « L'église, un des points où te paysan fait l'épreuve de sa liberté », écrit excellemment Léon Werth.