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Une société face à l’altérité: Juifs et chrétiens dans la péninsule Ibérique 1391-1449*

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Résumé

Cet article décrit les façons dont les chrétiens qui vivaient dans la péninsule Ibérique au Moyen Âge définissaient et affirmaient leur identité à l’égard de la communauté juive. Certaines de ces manifestations étaient violentes, certaines déployant même l’idéal d’une société purifiée de tous les juifs. En 1391, cette représentation utopique aboutit à des conversions et des massacres si massifs qu’ils menacèrent d’éliminer toute présence juive en Castille et en Aragon. Comment une communauté qui a presque réussi à détruire l’altérité dans une période de forte attente messianique parvient-elle alors à reconstruire sa capacité à marquer et maintenir les différences dans un monde qui demeure imparfait? La suite de l’article montre que la société chrétienne affronte ce problème en faisant de nouveaux usages de l’idée de « judéïté » après l’époque des conversions de masse. Une nouvelle catégorie religieuse, les convertis (conversos, marranes, nouveaux chétiens), émerge alors, contre laquelle l’identité et les privilèges des chrétiens peuvent à nouveau être définis et affirmés.

Abstract

Abstract

This article begins by describing a number of ways in which Christians living in the medieval Iberian Peninsula defined and performed their identities vis-à-vis the Jewish community. Some of these performances were violent, some even went so far as to represent an image of a society purified of all Jews. In 1391 that utopian image exploded, resulting in massacres and mass conversions of Jews so great that they threatened to eliminate the Jewish presence from vast regions of Castile and Aragon. How does a community that has virtually obliterated its ‘other’ in a period of heightened messianic expectation then reconstruct its ability to mark and maintain difference in a continuously imperfect world? The second half of this article explores how Christian society addressed this problem by putting the idea of ‘Jewishness’ to new kinds of work in the period after the mass conversions, and how this work affected the emergence of a new religious category of converts (‘conversos’, ‘Marranos’, ‘Cristianos nuevos’) against which Christian identity and privilege could once more be defined and performed.

Type
Violences religieuses au Moyen Âge
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales

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Footnotes

*

La traduction de cet article a bénéficié d’une aide de l’université Johns Hopkins, de Baltimore. Je souhaite également remercier Gemma Escribà, dont le travail aux archives de Catalogne n’a pas seulement enrichi sa propre recherche, mais aussi celle de tous ceux qui sont venus travailler sur le judaïsme dans le royaume d’Aragon.

References

1 - C’est ce que je soutenais dans Nirenberg, David, « Les juifs, la violence et le sacré », Annales HSS, 50-1, 1995, p. 109-131 CrossRefGoogle Scholar dont cet article constitue une suite.

2 - Ruiz, Juan, Libro de Buen Amor, édité par Giorgio Chiarini, Milan, Riccardo Ricciardi, 1964, v. 1067-1224 Google Scholar fournit une expression contemporaine de cette idée: Don Carnal est harcelé tous les ans par Doña Cuaresma pendant la Semaine sainte et doit se réfugier dans la communauté juive. Â la fin de la semaine, il sort gaiement sur le cheval du rabbin et met en déroute Donã Cuaresma, qui retourne à Jérusalem jusqu’à l’année suivante. Â comparer à Bakhtin, Mikhail, Rabelais and his world, Bloomington, Indiana University Press, [1941] 1984, p. 13 sq., p. 84, p. 286-289 Google Scholar, sur le risus paschalis.

3 - Cette phrase résume mes conclusions dans Nirenberg, David, Violence et minorités au Moyen Âge, Paris, PUF, 2001, p. 303.Google Scholar

4 - Le choix du terme « miracle » est inspiré par Georg Simmel et son utilisation du terme « merveilleux » pour décrire le rôle de l’honneur dans le maintien des groupes: Soziologie: Untersuchungen über die Formen der Vergesellschaftung (5e éd.), Berlin, Duncker & Humblot, 1968, p. 403-406.

5 - La littérature sur 1391 est abondante. Pour la Castille, on peut commencer avec Fernàndez, Emilio Mitre, Los judíos de Castilla en tiempo de Enrique iii. El pogrom de 1391, Valladolid, université de Valladolid, 1994 Google Scholar; et pour le royaume d’Aragon, avec les articles de Sans, Jaume Rierai, « Los tumultos contra las juderías de la corona de Aragón en 1391 », Cuadernos de Historia, 8, 1977, p. 213-225 Google Scholar; « Estrangers participants als avalots contra les jueríes de la Corona d’Aragó el 1391 », Anuario de Estudios Medievales 10, 1980, p. 577-583; « Els avalots de 1391 a Girona », Jornades d’història dels jueus a Catalunya, Gérone, Ajuntament de Girona, 1987, p. 95-159.

6 - En 1391, Pâques tombait le 26 mars. Le lien que j’établis entre les massacres de 1391 et les émeutes de la Semaine sainte relève de la conjecture. Au-delà de la date des premiers rapports sur les troubles de Séville, il est prouvé que certains des massacres de 1391 suivirent des scénarios proches de ceux des émeutes de la Semaine sainte. Â Valence par exemple, le massacre débuta par une procession de près de 50 enfants encerclant et menaçant le quartier juif. Vela, Agustín Rubio, Epistolari de la Valéncia medieval, Valence, Institut de Filologia Valenciana, 1985, n° 103, p. 269-271 Google Scholar, transcription de Arxiu Municipal de Valéncia, LM 5, f. 19r-20r (7 septembre 1391) et n° 104, transcription des f. 23r-24r.

7 - J’ai modifié la traduction de Hershman, Abraham dans Rabbi Isaac ben Sheshet Perfet and his times, New York, The Jewish Theological Seminary of America, 1943, p. 194-196 Google Scholar, pour prendre en compte les corrections proposées par J. Riera, « Els avalots… », art. cit., p. 156. La «Lettre à la communauté d’Avignon» de Hasdai Crescas se trouve dans l’ouvrage beaucoup plus tardif de Verga, Shelomo Ibn, Das Buch Schevet Jehuda, édité par Meir Wiener, Hanovre, H. Lafaire, 1924, p. 128 Google Scholar. Sur Gérone: « Major pars aljame sive habitantium in eadem ad fidem catholicam sunt conversi, et alii ex eis fuerunt gladio interempti ». Archives du royaume d’Aragon, Chancellerie [désormais ACA, C], 1902, 16v-17r (16 juillet 1392), cité dans J. Riera, « Els avalots… », art. cit., p. 135. Sur la Castille, voir Ayala, Pedro Lopez De, Crónicas de los reyes de Castilla: desde don Alfonso el Sabio, hasta los católicos don Fernando y doña Isabel, t. 3, Crónica de Enrique iii de Castilla, édité par Cayetano Rosell, Madrid, M. Rivadeneyra, «BAE-68», 1877, p. 167 Google Scholar et 177. Ayala écrit qu’à Séville, « eran tornados cristianos los mas Judios que y eran, é muchos de ellos muertos » (la plupart des juifs étaient convertis au christianisme, et un grand nombre d’entre eux tués). Ayala considère Ferrant comme responsable du mouvement, mais fournit une autre explication possible pour les troubles de Séville: par décision de justice, un chrétien qui avait attaqué des juifs fut condamné à recevoir le fouet. Bien que le roi ait envoyé « sus cartas é ballesteros á otros lugares » (ses lettres et ses fonctionnaires en d’autres lieux) pour défendre les juifs, son autorité fut partout bafouée en raison de sa jeunesse et de la discorde régnant entre les puissants. Ayala dresse la liste des synagogues (aljamas) détruites en Castille: Séville, Córdona, Burgos, Tolède, Logroñ o, « y otras muchas », (et beaucoup d’autres) et en Aragon celles de Barcelone, Valence, Lérida, «y otras muchas». Il ajoute que ceux qui en réchappèrent «quedaron muy pobres » (demeurèrent très pauvres).

8 - Voir ACA, C 2042, 23v-24v (10 août 1394), «in quo puteo quamplurima corpora judeorum tempore excidii seu destruccionis dicti calli etiam de mandato, ordinacionem seu licencia baiuli seu aliorum officialium Barchinone, ut dicitur tunch proiecta et modo etiam sepulta et subterrata existunt… » (dans lequel puits, au moment du massacre et de la destruction dudit quartier juif, beaucoup de corps de juifs furent jetés sur commandement, ordre ou autorisation du gouverneur ou d’autres fonctionnaires de Barcelone, et se trouvent de cette façon enterrés et ensevelis).

9 - Un grand nombre d’historiens mettent évidemment cela en doute, préférant expliquer les événements de 1391 par des facteurs contingents tels que le prix du grain, le fait que le roi de Castille ait été mineur ou (dans le royaume d’Aragon) par la présence d’étran-gers incitant à la violence, et non par l’essence de la vision chrétienne du judaïsme. Voir par exemple Wolff, Philippe, « The 1391 pogrom in Spain: Social crisis or not? », Past and Present, 50, 1971, p. 4-18 CrossRefGoogle Scholar; Mackay, Angus, « Popular movements and pogroms in fifteenth-century Castile », Past and Present, 55, 1972, p. 33-67.CrossRefGoogle Scholar

10 - Le 23 août, immédiatement après les émeutes, le Conseil prit un décret selon lequel tous les juifs survivants qui se cachaient chez des chrétiens devaient être livrés par leurs hôtes et, quelques jours plus tard, le 27 août, décida qu’ils devaient être hébergés avec des ecclésiastiques afin d’être mieux instruits dans la foi chrétienne. Ceux qui refusaient de se convertir après avoir été instruits devaient être expulsés de la ville. AHCB, Consell de Cent, Llibre del Consell, 19-A, n. 25, f. 37r, 47r.

11 - Pour poursuivre avec l’exemple de Barcelone, la ville s’opposa avec succès (voir par exemple AHCB, Consell de Cent, Llibre del Consell, 19-A, n. 25. f. 93r) aux tentatives de la Couronne d’y réimplanter des juifs (voir par exemple les efforts coordonnés par Hasday Cresques de 1393 à 1395 [ ACA, C 1882, 188v-189r, 1884, 132v-133r, ACA, C 2039, 170v-171r, ACA, C 1910, 12 r]). Le roi Martí accorde aux Conseils une interdiction des colonies juives en 1401, mais limite cette interdiction à 8 ans (ACA, C 2196, 102v-103v, 18 mai). Cette année-là, les conseillers sortants recommandent à leurs suc-cesseurs de faire campagne pour rendre l’interdiction permanente étant donné que la présence des juifs est cause de scandale et d’émeutes: AHCB, Consellers, Testaments de Consellers, xvii-2 (1399-1428), f. 8v (1401). Voir le commentaire écrit peu de temps après que l’interdiction ne devienne permanente dans AHCB, Consellers, Testaments de Consellers, xvii-3 (1430-1448), f. 9v (1431). La ville de Valence obtint du roi Martí en 1397 une interdiction des colonies juives, bien avant Barcelone: ACA, C 2209, 149r-150r (22 février), copie dans ACA, C 2303, 74v-75v.

12 - Oliver, Jaume De Puigi, « La Incantatio studii ilerdensis de Nicolau Eimeric O. P. », Arxiu de Textos Catalans Antics, 15, 1996, p. 7-108, ici p. 47 Google Scholar: « In quo omnes iudei debant interfici, ut nullus iudeus in mundo deinceps remaneret. » Antoni fut accusé de nombreuses autres opinions hérétiques vers 1393. Quelques années plus tard, des scènes de violence antijuive éclatèrent à Lérida: « Segons a nostra oyda és pervengut, alcuns fills de iniquitat anelants la destrucció de la juheria d’aquexa ciutat, la qual juheria en aquella havem novellament feta e manat ésser, han cominat segons se diu alscunes vegades de la destrucció sobredita » (Il est parvenu à nos oreilles que certains fils d’ini-quité, souhaitant détruire le quartier juif de cette ville, dont nous avons récemment ordonné la création, ont tenté à plusieurs reprises, ainsi que l’on le dit, d’entreprendre la destruction susmentionnée), ACA, C 2232, 95v-96r (25 octobre 1400).

13 - L’inspiration messianique de Vincent est connue. Pour l’ouvrage le plus récent, voir Medina, José Guadalajara, Las profecías del anticristo en la edad media, Madrid, Gredos, 1996, p. 232-247.Google Scholar

14 - Selon certains historiens, ces ordonnances furent rarement appliquées, mais les archives de la chancellerie décrivent en détail la violence et les bouleversements qu’elles provoquèrent. Nous disposons de moins d’éléments pour la Castille que pour l’Aragon, comme toujours pour ce qui relève des affaires du gouvernement sur cette période, mais le peu dont nous disposons tend à prouver que les décrets furent appliqués. Voir par exemple le document tiré des Archives municipales de Alba de Tormes publié par Parrondo, Carlos Carrete, Fontes Iudaeorum Regni Castellae, Salamanque, Universidad Pontificia de Salamanca, 1981, p. 30-31.Google Scholar

15 - Alami, Solomon, Igeret Musar, édité par Adolph Jellinek, Vienne, 1872, p. 10b Google Scholar; Zacuto, Abraham, Sefer Yuhasim ha-Shalem, édité par Tsevi Filipowski, Édimbourg, Hevrat Mehorere Yeshenim, 1857, p. 225b Google Scholar; Graetz, Heinrich, Geschichte der Juden von den ältesten Zeiten bis auf die Gegenwart, Leipzig, Oskar Leiner, 1890, p. 111.Google Scholar

16 - Privilège d’Alcañiz dans ACA, C 2394, 22r-v (9 février 1415).

17 - Sur cette association à la fin du Moyen Âge, voir l’ouvrage récent de Lerner, Robert E., The feast of Saint Abraham: Medieval millenarians and the Jews, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2000 Google Scholar, en particulier le chapitre 7, qui aborde les effets des conversions massives sur les idées millénaristes de Francesc Eiximenis.

18 - Augustin, , En. in Ps. 59.17-19 Google Scholar. Sur la justification théologique de la tolérance continue des juifs dans la société chrétienne, voir l’ouvrage récent de Cohen, Jeremy, Living letters of the law: Ideas of the Jew in medieval Christianity, Berkeley/Londres, University of California Press, 1999.Google Scholar

19 - Ruether, Rosemary Radford, Faith and fratricide: The theological roots of anti-Semitism, New York, Seabury Press, 1974, p. 121.Google Scholar

20 - Voir par exemple Lipton, Sara, Images of intolerance: The representation of Jews and Judaism in the Bible moralisée, Berkeley, University of California Press, 1999, p. 45 Google Scholar. À comparer avec Horkheimer, Max et Adorno, Theodor W., Dialectic of enlightenment, New York, Continuum, 1996, p. 189 Google Scholar: «Ce qui est pathologique dans l’antisémitisme n’est pas la projection en tant que telle mais l’absence de réflexion qui l’accompagne. »

21 - Ferrer, Saint Vincent, Sermons V, édité par Josep Sanchis Sivera, Barcelone, Barcino, 1984, p. 147.Google Scholar

22 - C’est un exemple particulièrement important dans la mesure où de nombreuses autres différences découlaient de la différence sexuelle. J’ai essayé de décrire ce processus dans Nirenberg, David, « Conversion, sex, and segregation: Jews and Christians in Medieval Spain », American Historical Review, 107, 2002, p. 1065-1093 CrossRefGoogle Scholar; et ID., Violence et minorités…, op. tit., chap. 5.

23 - « […] no és als sinó fer juheria de cascuna de ses universitats… a aytal demanda no darem loch, car més amam morir que ésser semblants a juheus », AMV, LI. M, g3 4, 108v (26 octobre 1378), cité dans Bramon, Dolors, Contra moros i jueus: Formació i estratégia d’unes discriminations al País Valenciá, Climent, Valence, E., 1981, p. 67 Google Scholar. Voir aussi AHCB, Consell de Cent, Lletres comunes Originals, x: 2, n. 138 (7 novembre 1403), dans lequel les membres du conseil de Tarrega demandent à ceux de Barcelone de les aider à résister aux tentatives d’usurpation (novitats) d’un noble, mossén Francesch d’Erill: « com per força forçada hi hajam arresistir, si donchs com a juheus no volem viure » (puisque nous devrons résister par la force si nous ne voulons pas vivre comme les iuifs).

24 - Saint Vincent Ferrer, Sermons V, op. tit., I, 42: « Deshonor me seria, que dir m’ien: ‘O del foll!, o del juheu!, no és bastant a venjar la mort del pare’ »; I, 93: « No sou bastant a vengar-vos, que teniu cor de juheu » (Tu n’as pas assez de courage pour te venger, tu as un coeur de juif); I, 155: « Oo, dir-vos han que sóu juheu! » (Oh, ils diront que tu es juif!); Ill, 16: « Perquè no.l mato? Diran: ‘Què cor de juheu ha!’» (« Pourquoi ne les a-t-il pas tués? Ils diront ‘quel coeur de juif il a!’ »); V, 190: « Oo, del juheu! » « Oo, les altres me escarnirien » (Oh, le juif! Oh, les autres vont m’insulter).

25 - Cité par Gutwirth, Eleazar, « Habitat and ideology: The organization of private space in Late Medieval Juderías », Mediterranean Historical Review, 9, 1994, p. 205-234, ici p. 208.CrossRefGoogle Scholar

26 - Sur le choix proposé aux conversos de Majorque, voir Quadrado, José Maria, « La judería de la ciudad de Mallorca en 1391 », Boletín de la Real Academia de la Historia, 9, 1886, p. 294-312 Google Scholar. La lettre envoyée par le roi Joan à Majorque s’inquiète du fait que «lur conversació a present no poria esser sens perill e gran dampnatge » (à l’heure actuelle, toute conversation ne pourrait que provoquer grand péril et grands dégâts). [ACA, C 1994, 186v-187r (19 août 1391), cité dans Riera, J., « Judíos y conversos en los reinos de la corona de Aragón durante el sigloxv », in La expulsion de los Judios de Espatia: Conferencias pronunciadas en el ii Curso de cultura hispano-judia y Sefardí de la Universidad de Castilla-la-Mancha, celebrado en Toledo del 16 al 19 de sept. de 1992, Tolède, 1993, p. 71-91, p. 83 Google Scholar.] Sur Barcelone voir AHCB, Consell de Cent, Llibre del Consell, 19-A, n. 25, f. 37 (27 août 1391): «Ítem que los conversos qui han alberchs o cases en lo call, que ixen vers la carrera pública dels christians, que en aquests aytals puxen habitar en los dits lurs alberchs o cases, axí emperó que tots portals, finistres e altres ubertures quels dits alberchs o cases hajen vers lo call sien abans ben tancats a cals e a pedra, en tal manera que no pusquen exir ni mirar vers la part dins del dit call» (Item, que les convertis qui résident dans des maisons ou habitations dans le quartier juif qui donnent sur la rue des Chrétiens peuvent demeurer dans leurs maisons ou habitations à condition que toutes les portes, fenêtres et autres ouvertures desdites maisons ou habitations donnant sur le quartier juif soient tout d’abord bien scellées avec des pierres de telle façon qu’il ne soit pas possible de sortir ou de regarder vers le dit quartier juif).

27 - Prats, Lluís Batlle Y, « Un episodio de la persecution judía de 1391 » [1948], in Romano, David (éd.), Per a una història de la Girona jueva, Gérone, Ajuntament de Girona, 1988, ii, p. 614-617 Google Scholar; Güell, Gabriel Secall I, La comunitat hebrea de Santa Colotna de Queralt, Tarragone, Institut d’Estudis Tarraconenses Ramon Berenguer iv, 1986, p. 118-119.Google Scholar

28 - Voir par exemple ACA, C 2374, 77r-v (2 mai 1415). On comprend que de tels arrangements aient provoqué la consternation, comme l’atteste la demande de la ville de Gérone le 12 mai 1417 selon laquelle « les juhies mullers dels cristians novells sien separades de lurs marits, pusquen no3s volen convertir e han haut gran spay en deliberar. Item que los cristians novells sien forçats de fer batejar los infants qui són menos d’anys e en lur potestat » (les femmes juives mariées à de nouveaux chrétiens soient séparées de leurs maris, parce qu’elles ne veulent pas se convertir et ont eu tout le loisir d’y réfléchir. Que les nouveaux chrétiens soient également contraints de faire baptiser les enfants mineurs vivant sous leur responsabilité), ACA, C cr. Alfonso iv, boîte 4, num. 511.

29 - ACA, C 1950, 107r (et 1950, 113r): « Alguns conversos, olim juheus de la ciutat o regne de Valéncia […] tenen en lur cases e habitacions, mullers, fills, nabots, cosins, germans, parents, e altres encare juheus, dels quals ni ha encara infant, ço és de vii anys a avall, per la qual cosa, si axí és, se pot se pot seguir escándel, e entre·ls conversos fort mala custuma e eximpli » (Certains convertis, anciennement juifs de la ville ou du royaume de Valence, ont dans leurs maisons et habitations des femmes, enfants, neveux, cousins, frères, parents, membres de leur famille et autres qui sont encore juifs, parmi lesquels on trouve même un enfant de près de sept ans. S’il en est effectivement ainsi, ces faits risquent de provoquer le scandale, tout en donnant de très mauvaises habitudes et exemples aux convertis) (30 juillet 1393). Â l’inverse, le roi voulait également soustraire les enfants convertis au contrôle de leurs parents juifs. Voir par exemple ACA, C 1862, 71v-72r (10 octobre 1394).

30 - Voir les trois documents dans ACA, C 2039, 129r-131v (19 août 1392). Voir aussi ACA, C 1909, 166r-v (6 février 1393). Selon ce dernier, l’évêque de Valence donna la permission au chrétien de conduire la cérémonie.

31 - Sur les relations entre les juifs et leurs parents convertis, voir l’étude récente de Mark Meyerson sur la communauté de Murviedro dans le royaume de Valence: Meyerson, Mark D., A Jewish renaissance in fifteenth-century Spain, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 184-224.Google Scholar

32 - Par exemple, la responsabilité des convertis sur une partie des dettes des communautés ruinées signifiait que les convertis et les juifs se trouvaient liés par des structures communes pendant des décennies. Parmi les centaines de documents attestant de la complexité des situations ainsi créées, voir ACA, C 1925, 189v-195r (3 décembre 1392) pour Valence, et ACA, C 1925, 144v-147v (2 octobre 1392) pour Barcelone. Les convertis commencèrent à assumer leur identité collective pour coordonner leurs actions dans des affaires de ce type, une identité par certains aspects distincte de celle des anciens chrétiens. Voir par exemple ACA, C 1884, 7v (20 mars 1392), qui accorde aux convertis de Játiva le droit de s’assembler et de voter sur les questions fiscales relatives à la communauté. Des problèmes similaires apparaîtront au moment des conversions de 1411-1416. Par exemple, la reine concéda en 1417 aux juifs de Borja que les convertis au christianisme de la ville demeurent liés par leurs obligations fiscales envers la communauté juive, à moins que le pape n’émette une bulle affirmant le contraire: ACA, C 2034, 62v (15 février).

33 - ACA, C 1964, 108v-109v (18 août 1393), adressée à Tortosa, publiée par Baer, Fritz, Die Juden im christlichen Spanien, Erster Teil, Urkunden und Regesten, Berlin, Schocken Verlag, 1936, vol. 1, I, # 456, 716-718 Google Scholar. Â comparer avec ACA, C 2030, 136v-137r (3 septembre 1393) dans laquelle la reine ordonne que l’on n’impose pas aux juifs de Valence de distinctions supplémentaires puisqu’ils sont déjà aisément reconnaissables (prou son senyalats), et que des règles vestimentaires supplémentaires leur feraient quitter la ville, publiée par Montalvo, José Hinojosa, The Jews of the Kingdom of Valencia: From persecution to expulsion, 1391-1492, Jerusalem, Magnes Press/Hebrew University, 1993, # 191, 440 Google Scholar. Cf. aussi # 218, 231, 235]. La lettre envoyée devrait être étudiée parallèlement à celles de Barcelone (voir Marimón, José María Madurell, « La cofradía de la Santa Trinidad à Tortosa, de los conversos de Barcelona », Sefarad, 18, 1958, p. 60-82, ici p. 72-77 Google Scholar) et de Gérone (non éditée, ACA, C 1960, 120v-121v (1er septembre 1393). Une lettre semblable a été envoyée à Morvedre, datée du 4 avril 1396 [ACA, C 1911, 46r-v, 2e numération]. La municipalité de Valence utilisa les mêmes arguments pour faire pression sur le roi afin que, si les juifs devaient se réinstaller en ville, cela soit dans des lieux éloignés et isolés: ACA, C 1927, 108r-v (15 novembre 1393). Voir aussi J. Riera, « Judíos y conversos… », op. cit., p. 83.

34 - ACA, C Violant de Bar, 2030, 80r-v (23 août 1393): «Quod ambulans in habitu christianorum et sub ipsis habitus velamine habuit rem carnalem cum pluribus mulieribus christianis ». Il y avait eu une plainte préalable concernant le port de vêtements chrétiens par des juifs à Barcelone immédiatement après les émeutes, et l’on peut présumer que les juifs se déguisaient alors pour éviter les agressions. Voir AHCB, Consell de Cent, Llibre del Consell, 19-A, n. 25, f. 47r (23 août 1391): « Que algun juheu qual que sia no vage en hábit de christiá. E que contra fará será escobat per la ciutat ab grans açots sens tota mercé. No resmenys, será foragitat de la dita ciutat » (Qu’aucun juif, quel qu’il soit, ne puisse aller habillé en chrétien. Et que quiconque contrevient à cet interdit sera conduit de par la ville, fouetté durement et sans pitié. Il sera également expulsé de la dite ville).

35 - Pour une étude plus approfondie de cette crise, voir D. Nirenberg, « Conversion, sex… », art. cit., p. 1065-1093.

36 - Il est intéressant de noter que le souci de maintenir cette distance était partagé par les « nouveaux » comme les « anciens » chrétiens. Un cas particulièrement intéressant se produisit à Barcelone, où un groupe de convertis se plaignit en 1397 du fait que la présence de réfugiés juifs français dans la ville entamait le prestige du christianisme en encourageant les chrétiens à acheter de la viande chez les bouchers kashers, tout en faisant courir aux convertis le risque de « judaïsation ». Voir AHCB, Consell de Cent, Llibre del Consell, 19-A, n. 27, f. 84v (26 mars). Le 5 juin, les convertis demandèrent au Conseil d’intercéder auprès du Roi afin qu’aucun juif ne puisse plus jamais s’établir à Barcelone. Le Conseil donna son accord (fol. 91v-92r). Les négociations sont résumées dans AHCB, Consellers, Testaments de Consellers, xvii-2 (1399-1428), f. 7r (1399). L’ordonnance du Conseil sur les convertis et les bouchers juifs est délivrée le 12 juillet 1399, AHCB, Consell de Cent, Ordinacions originals, xxvi-72.

37 - Il est intéressant de remarquer que les émeutes de la Semaine sainte ont disparu presque complètement de Catalogne et d’Aragon dans la décennie postérieure à 1391. Les juifs de Tortosa s’inquiétaient apparemment de cette possibilité en 1392 (ACA, C 1876, 100r-v). Â Gérone, les lapidations ont sans doute repris en 1396 (ACA, C 2031, 10r-v), et des mesures défensives furent prises à Teruel en 1398 (ACA, C 2167, 134r). Mais en dehors de ces exemples, on trouve étonnamment peu de plaintes dans des registres d’archives par ailleurs très riches. Néanmoins, une communauté juive qui se réinstallait à Montblanc en 1405 prit soin d’obtenir le privilège de louer des gardes pour la Semaine sainte: ACA, C 2202, 96r-97r.

38 - «Et primo non est conversandum cum ipsis in hospitiis, nam in eadem domo in habitacione non debent morari christiani et infideles, quia est malum quod se pega, scilicet luxuria, nam multi putant esse filii judeorum et sunt christianorum, et e contrario. Et ideo postquam judei et sarraceni sunt diversi in lege cum christianis sint diversi et distinti in habitacionibus… », Colegio del Corpus Christi de Valencia, ms. 139, f. 113, cité dans Cátedra, Pedro, « Fray Vicente Ferrer y la predicación antijudaica en la campaña castellana (1411-1412) », in Pelegrin, J. Battesti (éd.), « Qu’un sang impur… »: les conversos et le pouvoir en Espagne à la fin du Moyen Âge. Actes du 2e colloque d’Aix-en-Provence, 18-19-20 novembre 1994, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1997, p. 19-46, ici p. 30-31.Google Scholar

39 - Ces événements nous sont connus grâce à une lettre envoyée au roi par Nicholau Burgés, fondé de pouvoir et administrateur de Saragosse, qui refusait de porter la responsabilité des mouvements d’autodéfense violents provoqués par le sermon de saint Vincent: ACA, C cartas reales [cr.] Fernando I, boîte 22, num. 2764. Selon cette lettre, Vincent prêchait « que el sabía bien de cierto que jodíos e moros avían que ffer con cristianas, en tal manera que muytos cristianos cuydavan tener ffilios en sus mulleres e suyos e que eran de moros e de jodíos […] e que la ciudat hi devía proveyto de manera que aquesto se estirpás e castigás e quey devían provedir sino que en breu Deus provehiría en ellos […] » (30 avril [1415?]).

40 - « Por su aspecto son havidos e reputados por muytos seyer cristianos, senyaladament entre qui no son conoscidos. » Cette citation est tirée d’une lettre écrite par les jurados de Saragosse après avoir écouté un sermon de saint Vincent, lettre datée du 28 janvier 1415: ACA, C cr. Fernando I, boîte 8, num. 919. L’accusation de s’habiller comme des chrétiens et d’adopter des noms chrétiens est très ancienne et vient du concile de Latran de 1215. Elle était souvent invoquée aux xiii e et xiv e siècles, par exemple aux Cortes de Jerez en 1268 (art. 7).

41 - On trouve un exemple typique de la législation produite dans ce but dans ACA, C 2416, 60v-63v (20 mars 1413), adressée à Majorque. L’angoisse liée à la sexualité joue aussi ici un rôle important, avec l’interdiction faite à toutes les femmes chrétiennes d’approcher le quartier juif (une amende de 50 florins était prévue pour les femmes mariées, la perte de leurs vêtements pour les femmes célibataires, cent coups de fouet pour les prostituées). Une fois encore, cette angoisse accrue ne répond à aucune augmentation avérée des relations.

42 - « Car nunqua será bon christià, lo qui és vehí de juheu. » (BC ms 476, f. 136v-153v, édité par Espelt, Josep Perarnau I, « Els quatre sermons catalans de sant Vicent Ferrer en el manuscrit 476 de la Biblioteca de Catalunya », Arxiu de Textos Catalans Antics, 15, 1996, p. 231-232 Google Scholar). Une fois encore, les « nouveaux » chrétiens comprenaient aussi bien que les « anciens » que leur statut se mesurait à l’aune de leur distance au judaïsme. Une poignée de conversos de Saragosse vivant dans une zone majoritairement juive évoquèrent ainsi les ordres de ségrégation de saint Vincent dans l’espoir de faire expulser leurs voisins juifs. Voir Millás, Francisca Vendrell De, « En torno a la confirmación real, en Aragón, de la pragmatica de Benedicto xiii », Sefarad, 20, 1960, p. 1-33 Google Scholar. Moins dramatiques mais tout aussi significatives sont les actions de « distanciation » de conver-tis tels que Gil Roiz Najarí, qui réussit à obtenir par pétition qu’une entrée du quartier juif de Teruel soit déplacée afin qu’il n’entre pas en contact avec les juifs (ACA, C 2391, 102r-v [16 mars 1416]). La même logique pouvait aussi nourrir la violence des convertis à l’encontre des juifs, comme à Saragosse (ACA, C 2389, 110r-112v [20 novembre 1415]) et ailleurs.

43 - Bien sûr, il y avait aussi ceux qui cherchaient de temps à autres à renouer avec cette politique. En 1417 par exemple, la reine Violant écrivit à l’évêque de Gérone pour condamner ces nouveaux chrétiens qui avaient rédigé une pétition pour que les portes du quartier juif restent ouvertes le jeudi et vendredi de la Semaine sainte (sans doute pour pouvoir l’envahir plus facilement), ces anciens chrétiens qui refusaient de vendre de la nourriture aux juifs et ces prêtres qui faisaient des sermons agressifs exigeant leur conversion.Voir ACA, C 2052, 18r (4 avril), ACA, C 2052, 23 r (7 mai).

44 - Je ne prendrai en compte tout au long de cet article que les points de vue chrétiens (à la fois « anciens » et « nouveaux ») sur cette question, laquelle était également vitale pour les juifs. Pour un résumé préliminaire de mon interprétation des réponses juives, voir Nirenberg, David, « Mass conversion and genealogical mentalities: Jews and Christians in fifteenth-century Spain », Past and Present, 174, 2002, p. 3-41.CrossRefGoogle Scholar

45 - Le roi Martí s’inquiétait des convertis qui observaient le shabbat juif, « quamplurimum frequentius judaytzant ». L’ordre requérant que tous les fonctionnaires aident les inqui-siteurs « ad extirpandum errores predictos », se trouve dans ACA, C 2229, 60r (4 février 1398). Il décida en 1400 que les conversos qui observaient les fêtes juives devaient payer une amende de 100 sous, et encouragea les inquisiteurs à rechercher ces pratiques: ACA, C 2173, 115r (12 août 1400). Le prédécesseur de Martí, le roi Joan, avait émis des ordres similaires, demandant par exemple à ses sujets de coopérer avec l’inquisiteur Barthomeu Gaçó, qui enquêtait sur les nécromanciens et les « mauvais convertis qui restaient dans l’erreur et gardaient cette secte dans leur cœurs dépravés », ACA, C 1927, 101r-v (7 novembre 1393), publié par Vincke, Johannes, Zur Vorgeschichte der Spanischen Inquisition, die Inquisition in Aragon, Bonn, P. Hanstein, 1941, n° 144 Google Scholar. Pour des exemples d’enquêtes menées à bien par les fonctionnaires du roi Joan, voir ACA, MR 393, 36v, 38r-v, où des convertis sont trouvés dans le quartier juif de Morvedre en train de fêter la Pâque juive en famille, ou ACA, C 1906, 64r-66r (10 mai 1393), pour le cas d’un juif accusé (entre autres choses) de fournir en pain azyme des convertis de Sogorb (ce dernier document est publié par F.Baer, Die Juden, op. cit., vol. 1, p. 705-711, n° 451; J. Hinojosa, Jews…, op. cit., p. 423-425, n° 164). Les bases institutionnelles de ces inquisitions différaient cependant de celles qui seront établies par Ferdinand et Isabelle quelque 80 ans plus tard.

46 - Archives Municipales de Lérida [AML], Llibres de Crims, num. 803, f. 115v-122r (17 novembre 1407). Sur le procès en empoisonnement de Franchesca, voir AML, Llibres de Crims, num. 802, f. 69v-72r (13 novembre 1406). Les accusateurs de Pere furent inventifs, mais sans succès. Le témoin oculaire qu’ils appelèrent à témoigner de la profanation nia toute connaissance de l’affaire, et Pere fut acquitté. Je ne prétends pas qu’il n’y eut pas d’accusations de judaïser: des individus, tels que Bernat March de Barcelone, dénoncèrent plusieurs convertis qui continuaient à pratiquer des cérémonies juives (ACA, C 2360, 96r, 14 octobre 1412). Je veux seulement dire que ces accusations ne se cristallisèrent pas en un discours à large spectre avant le milieu du siècle.

47 - Toutes les références sont tirées de Baena, Juan Alfonso De, Cancionero, édité par Brian Dutton et Joaquín González Cuenca, Madrid, Visor Libros, 1993 Google Scholar [désormais Cancionero]. Les poèmes issus d’autres Cancioneros que celui de Baena seront tirés de Dutton, Brian (éd.), El Cancionero del siglo xv, c. 1360-1520, 7 vol., Salamanque, Université de Salamanque, 1990-1991 Google Scholar. Sur la date de celui de Baena, voir Blecua, Alberto, « ‘Perdíose un quaderno […]’: sobre los cancioneros de Baena », Anuario de Estudios Medievales, 9, 1974-1979, p. 229-266 Google Scholar; Cumplido, Manuel Nieto, « Aportación histórica al Cancionero de Baena », Historia, Instituciones, Documentos, 6, 1979, p. 197-218 Google Scholar, ainsi que ID., « Juan Alfonso de Baena y su Cancionero: Nueva aportación histórica », Boletí n de la Real Academia de Córdoba, 52, 1982, p. 35-57. La littérature sur le Cancionero est abondante, mais deux recueils récents peuvent servir de point de départ: Gerli, E. Michael et Weiss, Julian (éd.), Poetry at court in Trastamaran Spain: From the Cancionero de Baena to the Cancionero general, Tempe, Arizona State University Press, « Medieval & Renaissance, Texts & Studies », 1998 Google Scholar; Reyes, Jesús L. Serrano et Jiménez, Juan Fernández (éd.), Juan Alfonso de Baena y su « Cancionero »: Actas del I Congreso Internacional sobre el Cancionero de Baena, Baena, del 16 al 20 de febrero de 1999, Baena, M.I. Ayuntamiento de Baena, Delegacioin de Cultura, 2001 Google Scholar. Pour des arguments et bibliographie plus extensives sur l’attitude envers les juifs et les convertis dans le Cancionero, voir (en plus des ouvrages cités infra) Nirenberg, David, Wie jüdisch war das Spanien des Mittelalters? Die Perspektive der Literatur, Trèves, Kliomedia Google Scholar, « Kleine Schriften des Arye Maimon-Instituts-7 », 2005, ainsi que « Figures of thought and figures of flesh: ‘Jews’ and ‘Judaism’ in Late Medieval Spanish poetry and politics », Speculum, 81, 2006, p. 398-426.

48 - Le statut de converso de Baena repose entièrement sur les éléments tirés de ces poèmes. Les citations sur l’aubergine sont tirées des poèmes de Diego de Estuniga (# 424) et Juan García (# 384). La référence à l’adefyna est de Juan de Guzmán (# 404), et l’allusion au baptême de Ferrand Manuel (# 370). Sur les allusions aux relations sexuelles de Juan Alfonso de Baena avec des juives, voir entre autres le même poème de Juan García: «Con judia Aben Xuxena/o Cohena/bien me plaze que burledes…». Pour l’insulte du Maréchal, voir # 418. Les allusions au badinage sexuel interconfessionnel sont très courantes dans le Cancionero. Juan Alfonso de Baena demande ainsi à Gonçalo de Quadros: « Nunca nombrastes la vuestra señora,/ sy era cristiana, judia o mora… » (Vous n’avez jamais nommé votre dame,/ni dit si elle était chrétienne, juive ou maure…) [# 449]. Juan Bautista Avalle-Arce étudie la possibilité que Juan Alfonso provienne d’un milieu converso ou morisco: Avalle-Arce, Juan Bautista, « Sobre Juan Alfonso de Baena », Revista de Filología Hispánica, 7, 1945, p. 141-147 Google Scholar. José María Azáceta opte pour l’hypothèse du converso: Azáceta, José María, Cancionero, vol. 1, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1966 Google Scholar, V, 4, et les notes. Dutton et Gonzalez Cuenca, les éditeurs les plus récents, commencent par accepter l’évidence poétique du statut de converso de Baena de manière provisoire, « provisionalmente », et finissent par le considérer comme une certitude: Cancionero, xv, xviii.

49 - Les illustrations de cette logique sous-jacente sont légion. En plus des ouvrages déjà cités, voir Burgos, Francisco Cantera , « El Cancionero de Baena: Judíos y conversos en él », Sefarad, 27, 1967, p. 71-111 Google Scholar; Rodríguez-Puértolas, Julio, Poesía de protesta en la edad media castellana: Historia y antología, Madrid, Editorial Gredos, 1968, p. 216-224 Google Scholar; Arbós, Cristina, « Los cancioneros castellanos del siglo xv como fuente para la historia de los judíos españoles », in Kaplan, Y. (éd.), Jews and conversos: Studies in society and the Inquisition, Jérusalem, World Union of Jewish Studies/Magnes Press, 1985, p. 77-78 Google Scholar; Hutcheson, Gregory S., « ‘Pinning him to the Wall’: The poetics of self-destruction in the Court of Juan ii », Disputatio, 5, 2002, p. 87-102, particulièrement p. 92-95 Google Scholar. La citation est tirée de Puymaigre, Théodore De, La cour littéraire de don Juan ii, roi de Castille, Paris, A. Franck, 1873, p. 131 Google Scholar. Voir Ríos, José Amador De Los, Estudios históricos, políticos y literarios sobre los judíos de España, Madrid, Imp. de M. Díaz, 1848, 425 Google Scholar f.

50 - Comme l’a concédé Charles Fraker dans son compte rendu de l’ouvrage de Wolf-Dieter Lange, El fraile trobador: Fraker, Charles, « Encore un supposé nouveau chrétien frappé par le canon », Hispanic Review, 42-3, 1974, p. 341-343, ici p. 341.CrossRefGoogle Scholar

51 - La suspicion envers la poésie a des racines profondes dans l’esthétique chrétienne. Sur saint Augustin, voir le récent ouvrage de Küpper, Joachim, « ‘Uti’ und ‘frui’ bei Augustinus und die Problematik des Genießens in der ästhetischen Theorie des Okzidents », in Klein, W. et Müller, E. (éd.), Genuß und Egoismus: Zur Kritik ihrer geschichtlichen Verknüpfung, Berlin, Akademie Verlag, 2002, p. 3-29 Google Scholar; et Augustin, De Civitate Dei xi.18; De Doctrina Christiana ii.6 (7, 8) et iv.11 (26). Sur Thomas d’Aquin, voir son Quodlibetal Questions 7.6.16, édité par Sandra Edwards, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1983. Thomas d’Aquin essaya ailleurs de faire la distinction entre les fictions poétiques et les fictions plus salvatrices. Voir en particulier sa discussion dans Summa theologiae I.I. 9 et I.ii.101.

52 - Sur ces thèmes, voir en particulier Kohut, Karl, « Der Beitrag der Theologie zum Literaturbegriff in der Zeit Juans ii von Kastilien: Alonso de Cartagena (1384-1456) und Alonso de Madrigal, genannt el Tostado (1400?-1455) », Romanische Forschungen, 89, 1977, p. 183-226 Google Scholar; et ID., Las teorías literarias en España y Portugal durante los siglos xv y xvi , Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientiificas, 1973. Sur saint Vincent Ferrer et les réponses des poètes du Cancionero à ses prêches en Castille, voir Cátedra, Pedro, Sermón, sociedad y literatura en la Edad Media: San Vicente Ferrer en Castilla (1411-1412): estudio bibliográfico, literario y edición de los textos inéditos, Valladolid, Conseíeria de Cultura y Turismo, 1994, p. 251-268 Google Scholar. Sur l’opposition thomiste de Ferrer à l’allégorisation de la poésie, voir Cátedra, Pedro, « La predicación castellana de San Vicente Ferrer », Boletín de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, 39, 1983-1984, p. 235-309, particulièrement p. 278 Google Scholar, citation de la Bibliothèque nationale, Madrid, ms. 9, 433, f. 33r-43r.

53 - Pour une approche classique de ces problèmes, voir Curtius, Ernst Robert, « Poesie und Theologie », in ID., Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, Berne, A. Francke, 1948, p. 221-234 Google Scholar. Voir aussi Minnis, Alastair J., « The transformation of critical Tradition: Dante, Petrarch, and Boccaccio », in Minnis, A. J. et Scott, A. B. (éd.), Medieval literary theory and criticism, c. 1000-c. 1375: The commentary-tradition, Oxford/New York, Clarendon Press/Oxford University Press, 1988 Google Scholar; et Küpper, Joachim, « Zu einigen Aspekten der Dichtungstheorie in der Frührenaissance », in Kablitz, A. et Regn, G. (éd.), Renaissance. Episteme und Agon: für Klaus W. Hempfer anlässlich seines 60. Geburtstages, Heidelberg, Winter, 2006 Google Scholar. Parmi les textes essentiels, « Letter to Cangrande della Scala » attribué à Dante ( Alighieri, Dante, Tutte le opere, édité par Luigi Blasucci, Florence, Sansoni, 1965, p. 341-352 Google Scholar); Boccace, , Geneologia deorum gentilium libri, édité par Vincenzo Romano, Bari, G. Laterza, 1951, particulièrement la préface et les livres 14-15 Google Scholar; et Pétrarque, , Invective contra medicum, édité par Antonietta Bufano, Opere latine di Francesco Petrarca, 2, Turin, Unione tipografico-editrice torinese, 1975 Google Scholar. Sur la carrière castillane de ces textes, voir entre autres Piccus, Jules, « El traductor español de De genealogia deorum », Homenaje a Rodríguez-Moñino, vol. 2, Madrid, Castalia, 1966, p. 59-75 Google Scholar; De Talavera, Hernando, « Invectivas contra el médico rudo e parlero », édité par Pedro Cátedra, in Rico, F. (éd.), Petrarca: Obras, I, Madrid, Alfaguara, 1978, p. 369-410.Google Scholar

54 - À ma connaissance, le seul ouvrage abordant le Cancionero de Baena dans ce contexte est celui de Kohut, Karl, « La teoría de la poesía cortesana en el ‘Prologo’ de Juan Alfonso de Baena », Actas del coloquio hispano-Aleman Ramón Menendez Pidal, éd. Hempel, W. et Briesemeister, D., Tübingen, Niemeyer, 1982, p. 120-137, ici p. 131 Google Scholar, n. 27; et Lange, Wolf-Dieter, El fraile trobador; Zeit, Leben und Werk des Diego de Valencia de León (1350?-1412?), Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1971, p. 101 Google Scholar f.

55 - Cancionero, 1. Cette rubrique est abordée dans un grand nombre de poèmes, notamment de Baena, # 359, p. 639, v. 9-10; et de Manuel de Lando, # 253, 451-452, v. 17- 24, et # 257, 456-458, couplet 11. Pour un bon résumé des débats académiques sur le sens de ce thème de la gracia dans le Cancionero, voir Weiss, Julian, The poet’s art: Literary theory in Castile, c. 1400-60, Oxford, Society for the Study of Mediæval Languages and Literature, 1990, p. 25-40.Google Scholar

56 - Un bon exemple est fourni par l’échange entre le poète Alfonso Álvarez de Villasandino, qui tirait orgueil de son absence d’éducation formelle, et le théologien Fray Pedro (# 80-83, p. 107-113). Pedro défie Villasandino, « grant sabio perfeto/en todo fablar de linda poetría,/estrenuo en armas e en cavallería » (grand savant parfait/faisant de la bonne poésie en tout/vigoureux avec les armes et fort galant), d’expliquer les aspects obscurs de l’Apocalypse. Au # 136 (161-162) il recommence, décrivant ironiquement Villasandino comme un « Poeta eçelente, profundo, poético/e clarificador de toda escureza » (Excellent poète, profond, poétique/et clarificateur de toute obscurité) (l. 1-2). La réponse de Villasandino vient en # 137. Sur le bachelier de Salamanque, voir # 92-93 (119-120).

57 - Cancionero, # 272, p. 472-474, l. 21-32: « Aunque vos seades famoso jurista,/ sabed que delante de sabios sotiles/ya fize yo prosas por actos gentiles,/ maguer non só alto nin lindo partista// Mas por aquesto non deven tomar/embidia los grandes dotores sesudos,/ que Dios sus secretos quiso revelar/ a párvulos simples, pesados e rudos,/ e a los prudentes dexólos desnudos, escondiendo d’ellos el su resplandor,/segunt verifica Nuestro Salvador/en su Evangelio de testos agudos. » Il est ici fait allusion à Mat. 11: 25.

58 - Pour le moment, nous ne nous intéressons qu’à l’accusation de judaïsme dans les débats sur la valeur relative de la poésie profane et de la théologie. Cependant, ces accusations sont également portées lors de luttes où les deux parties revendiquent de manière explicite l’autorité théologique. Lors d’un débat (# 323-328) entre franciscains et dominicains sur l’immaculée conception de la Vierge Marie par exemple, Fray Lope accuse Diego Martínez de Medina de mauvaise interprétation (# 324, l. 137: « La palavra mal entendida/mata e non da consuelo » (Le mot, lorsqu’il est mal compris,/ tue plutôt qu’il ne console), une paraphrase de 2 Cor. 3: 6), le traite de pharisien hypocrite (l. 209-211), et suggère que « bueno vos será juntar/con essos de Moisén/ e parientes de Cohén » (vous devriez rejoindre/le peuple de Moïse et la famille de Cohen) (# 326, l. 61-63).

59 - Ibid., # 273, 473-474: « nunca vi secretos de Dios en ditar/ nin al tal saber non somos tenudos./ Los fechos divinos son a nos escudos/que non alcançó el flaco armador,/gentil nin judío nin arrendador/que tiene tristeza con gestos çejudos.// Él faze los ossos con cueros lanudos/ e al que poco sabe ser grant sabidor;/ pocos son los sabios de sabio valor/que tengan los pechos e lomos peludos.» Ferran répond en # 274. Le frère Lope attaque Villasandino pour des raisons semblables en # 117, critiquant « Quien troba parlando, non seyendo letrado. » Le poème est une attaque de la fausseté politique autant que poétique qui se termine par l’imprécation de ces « hypocrites » qui sèment la discorde parmi les puissants et se conclut par l’exhortation que les princes « abhorrent les juifs » et « honorent les hommes de bien » (l. 89-96). Même ici, Maestro Lope vise peut-être les poètes, dont le rôle incendiaire dans les cours royales semble déjà constituer une banalité littéraire. Voir par exemple les premières lignes du poème de Diego de Valencia # 227 (266-275) sur la naissance de Juan ii (1405), concernant les « contiendas, roídos e daño muy farto » (disputes, bruits et grands dommages) qui se produisent quotidiennement au sujet de l’interprétation de la poésie figurative.

60 - Ibid., # 96, 122-123, l. 28-45. Villasandino exprime son sentiment sur une crise ontologique de la poésie de manière très claire dans un autre poème présentant des allusions moins « pharisiennes »: # 255, 453-455.

61 - Ibid., # 359, 639, l. 1-4, 9-12: « Ferrand Manuel, por que se publique/ la vuestra çiençia de grant maravilla,/ en esta grant cort del Rey de Castilla/ conviene forçado que alguno vos pique […] » « Ferrand Manuel, pues unicuique/ data est graçia doblada e senzilla, non se vos torne la cara amarilla/por que mi lengua vos unte o salpique. » Comme l’affirme dans le défi qu’il lance à Villasandino et Lando en 1423: « Que pierdan malenconía/ e tomen plazentería,/ sin enojo e sin zizaña,/ ca la burla non rascaña » (Qu’ils laissent leur mélancolie/et se fassent joyeux/sans colère ni discorde/car la moquerie ne blesse pas) (# 357, l. 28-30). Les prétentions à la vérité de ces insultes méritent d’être étudiées à la lumière de Milner, Jean-Claude, De la syntaxe à l’interprétation: quantités, insultes, exclamations, Paris, Le Seuil, 1978, p. 174-223 Google Scholar. Mes remerciements à Giorgio Agamben pour m’avoir signalé cet aspect du travail de J.-C. Milner.

62 - Ibid., Lando à Baena, # 360, 639-640, ici l. 6-8. Baena à Lando, # 363, 641-642. Noter l’affirmation de Baena selon laquelle l’insulte rend particulièrement possible la bonne poésie: « Ferrand Manuel, por que versefique/donaires mi lengua sin raça e polilla,/ sabed que vos mando de mula pardilla/dozena de festes en el quadruplique. » (l. 9-12. festes: cagajones, crottins de cheval). Pour un commentaire sur l’usage du terme raça, « race », pour désigner le défaut (poétique) voir mon texte « ‘Race’ and ‘racism’ in Late Medieval Spain », in Greer, M. R., Mignolo, W. D. et Quilligan, M. (éd.), Rereading the Black legend: The discourses of religious racial difference in the Renaissance empires, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.Google Scholar

63 - Le défi de Baena se trouve en # 364, la réponse de Villasandino en # 365. L’échange continue avec Baena (# 366), Villasandino (# 367), et Baena (# 368), auquel Villasandino ne répond pas. Les citations sont issues de # 365: « Señor, este vil borrico frontino,/ torçino e relleno de vino e de ajos,/ sus neçios afanes e locos trabajos/ es porque l’tengo por trobador fino; en esto se enfinge el suzio cohino/ e con muchos buenos levanta baraja; e quien reçelasse su parlar de graja/ más negro sería que cuervo marino.// Quien non es capaz bastante nin dino/ de aquesta çiençia de que se trabaja,/ su argumentar non vale una paja,/ nin un mal cogombro, tampoco un pepino.» (Monsieur, ce vile âne au visage marqué / difforme, gavé de vin et d’ail/je le considère de par sa frénésie stupide / et ses écrits pleins de folie, un fin troubadour. Cela gonfle la tête du sale cochon juif, / il prétend se battre avec ses supérieurs. Quiconque porte attention aux propos de cet oiseau de malheur / doit être lui-même plus noir qu’un corbeau marin. // Celui qui n’est ni digne ni capable / de ce savoir et de cet art que nous exerçons: / ces arguments ne valent pas une paille, ni un maudit concombre, ni même un cornichon).

64 - Ibid., # 270, 470, Alfonso de Moraña contre Ferrán Manuel de Lando. Ce dernier avait écrit un poème d’amour qui plaçait sa bien-aimée parmi les sphères célestes, fruit des œuvres de la lune, de Mars et de Vénus. Alfonso répond en lui disant que les planètes et la fortune ne suffisent pas à produire tant de beauté, qu’il ne sera aimé (c’est-à-dire sodomisé) que par son Maure, et qu’il est pécheur.

65 - Ibid., # 140, Alfonso Álvarez de Villasandino contre Alfonso Ferrández Semuel: « Nunca serviste amor/nin fuste en su conpañia. » Â cette attaque, Alfonso Álvarez ajoute que sa cible est un juif apostat avec un grand nez, un meshumad. Pour une étude éloquente du rôle de l’amour dans la production de poésie et de noblesse en Castille pendant cette période, voir Weiss, Julian, « Alvaro de Luna, Juan de Mena and the Power of Courtly Love », Modern language notes, 106, 1991, p. 241-256.Google Scholar

66 - Ibid., # 501, 343. F. Cantera Burgos fait partie de ceux qui passent du vocabulaire à la sociologie: « Ya adelantamos que se ignora la ascendencia de Fray Diego y desde luego soprende en él el amplio conocimiento que del vocabulario hebreo hace gala. Nada nos chocaría, pues, que […] poseyera amplios contactos judaicos, quizá inclusos familiares », F. Cantera Burgos, « El Cancionero de Baena… », op. cit., p. 103. Charles F. Fraker utilise presque les mêmes termes, et aboutit à la même conclusion: Fraker, Charles F., Studies on the Cancionero de Baena, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996, p. 9-10 Google Scholar, note 2. Mais voir la réfutation concluante de W.-D. Lange, El fraile trobadro…, op. cit.

67 - Cancionero, # 511, 355-356: « Ca vuestra palabra jamas non se muda/[…]/ Estas son señales de omne fidalgo:/ dezir e fazer las cosas syn dubda. » Il peut bien sûr s’agir ici d’une allusion ironique à la lecture juive « littérale ». Voir, cependant, le commentaire du Marquis de Santillana sur les écrits de Rabbi Shem Tov de Carrion: « No vale el açor menos/ por nasçer en víl nío,/ ni los exemplos buenos/ por los dezir iudío » (Être né dans un nid infect/ne diminue pas la valeur du faucon/de même les bons exemples ne perdent pas leur valeur/parce que donnés par un juif), (« Proemio », in Maximilian, A. Gomez Moreno Y et Kerkhof, P. A. M. (éd.), Obras Completas, Barcelone, Planeta, 1988, p. 451 Google Scholar).

68 - Remarquer par exemple la distance exprimée dans les premières lignes du Libro de Buen Amor de Juan Ruiz: « Senõr Dios, que a los jodíos pueblo de perdiçión […] » (« Seigneur Dieu, qui aux juifs, peuple de perdition… »).

69 - Par exemple La Politique 1279b. La redécouverte des textes et commentaires d’Aristote à la fin du Moyen Âge aura une influence sur la reformulation consciente de ces idées au sein de la théologie politique chrétienne. Pour deux exemples connus, voir Thomas D’aquin, De Regno, ad Regem Cypri, et Gilles De Rome [Aegidius Romanus], De regimine principum libri iii . Sur la réception de La Politique dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, voir Flueler, Christoph, Rezeption und Interpretation der aristotelischen Politica imspäten Mittelalter, 2 vol., Amsterdam/Philadelphie, B. R. Grüner/J. Benjamins, 1992 Google Scholar). Sur l’Espagne du xv e siècle, voir Pagden, Anthony R. D., « The diffusion of Aristotle’s moral philosophy in Spain, ca. 1400-ca. 1600 », Traditio, 31, 1975, p. 287-313 CrossRefGoogle Scholar.

70 - « Sancti Ambrosi Opera », Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, 82, partie 3, édité par Michaela Zelzer, Vienne, Hölder-Pichler-Tempsky, 1982, p. 145-177. Lettre 40.23: « Nil boni huic imminet, rex iste Iudaeus factus est », p. 173.

71 - Pour un compte rendu plus complet de cette histoire, voir Nirenberg, David, « Warum der König die Juden beschützen musste, und warum er sie verfolgen musste », in B. Jussen (éd.), Die Macht des Königs: Herrschaft in Europa vom Frühmittelalter bis in die Neuzeit, Munich, Beck, 2005, p. 226-241 Google Scholar; ainsi que ID., « Christian Sovereignty and Jewish Flesh », in Nichols, S., Küpper, J. et al., The Medieval senses Google Scholar, à paraître.

72 - Pour des exemples antérieurs au xv e siècle, voir mon article « Deviant politics and Jewish Love: Alfonso viii and the Jewess of Toledo », Jewish History, 21, 2007, p. 15-41. Sur Isabelle en tant que « protectrice des juifs et fille d’une juive », voir le compte rendu du voyageur polonais Nicolas Popplau dans Liske, Javier, Viajes de extranjeros por España y Portugal en los siglos xv, xvi, y xvii , Madrid, Casa Editorial de Medina, 1878 Google Scholar. Sur Ferdinand, voir Kriegel, Maurice, « Histoire sociale et ragots: sur l’‘ascendance juive’ de Ferdinand le Catholique », Movimientos migratorios y expulsiones en la diàspora occidental, Pampelune, Universidad Pública de Navarra, 2000, p. 95-100 Google Scholar.

73 - Crónica del Halconero de Juan ii , édité par Juan de Carriazo, Mata, Madrid, Espasa-Calpe, 1946, p. 152 Google Scholar. Pour des sources supplémentaires et une présentation des événements dans un style typiquement conspirateur, voir Netanyahu, Benzion, The origins of the Inquisition in fifteenth century Spain, New York, Random House, 1995, p. 284-292 Google Scholar.

74 - ACA, C 3124, 157r-v: « Separatio aut differentia nulla fiat inter christianos a progenie seu natura et neophytos [...] et ex eis descendentes » (Ne faites pas de séparation ou de distinction entre chrétiens de naissance ou de nature ou convertis [...] et leurs descendants).

75 - ACA, C 2592, 21r-22v; Privilegios y ordenanzas históricos de los notarios de Barcelona, édité par Noguera Guzmán, Raimundo et Maria Madurell Marimón, Josep, Barcelone, Colegio Notarial, 1965 Google Scholar, doc. 57; Sanahuja, Pedro, Lérida en sus luchas por la fe (judíos, moros, conversos, Inquisición, moriscos), Lleida, Instituto de Estudios Ilerdenses, CSIC, 1946, p. 103-110 Google Scholar, ici p. 105 pour le texte de l’ordonnance. Voir en particulier J. Riera, « Judíos y conversos... », op. cit., p. 86-87.

76 - « Et quoniam per gratiam baptismi cives sanctorum & domestici Dei efficiuntur, longeque dignius sit regenerari spiritu, quam nasci carne, hac edictali lege statuimus, ut civitatum & locorum, in quibus sacro baptismate regenerantur, privilegiis, libertatibus & immunitatibus gaudeant, quae ratione duntaxat nativitatis & originis alii consequuntur. » Domenico Mansi, Giovan, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Graz, Akademische Druck- u. Verlagsanstalt, [1759] 1961, p. XXIX Google Scholar, 100.

77 - Beltrán De Heredia, Vicente, «Las bulas de Nicolás V acerca de los conversos de Castilla », Sefarad, 21, 1961, p. 37-38 Google Scholar. Il faut se souvenir que le concile de Bâle, loc. cit., exhortait les conversos à épouser d’anciens chrétiens.

78 - Une description plus complète et une grande partie de la bibliographie sur la révolte de Tolède peuvent être aisément trouvées dans B. Netanyahu, The origins..., op. cit. Les événements de 1434 et 1437 sont abordés dans D. Nirenberg, « Mass conversion... », art. cit., p. 23-25.

79 - La question de la nature raciale de ces statuts est largement débattue. J’ai pour ma part essayé de comprendre les enjeux du débat et de reformuler la question: D. Nirenberg, « ‘Race’ and ‘racism’... », art. cit., et ID., « Rasse als Begriff bei der Untersuchung spätmittelalterlicher Judenfeindschaft auf der spanischen Halbinsel », in Cluse, C., Haverkamp, A. et Yuval, I. (éd.), Jüdische Gemeinden und ihr christlicher Kontext, Hanovre, Verlag Hahnsche Buchhandlung, 2003, p. 49-72 Google Scholar.

80 - Les textes sont présentés dans Benito Ruano, Eloy, «El memorial contra los conversos del bachiller Marcos García de Mora (Marquillos de Mazarambroz) », Sefarad, 17, 1957, p. 314-351 Google Scholar; et ID., « La Sentencia-Estatuto de Pero Sarmiento contra los conversos toledanos », Revista de la Universidad de Madrid, 6, 1957, p. 277-306. L’analyse qui suit est principalement basée sur le premier article.

81 - Voir par exemple les nombreux travaux de Francisco Márquez Villanueva sur ce thème, en commençant par Márquez Villanueva, Francisco, «Conversos y cargos concejiles en el siglo xv », Revista de archivos, bibliotecas y museos, 63, 1957, p. 503-540 Google Scholar.

82 - Autant que je sache, personne n’a choisi cette interprétation, bien que je m’en soit peut-être trop approché dans D. Nirenberg, « Christian sovereignty and Jewish flesh », art. cit. Dans son Origins of the Inquisition..., op. cit., B. Netanyahu considère effectivement les accusations de judaïser faites aux convertis comme étant d’abord discursives (il n’utilise pas ce terme), étant donné que les convertis sont pour lui totalement orthodoxes. Mais le discours qu’il voit utilisé de manière stratégique relève de l’antisémitisme tout court (un discours dont il situe les origines dans l’Égypte ancienne).

83 - 2 Cor. 3: 6, cité par E. B. Ruano, « El memorial... », art. cit., ici p. 320-321.

84 - Ce passage s’inspire fortement de la discussion par saint Augustin de la lecture littérale dans De doctrina christiana, iii. v. 9, où ce type de lecture est également considéré comme relevant de la « bestialisation ».

85 - Rosenstock, Bruce, New men: Conversos, Christian theology, and society in fifteenth century Castile, Londres, Department of Hispanic Studies, Queen Mary and Westfield College, University of London, 2002 Google Scholar, est l’étude la plus récente consacrée à ce débat.

86 - Fernán Díaz, Relator de Juan ii, est l’auteur de cette affirmation célèbre. Sur son texte, voir De Cartagena, Alonso, Defensorium unitatis christianae, Appendice ii, édité par P. Manuel Alonso, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1943, p. 343-356, ici p. 351-355 Google Scholar. Sur le Relator et son traité, voir entre autres Round, Nicholas, « Politics, style and group attitudes in the instrucción del relator », Bulletin of Hispanic Studies, 46, 1969, p. 289-319 CrossRefGoogle Scholar.

87 - Sur la question de Ciudad Real, voir Beinart, Haiïm, Conversos on Trial: The Inquisition in Ciudad Real, Jérusalem, Magnes Press/The Hebrew University, 1981, p. 55-58 Google Scholar. L’interprétation de Beinart diffère grandement de la mienne. Il y voit la preuve que les nouveaux chrétiens avaient continué à observer tous les commandements juifs après leur conversion en 1391.

88 - Dans la mesure où ce discours trouve ses racines dans l’herméneutique, ses cibles n’avaient pas besoin d’être d’ascendance juive. Rodrigo Manrique exprima cela de manière fameuse en 1533: « Personne ne peut posséder de vagues connaissances littéraires sans être soupçonné d’hérésie, d’erreur, et de judaïsme. » Voir De Vocht, Henry, « Rodrigo Manrique’s letter to Vives », Monumenta humanistica lovaniensia, Louvain, Librairie universitaire/Ch. Uystpruyst, 1934, p. 427-458, ici p. 435 Google Scholar.

89 - Il faut répéter que ces événements représentèrent également une crise aiguë pour les juifs de la péninsule Ibérique. Cet article porte cependant sur la société chrétienne.