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Trois figures de la l iberté
Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Résumé
Comment expliquer la variété des formes d’organisation de la société que l’on rencontre en Europe ; le rôle donné au marché en Grande-Bretagne (comme, de manière plus générale, dans les pays anglo-saxons), l’attachement germanique à la concertation, les attentes vis-à-vis de l’État en France ? Si ces sociétés considèrent toutes que la liberté est le premier des droits de l’homme, elles la conçoivent différemment. Cela apparaît bien en analysant les visions de celle-ci, qui marquent les oeuvres de Locke ou Burke en Angleterre, Kant, Fichte ou Habermas en Allemagne, Sieyès ou Tocqueville en France. Ces visions restent marquées par la figure traditionnelle de l’homme libre, qui prévalait dans l’univers culturel de chacun : en Grande-Bretagne, le propriétaire qui gère ses propres affaires à l’abri de l’intervention d’autrui ; en Allemagne, le membre d’une communauté de pairs prêts à se soumettre à ce que tous ont décidé de conserve. En France, le noble attaché à ses privilèges et à son honneur.
Summary
How can we account for the variety of institutions regulating social and economic life in the European countries: the prominent role of market in Great Britain (as it is, more generally, in the Anglo- Saxon countries), the commitment to deliberation and agreement in Germany and the expectations towards the State in France? All these countries consider freedom as the first of human rights, but they tend to define it differently. The difference is striking when one analyses the notions of freedom that inspire the works of Locke or Burke in England, Kant, Fichte or Habermas in Germany, Sieyès or Tocqueville in France. These notions remain shaped by the traditional image of a free man which prevailed in the cultures of these three countries: in Great Britain, the owner and manager of his own business safe from anybody’s interference; in Germany, the member of a community of peers ready to obey their joint decisions; in France, the noble man tied up to his privileges and honour.
- Type
- Figures de la liberté
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2003
References
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7 - On a des formes sociales de structuration de l’esprit, telles que les Durkheim dans, évoque Émile Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, F. Alcan, 1912.Google Scholar
8 - J. Locke, Two Treatises…, op. cit. On citera la traduction française, avec référence en note à l’original pour les passages essentiels (soulignés par nous).
9 - « Man […] hath by Nature a Power […] to preserve his Property, that is, his Life, Liberty and Estate, against the Injuries and Attempts of other Men. »
10 - « By Property I must be understood here, as in other places, to mean that Property which Men have in their Persons as well as Goods. »
11 - La comparaison entre l’original anglais et la traduction ne manque pas d’intérêt; ainsi le terme « bornes » traduit, en plus honorable, l’anglais « bonds ». La place manque, dans le cadre de ce présent texte, pour commenter ce type de traduction qui n’est pas sans signification.
12 - Sur la conception des détenteurs du pouvoir comme trustees, voir la préface de Peter Laslett, Two Treatises…, op. cit., pp. 113-117.
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15 - Ibid., p. 41.
16 - Ibid., pp. 43, 41.
17 - Ibid., pp. 134-194.
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19 - Ibid., no 1, p. 4, ce thème est repris dans le no 85.
20 - Ibid., no 51.
21 - Ibid., nos 10, 2.
22 - E. FONNER, The Story of American Freedom, op. cit.
23 - Ibid., p. 17.
24 - Ibid., pp. 83-84 et 319.
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27 - Par ailleurs, les références à ce qui est « honorable » ou « noble », dont nous verrons le caractère central dans le cas français, ne manquent pas chez Kant, mais ces notions n’y ont qu’une place secondaire. Ainsi, par exemple, il condamne des « stratagèmes déshonorants » (Projet de paix perpétuelle [1795], in OEuvres philosophiques, op. cit., t. III, p. 337), mais il associe « l’honneur » à « la bienséance extérieure », comme fournissant seulement une « apparence de moralité », sans grande portée (Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique [1784], in OEuvres philosophiques, op. cit., t. II, p. 199).
28 - J. Locke, Two Treatises…, op. cit., II, 123 (notre traduction).
29 - E. Kant, Idée d’une histoire…, op. cit., p. 195.
30 - Ibid., p. 194.
31 - Ibid.
32 - E. Kant, Projet de paix perpétuelle, op. cit., p. 366.
33 - Ibid., p. 360.
34 - E. Kant, Métaphysique des moeurs, op. cit., p. 591.
35 - Ibid., pp. 585 et 586.
36 - E. Kant, Réponse à la question : Qu’est-ce que les lumières ? (1784), in OEuvres philosophiques, op. cit., t. II, p. 212.
37 - ID., Projet de paix perpétuelle, op. cit., p. 374.
38 - ID., Métaphysique des moeurs, op. cit., p. 579.
39 - Ibid., p. 578.
40 - E. KANT, Réponse à la question…, op. cit., t. II, p. 214.
41 - ID., Métaphysique des moeurs, op. cit., pp. 588-589. 42 - L’assimilation souvent faite entre culture et identité est en la matière source de confusion. On peut avoir une culture politique commune, au sens d’une référence aux mêmes catégories pour regarder les rapports entre l’homme et la société, et des supports d’identité très différents.
43 - Gottlieb Fichte, Johann, Discours à la nation allemande (1808), Paris, Aubier, 1981.Google Scholar
44 - Ibid., p. 176.
45 - Ibid., p. 174.
46 - Ibid.
47 - Ibid., p. 93.
48 - Ibid., p. 78.
49 - Avec un grand décalage dans le temps, Habermas reprend le mouvement, inspiré par l’esprit des Lumières, qui animait les autres auteurs cités, ce qui, joint à la nécessité de répondre à l’objection évoquée dans le texte, nous a incité à y faire référence en dépit du décalage dans le temps qui le sépare d’eux.
50 - Habermas, Jürgen, « Notes programmatiques pour fonder une éthique de la discussion », in Morale et Communication, Paris, Flammarion, « Champs », [1983] 1999, p. 86 (c’est Habermas qui souligne).Google Scholar
51 - Ibid., p. 86.
52 - Ibid., p. 84.
53 - Ibid., p. 87. Sur ce point, Habermas met en cause l’approche de Rawls, John, Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, « Points », [1971] 1987.Google Scholar
54 - Ibid., p. 87.
55 - Ibid., p. 88.
56 - Ibid., p. 92 (c’est Habermas qui souligne).
57 - Cette conception prend un relief particulier si on la compare à une approche française, telle celle de Paul Ricoeur, inspirée, dans un autre contexte, par le même souci d’échapper aux dérives liées à l’enfermement dans ce qui est transmis par la culture ou l’autorité. « Quand l’esprit d’un peuple est perverti, écrit Paul Ricoeur, […] c’est finalement dans la conscience morale d’un petit nombre d’individus, inaccessibles à la peur et à la corruption, que se réfugie l’esprit qui a déserté les institutions devenues criminelles » ( Ricoeur, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990, p. 298,Google Scholar souligné par nous). On est là bien loin de la communauté, dans un appel à une aristocratie morale qui, dans sa résistance à une peur et une corruption avilissantes, sait se conduire noblement. On trouve une confrontation des approches de Habermas et de Ricoeur en la matière, par un tenant des idées du premier, dans Hunyadi, Mark, « Entre Je et Dieu : Nous. À propos de deux conceptions concurrentes de l’éthique : Jürgen Habermas et Paul Ricoeur », Hermès, 10, 1992, pp. 139–152.CrossRefGoogle Scholar
58 - J. Habermas, « Notes programmatiques… », art. cit., p. 100.
59 - Ibid., pp. 107-110.
60 - De Tocqueville, Alexis, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Gallimard, [1856] 1952, pp. 176–177.Google Scholar
61 - On sait quelles ont été les difficultés françaises à passer de la mise à bas de l’Ancien Régime à la mise en place d’un nouvel ordre social et politique relativement stable ; près d’un siècle sépare la Révolution française de l’avènement de la IIIe République et on ne peut pas dire que la France ait vraiment trouvé un équilibre constitutionnel. Ceci ne paraît pas indépendant du fait que la conception des rapports entre gouvernants et gouvernés qui, en pratique, sous-tend le fonctionnement des institutions politiques françaises, avec tout leur aspect de « monarchie républicaine », n’est pas pleinement légitime.
62 - On ne discutera pas, à ce stade de notre recherche, la vision qu’avait Rousseau de la liberté. Même s’il a beaucoup vécu en France, Rousseau n’est pas devenu étranger – cela apparaît bien dans les Confessions – à une vision de la société marquée par son enfance suisse, ce qui rend difficile de le situer culturellement.
63 - Pour notre part, c’est d’abord en observant, dans une démarche ethnologique, la vie d’une entreprise française que nous avons été mis sur la piste de la place que tient, dans la France moderne, cette conception de la liberté. Si celle-ci a en fin de compte fourni une clef de lecture saisissante de ce que nous avions observé, elle n’était pas explicitée, et ce n’est qu’après bien des efforts que nous avons découvert son rôle (P. D’IRIBARNE, La logique de l’honneur, op. cit.). Sur le cheminement intellectuel suivi, voir Philippe D’iribarne, « La dynamique d’une démarche », in P. D’IRIBARNE et alii, Cultures et mondialisation, op. cit., pp. 334-336.
64 - SieyÈs, Emmanuel, Qu’est-ce que le tiers état ?, Paris, Flammarion, « Champs », [1789] 1988, p. 66.Google Scholar
65 - Ainsi, par exemple, le chancelier d’Aguesseau, célébrant la magistrature en 1759, affirme, en opposant la condition qu’elle procure à celle de la noblesse : « Ces distinctions qui ne sont fondées que sur le hasard de la naissance, ces grands noms dont l’orgueil du commun des hommes se flatte, et dont les sages mêmes sont éblouis, deviennent des secours inutiles dans une profession où la vertu fait toute la noblesse, et dans laquelle les hommes sont estimés, non par ce qu’ont fait leurs pères, mais par ce qu’ils font eux-mêmes » (Chancelier D’AGUESSEAU, OEuvres, t. I, Paris, Libraires associés, 1759, p. 1).
66 - E. SIEYÈS, Qu’est-ce que le tiers état ?, op. cit., p. 51.
67 - Ibid., p. 100. Pour le lecteur de Sieyès, nourri d’histoire grecque, il était clair que l’ilote est un esclave.
68 - Ibid., pp. 99-100.
69 - Ibid., p. 100.
70 - Ibid., p. 35.
71 - Ibid., p. 97.
72 - Ibid., p. 45.
73 - Ibid., p. 98.
74 - Ibid., p. 56.
75 - Ibid., p. 56.
76 - Ibid., p. 45.
77 - Ibid., p. 44.
78 - Ibid., p. 78.
79 - Ibid., p. 43.
80 - Ibid., p. 153.
81 - De Tocqueville, Alexis, « État social et politique de la France » (1836), in OEuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, 1952, p. 62.Google Scholar
82 - ID., L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 74.
83 - Ibid., p. 72.
84 - Ibid., p. 217.
85 - The Federalist, op. cit., no 51.
86 - E. Burke, Réflexions sur la révolution de France, op. cit., p. 176.
87 - A. De Tocqueville, Voyages en Angleterre et en Irlande, op. cit., pp. 161-162.
88 - The Federalist, op. cit., no 6.
89 - A. De Tocqueville, De la démocratie en Amérique, op. cit., 2e partie, chap. VIII.
90 - E. Fonner, The Story of American Freedom, op. cit.
91 - P. D’IRIBARNE, La logique de l’honneur, op. cit., chap. 5.
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93 - Ibid., p. 114.
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95 - Ibid., p. 168.
96 - Ce dernier point de vue est défendu par Conte, Emanuele, « Droit médiéval. Un débat historiographique italien », Annales HSS, 57–6, 2002, pp. 1593–1613.CrossRefGoogle Scholar
97 - Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), Première partie, Livre IV, 2.
98 - A. De Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 209.
99 - Ibid., p. 212 (la première citation est de Mercier de la Rivière ; Tocqueville ne précise pas à qui il emprunte la seconde).
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103 - Ce point est longuement analysé dans W. H. Sewell, Gens de métier…, op. cit.
104 - Un épisode de cette histoire, qui a correspondu, sous l’influence de la Cour de cassation allant à l’encontre des orientations des juridictions prud’homales, à un retour en force d’une vision contractuelle, est relaté dans Cottereau, Alain, « Droit et bon droit. Un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France, XIXe siècle) », Annales HSS, 57–6, 2002, pp. 1521–1557.CrossRefGoogle Scholar Cet épisode montre bien quelle a été, même à un tel moment, la vivacité des résistances inspirées par une vision du travail associant sa dignité à la possession d’un statut.
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- Cited by