Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
A vouloir faire l'histoire des conceptions sur la nature et les fonctions du cerveau, depuis l'époque où la science grecque a établi pour la première fois avec certitude que cet organe avait des relations spécifiques avec la « pensée », on s'aperçoit que celles-ci ne se laissent pas ranger selon l'ordre linéaire d'une filiation continue. L'histoire du cerveau n'est ni celle d'une accumulation progressive de découvertes à l'intérieur d'un champ homogène défini dès l'origine, ni celle de l'élaboration continue de concepts patiemment redressés au contact de l'observation, ni celle de l'invention de techniques permettant de donner un jour une réponse positive à des questions séculaires. Plus exactement, si ces modèles s'appliquent assez bien au développement historique de notions restreintes (par exemple, la notion de neurone, celle d'influx nerveux), à l'intérieur de bornes chronologiques relativement rapprochées (entre le moment où la notion a été définie et celui où ses principaux paramètres ont été mesurés), on ne saurait sans fausser toutes les perspectives les appliquer à une histoire globale des idées sur le cerveau.
1. Une telle relation n'a aucun caractère évident et n'a pas été établie sans peine. Aristote et son école localisent dans le coeur le centre des sensations, et accordent au cerveau, organe humide et froid, la seule fonction de tempérer la chaleur interne du corps. L'idée que le cerveau est le siège de l'intelligence se trouve de façon cursive et souvent métaphorique chez certains présocratiques, chez Hippocrate et chez Platon. Mais c'est Galien (131-200) qui, réfutant Aristote, en apporte la première démonstration systématique, fondée sur des arguments convergents anatomiques et pathologiques.
page 600 note 1. Anatomie et Physiologie du Système nerveux en général et du Cerveau en particulier, 4 vol., Paris, Schoell, 1810-1819.
page 600 note 2. Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux dans les animaux vertébrés, Paris, Crevot, 1824.
page 600 note 3. Traité clinique et physiologique de l'Encéphalite, Paris, Baillière, 1825, et article dans Archives Générales de Médecine, 1825, pp. 25-45.
page 600 note 4. Foville, et Pinel-Grandchamp, , Recherches sur le siège spécial de diverses fonctions du système nerveux, Paris, Bobée, 1823 Google Scholar.
page 601 note 1. Recherches sur l'arachnitis chronique, la gastr te et la gastro-entérite, et la goutte, considérées comme causes de l'aliénation mentale. Thèse, Paris, 1822 ; et Nouvelle doctrine des maladies mentales, Paris, Gabon, 1825.
page 601 note 2. Cf. notamment Sudhoff, W., Die Lehre von der Hirnventrikeln in textlischer und graphischer Tradition des Altertums und Mittelalters, Leipzig, 1913 Google Scholar et W., Pagel, « Médiéval and Renaissance contributions to the knowledge of the brain and its functions », in Poynter, F.N.L., The Brain and its Functions, Oxford, Blackwell, 1958 Google Scholar. La généalogie des textes fondamentaux sur le cerveau, de Galien à Vésale, a été établie par Singer, Charles, Vesalius on the Human Brain, Oxford University Press, 1952 Google Scholar.
page 602 note 1. « Qu'est-ce que la psychologie ? » Cahiers pour l'Analyse, mars-avril 1966, p. 82.
page 603 note 1. Joanis Fernelii Universa Medica, Genève, P. Chou et 1638. 1 re partie, Physiologia, Livre V, chap. X, p. 189. La première édition de ce texte est de 1554. Il est important de noter que le terme de physiologie y est employé pour la première fois dans l'histoire.
page 603 note 2. De Corporis Humani Fabrica (1543), p. 623, Singer, op. cit., p. 4.
page 603 note 3. Fernel, , op. cit., pp. 167 et 185Google Scholar.
page 603 note 4. Le mot Psychologie, forgé sur le modèle de Physiologie, apparaît quelques années après (R. Gockel, Psychologia, Hoc est de Hominis Perfectione, 1560) mais ne deviendra usuel qu'à la fin du XVIIIe siècle, avec I’ « universitarisation » de la discipline.
page 603 note 5. Vésale, ibid.
page 604 note 1. Discours de M. Sténon sur l'Anatomie du Cerveau. Paris, Robert de Minville, 1669, p. 54 Google Scholar.
page 604 note 2. Neuburger, M., Die historische Entwicklung der experimentellen Gehirn-und\Rùckenmarksphysiologie vor Flourens. Stuttgart, F. Enke, 1897 Google Scholar.
page 604 note 3. « Animi morbi », « Geisteskrankheiten », « Diseases of the mind », c'est le terme générique qui recouvre, à l'époque, tout le champ psychiatrique.
page 604 note 4. Histoire de la folie à l'âge classique. Plon, 1961.
page 604 note 5. Op. cit., 2e partie, chap. 3, figures de la folie.
page 605 note 1. Ibid.. p. 266.
page 605 note 2. Pinel explique que c'est à cause du « préjugé » suivant lequel « l'aliénation de l'entendement est regardée comme le produit d'une lésion organique du cerveau, et par conséquent comme incurable » que « les azyles publics consacrés aux aliénés ont été considérés comme des lieux de réclusion et d'isolement pour des infirmes dangereux et dignes d'être séquestrés de la société », Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou la manie, Paris, Richard, Caille et Ravier, an IX (1801), p. 3 Google Scholar. Pinel souligne constamment les liens entre l'enfermement à vie, le refus du « traitement moral » des aliénés, la pharmacopée orientale (ellébore, etc.) et la thèse de la « lésion organique du cerveau ».
page 605 note 3. L'histoire de l'organicisme en psychiatrie demanderait une analyse beaucoup plus détaillée. Entre 1860 et 1900, par exemple, la notion de dégénérescence a joué la même fonction mythique que la pathologie des humeurs à l'âge classique.
page 605 note 4. La formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, P.U.F., 1955 Google Scholar.
page 605 note 5. La seule exception à citer serait celle de Pourfour du Petit (Lettres d'un médecin des Hôpitaux du Roy, Namur, 1710), qui, chirurgien dans les armées de Louis XIV. a l'idée de reproduire sur l'animal certaines lésions observées par lui sur des blessés du cerveau. Il vérifie la règle hippocratique de la paralysie croisée et soupçonne la notion de centres moteurs cérébraux. Ces expériences, refaites par Saucerotte, sont en continuité avec celles du siècle suivant. L'idée directrice en vient on le voit, de l'observation clinique.
page 606 note 1. Mémoires de Mathématiques et de Physique présentés à l'Académie Royale des Sciences par divers savants, t. III, année 1770, p. 363.
page 606 note 2. Albert de Haller, Mémoires sur la nature sensible et irritable des parties du corps animal, trad. Tissot, MM. Bousquet Lausanne, 1756.
page 607 note 1. P. 198.
page 607 note 2. Mémoires de la classe de Mathématiques et de Physique de l'Institut de France. 1808, p. 159.
page 607 note 3. En 1641, l'année des Méditations métaphysiques, une thèse de médecine de la Faculté de Paris a pour sujet : la pinéale est-elle le siège du sens commun ? (Jean Cousin, An conarium sensus communissedes).
page 607 note 4. Système de fibres commissurales réunissant les deux hémisphères cérébraux.
page 608 note 1. « Observations par lesquelles on tâche de découvrir la partie du cerveau où l'âme exerce ses fonctions », Histoire de l'Académie Royale des Sciences, 1741, pp. 199-219.
page 608 note 2. En gros, la région du bulbe rachidien.
page 608 note 3. « Sur les mouvements du cerveau », Mémoires de Mathématiques et de Physique présentés à l'Académie Royale des Sciences par divers savants, t. III, 1770, p. 373.
page 608 note 4. De la Méchanique des Animaux (1688), 2e partie, chap. VII, in Œuvres diverses de Physique et de Méchanique, Leyde, P. Vander, 1721, p. 403 Google Scholar.
page 608 note 5. Histoire Naturelle (1749-1788), t. VII, Discours sur les Animaux carnassiers, p. 17.
page 608 note 6. Essais physiologiques, trad. M. Thébault, Paris, Estienne Frères, 1759, p. 234.
page 608 note 7. Diderot, Éléments de Physiologie, édités et annotés par J. Meyer, Paris, Didier, 1964.
page 609 note 1. Il y a, naturellement, une « intention » matérialiste partout présente dans le livre de Diderot, qui ne minimise les fonctions spécifiques du système nerveux que pour mieux appuyer l'idée que « la matière animale » en général (et pas seulement le tissu nerveux) est dotée de sensibilité.
page 609 note 2. « Traité de l'Ame », in Œuvres philosophiques, Berlin, sans nom d'éditeur, 1774, p. 82.
page 609 note 3. « Le cerveau digère en quelque sorte les impressions… il fait organiquement la sécrétion de la pensée », Rapports du Physique et du Moral de l'Homme, in Œuvres, P.U.F., 1956, p. 196.
page 610 note 1. Tubercules quadrijumeaux. Cette terminologie anatomique (nates, testes, vulva, anus…) qui remonte en partie à Galien, en partie au Moyen Age, disparaîtra au début du XIXe siècle.
page 610 note 2. Éléments de Physiologie de M. de Haller, trad. par M. Bordenave, Paris, Guillyn, 1769, chap. XII, paragr. 397.
page 610 note 3. Prochaska, G., De functionibus systematis nervosi commentatio, (1784), éd. New Sydenham Society, Londres, 1851, vol. 28, p. 446 Google Scholar.
page 610 note 4. Nouveaux éléments de physiologie, par M. le baron Richerand, Paris, Béchet jeune, 1801 (10e éd., 1833, t. Il, p. 404).
page 610 note 5. Mémoires de la Classe des Sciences mathématiques et physiques de l'Institut de France, année 1808, p. 114.
page 610 note 6. Elementa Physiologiae Corporis Humani, Lausanne, F. Grasset, 1772, t. IV, p. 393.
page 610 note 7. Prochaska, ibid.
page 610 note 8. Richerand, ibid.
page 611 note 1. Le mot Psychiatrie, employé systématiquement par les Allemands à partir de 1830, est devenu d'usage universel seulement à partir de 1880-1900. Auparavant la terminologie est disparate (en français, on trouve la formule médecine mentale, l'adjectif médico-psychologique, la série aliénation-aliéné-aliéniste ; en anglais, les termes les plus courants sont médical psychology et psychological médecine). Néanmoins, dès le début du siècle, la « psychiatrie », innommée ou diversement nommée, est une pratique médicale institutionnalisée et autonome.
page 611 note 2. Le système que Gall appelait « organologie » et que son disciple Spurzheim a rebaptisé « phrénologie » divisait la surface cérébrale en 27 territoires dont chacun était censé constituer un « organe » indépendant siège d'une faculté psychologique. Le crâne se moulant, selon Gall, sur le cerveau, l'organologie se complète par une « cranoscopie » permettant l'établissement de diagnostics individuels par l'examen des saillies crâniennes.
page 611 note 3. Dans une brochure éditée hors commerce en 1811 : Idea of a new anatomy of the brain, submitted for the observations of his friends, reproduite dans Gordon-Taylor, G. et Walls, E. W., Sir Charles Bell, His Life and Time, Londres, 1958 Google Scholar.
page 612 note 1. De la vie et de l'intelligence, Paris, Garnier, 1858, p. 53 Google Scholar.
page 612 note 2. Naissance de la clinique Paris, P.U.F., 1963, p. 1 Google Scholar.
page 612 note 3. Naissance de la clinique Paris, P.U.F., 1963, p. 1 Google Scholar.
page 612 note 4. Naissance de la clinique Paris, P.U.F., 1963, p. 1 Google Scholar.
page 612 note 5. The nervous System of the human body, Black, Edimbourg, 1836, p. 183 Google Scholar.
page 612 note 6. L'archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 188 Google Scholar.
page 613 note 1. Ibid.. p. 224.
page 613 note 2. Bouillaud, J.-B., Philosophie médicale. Paris, 1836, p. 259 Google Scholar (souligné par nous).